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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 11, Novembre 2024
Page(s) 805 - 806
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024173
Published online 10 December 2024

Avec la déclaration par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) de la flambée épidémique de mpox comme une urgence de santé publique de portée internationale, l’impréparation de la communauté internationale face au risque pandémique, et les contraintes qui pèsent sur l’accès aux vaccins et aux contremesures médicales constatées pendant la pandémie de Covid-19, ont brutalement refait surface.

Endémique dans plusieurs pays d’Afrique centrale et occidentale avec la baisse de la couverture vaccinale contre la variole, la zoonose mpox avait déjà été déclarée urgence de santé publique de portée internationale par l’OMS lors d’une flambée en 2022. La nouvelle résurgence en République Démocratique du Congo avait été détectée dès 2023 et une nouvelle famille de variants favorisant les contaminations interhumaines est apparue dès le début de 2024. Leur expansion, au niveau régional puis global, n’a cependant pas été endiguée.

Pourtant, deux vaccins antivarioliques, MVA-BN, du laboratoire danois Bavarian Nordic, et LC16, du japonais KM Biologics, ont démontré leur efficacité. À lui seul, le fabricant du vaccin MVA-BN produit suffisamment de doses annuellement pour répondre aux besoins des pays les plus touchés en Afrique, estimés à 10 millions de doses par l’Africa CDC1.

Mais l’accès aux vaccins pour les pays les plus touchés est freiné par un prix prohibitif – de l’ordre de 100 à 150 USD pour deux doses de MVA-BN, sans compter les coûts d’acheminement et de déploiement – et par la file d’attente des commandes auprès du fabricant – le vaccin antivariolique faisant l’objet d’un stockage stratégique anti-bioterroriste de la part de nombreux pays à haut revenu.

Les 4 millions de doses sécurisées par l’Africa CDC sont ainsi principalement issues de dons volontaires annoncés au comptegoutte par les pays riches, dont quelques centaines de milliers par l’Espagne, la France, et la Commission européenne. Alors que 6 millions de doses restent encore à trouver, l’OMS a appelé les pays disposant de stocks à rendre public le nombre de doses qu’ils détiennent.

La République Démocratique du Congo, épicentre de la flambée de mpox depuis 2023, n’a pu procéder aux premières injections qu’en septembre 2024, et les tests diagnostiques sont en rupture dans le pays. Depuis 2022, plus de 100 000 cas de mpox ont été détectés dans 123 pays, 77 % des décès survenant chez les enfants de moins de quinze ans.

C’est dans ce contexte d’urgence et d’inégalités criantes que les négociations ont repris à Genève sous l’égide de l’OMS pour tenter d’adopter un traité pandémique avant mai 2025.

On pouvait espérer que les impacts humain, économique et social de la pandémie de Covid-19 amèneraient à une prise de conscience globale des risques sanitaires partagés et à une volonté de la communauté internationale de répondre aux enjeux de prévention et de réponse aux pandémies.

Le panel indépendant pour la préparation et la réponse aux pandémies avait avancé un certain nombre de propositions parmi lesquelles : 1) bâtir un leadership politique de haut niveau sur la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies ; 2) édifier un système international de financement de la prévention et de la préparation aux pandémies, d’une part, et de réserve financière mobilisable en cas d’urgence pandémique, d’autre part ; 3) amender le Règlement sanitaire international (RSI) à partir des leçons tirées de la pandémie sur la surveillance et les systèmes d’alerte ; 4) négocier un accord pandémique fondé sur le précédent à l’OMS du traité sur le tabac de 20032, reprenant ainsi la proposition de l’ancien président du Conseil Européen Charles Michel.

Le processus de révision du RSI a abouti in extremis, après deux ans de travail. Parmi les avancées, figure la création d’une nouvelle catégorie d’alerte, « l’urgence pandémique », définie comme « une urgence de santé publique causée par une maladie infectieuse qui s’étend, ou risque fortement de s’étendre à plusieurs États ou à l’intérieur de plusieurs États ; pour laquelle les systèmes de santé de ces États n’ont pas, ou risquent de ne pas avoir, les capacités d’agir ; qui cause ou risque fortement de causer des perturbations sociales et/ou économiques importantes, notamment sur le trafic et le commerce internationaux ; et qui nécessite une réponse internationale rapide et équitable, s’appuyant sur la mobilisation de l’ensemble des pouvoirs publics et de la société ». La Direction Générale de l’OMS dispose désormais de prérogatives élargies pour évaluer, dans ce contexte, la disponibilité et l’accessibilité des produits de santé, définir un cadre d’allocation équitable, et accélérer leur autorisation dans les pays qui en font la demande.

