Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
Page(s) 316 - 318
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025053
Published online 28 April 2025

Les dysplasies corticales focales (DCF) sont des malformations du cortex cérébral qui constituent une cause fréquente d’épilepsie pharmacorésistante chez l’enfant [1]. Parmi elles, les DCF de type II (DCFII) se caractérisent par une anomalie de lamination des couches du cortex cérébral et par la présence de cellules anormales : neurones dysmorphiques et cellules ballonnisées [2]. Ces anomalies résultent de mutations dites « somatiques », survenues dans des gènes de la voie de signalisation mTOR (mammalian target of rapamycin) pendant le neurodéveloppement embryonnaire [3]. Ces mutations ne sont présentes que dans une fraction des cellules du tissu cérébral, et sont absentes dans les cellules des autres tissus. La voie de signalisation mTOR, impliquée dans la croissance cellulaire, la prolifération, le métabolisme et la sénescence cellulaire [4] est hyperactivée dans les DCFII. Nous avons précédemment montré, par microdissection au laser de groupes de cellules, que les neurones dysmorphiques et les cellules ballonnisées portent ces mutations activatrices de mTOR, ce qui établit un lien causal entre la mutation, l’hyperactivation de la voie mTOR et la cytomégalie [3]. La fraction de cellules portant la mutation varie selon l’étendue de la dysplasie : il existe donc un mosaïcisme génétique au sein du tissu malformé. À ce jour, la résection chirurgicale de la zone épileptogène constitue la principale option thérapeutique dans la DCFII. Dans une étude récente, nous proposons une nouvelle approche thérapeutique non-invasive ciblant spécifiquement les cellules pathologiques à l’origine des crises d’épilepsie à l’aide de molécules sénolytiques [5].

Un lien entre la présence de cellules pathogènes et l’hyperexcitabilité neuronale

Nous avons tout d’abord cherché à comprendre la contribution des cellules pathologiques des DCFII à l’hyperexcitabilité du tissu cérébral et à la genèse des crises d’épilepsie. Pour cela, nous avons réalisé des enregistrements électrophysiologiques, à l’aide de multi-électrodes, sur des tranches de cortex cérébral issues de résections chirurgicales chez des patients atteints de DCFII et porteurs de mutations dans la voie mTOR. En combinant ces enregistrements avec l’analyse histologique, nous avons mis en évidence une corrélation entre la densité des neurones dysmorphiques et l’activité neuronale : les zones présentant une activité épileptiforme spontanée correspondent aux régions contenant la plus forte densité de neurones anormaux. Ce constat suggère que les neurones dysmorphiques contribuent directement à l’hyperactivité du tissu neural à l’origine des crises d’épilepsie [5].

La sénescence, un biomarqueur des cellules pathogènes des DCFII

En recherchant des biomarqueurs de ces cellules pathologiques dans un grand nombre d’échantillons de tissu cérébral DCFII, nous avons fait une découverte inattendue : les neurones dysmorphiques des DCFII présentent des caractéristiques d’une sénescence cellulaire prématurée [5]. La sénescence est un processus habituellement associé au vieillissement, au cours duquel les cellules cessent de se diviser et expriment un programme moléculaire et sécrétoire particulier [6]. Nous avons mis en évidence plusieurs marqueurs de sénescence dans les cellules pathologiques : une activité β-galactosidase associée à la sénescence, l’expression de protéines comme p53 et p16, l’accumulation de certaines organelles intracellulaires comme les lysosomes et les mitochondries, et la production de molécules participant au phénotype sécrétoire lié à la sénescence. Ces marqueurs étaient absents des cellules normales environnantes ou de tissus épileptogènes témoins dépourvus de mutations dans les gènes de la voie mTOR.

Nous avons ensuite validé la présence d’une sénescence cellulaire dans deux modèles murins de la maladie : les souris invalidées pour le gène Depdc5, qui code un répresseur de la voie mTOR, et le modèle obtenu par électroporation in utero du gène MTOR comportant la mutation p.S2215F, l’une des mutations les plus fréquemment trouvées chez les patients. L’électroporation in utero permet de reproduire les mutations somatiques en introduisant de manière focale et mosaïque une mutation d’intérêt dans les neurones pyramidaux des couches II/III du cortex cérébral. Le modèle murin MTOR-S2215F reproduit les principales caractéristiques neuropathologiques et cliniques de la DCFII, y compris la présence de neurones dysmorphiques présentant une hyperactivation de la voie mTOR et les crises d’épilepsie spontanées (Figure 1). Nous avons montré que l’apparition des marqueurs de sénescence cellulaire prématurée dans les cellules pathogènes précède l’apparition des crises d’épilepsie, ce qui indique que cette sénescence n’est pas une conséquence de l’hyperactivité neuronale ni des traitements médicamenteux, mais bien de la mutation somatique elle-même.

