Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
Page(s) 321 - 323
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025056
Published online 28 April 2025

Les infections restent l’une des principales causes de mortalité dans le monde, avec une incidence en augmentation, même avant la pandémie de COVID-19 [1]. Le sepsis, défini comme une défaillance organique potentiellement mortelle résultant d’une réponse immunitaire incontrôlée à une infection, est responsable de la majorité des décès liés aux infections. Bien que le sepsis entraîne des modifications profondes et durables du système immunitaire, son effet sur le risque de développer un cancer est assez mal connu. Les résultats de certaines études ont montré que le sepsis provoque une reprogrammation immunitaire prolongée, caractérisée par une tolérance accrue ou une immunité innée « entraînée », pouvant influer sur le risque de développer des cancers [2, 3]. Nous avons donc émis l’hypothèse que le sepsis pourrait modifier ce risque via des altérations immunitaires durables.

Pour tester cette hypothèse, nous avons analysé les données du système national des données de santé en France, couvrant plus de cinq millions de patients hospitalisés entre 2010 et 2016, avec un suivi jusqu’en 2020 [4]. En comparant l’incidence des nouveaux cancers chez les survivants à un sepsis et chez des personnes ayant eu des infections peu sévères, ils ont constaté une réduction significative du risque de cancer chez les premiers, qui persistait durant sept ans après le sepsis et concernait divers types de cancers, suggérant l’existence d’un effet protecteur généralisé.

Rôle des macrophages résidents et des cytokines

Afin d’élucider les mécanismes de cet effet protecteur, des souris infectées par une souche non létale de la bactérie Escherichia coli pour induire un sepsis pulmonaire ont, après guérison, été exposées à des cellules tumorales pulmonaires ou cutanées. Chez ces souris, on a constaté une réduction significative du nombre et de la taille des tumeurs par rapport aux souris témoins non infectées [4]. L’analyse immunologique a révélé que le sepsis active durablement les macrophages résidents pulmonaires. Ces macrophages « entraînés » libèrent des chimiokines spécifiques, notamment CXCL16 (C-X-C motif chemokine ligand 16), ce qui attire les lymphocytes T résidents exprimant le récepteur CXCR6 (C-X-C motif chemokine receptor 6) [4]. CXCR6 permet à ces lymphocytes de rester dans les tissus, où ils exercent une surveillance immunitaire continue. L’interaction CXCL16-CXCR6 favorise leur accumulation, renforçant la détection et l’élimination des cellules tumorales qui pourraient se développer dans le futur. De plus, les macrophages produisent des chimiokines agissant sur CCR2 (C-C motif chemokine receptor 2), un récepteur essentiel au recrutement des cellules immunitaires, ce qui contribue à l’accumulation des lymphocytes T résidents via une surexpression de CXCR6 par ces lymphocytes [4] (Figure 1).

thumbnail Figure 1

Effet des macrophages résidents « entraînés » par le sepsis sur l’immunité antitumorale pulmonaire. À gauche : chez une souris porteuse d’une tumeur cancéreuse du poumon sans sepsis préalable, les macrophages alvéolaires résidents produisent peu de chimiokines, ce qui limite le recrutement et la rétention des lymphocytes T résidents (CXCR6+) à proximité de la tumeur. À droite : en revanche, lorsqu’une souris a survécu à un sepsis pulmonaire (induit par la bactérie E. coli), les macrophages alvéolaires « entraînés » produisent les chimiokines CXCL16 et CCL2/6 en plus grandes quantités. CXCL16 attire les lymphocytes T résidents exprimant le récepteur CXCR6, tandis que CCL2/6 interagit avec CCR2, ce qui favorise la rétention et la prolifération des lymphocytes T résidents dans le tissu pulmonaire. Cette surveillance immunitaire renforcée, soutenue par les interactions CXCL16-CXCR6 et CCL2-CCR2, exerce une activité antitumorale durable, qui se traduit par une réduction de la taille de la tumeur.

Accumulation des lymphocytes T résidents antitumoraux

L’accumulation de lymphocytes T résidents exprimant CXCR6 a été constatée jusqu’à 56 jours après la résolution du sepsis, ce qui témoigne d’une « mémoire » immunitaire tissulaire durable. Il s’agissait principalement de lymphocytes T du type γδ et CD4+, connus pour leur capacité antitumorale. Ces lymphocytes reconnaissent des antigènes non peptidiques, y compris des marqueurs de stress ou des molécules tumorales, et peuvent exercer une activité cytotoxique directe. Ils orchestrent les réponses immunitaires et soutiennent les autres cellules immunitaires [4]. Chez des souris génétiquement modifiées pour ne plus exprimer les récepteurs CXCR6 et CCR2, l’effet protecteur du sepsis contre la croissance tumorale était absent, ce qui souligne le rôle crucial de ces récepteurs dans le recrutement des lymphocytes T résidents et leur maintien dans le tissu tumoral [4]. Enfin, contrairement au sepsis, la réponse inflammatoire systémique non septique consécutive à un traumatisme crânien sévère n’a pas induit l’accumulation de lymphocytes T résidents ni la réduction de la croissance tumorale dans les modèles murins, ce qui indique que l’effet antitumoral est spécifique de la réponse immunitaire induite par une infection [4].

