Issue |
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 1, Janvier 2024
La cavité orale et les dents au cœur de la santé
|
|
---|---|---|
Page(s) | 72 - 78 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023198 | |
Published online | 01 February 2024 |
Complémentarité de l’odontologie et de l’anthropologie pour l’identification de corps sous « X »
Complementarity of odontology and anthropology in the identification of unknown bodies
UFR odontologie de Bordeaux. 56-02 Santé publique-Odontologie légale, expert près la Cour de cassation Paris, rattaché à la Cour d’appel de Bordeaux, laboratoire PACEA, UMR 5199 CNRS-université de Bordeaux, France
* christophe.bou@u-bordeaux.fr
La presse se fait régulièrement l’écho de disparitions inquiétantes d’enfants ou d’adultes, de suicidés, de victimes d’accidents, de sans-abri, et de la découverte souvent fortuite de corps ou de restes humains, avec ou sans présomption d’identité. En 2011, une étude rétrospective réalisée sur six ans au sein de l’institut médico-légal (IML) de l’hôpital Poincaré à Garches, énonçait le chiffre surprenant de plus de 1 500 inhumations sous X par an en France. Véritable constat d’échec, c’est tout un ensemble de dysfonctionnements qui sont à l’origine de cette situation. À travers cet article, nous tentons d’en identifier les causes et de voir comment l’identification en odontologie et anthropologie pourraient contribuer à résoudre cette problématique, véritable enjeu de santé publique.
Abstract
The press regularly echoes disturbing disappearances of children and adults, suicides, victims of accidents, homeless, the often fortuitous discovery of bodies or human remains. The identification process of the person will be comparative when there is a presumption of identity and estimative in case of absence of presumed identity. In 2011, a retrospective study over 6 years at the Poincaré Hospital IML (Medico Legal Institute) in Garches states the surprising figure of over 1500 burials under X per year in France. This situation is the result of a series of dysfunctions. After having identified the causes, the identification in odontology and anthropology could contribute to solve this problem by adopting the following resolutions.
Firstly, the creation of a single file for disappearances, grouping together the Ante-Mortem (AM) medical and odontological data files of persons reported missing, as well as the Post-Mortem (PM) odontological and anthropological data files collected on bodies under X during thanatological operations within the Medico Legal Institute.
Secondly, the systematic collection of odontological evidence PM as well as an exhaustive anthropological analysis for any body under X without presumed identity, before burial.
© 2024 médecine/sciences – Inserm
Article publié sous les conditions définies par la licence Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), qui autorise sans restrictions l'utilisation, la diffusion, et la reproduction sur quelque support que ce soit, sous réserve de citation correcte de la publication originale.
Vignette (© Thibault Canceill).
En 1997, à Bruxelles, un groupe de travail regroupant les autorités de police et de sécurité de chaque État membre de l’Union européenne (Enfopol [enforcement police] 128), avait pour objet d’aborder la problématique des personnes disparues et des cadavres non identifiés. En 1994, il y avait 3 600 personnes disparues et entre 350 et 400 cadavres non identifiés. En 2020, le nombre de signalements concernant la disparition d’un proche s’élevait à plus de 53 755 individus par an. Environ 45 400 concernaient des mineurs, majoritairement des fugues, mais environ 1 500 enfants étaient de vraies disparitions inquiétantes, dont le motif était souvent inconnu. En France, ce sont environ 10 000 cas de disparitions inquiétantes non élucidées qui sont enregistrées chaque année.
En 2011, une étude rétrospective concernant six années d’activité au sein de l’IML de l’hôpital Poincaré de Garches, estimait à plus de 1 500 les inhumations sous X par an en France, mais ce chiffre est sous-estimé selon les associations de disparitions de personnes [1]. Sujet sensible et délicat pour lequel l’absence de données statistiques et, en conséquence, de résultats officiels suggèrent, dans l’inconscient collectif de chacun que tout semble normal, marqué seulement par l’existence, parfois, des quelques affaires judiciaires qui sont médiatisées [2, 3].
