Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 11, Novembre 2024
Page(s) 807 - 809
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024140
Published online 10 December 2024

La régénération hépatique est un processus original, maintes fois commenté dans Médecine/sciences [13] (), et souvent compromis en cas de maladie du foie, qu’elle soit chronique (hépatites virales, alcooliques, auto-immunes) ou aiguë (hépatite alcoolique aiguë, hépatite toxique fulminante). Ce défaut de régénération du foie peut mettre en jeu le pronostic vital si la masse hépatocytaire fonctionnelle critique n’est pas restaurée à temps. Responsables d’environ deux millions de morts par an dans le monde, les maladies du foie représentent donc un enjeu de santé publique, qui n’est pas près de s’estomper puisque le nombre de décès qu’on leur impute devrait doubler dans les vingt prochaines années.

(→) Voir la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 4, avril 2015, page 357

(→) Voir la Nouvelle de L. Dollé et H. Gilgenkrantz, m/s n° 12, décembre 2015, page 1069

(→) Voir la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 11, novembre 2022, page 864

Bien que les mécanismes moléculaires à l’œuvre dans le processus de régénération soient étudiés depuis plus de cinquante ans, aucun médicament n’a encore été capable d’enrayer son défaut ou d’accélérer sa mise en œuvre. Pourtant, l’induction d’une régénération aurait de nombreuses applications cliniques. Elle trouverait, par exemple, toute sa place lors de résections élargies du foie en cas de métastases hépatiques d’un cancer colorectal, deuxième cancer le plus fréquent chez la femme et troisième chez l’homme. En effet, sur environ un million de patients dans cette situation dans le monde, plus de la moitié ne peuvent bénéficier d’une chirurgie curatrice en raison du risque d’insuffisance hépatique aiguë qu’engendrerait une masse hépatique résiduelle trop petite après hépatectomie. La transplantation du lobe hépatique gauche d’un donneur vivant est une autre situation clinique qui bénéficierait d’une induction de la régénération (rappelons que seuls 10 % des patients inscrits en liste d’attente pour une transplantation hépatique en bénéficient). En effet, si le greffon est de taille insuffisante, le receveur risque de développer une insuffisance hépatique aiguë (small-for-size syndrome), avec un taux de mortalité très élevé. En cas de résection élargie du foie pour un ou plusieurs carcinomes hépatocellulaires, qui surviennent dans plus de 80 % des cas sur un foie cirrhotique, on peut craindre que la stimulation de la prolifération hépatocytaire n’accélère le processus tumoral.

Dans ce contexte, une équipe de recherche allemande vient de montrer l’efficacité d’une petite molécule inhibitrice de kinase pour augmenter la régénération hépatique chez la souris et le porc, ainsi que son innocuité chez l’homme dans un essai de phase I [4]. Il aura fallu dix ans pour aller de la première démonstration du rôle négatif de la kinase MKK4 (mitogen-activated protein kinase kinase 4) dans la régénération du foie à l’élaboration d’un inhibiteur pharmacologique efficace in vivo. La kinase MKK4, qui fait partie des voies de signalisation JNK (c-Jun N-terminal kinases) et SAPK (stress-activated protein kinase) et est active dans de nombreux tissus, phosphoryle les kinases JNK en réponse à un stress cellulaire. Elle est impliquée dans l’organogenèse du foie : les souris invalidées pour le gène de la kinase MKK4 ont en effet un défaut de développement hépatique létal avant deux semaines de vie embryonnaire. Elle joue également un rôle clé dans l’inflammation.

