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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 11, Novembre 2024
Nos jeunes pousses ont du talent !
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Page(s) | 876 - 878 | |
Section | Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024156 | |
Published online | 10 December 2024 |
DUSP6, une cible potentielle pour empêcher la progression leucémique des néoplasmes myéloprolifératifs
DUSP6, a potential target to prevent leukemic progression in myeloproliferative neoplasms
1
M1 biologie santé Université Paris-Saclay
2
ENS Paris-Saclay
3
Inserm, UMR 1287, Gustave Roussy, équipe labellisée Ligue Nationale Contre le Cancer, Villejuif, France
4
Université Paris-Saclay, UMR 1287, Gustave Roussy, Villejuif, France
5
Gustave Roussy, UMR 1287, Villejuif, France
a
quentin.provot@ens-paris-saclay.fr
b
Nathan-Fievet.NF@hotmail.com
c
mechouek.yasmine@gmail.com
d
Ileana.ANTONY-DEBRE@gustaveroussy.fr
e
Brahim.ARKOUN@gustaveroussy.fr
Les néoplasmes myéloprolifératifs (NMP) classiques sont des cancers du sang caractérisés par une surproduction de cellules myéloïdes dans la moelle osseuse conduisant à un excès de cellules matures circulantes (érythrocytes, plaquettes, granulocytes). Ils sont dus à des mutations somatiques qui surviennent dans les cellules souches hématopoïétiques et qui affectent le gène JAK2 (janus kinase 2), avec la mutation JAK2V617F qui est l’une des mutations les plus fréquentes à l’origine du développement de NMP, ainsi que les gènes CALR (calréticuline) ou MPL (récepteur à la thrombopoïétine). JAK2 est une protéine cytoplasmique liée à la partie intracytoplasmique de certains récepteurs de cytokines, permettant la transduction du signal. Les mutations retrouvées dans les NMP conduisent à une suractivation des voies de signalisation en aval de JAK2, notamment les voies impliquant les protéines STAT (signal transducers and activators of transcription) 3/5, mais également la phosphoinositide 3-kinase (PI3K) et les MAPK (mitogen-activated protein kinase), indépendamment de la liaison de cytokines aux récepteurs [1] (→).
(→) Voir la Dernière Heure de V. Ugo et al., m/s n° 6-7, juin/juillet 2005, page 669
Cette signalisation amplifiée va conduire à une prolifération aberrante des progéniteurs myéloïdes et donc, à terme, à un excès de cellules matures dans le sang. Un des traitements actuels repose sur l’utilisation d’inhibiteurs de JAK2, mais certains patients peuvent développer des résistances à ce traitement [2]. Les NMP peuvent évoluer en leucémie aiguë myéloïde (LAM), par acquisition de mutations supplémentaires. Au stade LAM, les cellules hématopoïétiques immatures que sont les cellules souches (stade le plus immature) et les progéniteurs (engagés dans un lignage cellulaire) prolifèrent mais ne sont plus capables de se différencier. Les mécanismes impliqués dans la progression des NMP vers la LAM restent mal compris, ce qui limite fortement les possibilités de développer des thérapies efficaces contre ces maladies.
Dans une étude parue dans la revue Nature Cancer, Kong et al. [3] se sont intéressés à ces mécanismes et ont réalisé des analyses transcriptomiques afin d’identifier les gènes clés dans le développement leucémique.
DUSP6 est surexprimé au stade LAM
Pour comprendre les modifications moléculaires associées à la progression des NMP, les chercheurs de cette étude ont effectué des analyses transcriptomiques sur les cellules souches et progéniteurs hématopoïétiques (CSH/P) CD34+ de 14 patients atteints de myélofibrose (MF), un sous-type de NMP particulièrement agressif, de 6 patients atteints de LAM post-NMP et de 5 donneurs sains. Parmi les 457 gènes différentiellement exprimés entre les groupes d’individus, le gène DUSP6 (dual specificity phosphatase 6) est fortement exprimé dans les cellules du groupe LAM par comparaison au groupe MF ou aux individus sains. DUSP6 est une phosphatase ciblant et inhibant les membres de la famille des MAPK avec une forte spécificité pour ERK (extracellular signalregulated kinase). DUSP6 assure, en condition physiologique, un signal de rétrocontrôle de la voie des MAPK. En effet, l’activation de la voie MAPK induit l’expression de DUSP6 qui déphosphoryle et donc inactive ERK. Une expression aberrante de DUSP6 a déjà été décrite dans certains cancers [4,5], mais son rôle reste ambigu puisqu’il a été décrit à la fois comme un oncogène mais aussi comme un gène suppresseur de tumeur. Une augmentation de l’expression de DUSP6 a été précédemment observée chez des patients atteints de LAM autres que LAM post-NMP, suggérant fortement une implication de DUSP6 dans le processus de leucémogenèse [6].