En revanche, les négociations sur le traité pandémique n’ont pas encore abouti, après plus de deux ans et demi de travail. Les négociations en cours s’annoncent comme une course contre-la-montre pour débloquer les points de tension avant l’échéance de mi-2025, avec en ligne de fond l’enjeu de la crédibilité de l’Assemblée mondiale de la santé et de l’OMS.

Les points d’achoppement considérables qui demeurent comprennent le « partage des bénéfices de l’accès aux pathogènes » pour les pays qui partageraient les séquences de nouveaux pathogènes au bénéfice de la communauté internationale, les conditions requises autour des transferts de technologie de nouveaux vaccins, la propriété intellectuelle, le financement de la préparation et de la réponse aux pandémies, la résilience des systèmes de santé et l’approche « une seule santé » (One Health). Les lignes de clivage reflètent en grande partie la polarisation observée pendant la pandémie de Covid-19, lorsque les pays à haut revenu, dont l’industrie pharmaceutique était détentrice des brevets, avaient bloqué la demande de l’Afrique du Sud et de l’Inde, grande productrice de génériques, de lever temporairement les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins contre la Covid-19 afin d’augmenter la production décentralisée et de mettre fin aux pénuries. La question du statut juridique de l’accord, et de la flexibilité pour les pays de s’en dissocier totalement ou en partie, reste, elle aussi, ouverte.

Aux dernières nouvelles, un accord pourrait être trouvé avant la fin de l’année mais sur un texte considérablement dilué qui renverrait les questions en suspens aux débats des conférences des parties des pays signataires. L’accord pourrait aussi ne pas inclure le terme « pandémie » – pourtant son objet même – et réduire son périmètre aux seules urgences sanitaires de portée internationale déclarées par l’OMS dans le cadre du RSI, laissant hors de son champ les pandémies installées, comme le VIH (virus de l’immunodéficience humaine), la tuberculose ou les hépatites virales.

Les grandes questions de la gouvernance et du financement ne seront vraisemblablement pas résolues. Le « fonds pandémique » créé il y a deux ans, est, de fait, loin de recueillir les financements qui sont nécessaires et peine à trouver sa place dans une architecture en santé mondiale complexe. Il n’a pas non plus été conçu sur un modèle de solidarité globale qu’on aurait pu espérer, où tous les pays auraient été contributeurs à la mesure de leurs moyens.

Ainsi sommes-nous à peine mieux préparés à un prochain choc pandémique maintenant que nous ne l’étions avant le Covid-19. L’estimation du risque de survenue d‘un choc pandémique qui ferait plus de dix millions de morts est cependant de 12 % à cinq ans et de 50 % dans les 25 prochaines années.

De fait, la question des pandémies a disparu de l’agenda international. Et la santé mondiale en général est en péril politique et de financement, sous le coup de la priorité politique liée à la multiplication des conflits, d’une polarisation géopolitique et d’une perte d’adhésion au multi-latéralisme. La dernière illustration en est l’absence des questions de santé dans le Pacte pour le Futur adopté en septembre par l’assemblée générale des Nations Unies. Notre communauté scientifique et médicale ne peut rester passive devant cette démobilisation. Elle doit être partie prenante sur ces questions de bien commun pour éviter qu’elles ne tombent dans la négligence avant que le monde ne se heurte au prochain choc pandémique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Africa Centres for Disease Control and Prevention.

2

La Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac est le premier traité international négocié sous les auspices de l’Organisation mondiale de la Santé. Elle a été adoptée par l’Assemblée mondiale de la Santé le 21 mai 2003 et est entrée en vigueur le 27 février 2005 (ndlr d’après Wikipédia).


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