Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 5, Mai 2024
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 471 - 473
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024048
Published online 31 May 2024

L’hémophilie A est une maladie de la coagulation congénitale d’origine génétique liée au chromosome X, touchant très majoritairement les sujets de sexe masculin avec une prévalence de 1 sur 5 000 naissances. Le phénotype, caractérisé par des troubles hémorragiques, est lié à un déficit de production du facteur de coagulation VIII (FVIII) codé par le gène F8. La séquence d’ADN de ce dernier, située sur l’extrémité distale du bras long du chromosome X (Xq28), peut être modifiée suite à des remaniements nucléotidiques (substitution, délétion), des remaniements chromosomiques (inversion, recombinaisons) ou, de façon très rare, par l’insertion d’éléments génétiques mobiles [1].

Le FVIII, qui joue un rôle important en intervenant dans la cascade de coagulation, est une glycoprotéine produite majoritairement par le foie. La prise en charge actuelle de l’hémophilie A est fondée sur l’administration de FVIII recombinant par voie intraveineuse, soit en prophylaxie, soit pour lutter contre un saignement actif. Les administrations répétées du FVIII de substitution peuvent conduire à l’immunisation des patients contre la protéine thérapeutique. Ce phénomène, qui peut concerner jusqu’à 41 % des patients, trois ans après leur première exposition, a notamment pour conséquence de limiter l’efficacité thérapeutique de la protéine recombinante en diminuant sa demi-vie [2].

Les stratégies de thérapie cellulaire utilisant des vecteurs viraux, dont l’objectif est d’induire l’expression du FVIII en insérant sa séquence codante dans le génome des cellules des patients, posent également des problèmes d’immunisation contre les vecteurs utilisés. C’est particulièrement le cas avec les adénovirus (adeno-associated virus, AAV) [3] dont la séroprévalence dans la population générale est proche de 50 % [4]. De plus, la taille du gène codant le FVIII (187 kb) rend difficile son incorporation dans les vecteurs et sa transposition dans le génome de l’hôte, inconvénients souvent à l’origine d’une expression limitée du transgène et de la correction phénotypique. Néanmoins, l’optimisation de l’expression du facteur VIII, grâce à l’utilisation d’un AAV possédant un promoteur spécifique du foie, semble être une stratégie prometteuse puisqu’elle a permis dans un essai clinique de phase précoce d’obtenir chez les patients une correction phénotypique qui s’est maintenue après un an de suivi [5]. Des études plus récentes utilisant également des vecteurs AAV ont mis en évidence des réponses thérapeutiques durables mais l’utilisation de corticoïdes de façon prolongée chez ces patients pour atténuer la réponse immunitaire contre les vecteurs viraux induit des effets secondaires importants [6].

C’est dans ce contexte qu’une équipe de recherche de Seattle (États-Unis) a eu l’idée d’utiliser un modèle de lentivirus, moins immunogène du fait d’une faible séroprévalence dans la population, ayant pour cible des cellules souches hématopoïétiques (CSH) [7] dont la propriété est de se diviser et de se différencier afin de produire les différents éléments présents dans le sang, y compris les plaquettes. Leur objectif, en plus d’utiliser la propriété d’auto-renouvellement des CSH en vue d’une expression prolongée du FVIII, est de faire exprimer la protéine dans les granules α des plaquettes. Cette stratégie vise à libérer localement le facteur de coagulation déficient lorsque survient une brèche vasculaire, elle-même à l’origine du recrutement, de l’activation et de l’agrégation des plaquettes par la fibrine (facteur terminal des voies de la coagulation). Cette stratégie thérapeutique nécessite la manipulation ex vivo de CSH suivie de leur transplantation impliquant un conditionnement préalable non dénué de risque pour les patients [8]. C’est pourquoi les chercheurs ont voulu tester la stratégie dans un modèle murin humanisé, en injectant directement le vecteur viral par voie intra-osseuse.

Transduction in vivo et ex-vivo d’un gène dans les CSH

La première étape a été de confirmer dans leur modèle la capacité du vecteur viral utilisé à induire l’expression d’une protéine dans les CSH. Les chercheurs ont injecté par voie intra-osseuse dans des souris saines (souche C57BL/6) un lentivirus dirigé contre les CSH et véhiculant un transgène exprimant une protéine fluorescente GFP (green fluorescent protein) (GFP-LV). Après prélèvement de la moelle osseuse réalisée une semaine après l’injection, ils ont pu observer par cytométrie en flux l’expression de la GFP par l’ensemble des lignées cellulaires provenant des CSH, et notamment celles engagées dans la différenciation mégacaryocytaire (précurseurs plaquettaires). Ils ont ensuite confirmé leurs observations sur des cultures de CSH humaines ex vivo avec un lentivirus induisant l’expression de la séquence d’intérêt spécifiquement dans la lignée mégacaryocytaire. Pour cela, ils ont placé la séquence codant la protéine GFP sous le contrôle d’un promoteur spécifique de la lignée plaquettaire (GP1bα). Après 9 jours de culture sur un milieu favorisant la différenciation mégacaryocytaire (milieu MEG) en présence du lentivirus, ils ont pu constater l’expression de la protéine GFP dans plus de 20 % des mégacaryocytes.

