Issue |
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 11, Novembre 2024
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Page(s) | 825 - 828 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024146 | |
Published online | 10 December 2024 |
Une nouvelle cause de lupus monogénique
Des mutations de la protéine UNC93B1
Lupus under UNC93B1 surveillance
1
Laboratoire Neurogénétique et neuroinflammation, Institut Imagine, Inserm UMR1163, Université Paris Cité, Paris, France
2
Faculté de médecine Necker, Institut Necker Enfants Malades, Inserm U1151-CNRS UMR8253, Université Paris Cité, Paris, France
3
Unité d’immunologie et de rhumatologie pédiatriques, Hôpital Necker, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, Paris, France
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clemence.david@institutimagine.org
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alice.lepelley@inserm.fr
Le lupus érythémateux systémique est une maladie phénotypiquement hétérogène, caractérisée habituellement par l’activation de la voie des interférons de type I dans le sang et par la présence d’auto-anticorps dirigés contre des antigènes du noyau cellulaire. Un soustype de lupus, le lupus-engelure, se présente sous la forme d’engelures persistant à distance de la saison froide, sans atteinte systémique. L’existence de cas familiaux de lupus suggère l’existence d’une composante héréditaire majeure, ce qui concorde avec la description de formes monogéniques de la maladie [1]. Les récepteurs Toll-like (TLR) constituent une famille de récepteurs du système immunitaire qui reconnaissent en particulier des motifs microbiens conservés. Lors d’une infection, leur activation déclenche une réponse immunitaire innée, qui amorce l’immunité adaptative. Parmi les TLR, TLR7, qui reconnaît les ARN d’origine virale mais aussi les ARN « du soi », a été particulièrement impliqué dans la physiopathologie du lupus. En effet, des mutations gain-de-fonction de TLR7 causent une forme monogénique de lupus [2]. La stabilité, l’activation et la signalisation des TLR endosomiques (TLR3, TLR7, TLR8 et TLR9) sont contrôlées par une protéine chaperone : UNC93B1 (unc-93 homolog B1). Ainsi, une perte d’expression de cette protéine prédispose, chez l’homme et chez la souris, à des infections virales graves. En revanche, dans des modèles murins, deux mutations faux-sens de UNC93B1 sont associées à un phénotype lupique secondaire à une activation anormalement forte de TLR7 [3]. De plus, une mutation faux-sens de UNC93B1 a été identifiée chez des chiens présentant un lupus cutané [4]. En raison de ces découvertes, nous avons recherché des mutations de UNC93B1 chez des personnes souffrant d’un lupus érythémateux systémique ou d’un lupus-engelure.
Mise en évidence de mutations de UNC93B1 chez plusieurs individus ayant un lupus érythémateux systémique ou un lupus-engelure
Nous avons identifié, par séquençage d’exome, cinq mutations faux-sens de UNC93B1 dans cinq familles parmi 63 comportant un ou plusieurs individus atteints de lupus érythémateux systémique ou de lupus-engelure à début précoce >5@. Quatre variants (G325C, L330R, R466S et R525P) étaient présents à l’état hétérozygote chez les personnes malades, et seul le variant I317M était présent à l’état homozygote. Plusieurs personnes étaient atteintes de la maladie dans les familles où les variants L330R et R525P ont été découverts. Les patients porteurs des mutations I317M et G325C présentaient un lupus érythémateux systémique, associé, chez la patiente avec le variant G325C, à une anémie hémolytique auto-immune et à une hypertension artérielle pulmonaire. Les patients porteurs des mutations L330R, R466S et R525P souffraient d’un lupus-engelure. De façon notable, tous les patients chez lesquels une mutation de UNC93B1 a été identifiée avaient une signature interféron élevée dans le sang, caractéristique des interféronopathies de type I, des maladies monogéniques définies par une augmentation constitutive de la voie de signalisation des interférons de type I. De plus, les anomalies cutanées présentes chez ces patients ressemblaient à celles observées dans les interféronopathies de type I [6].