Pour comprendre les changements d’expression génique impliqués dans la progression leucémique, l’équipe de Kong a effectué une étude transcriptomique en cellule unique (single cell RNA-seq) sur des CSH/P issus de prélèvements sériés effectués à différents stades de la maladie (NMP et LAM) chez 3 patients. Cette analyse en cellule unique a révélé une importante hétérogénéité moléculaire entre les patients, mais aussi une forte hétérogénéité intrinsèque, propre à chaque patient, et qui évolue au cours de la progression de la maladie.
De manière constante, l’expression de DUSP6 était fortement augmentée au stade LAM par rapport au stade NMP apparié (Figure 1A), une expression élevée était également associée aux stades tardifs de myélofibrose, forme la plus grave et évoluée des NMP. Cette surexpression aberrante de DUSP6 est associée à des programmes transcriptionnels et des trajectoires spécifiques, par dérégulation notamment de facteurs de transcription impliqués dans la différenciation cellulaire, KLF1 (krueppel-like factor 1) et KLF2.
Figure 1. Rôle de DUSP6 dans la progression des NMP vers une LAM secondaire. A. Évol ution de l’expression de DUSP6 et de la résistance aux inhibiteurs de JAK2 au cours de la progression de la maladie. La persistance des clones résistants aux traitements par des inhibiteurs de JAK2 est liée à la surexpression aberrante de DUSP6 qui va accélérer la progression des NMP en LAM secondaires. B. Mécanisme d’action de DUSP6 et stratégie thérapeutique. La surexpression aberrante de DUSP6 entraîne une augmentation de la phosphorylation de RSK1 qui va augmenter la phosphorylation de la protéine kinase S6. L’inhibition de DUSP6 par le BCI-540 (ou de RSK1 par le BI-D1870) permet d’abolir efficacement cette cascade de signalisation et de prévenir le développement des clones résistants aux inhibiteurs de JAK2. (Figure générée par BioRender.com). |
DUSP6 régule la phosphorylation de la protéine kinase S6 via RSK1 et est impliquée dans la résistance tumorale aux inhibiteurs de JAK2
Pour étudier les fonctions de DUSP6, les auteurs ont ensuite choisi une approche pharmacologique in vitro en inhibant D USP6 avec le Coluracetam (BCI-540), un inhibiteur de DUSP1/6, dans la lignée cellulaire érythroleucémique humaine HEL, porteuse d’une mutation JAK2V617F à l’état homozygote. À faible dose, les auteurs observent, comme attendu, une augmentation de la phosphorylation de ERK, mais à plus forte dose, le traitement conduit à une diminution de la viabilité des cellules et, au contraire, à une diminution de la phosphorylation de ERK. Les auteurs montrent ensuite que l’effet sur la viabilité n’implique pas la voie ERK mais repose sur une diminution de la phosphorylation de la protéine kinase S6 et des protéines STAT3 et STAT5, révélant que DUSP6 joue des rôles additionnels dans la transduction du signal en plus de son action sur ERK. Les auteurs ont également constaté que l’action de DUSP6 implique un des régulateurs canoniques de la protéine kinase S6, la kinase RSK1 (ribosomal S6 kinase 1) (Figure 1B). En effet, l’inhibition de DUSP6 dans les cellules leucémiques conduit à une diminution de la phosphorylation de RSK1 et donc de son activité. De plus, l’inhibition de RSK1 par un inhibiteur des protéines RSK1/2/3/4 (BI-D1870) entraîne une inhibition de la phosphorylation de la protéine kinase S6.
Avec cette approche pharmacologique, les auteurs montrent donc que l’inhibition de DUSP6 induit une diminution de l’activation des protéines STAT3, STAT5 et protéine kinase S6, qui sont des acteurs clés pour la survie et la prolifération des cellules leucémiques, ce qui conduit à une baisse de la viabilité des cellules leucémiques. Cette approche souligne le rôle crucial que joue DUSP6 dans la survie des cellules leucémiques.
Les auteurs ont par la suite étudié le rôle potentiel de DUSP6 dans la résistance aux traitements par des inhibiteurs de JAK2, qui pourrait expliquer la progression vers une maladie plus agressive. Les cellules HEL persistantes après traitement aux inhibiteurs de JAK2 (Ruxolitinib) ont montré une expression accrue de DUSP6 par comparaison aux cellules parentales. L’inhibition de DUSP6 dans ces cellules persistantes rétablit leur sensibilité aux inhibiteurs de JAK2, confirmant un rôle important de DUSP6 dans la résistance au traitement.