Correction du Phénotype Hémorragique chez les souris HemA

Après avoir prouvé que la souche lentivirale était capable d’induire une transduction des CSH, l’étape suivante a été de remplacer la séquence GFP par le gène codant le FVIII (F8-LV) dans le but de vérifier sa capacité à corriger le phénotype hémorragique. La procédure précédemment décrite (avec injection intraosseuse) a donc été réitérée in vivo sur des souris déficientes en FVIII (souche HemA) en utilisant la souche lentivirale F8-LV (Figure 1). La correction du phénotype pathologique des souris HemA a été mise en évidence en explorant la coagulation par thromboélastographie. Les auteurs ont ainsi observé chez les souris traitées un temps de coagulation médian et un temps de formation de caillot plus court comparativement aux souris contrôles. Quatre semaines plus tard, des CSH ont été prélevées à partir de ces souris pour être transplantées à des souris HemA non traitées par le F8-LV. Là encore, ils ont constaté une correction phénotypique avec les mêmes résultats sur les tests de coagulation réalisés. Nous avons ici une nouvelle preuve d’intégration du lentivirus dans les CSH. De façon intéressante, la transduction des CSH capables d’auto-renouvellement fait supposer une expression prolongée dans le temps du FVIII et donc de la correction du phénotype hémorragique.

thumbnail Figure 1.

La souche lentivirale contenant la séquence codant le facteur VIII couplée à un promoteur spécifique de la lignée plaquettaire (GP1 bα) a été administrée par voie intra-osseuse à des souris. La séquence codante est incorporée dans l’ADN des cellules souches hématopoïétiques, permettant l’expression du facteur VIII dans les plaquettes.

Expression du FVIII dans un modèle in vivo humanisé

Dans l’optique d’une application médicale, les auteurs ont ensuite réalisé le même procédé sur un modèle murin humanisé. Pour cela, ils ont utilisé les souris NBSGW (NOD, B6, SCID Il2rγ−/− Kit[W41/ W41]) particulièrement adaptées aux travaux sur l’hématopoïèse par leur capacité à tolérer une transplantation de CSH humaines. Les auteurs ont transplanté les souris NBSGW avec des CSH humaines, puis ont administré par voie osseuse, huit semaines après la transplantation de CSH, la souche lentivirale F8-LV. Douze semaines plus tard, l’expression du FVIII plaquettaire mesurée par cytométrie en flux et la concentration intra-plaquettaire de facteur VIII mesurée par la technique ELISA étaient significativement augmentées comparativement au groupe contrôle. Bien que l’impact fonctionnel de l’expression exogène du FVIII n’ait pu être évalué dans ce modèle (les souris NBSGW n’étant pas déficientes en facteur VIII endogène) les auteurs ont pu mettre en évidence une expression persistante du gène trois mois après l’administration des lentivirus. Par ailleurs, après 6 jours de culture in vitro de CSH prélevées sur les souris NBSGW traitées avec la souche lentivirale F8-LV, les auteurs ont pu observer l’expression de FVIII (mesurée par cytométrie en flux) dans 10,2 % des cellules. Cette dernière observation a prouvé, là encore, l’intégration de la séquence codant le FVIII dans les cellules capables d’auto-renouvellement et le caractère potentiellement durable de la procédure.

Des données de sécurité encourageantes

L’innocuité d’un tel procédé reste néanmoins à démontrer, notamment en ce qui concerne les risques de dérèglements cellulaires à l’origine de maladies tumorales. L’utilisation des vecteurs viraux, notamment des γ-rétrovirus, suscite des inquiétudes suite à la survenue de maladies tumorales lors de leur administration chez des patients atteins de déficit immunitaire commun sévère (SCID) ou de syndrome de Wiskott-Aldrich [9, 10].

Les auteurs de l’étude ont donc réalisé des cultures de CSH humaines en présence d’une quantité 5 fois plus importante de la souche lentivirale F8-LV pendant 14 jours. Après amplification de l’ADN extrait des cellules, les auteurs n’ont pas retrouvé de site d’intégration récurrent puisque le plus fréquent représente 3,98 % des 124 sites d’intégration lentiviraux détectés (contre 140 000 sites d’intégrations dans le cas des γ-rétrovirus) [10]. De plus, ces différents sites d’intégration se trouvent sur l’ensemble des chromosomes à l’exception du chromosome 21, et aucun site d’intégration n’a été retrouvé dans la région promotrice de proto-oncogènes ou de gènes suppresseurs de tumeurs. Enfin, aucune souris humanisée n’a présenté de syndromes myélodysplasiques ou de leucémies.

Grâce à un modèle in vivo de souris humanisées greffées avec des CSH humaines, cette étude prouve la faisabilité et l’innocuité d’une procédure « gain de fonction » utilisant des vecteurs lentiviraux. Même si la réalisation d’essais cliniques est nécessaire pour confirmer ces résultats et pour mieux analyser l’impact phénotypique de ce type d’approche, ces données émanent d’une démarche scientifique audacieuse et pertinente qui ouvre des perspectives thérapeutiques encourageantes dans le traitement de l’hémophilie A congénitale, mais également dans d’autres pathologies hématologiques dans lesquelles une fonction est déficiente, notamment dans les hémoglobinopathies.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

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  3. McIntosh J, Lenting PJ, Rosales C, et al. Therapeutic levels of FVIII following a single peripheral vein administration of rAAV vector encoding a novel human factor VIII variant. Blood 2013 ; 121 : 3335–3344. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

La souche lentivirale contenant la séquence codant le facteur VIII couplée à un promoteur spécifique de la lignée plaquettaire (GP1 bα) a été administrée par voie intra-osseuse à des souris. La séquence codante est incorporée dans l’ADN des cellules souches hématopoïétiques, permettant l’expression du facteur VIII dans les plaquettes.

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