Les mutations de UNC93B1 identifiées entraînent un gain d’activité différentiel de TLR7 et de TLR8
Nous avons analysé l’effet des cinq mutations de UNC93B1 identifiées sur la signalisation des TLR endosomiques dans un modèle simplifié de cellules HEK293T1 co-transfectées avec les séquences d’ADN codant UNC93B1, muté ou non, et le TLR exploré, puis stimulées par un agoniste de ce TLR (Figure 1A). Dans ce modèle, l’expression des variants I317M et G325C de UNC93B1 a entraîné un gain de signalisation de TLR7 par rapport à l’expression de la protéine non mutée. Étonnamment, l’expression des variants L330R, R466S et R525P (et, dans une moindre mesure, celle des variants I317M et G325C) a provoqué un gain de signalisation de TLR8 (Figure 1A). Comme TLR7, TLR8 humain reconnaît des ARN simple brin. Longtemps considéré comme nonfonctionnel chez la souris, sa spécificité et sa régulation restent mal connues. Les signalisations de TLR3 et de TLR9, quant à elles, n’étaient affectées par aucun des variants de UNC93B1. Nous avons confirmé ces résultats dans les cellules mononucléées du sang périphérique et les monocytes des patients portant les mutations G325C (associée à un lupus érythémateux systémique) et R525P (associée à un lupus-engelure). Pour le variant G325C, avec un gain d’activité de TLR7 et TLR8 dans les cellules HEK293T, nous avons constaté une plus forte production d’interféron α après stimulation de TLR7 dans les cellules mononuclées du sang et de TLR8 dans les monocytes, par comparaison à des cellules d’individus témoins. Pour le variant R525P, ce sont principalement les monocytes stimulés avec le ligand de TLR8 qui produisaient davantage d’interféron α que les monocytes témoins, alors que la réponse interféron à la stimulation de TLR7 des cellules mononuclées du sang était normale. Nous avons confirmé ces résultats dans la lignée cellulaire humaine mono-cytaire THP-1, qui exprime de manière endogène UNC93B1, TLR8, et, dans une moindre mesure, TLR7 : la surexpression des variants de UNC93B1 a de nouveau entraîné un gain d’activité différentiel de TLR7 et de TLR8.
Figure 1. Les variants de UNC93B1 ont des effets différentiels sur les récepteurs TLR7 et TLR8. A. Activité de NF-κB dans des cellules HEK293T co-transfectées avec les séquences d’ADN codant UNC93B1 non muté (wild-type, WT) ou ses variants, et TLR7 (à gauche) ou TLR8 (à droite), puis stimulées par leur agoniste R848. B. Schéma résumant les conséquences des mutations de UNC93B1 identifiées sur l’activité de TLR7 et de TLR8. Les mutations I317M et G325C de UNC93B1 causent un lupus systémique via une activation anormale de TLR7, et de TLR8 dans une moindre mesure, entraînant une sur-production d’interférons de type I. Les mutations L330R, R466S et R525P causent un lupus-engelure via un gain d’activité de TLR8 seul, provoquant aussi une production anormale d’interférons de type I (figure conçue avec Biorender). C. Images de proximity ligation assay (par microscopie confocale) montrant l’association de TLR8 et UNC93B1 (points jaunes) dans des cellules THP-1 surexprimant UNC93B1 non muté (wild-type, WT) ou les variants de UNC93B1. Les cellules sont soit stimulées par l’agoniste de TLR7 et TLR8 (R848), soit non stimulées. |
Ainsi, les variants de UNC93B1 augmentant la signalisation de TLR7 (et de TLR8 dans une moindre mesure) dans nos modèles expérimentaux sont associés au phénotype de lupus érythémateux systémique (I317M et G325C), alors que les variants responsables d’un gain d’activité de TLR8 seul sont associés au phénotype de lupus-engelure (L330R, R466S et R525P) (Figure 1B).
Le gain d’activité des TLR dû aux mutations de UNC93B1 est indépendant de leur contrôle par la synténine-1
La synténine-1 est une protéine cytosolique qui permet, dans des modèles murins, d’arrêter la signalisation de TLR7, en facilitant le transport des complexes UNC93B1-TLR7 vers des organelles multivésiculaires [3]. Après avoir supprimé la production de la synténine-1 par la technique CRISPR/Cas9 dans les cellules THP-1, nous avons constaté, après activation spécifique de TLR8, une augmentation de l’expression du gène de l’interféron β et des gènes stimulés par l’interféron. Ainsi, comme pour TLR7, la synténine-1 permet aussi de limiter la signalisation de TLR8 après son activation dans des cellules humaines. Cependant, les gains d’activité de TLR7 et TLR8 lors de l’expression des variants de UNC93B1, en comparaison à la forme non mutée de UNC93B1, sont maintenus dans les cellules THP-1 privées de synténine-1. Ce résultat indique que l’augmentation de la signalisation TLR7 ou TLR8 causée par les mutations de UNC93B1 identifiées ne dépend pas de la présence de la synténine-1.
