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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
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Page(s) | 318 - 320 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025055 | |
Published online | 28 April 2025 |
Vers l’utilisation des pseudo-prions contre les maladies neurodégénératives
Towards using pseudo-prions against neurodegenerative diseases
1
CNRS, Université Paris-Saclay, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Laboratoire des maladies neurodégénératives, Fontenay-aux-Roses, France
2
CEA, Direction de la recherche fondamentale (DRF), Institut de biologie François Jacob MIRCen, Fontenay-aux-Roses, France
3
Univ. Grenoble Alpes, Inserm U1216, Grenoble Institut neurosciences (GIN), Grenoble, France
*
marc.Dhenain@cnrs.fr
**
alain.Buisson@univ-grenoble-alpes.fr
Transmission iatrogène de maladies neurodégénératives : des prions à la maladie d’Alzheimer
En 1966, une maladie étonnante appelée Kuru a été décrite en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Certains aborigènes développaient des troubles neurologiques mortels en se contaminant à la suite de la consommation du corps des défunts de leur tribu lors de rites anthropophagiques mortuaires. La maladie était transmissible expérimentalement en inoculant, par voie intracérébrale, le cerveau de personnes malades à des animaux [1]. La transmission alimentaire d’une maladie neurologique a de nouveau été observée lors de la « crise de la vache folle » dans les années 1990. Des personnes ayant mangé de la viande bovine contaminée par la maladie de la vache folle ont développé une maladie neurodégénérative et en sont mortes. Le point commun entre ces deux maladies est qu’il s’agit de maladies à prions. Elles sont causées par l’accumulation intracérébrale d’une protéine « prion » (PrP) mal conformée, c’est-à-dire dont la structure tridimensionnelle est anormale [2]. Les protéines synthétisées par les cellules doivent être correctement repliées afin de remplir leurs fonctions. Au cours des maladies neurodégénératives à prions, les protéines prions cellulaires normales (PrP-cellulaires, PrPc) se replient anormalement et deviennent pathogènes (PrPsc, abréviation de « protéine prion de la scrapie »1) [2] (Figure 1A, 1B). Ces protéines aberrantes se propagent dans le cerveau en interagissant avec des protéines normales PrPc, auxquelles elles transfèrent leur forme anormale [3] (Figure 1C). La présence de ces protéines toxiques provoque la mort des cellules neuronales. Étonnamment, les protéines PrPsc ne sont transmissibles qu’en présence de protéines prions natives PrPc, qu’elles transforment en prions pathogènes PrPsc. Comme les maladies à prions, certaines maladies neurodégénératives liées au vieillissement sont caractérisées par l’accumulation dans le cerveau de peptides pathologiques. Dans la maladie d’Alzheimer, il s’agit du peptide β-amyloïde (Aβ), qui s’accumule dans la matrice extracellulaire sous forme de plaques séniles (Figure 2A), et de la protéine tau, qui s’accumule dans les cellules neurales (Figure 2B). La propagation de la maladie d’Alzheimer par exposition d’un tissu cérébral sain à des peptides amyloïdes pathologiques a été montrée par la mise en évidence de lésions liées à l’accumulation de Aβ chez des individus ayant reçu des greffes de dure-mère contaminées [4] ou de l’hormone de croissance extraite de cadavres humains [5]. De plus, la maladie d’Alzheimer humaine a pu être transmise expérimentalement à des primates non humains par inoculation d’extraits de cerveaux d’individus atteints de la maladie : les troubles comportementaux constatés chez ces primates étaient en effet accompagnés de la présence de plaques amyloïdes et d’une tauopathie [6, 7]. Cette transmission de type prion des protéines β-amyloïde et tau impliquées dans la maladie d’Alzheimer a conduit à les qualifier de « pseudo-prions » (Figure 1C).
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Figure 1 Prions, pseudo-prions, effet de souche, et neuroprotection par des pseudo-prions. A. Des protéines sont produites constamment par les cellules de notre cerveau. Elles contribuent notamment à la survie et au fonctionnement des neurones. B. Une protéine peut changer de conformation, notamment lorsque sa concentration augmente, comme dans le cas du peptide amyloïde β (Aβ) ou de la protéine tau, et devenir toxique pour les neurones, qui vont alors dégénérer. C. L’apport de protéines pathologiques (appelées prions ou pseudo-prions) exogènes peut accélérer la transformation de protéines normales en protéines anormales et l’apparition d’un processus toxique pour les neurones. D. Des protéines pathologiques de formes anormales différentes peuvent accélérer la transformation de protéines normales en protéines anormales également différentes, mais toujours toxiques pour les neurones : c’est l’effet de souche. E. Inversement, certaines protéines de forme différente peuvent empêcher la transformation de protéines normales en protéines anormales et toxiques : c’est l’effet pseudo-prion protecteur. |
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Figure 2 Lésions histologiques cérébrales dans la maladie d’Alzheimer. A. Les plaques amyloïdes (colorées en marron par immunohistochimie) sont liées à l’accumulation extracellulaire du peptide β-amyloïde. B. Les dégénérescences neurofibrillaires sont liées à l’agrégation de protéines tau (colorées en marron par immunohistochimie) dans les neurones. |
Protéines impliquées dans les maladies neurodégénératives et « effet de souche »
Une des caractéristiques des maladies à prion est « l’effet de souche » : une même protéine prion peut avoir plusieurs repliements différents qu’elle peut transmettre à d’autres protéines (Figure 1D). Chaque assemblage peut conduire à une maladie avec des symptômes spécifiques, qui sont alors transmissibles aux hôtes contaminés par cette souche [8].