Le ciblage de DUSP6 dans des modèles in vivo permet de réduire la progression tumorale et la mortalité
Pour valider le rôle de DUSP6 dans la résistance tumorale in vivo, les auteurs ont inhibé pharmacologiquement DUSP6 dans différents modèles murins. Dans des modèles murins de NMP porteurs des mutations JAK2V617F ou MPLW515L [7], le traitement par le BCI-540 réduit considérablement les symptômes de la maladie. Le traitement des souris contrôles n’entraîne pas d’effets indésirables toxiques, suggérant que l’inhibition de DUSP6 n’est pas délétère pour les cellules hématopoïétiques normales. Pour aller plus loin, les auteurs ont ensuite utilisé un modèle de souris humanisées, en transplantant des cellules tumorales de patients dans des souris immunodéficientes. La surexpression de DUSP6 dans les cellules de patients atteints de myélofibrose conduit à une accélération du développement de la maladie et à une diminution de la survie des souris. À l’inverse, l’inhibition de DUSP6 dans des cellules de patients atteints de LAM par des shARN ou par le BCI-540 réduit drastiquement la sévérité de la maladie chez les souris transplantées. De façon remarquable, le traitement in vivo combinant inhibiteurs de JAK2 et de DUSP6 diminue encore plus la survie des cellules leucémiques.
Vers une avancée majeure pour le traitement des patients atteints de NMP
Cette étude montre que l’expression aberrante de DUSP6 est corrélée à la résistance au traitement par des inhibiteurs de JAK2, et qu’elle est nécessaire à la survie des cellules leucémiques in vitro et in vivo via l’axe de signalisation DUSP6-RSK1-S6. Il reste à comprendre par quels mécanismes précis DUSP6 régule les voies de signalisation MAPK-STAT-S6 et comment son expression est elle-même augmentée lors de la progression en LAM. Cette étude permet donc une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans la transformation des NMP en LAM, et ouvre des pistes thérapeutiques prometteuses visant à inhiber l’activité de DUSP6. Cette découverte pourrait également conduire à une meilleure prise en charge d’autres types de LAM associés également à une surexpression de DUSP6.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Ugo V, James C, Vainchenker W. Une mutation unique de la protéine kinase JAK2 dans la polyglobulie de Vaquez et les syndromes myéloprolifératifs non-LMC. Med Sci (Paris) 2005 ; 21 : 669–70. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Meyer SC. Mechanisms of Resistance to JAK2 Inhibitors in Myeloproliferative Neoplasms. Hematol Oncol Clin North Am 2017 ; 31 : 627–42. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Kong T, Laranjeira ABA, Yang K, et al. DUSP6 mediates resistance to JAK2 inhibition and drives leukemic progression. Nat Cancer 2023 ; 4 : 108–27. [Google Scholar]
- Bermudez O, Pagès G, Gimond C. The dual-specificity MAP kinase phosphatases: critical roles in development and cancer. Am J Physiol Cell Physiol 2010 ; 299 : C189–202. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Ahmad MK, Abdollah NA, Shafie NH, et al. Dual-specificity phosphatase 6 (DUSP6): a review of its molecular characteristics and clinical relevance in cancer. Cancer Biol Med 2018 ; 15 : 14–28. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Tyner JW, Tognon CE, Bottomly D, et al. Functional genomic landscape of acute myeloid leukaemia. Nature 2018 ; 562 : 526–31. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Benlabiod C, Dagher T, Marty C, et al. Lessons from mouse models of MPN. Int Rev Cell Mol Biol 2022 ; 366 : 125–85. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
© 2024 médecine/sciences – Inserm
Liste des figures
Figure 1. Rôle de DUSP6 dans la progression des NMP vers une LAM secondaire. A. Évol ution de l’expression de DUSP6 et de la résistance aux inhibiteurs de JAK2 au cours de la progression de la maladie. La persistance des clones résistants aux traitements par des inhibiteurs de JAK2 est liée à la surexpression aberrante de DUSP6 qui va accélérer la progression des NMP en LAM secondaires. B. Mécanisme d’action de DUSP6 et stratégie thérapeutique. La surexpression aberrante de DUSP6 entraîne une augmentation de la phosphorylation de RSK1 qui va augmenter la phosphorylation de la protéine kinase S6. L’inhibition de DUSP6 par le BCI-540 (ou de RSK1 par le BI-D1870) permet d’abolir efficacement cette cascade de signalisation et de prévenir le développement des clones résistants aux inhibiteurs de JAK2. (Figure générée par BioRender.com). |
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