L’affinité de certains mutants de UNC93B1 pour TLR7 et TLR8 est augmentée
L’association de UNC93B1 avec les TLR endosomiques contrôle leur activité. Pour tenter de comprendre comment les mutations de UNC93B1 pouvaient entraîner une suractivation de TLR7 et TLR8, nous avons étudié l’interaction de ces récepteurs avec UNC93B1. Nous avons d’abord analysé la proximité de TLR8 endogène et de UNC93B1 surexprimé dans les cellules THP-1, avant et après leur stimulation par l’agoniste de TLR8, par la technique de proximity ligation assay, qui permet d’évaluer si deux protéines sont suffisamment proches dans la cellule pour interagir. En présence de UNC93B1 non muté, nous n’avons détecté que peu d’interaction avec TLR8 à l’état basal, mais comme prévu, un rapprochement des deux protéines s’est produit après stimulation par l’agoniste (Figure 1C). En revanche, l’interaction entre TLR8 et les variants de UNC93B1 G325C, L330R et R466S, responsables d’un gain d’activité de TLR8, était déjà plus forte à l’état basal, avant la stimulation par l’agoniste de TLR8. Le variant R525P de UNC93B1 n’était pas associé à une plus grande proximité de la protéine avec TLR8 dans cette analyse, ce qui fait supposer que le mécanisme de l’augmentation de l’activité de TLR8 par ce variant est différent. Nous avons ensuite étudié l’interaction directe entre UNC93B1 muté et TLR7 ou TLR8 par la technique d’immunoprécipitation, et avons constaté une plus grande coimmunoprécipitation de TLR7 et de TLR8 avec les variants L330R, R466S et R525P de UNC93B1 qu’avec la protéine non mutée, ce qui suggère encore l’existence d’une interaction plus forte en présence de ces mutations. À noter qu’il s’agit des trois mutations découvertes chez les patients avec lupus-engelure, et qui n’entraînaient pas de suractivation de TLR7 dans nos modèles expérimentaux. Ces analyses ont permis de mettre en évidence des modifications différentes de l’affinité de UNC93B1 pour certains TLR selon les mutations faux-sens de UNC93B1 identifiées, et suggèrent l’existence d’un équilibre entre TLR7 et TLR8 dans le contrôle de leur activité par UNC93B1.
Les mutations de UNC93B1 ouvrent de nouvelles perspectives diagnostiques et thérapeutiques
Quatre autres équipes de recherche ont identifié d’autres mutations de UNC93B1 comme cause de lupus [7–10]. Au total, ce sont 12 mutations faux-sens de UNC93B1 qui sont considérées comme pathogéniques et responsables du phénotype clinique de vingt-six patients. Ces travaux décrivent des mutations présentes à l’état hétérozygote ou homozygote, avec la possibilité d’une pénétrance incomplète. Un gain de signalisation de TLR7, et souvent de TLR8, est retrouvé pour toutes les mutations. Aucune de ces équipes n’en a élucidé le mécanisme précis, mais deux d’entre elles ont confirmé l’absence de lien avec la synténine-1. Il convient de noter également que deux équipes ont mis en évidence une diminution de l’interaction entre UNC93B1 et TLR7 pour certains variants responsables d’une suractivation de TLR7, ce qui confirme la complexité de la régulation de TLR7 par UNC93B1 [9, 10]. Les phénotypes cliniques associés à ces mutations peuvent apparemment être classés en trois catégories : lupus érythémateux systémique (fréquemment associé à des cytopénies auto-immunes), lupus cutané du type lupus-engelure ou du type lupus tumidus, et interféronopathie de type 1 avec neuroinflammation. Désormais, la recherche de mutations de UNC93B1 contribuera à poser un diagnostic clinique de lupus chez des patients en errance diagnostique, et permettra de leur proposer des thérapies spécifiques ciblant soit les interférons de type I, comme les inhibiteurs de JAK ou l’anifrolumab, déjà disponibles, soit, dans le futur, spécifiquement la signalisation TLR7 ou TLR8. Ces découvertes ont aussi révélé un rôle propre de TLR8 dans le lupus et l’auto-inflammation, ce qui ouvre un nouveau champ de recherche sur un TLR encore peu étudié.
Remerciements
Les auteurs remercient les patients et leurs familles, leurs collègues et tous les collaborateurs qui ont participé à ce travail de recherche, financé par l’ANR (ANR-23-CE15-0015, ANR-10-IAHU-01). Clémence David a bénéficié d’un financement de la Fondation pour la recherche médicale (FDM202106013329).
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
Figure 1. Les variants de UNC93B1 ont des effets différentiels sur les récepteurs TLR7 et TLR8. A. Activité de NF-κB dans des cellules HEK293T co-transfectées avec les séquences d’ADN codant UNC93B1 non muté (wild-type, WT) ou ses variants, et TLR7 (à gauche) ou TLR8 (à droite), puis stimulées par leur agoniste R848. B. Schéma résumant les conséquences des mutations de UNC93B1 identifiées sur l’activité de TLR7 et de TLR8. Les mutations I317M et G325C de UNC93B1 causent un lupus systémique via une activation anormale de TLR7, et de TLR8 dans une moindre mesure, entraînant une sur-production d’interférons de type I. Les mutations L330R, R466S et R525P causent un lupus-engelure via un gain d’activité de TLR8 seul, provoquant aussi une production anormale d’interférons de type I (figure conçue avec Biorender). C. Images de proximity ligation assay (par microscopie confocale) montrant l’association de TLR8 et UNC93B1 (points jaunes) dans des cellules THP-1 surexprimant UNC93B1 non muté (wild-type, WT) ou les variants de UNC93B1. Les cellules sont soit stimulées par l’agoniste de TLR7 et TLR8 (R848), soit non stimulées. |
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