L’histoire commence donc il y a plus de dix ans, lorsqu’en recherchant des gènes modulant la régénération hépatique par criblage d’une banque de shRNA (small hairpin RNAs) injectés dans le foie de souris, l’équipe dirigée par Lars Zender identifie le gène de la kinase MKK4 : Map2k4 [5]. L’inhibition de cette kinase réoriente vers la voie de signalisation SAPK et sa cascade d’activation (MKK7, JNK1 et les facteurs de transcription ATF2 et ELK1) qui promeut la prolifération cellulaire (Figure 1A). Les auteurs ont alors cherché à connaître l’impact de l’inhibition de cette protéine par invalidation du gène Map2k4 chez la souris. En absence de stimulus de régénération hépatique, aucune modification n’est observée. En revanche, après un tel stimulus (le plus utilisé étant l’exérèse des deux tiers du foie), on observe une augmentation de la prolifération des hépatocytes, sans pour autant que ne se développent des tumeurs du foie, même après un an. Pour se rapprocher d’un contexte clinique, les auteurs ont reproduit ces résultats dans un modèle murin de maladie métabolique chronique du foie, encore appelée stéatopathie métabolique (metabolic associated fatty liver disease) [6] (), dont la prévalence dans la population humaine est en constante augmentation, et qui toucherait déjà un quart de la population mondiale ! Les hépatocytes se gorgent alors de gouttelettes lipidiques, et l’inflammation, qui participe au développement de la stéatohépatite, entraîne une fibrose du foie, voire une cirrhose, ainsi que l’apparition de tumeurs. Dans un tel contexte, l’inhibition prolongée de la kinase MKK4 chez la souris ne majore pas le développement tumoral [4]. Ces résultats confortent donc l’existence d’un rôle pro-régénératif de l’inhibition de MKK4, sans risque, du moins chez la souris, d’induire un cancer du foie. Encouragés par ces résultats, les auteurs ont recherché une molécule inhibitrice. L’aventure s’avéra plus difficile que prévu, notamment en raison de l’ignorance de la conformation tridimensionnelle de la protéine MKK4 ou de ses ligands potentiels. Les expériences de cristallisation ou de co-cristallisation n’ayant pas abouti, l’équipe s’est tournée vers les banques de données pour y rechercher des molécules pharmaceutiques connues pour inhiber des kinases, et qui pourraient également agir sur MKK4. Un inhibiteur de la kinase B-RAF (B-rapidly accelerated fibrosarcoma), le vemurafenib (Zelboraf®), commercialisé pour le traitement du mélanome, semblait avoir les qualités requises, puisqu’il était capable de bloquer l’activation de MKK4 et de supprimer la phosphorylation de ses protéines cibles. Des modifications chimiques du vemurafenib ont permis d’améliorer sa spécificité pour MKK4, JNK1 et MKK7 (i.e. de restreindre son affinité pour les autres cibles). Ces travaux ont abouti à un candidat médicament, HRX215, dont la demi-vie est d’environ 4 heures (Figure 1B). Administré chez la souris, ce composé n’a aucun effet sur la prolifération des hépatocytes en absence de stimulus de régénération. En revanche, administré avant et après l’exérèse des 2/3 du foie, il induit une prolifération hépatocytaire accrue par rapport au placebo, soulignant la nécessité d’un stress pour révéler son effet pro-régénératif (Figure 1C). Cela est également vrai dans d’autres contextes pathologiques, comme la fibrose du foie, où l’inhibition de MKK4 protège les hépatocytes de la mort cellulaire. En cas de stéatohépatite alcoolique, une réduction de la stéatose et de la fibrose a été observée, sans augmentation toutefois de la prolifération des hépatocytes. Des premières approches mécanistiques doivent être confortées pour mieux comprendre cet effet thérapeutique sur la stéatose et la fibrose.

(→) Voir la Synthèse de D. Vallée et al., m/s n° 2, février 2020, page 357

thumbnail Figure 1.

Obtention d’une molécule pharmaceutique accélérant la régénération du foie et sans effet pro-tumoral. A. identification de MKK4 (par criblage in vivo), une kinase dont l’absence promeut la régénération hépatique. B. identification d’un inhibiteur pharmacologique de MKK4 : HRX215. C. validation de l’efficacité de HRX215 sur la régénération hépatique après hépatectomie partielle chez la souris. En cas de stéatohépatite, l’administration de HRX215 diminue la fibrose et la stéatose sans augmenter le fardeau tumoral. D. validation de l’efficacité de HRX215 sur la régénération hépatique et la survie après hépatectomie majeure chez le porc. E. essai clinique de phase I montrant la bonne tolérance et la biodisponibilité de HRX 215 chez des volontaires sains.