Les macrophages alvéolaires résidents sont la principale source de chimiokines favorisant la résidence des lymphocytes T. Leur déplétion chez les souris a supprimé l’effet protecteur du sepsis sur la croissance tumorale, confirmant leur rôle central. En l’absence de ces macrophages, la production de chimiokines comme CXCL16 diminue, on ne constate plus d’accumulation des lymphocytes T résidents, et la croissance tumorale augmente [4].

Les β-glucanes sont des polysaccharides naturels aux propriétés immunomodulatrices, présents dans la paroi cellulaire de champignons, levures et certaines céréales, et connus pour induire des macrophages « entraînés ». Ils stimulent l’immunité innée en activant des récepteurs comme la dectine-1 sur les macrophages, ce qui induit leur « l’entraînement » [5]. L’administration de β-glucanes à des souris a reproduit l’effet antitumoral du sepsis, en augmentant le nombre de lymphocytes T résidents exprimant CXCR6 et en réduisant la croissance tumorale [4].

Extrapolation des résultats expérimentaux à l’espèce humaine

Pour s’assurer de la pertinence médicale des résultats expérimentaux obtenus chez la souris, ces résultats ont été comparés à d’autres résultats obtenus chez l’homme. Des analyses de données publiques ont en effet montré une augmentation du nombre des lymphocytes T résidents exprimant CXCR6 dans les poumons des personnes atteintes de sepsis sévère, notamment lors de la pandémie de COVID-19 [6]. De plus, les macrophages pulmonaires de ces patients présentaient une production accrue de chimiokines, y compris CXCL16, similaire au constat établi chez la souris. Par ailleurs, des analyses transcriptomiques de tumeurs humaines ont révélé l’existence d’une corrélation positive entre l’expression des récepteurs CXCR6 et CCR2 et la présence de lymphocytes T résidents intra-tumoraux. Une forte expression de ces récepteurs était associée à une meilleure survie chez les personnes atteintes d’un cancer du poumon, d’un cancer du sein, ou d’un mélanome cutané. Ainsi, les mécanismes identifiés chez la souris pourraient être pertinents pour l’espèce humaine : la reprogrammation immunitaire induite par le sepsis pourrait contribuer à une meilleure surveillance antitumorale par les lymphocytes T résidents en cas de cancer.

Perspectives thérapeutiques

Ces découvertes ouvrent de nouvelles perspectives pour développer des stratégies thérapeutiques renforçant l’immunité antitumorale naturelle. La stimulation de la production de chimiokines par les macrophages, en utilisant des molécules comme les β-glucanes, pourrait prévenir le développement du cancer ou améliorer le pronostic chez les personnes qui en sont atteintes. Cibler les récepteurs CXCR6 et CCR2 pourrait augmenter l’efficacité des immunothérapies existantes en favorisant l’accumulation de lymphocytes T résidents antitumoraux. Le profil d’expression de ces récepteurs dans les tumeurs pourrait aussi servir de biomarqueur pour prédire la réponse à différents traitements anticancéreux.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. GBD 2016 Lower Respiratory Infections Collaborators. Estimates of the global, regional, and national morbidity, mortality, and aetiologies of lower respiratory infections in 195 countries, 1990-2016: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016. Lancet Infect Dis 2018 ; 18: 1191–210. [PubMed] [Google Scholar]
  2. Roquilly A, Jacqueline C, Davieau M, et al. Alveolar macrophages are epigenetically altered after inflammation, leading to long-term lung immunoparalysis. Nat Immunol 2020 ; 21 : 636–48. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Divangahi M, AAbi p, Khader SA, et al. Trained immunity, tolerance, priming and differentiation: distinct immunological processes. Nat Immunol 2021 ; 22 : 2–6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Broquet A, Gourain V, Goronflot T, et al. Sepsis- trained macrophages promote antitumoral tissue- resident T cells. Nat Immunol 2024 ; 25 : 802–19. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Prével R, Pernet E, Tran KA, et al. β-glucan reprograms alveolar macrophages via neutrophil/ IFNγ axis to promote lung injury. eLife 2024 ; 13 : https://doi.org/10.7554/eLife.102068. [Google Scholar]
  6. Liao M, Liu Y, Yuan J, et al. Single-cell landscape of bronchoalveolar immune cells in patients with COVID- 19. Nat Med 2020 ; 26 : 842–4. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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Liste des figures

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Effet des macrophages résidents « entraînés » par le sepsis sur l’immunité antitumorale pulmonaire. À gauche : chez une souris porteuse d’une tumeur cancéreuse du poumon sans sepsis préalable, les macrophages alvéolaires résidents produisent peu de chimiokines, ce qui limite le recrutement et la rétention des lymphocytes T résidents (CXCR6+) à proximité de la tumeur. À droite : en revanche, lorsqu’une souris a survécu à un sepsis pulmonaire (induit par la bactérie E. coli), les macrophages alvéolaires « entraînés » produisent les chimiokines CXCL16 et CCL2/6 en plus grandes quantités. CXCL16 attire les lymphocytes T résidents exprimant le récepteur CXCR6, tandis que CCL2/6 interagit avec CCR2, ce qui favorise la rétention et la prolifération des lymphocytes T résidents dans le tissu pulmonaire. Cette surveillance immunitaire renforcée, soutenue par les interactions CXCL16-CXCR6 et CCL2-CCR2, exerce une activité antitumorale durable, qui se traduit par une réduction de la taille de la tumeur.

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