thumbnail Figure 1

Administration de molécules sénolytiques dans un modèle murin de dysplasie corticale focale de type II (DCFII). Le modèle reproduit les caractéristiques de la DCFII humaine par l’introduction in utero d’une forme mutée du gène MTOR (p.S2215F) dans les progéniteurs neuronaux au quatorzième jour embryonnaire. Les souris développent spontanément des crises d’épilepsie à partir de l’âge de 6 semaines. À l’âge de 16 semaines, les animaux reçoivent pendant 9 jours, par voie orale, soit un mélange de deux molécules sénolytiques (dasatinib 12 mg/kg + quercétine 50 mg/kg, DQ), soit un placebo. Le traitement DQ entraîne une réduction de 70 % du nombre de neurones présentant des marqueurs de sénescence dans la zone ciblée. Cet effet s’accompagne d’une diminution de la fréquence des crises d’épilepsie, qui persiste au moins un mois après l’arrêt du traitement. Figure créée avec BioRender.

Cibler la sénescence pour éliminer les cellules pathogènes et réduire la fréquence des crises d’épilepsie

Utiliser des molécules « sénolytiques » pour éliminer sélectivement les cellules sénescentes en induisant leur apoptose constitue une approche thérapeutique innovante [7]. Le mécanisme d’action de ces molécules n’est que partiellement élucidé, mais les résultats obtenus, particulièrement dans des modèles murins de maladies neurologiques et du vieillissement, sont prometteurs [8, 9]. Le potentiel thérapeutique de la sénothérapie est actuellement évalué dans plusieurs essais cliniques, notamment pour le traitement de maladies neurodégénératives et de cancers [10].

Fort de ces avancées, nous avons évalué l’effet d’une combinaison de deux molécules sénolytiques, le dasatinib et la quercétine, dans un modèle murin de DCFII exprimant la mutation MTOR-S2215F. Un traitement consistant en une administration quotidienne de ces deux molécules par voie orale durant 9 jours a permis de réduire la survenue de crises d’épilepsie, avec un effet persistant au moins un mois après l’arrêt du traitement, et sans effet indésirable majeur. L’analyse histologique a révélé que les souris traitées présentaient une réduction marquée du nombre de cellules sénescentes [5].

Vers une médecine de précision pour les DCFII

Cette étude ouvre la voie à une approche de médecine personnalisée pour traiter les DCFII. En ciblant spécifiquement les cellules pathologiques, la sénothérapie pourrait offrir une alternative moins invasive que la chirurgie, tout en étant potentiellement applicable à tous les cas de DCFII, indépendamment du gène muté. Cette découverte offre également des perspectives thérapeutiques pour d’autres maladies neurodéveloppementales impliquant la voie de signalisation mTOR, comme la sclérose tubéreuse de Bourneville [11]. Des études complémentaires seront nécessaires pour confirmer l’efficacité et la sécurité de cette approche chez l’homme, et pour élucider le lien entre la sénescence cellulaire et l’hyperexcitabilité neuronale.

Remerciements

Nous remercions nos collaborateurs Jean-Christophe Poncer et Florian Donneger à l’Institut du Fer à Moulin, et nos collaborateurs Mathilde Chipaux, Sarah Ferrand-Sorbets et Georg Dorfmüller à la Fondation Rothschild, ainsi que les membres du laboratoire ayant contribué à cette étude.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

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Liste des figures

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Administration de molécules sénolytiques dans un modèle murin de dysplasie corticale focale de type II (DCFII). Le modèle reproduit les caractéristiques de la DCFII humaine par l’introduction in utero d’une forme mutée du gène MTOR (p.S2215F) dans les progéniteurs neuronaux au quatorzième jour embryonnaire. Les souris développent spontanément des crises d’épilepsie à partir de l’âge de 6 semaines. À l’âge de 16 semaines, les animaux reçoivent pendant 9 jours, par voie orale, soit un mélange de deux molécules sénolytiques (dasatinib 12 mg/kg + quercétine 50 mg/kg, DQ), soit un placebo. Le traitement DQ entraîne une réduction de 70 % du nombre de neurones présentant des marqueurs de sénescence dans la zone ciblée. Cet effet s’accompagne d’une diminution de la fréquence des crises d’épilepsie, qui persiste au moins un mois après l’arrêt du traitement. Figure créée avec BioRender.

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