Identifier un corps, des restes humains, demeure une obligation légale, pour des raisons juridiques et administratives. Mettre en œuvre un processus d’identification, c’est concilier à la fois l’humanisme et la science pour apporter une réponse dans la manifestation de la vérité judiciaire, mais aussi, dans certaines circonstances, identifier une personne. C’est aussi un besoin, une réelle attente pour la famille ou les proches du défunt, lorsque ce dernier faisait, par exemple, l’objet d’une procédure de disparition qualifiée d’inquiétante auprès des autorités judiciaires. Besoin de savoir, est-ce bien lui/elle, pourquoi, comment les faits se sont déroulés, autant de questions dont les réponses permettront d’initier la phase de deuil.
Lors de la découverte d’un corps ou de restes squelettiques, un certificat de décès est établi par le médecin. Il notifiera un obstacle médico-légal en cas de mort suspecte, d’absence de présomption d’identité, ou de défaut de reconnaissance faciale visuelle. Dès lors, une procédure judiciaire sera proposée pour répondre aux questions que se posent les proches.
Cette procédure judiciaire fera intervenir le médecin légiste pour une série d’opérations thanatologiques : levée du corps, autopsie, examens complémentaires. L’objectif premier de cette procédure concerne la détermination du délai post-mortem (DPM) et de la cause médicale de décès. Elle permet également la catégorisation médico-légale du décès afin de permettre au Parquet la prise de décision de poursuite de l’enquête judiciaire. L’objectif secondaire est de permettre d’engager un processus d’identification de personne, lorsque le corps « sous X » est enregistré avec ou sans présomption d’identité.
Tout processus d’identification repose sur une méthodologie appropriée en fonction de la prise en considération de deux paramètres : le premier concerne la présomption ou l’absence de présomption d’identité du corps ; le second doit tenir compte de l’état du « substratum » qui sera variable en fonction de la sémiologie post-mortem, mais aussi de l’étiologie à l’origine du décès (carbonisation, démembrement, etc.) [4].
Le processus d’identification médico-judiciaire
Suite à la découverte d’un cadavre, la recherche d’une présomption d’identité est mise en œuvre en première intention, ne serait-ce que pour la rédaction du certificat de décès.
Si l’identité est présumée, l’état de conservation du corps orientera la méthodologie d’identification. En présence d’un corps présentant une intégrité physique permettant une reconnaissance faciale visuelle, et/ou d’éléments corporels spécifiques (tatouages, piercing, etc.), l’identification positive de ce dernier sera faite par un membre de la famille ou un proche de la personne décédée. A contrario, si l’état du corps est dégradé, suite au processus de décomposition, voire mutilé par des actions anthropiques ou animales diverses, une méthodologie d’identification comparative sera appliquée. L’objectif de ce type d’identification est de comparer les données ante-mortem, médicales et biologiques, contenues dans le dossier médical du patient, avec les indices et les éléments post-mortem, recueillis sur le cadavre lors des opérations thanatologiques complémentaires. Peuvent alors être utilisées des données odontologiques, médicales ou génétiques.