Après la mise en évidence de la transmissibilité des lésions de la maladie d’Alzheimer selon un mode pseudoprion, la question de l’existence d’un effet de souche a été posée. Des études sur les assemblages du peptide Aβ produit in vitro ont montré que le peptide synthétique peut s’agréger en protéines amyloïdes structurellement diverses, qui conservent leurs propriétés conformationnelles et leur toxicité cellulaire après leurs passages répétés de cellule en cellule [9]. Aβ est un peptide d’une quarantaine d’acides aminés, issu du clivage d’une protéine transmembranaire plus longue, le précurseur de l’amyloïde (APP), synthétisée par les neurones. Des mutations de la protéine APP ont été identifiées chez l’homme, et ces dernières induisent soit une augmentation de la production du peptide Aβ, soit la production de formes mutées de ce peptide. Des expériences in vivo ont montré que des extraits de cerveaux de souris transgéniques dont la protéine APP comportait des mutations provoquaient des lésions spécifiques lorsqu’ils étaient inoculés à des modèles murins de la maladie [10]. De plus, les caractéristiques des lésions étaient transmissibles lors de la ré-inoculation d’extraits des cerveaux de souris préalablement inoculées [10], validant l’hypothèse d’un effet de souche avec corruption des peptides Aβ natifs par les formes du peptide Aβ injectées. Nous nous sommes intéressés à une mutation de APP identifiée dans la population Japonaise : la mutation Osaka. Nous avons montré qu’une seule inoculation intracérébrale du peptide Aβ porteur de cette mutation à des souris modèles de la maladie amyloïde aggrave les lésions histologiques caractéristiques de la maladie d’Alzheimer ainsi que le déficit cognitif [11]. Bien que l’inoculation intracérébrale d’un peptide Aβ muté ne soit pas médicalement pertinente, le résultat de cette expérience suggère que la présence du peptide Aβ Osaka peut accélérer une cascade d’évènements délétères, avec des conséquences cognitives plusieurs mois plus tard.
Perspectives de thérapie par des pseudo-prions protecteurs
Cependant, de très rares mutations de la protéine APP peuvent réduire le risque de développer une maladie d’Alzheimer, comme c’est le cas pour une mutation présente chez des islandais. Les personnes possédant la protéine APP islandaise, qui produit un peptide Aβ muté (Aβice), présentent un moindre vieillissement cognitif et ne développent jamais la maladie d’Alzheimer. Afin de confirmer l’hypothèse d’un effet protecteur du peptide Aβice, dont la présence empêcherait la toxicité du peptide Aβ, nous avons analysé les conséquences de l’inoculation intracérébrale de Aβice à une souris transgénique modèle de la maladie d’Alzheimer. Étonnamment, une seule inoculation de ce peptide a suffi pour préserver les synapses neuronales pendant plusieurs mois et limiter la perte de mémoire caractéristique de la maladie. Elle a également réduit l’apparition des lésions dues à l’accumulation de la protéine tau, ainsi que la neuro-inflammation responsable de la phagocytose des éléments synaptiques par les cellules microgliales [12]. Ce constat d’un effet protecteur prolongé après une injection unique est en faveur d’un mécanisme de type pseudo-prion (Figure 1E). Il pourrait ouvrir la voie à une nouvelle catégorie de thérapies préventives pour les personnes atteintes de maladies neurodégénératives à des stades précoces : l’injection de pseudoprions protecteurs afin d’empêcher l’évolution de la maladie.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
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Figure 1 Prions, pseudo-prions, effet de souche, et neuroprotection par des pseudo-prions. A. Des protéines sont produites constamment par les cellules de notre cerveau. Elles contribuent notamment à la survie et au fonctionnement des neurones. B. Une protéine peut changer de conformation, notamment lorsque sa concentration augmente, comme dans le cas du peptide amyloïde β (Aβ) ou de la protéine tau, et devenir toxique pour les neurones, qui vont alors dégénérer. C. L’apport de protéines pathologiques (appelées prions ou pseudo-prions) exogènes peut accélérer la transformation de protéines normales en protéines anormales et l’apparition d’un processus toxique pour les neurones. D. Des protéines pathologiques de formes anormales différentes peuvent accélérer la transformation de protéines normales en protéines anormales également différentes, mais toujours toxiques pour les neurones : c’est l’effet de souche. E. Inversement, certaines protéines de forme différente peuvent empêcher la transformation de protéines normales en protéines anormales et toxiques : c’est l’effet pseudo-prion protecteur. |
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Figure 2 Lésions histologiques cérébrales dans la maladie d’Alzheimer. A. Les plaques amyloïdes (colorées en marron par immunohistochimie) sont liées à l’accumulation extracellulaire du peptide β-amyloïde. B. Les dégénérescences neurofibrillaires sont liées à l’agrégation de protéines tau (colorées en marron par immunohistochimie) dans les neurones. |
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