Pour tester le risque tumoral de cet inhibiteur dans un contexte de maladie chronique du foie chez la souris, les auteurs ont choisi le modèle induit par un régime enrichi en huile de palme (modèle Gubra Amylin NASH), connu pour provoquer non seulement une stéatose, mais également, à terme, le développement de carcinomes hépatocellulaires. Après plus d’un an d’un tel régime, les souris ont reçu soit l’agent pharmacologique HRX215, soit son excipient pendant 12 semaines supplémentaires. Le nombre de tumeurs constaté était équivalent pour les deux groupes, et étonnamment, le groupe ayant reçu l’inhibiteur de MKK4 présentait des tumeurs de moindre taille, sans que le mécanisme de cet effet inhibiteur sur la croissance tumorale soit établi.

L’impact de l’inhibiteur sur la régénération hépatique a ensuite été testé chez le porc (Figure 1D). Par comparaison avec l’injection d’un placebo, l’injection intraveineuse de HRX215, 24 heures avant une hépatectomie supprimant environ 65 % à 80 % de la masse hépatique, augmente le volume du foie dès deux jours après la chirurgie, en corrélation avec l’index de prolifération hépatocytaire. Chez le porc, une hépatectomie de 85 % entraîne une insuffisance hépatique aiguë conduisant le plus souvent au décès de l’animal. L’administration de l’inhibiteur de MKK4, 12 heures avant ou 12 heures après la chirurgie, augmente très significativement la survie des animaux, qui passe de 17 % en absence de traitement à respectivement 67 % et 83 %.

Ainsi, cet inhibiteur pharmacologique de MKK4 n’a pas d’effet sur le foie en conditions basales, mais promeut la régénération hépatique en cas de stimulation, sans induire de tumeur, y compris dans un contexte de stéatose ou de stéatohépatite. Ce médicament empêche l’insuffisance hépatique aiguë induite par un défaut de régénération du foie dans un modèle de résection hépatique majeure chez un gros mammifère. Un essai clinique de phase I a été mené chez 48 hommes volontaires, qui ont reçu des doses croissantes de HRX215 ou un placebo par voie orale (Figure 1E), et aucune différence d’effet indésirable n’a été notée entre les deux groupes. Les caractéristiques pharmacologiques déterminées au cours de cette étude permettent désormais d’envisager un essai clinique de phase II, qui permettra de tester l’efficacité de HRX215 sur la régénération du foie humain.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Gilgenkrantz H. Une seule cellule souche dans le foie : l’hépatocyte ! Med Sci (Paris) 2015 ; 31 : 357–9. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Dollé L, Gilgenkrantz H. Tous les hépatocytes ne sont pas égaux entre eux ! Med Sci (Paris) 2015 ; 31 : 1069–71. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Gilgenkrantz H. On n’a ni l’âge de ses artères ni celui de son foie… Med Sci (Paris) 2022 ; 38 : 864–6. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Zwirner S, Abu Rmilah AA, Klotz S, et al. First in class MKK4 inhibitors enhance liver regeneration and prevent liver failure. Cell 2024 ; 187 : 1666–84. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Wuestefeld T, Pesic M, Rudalska R, et al. A direct in vivo RNAi screen identifies MKK4 as a key regulator of liver regeneration. Cell 2013 ; 153 : 389–401. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Vallée D, Blanc M, Lebeaupin C, Bailly-Maitre B. La réponse au stress du réticulum endoplasmique dans la physiopathologie des maladies chroniques du foie. Med Sci (Paris) 2020 ; 36 : 119–29. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]

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thumbnail Figure 1.

Obtention d’une molécule pharmaceutique accélérant la régénération du foie et sans effet pro-tumoral. A. identification de MKK4 (par criblage in vivo), une kinase dont l’absence promeut la régénération hépatique. B. identification d’un inhibiteur pharmacologique de MKK4 : HRX215. C. validation de l’efficacité de HRX215 sur la régénération hépatique après hépatectomie partielle chez la souris. En cas de stéatohépatite, l’administration de HRX215 diminue la fibrose et la stéatose sans augmenter le fardeau tumoral. D. validation de l’efficacité de HRX215 sur la régénération hépatique et la survie après hépatectomie majeure chez le porc. E. essai clinique de phase I montrant la bonne tolérance et la biodisponibilité de HRX 215 chez des volontaires sains.

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