Si l’identité est inconnue sur un corps ne présentant pas ou peu d’altérations physiques, il sera possible d’effectuer un avis de recherche afin que la personne sous X puisse être reconnue par un proche ou un tiers. Cependant, dans le cas de la découverte d’un corps sans identité présumée et dans un état de dégradation avancée, une méthodologie d’identification estimative ou évaluative sera mise en œuvre. Cette méthode a pour objectif de définir un « profil anthropologique biologique » des restes humains découverts [5]. Pour définir ce profil, des indicateurs sont utilisés afin de caractériser au mieux l’individu : définir si les restes retrouvés sont de nature humaine ou animale, établir le dimorphisme sexuel, évaluer la stature, définir une appartenance socio-culturelle, estimer l’âge au décès, relever des caractéristiques paléo-pathologiques osseuses ou dentaires [6]. Une fois ce profil défini, l’ensemble des informations seront remises sous forme d’un rapport à l’officier de police judiciaire (OPJ) qui recherchera dans le fichier national des personnes recherchées (FPR), si un ou plusieurs individus ayant fait l’objet d’une disparition inquiétante présentent ces mêmes caractéristiques. Si tel est le cas, une procédure d’identification comparative sera effectuée pour chaque présomption d’identité, avec réquisition judiciaire des données odontologiques ou médicales contenues dans les dossiers médicaux ante-mortem des personnes potentielles, pour établir les concordances et valider l’identification positive de l’individu X (Figure 1).
Figure 1. Protocole méthodologique dans un processus d’identification de personne. AM : ante-mortem ; PM : post-mortem ; OPJ : officier de police judiciaire ; FPR : fichier des personnes recherchées. |
Le processus d’identification demeure le même qu’il s’agisse de la découverte d’un corps unique ou de multiples corps, dans le cadre d’une catastrophe de masse, par exemple. Seuls diffèrent les moyens mis en œuvre, infrastructures et moyens humains, pour être en capacité de prendre en charge le plus rapidement possible l’identification des corps.
Spécificités de l’identification odontologique
L’odontologie légale devient une discipline incontournable dans un processus d’identification de personne dans le domaine médico-judiciaire, et cela pour diverses raisons. La première est liée à la résistance de l’organe dentaire. La dent est la structure anatomique la plus minéralisée du corps humain. Dès lors, les dégradations tissulaires sémiologiques post-mortem sont mineures et très lentes. La résistance des dents aux agressions physico-chimiques a également pour conséquence leur persistance lors de la découverte d’un corps dans un état de dégradation avancée, voire squelettisé. La structure organique interne, constituée du tissu pulpaire, est souvent encore présente et peut être utilisée pour des analyses génétiques [7]. La deuxième raison concerne la disponibilité, grâce à l’informatisation des cabinets dentaires, des données numériques de la santé bucco-dentaire des patients. Le dossier numérique du patient comprend en effet souvent une image panoramique dentaire, un bilan et la chronologie des soins effectués, des clichés photographiques, voire parfois une acquisition scanner en trois dimensions.
L’obtention des indices thérapeutiques, anatomiques, physiologiques et pathologiques sont ainsi autant de variables qui permettront d’identifier une personne décédée, lors d’un processus d’identification odontologique comparative. La multiplicité et la variabilité, sur les 28 dents, des indices potentiels que nous avons évoqués confèrent pour chaque personne son unicité.
La dernière raison est liée à l’hétérogénéité des tissus qui constituent une dent. En effet, l’organe dentaire se compose de structures histologiques qui ont des cycles différentiels dans les phases de maturation/croissance et de sénescence. Cette spécificité tissulaire demeure l’objet de multiples recherches, avec la mise au point d’indicateurs fiables pour l’estimation de l’âge au décès, mais aussi l’identification de marqueurs de stress tissulaire, pour évaluer les « paléopathologies » (les maladies anciennes).
La recherche en odontologie légale demeure très dynamique car elle présente une complémentarité et des objectifs communs avec l’anthropologie des populations du passé et les sciences médico-judiciaires.
L’identification comparative en odontologie légale
Lors de la découverte d’un corps avec présomption d’identité, la méthode d’identification comparative va permettre de recueillir et d’établir les concordances, ou discordances, entre les données « odontologiques » ante-mortem du patient, et les indices post-mortem relevés sur le corps lors des opérations thanatologiques (phases autopsique et post-autopsique complémentaire). Ces données bucco-dentaires comparatives peuvent être odontologiques, génétiques (génome du tissu pulpaire), mais aussi rugoscopiques1, avec l’étude des papilles bunoïdes (les bourrelets muqueux irréguliers situés transversalement dans la région antérieure du palais).
L’identification comparative odontologique s’applique aussi bien pour l’identification d’une personne, que pour un ensemble d’individus lors d’une catastrophe de masse [8]. Dans le cas d’un nombre important de victimes, des logiciels dédiés (Win ID / Plass Data) effectueront une recherche automatisée des correspondances de données et de dossiers.
La condition nécessaire pour mener à bien ce type d’identification est la présence d’un dossier dentaire patient comprenant le maximum d’informations sur ses caractéristiques et ses antécédents bucco-dentaires. Un odontogramme détaillé au niveau des actes thérapeutiques, avec la présence du schéma initial, voire d’une radiographie panoramique, est le garant de l’obtention d’une exhaustivité des données du patient, même dans le cas de nomadisme médical [9, 10]. Afin d’obtenir le dossier ante-mortem du patient présumé, une réquisition sera faite auprès du chirurgien-dentiste traitant, par l’OPJ ou le magistrat instructeur, qui le remettront à l’expert en identification odontologique pour mener à bien sa mission d’identification.
L’identification comparative est la seule méthode qui permette d’établir une identification « formelle » de personne décédée, en accord avec la juridiction en vigueur et, en l’occurrence, les recommandations européennes (Interpol international guide 2018) [11].
L’identification estimative en odontologie légale
L’identification d’un corps sans présomption d’identité et dans un état de décomposition avancé, ou celle de restes squelettisés, nécessitera la mise en œuvre d’un protocole d’identification estimative utilisant des indicateurs anthropologiques de nature odontologique ou squelettique. La finalité de cette procédure d’identification est de fournir un « profil anthropologique » de la personne décédée afin de le proposer aux autorités judiciaires à l’origine de la réquisition. Elles rechercheront une possible correspondance (âge, taille, sexe, etc.) avec une fiche établie pour une disparition inquiétante, présente dans le fichier des personnes recherchées.
Cette analyse estimative repose sur l’utilisation de multiples indicateurs qui nécessitent d’être sans cesse plus précis et fiables. Même si cela peut sembler utopique, car la variabilité au sein d’une même population et entre populations est toujours présente, la constitution de base de données multicentriques constituées à partir d’échantillons au nombre plus important permet d’affiner la précision de ces indicateurs.
En présence de restes humains ou squelettiques complets ou fragmentés, les paramètres recherchés dans une identification estimative concernent :
-
La différenciation entre la nature humaine ou animale de certains os fragmentés ou incomplets, mais aussi de restes squelettiques de petites tailles pouvant laisser supposer être des éléments osseux de nouveau-nés ou de très jeunes enfants.
-
La détermination du dimorphisme sexuel, qui est différentielle en fonction de l’âge. En effet, chez l’enfant, la maturation et la croissance osseuses rendent plus délicate la reconnaissance morpho-géométrique de certains os discriminants pour la détermination d’un dimorphisme sexuel. En revanche chez l’adulte, il existe de nombreux indicateurs fiables utilisant des méthodes qualitatives ou métriques, que ce soit au niveau de l’os coxal ou du crâne [12–14].
-
L’évaluation de la stature est un paramètre assez facile à évaluer car de nombreux travaux, reposant sur de multiples bases de données populationnelles multicentriques, existent sur l’estimation de la taille selon des approches mathématiques ou probabilistes.
-
L’estimation de l’âge, en revanche, demeure le paramètre pour lequel la variabilité est la plus élevée, en particulier chez les adultes, avec les phénomènes de sénescence [15, 16]. Estimer l’âge n’est pas un processus simple, invariant et linéaire. Il dépend de nombreux facteurs et de l’interaction entre les gènes et le milieu environnant. Il apparaît néanmoins que la variabilité soit moindre pour les indicateurs de maturation et de croissance dentaire que pour les indicateurs osseux [17, 18]. La diversité tissulaire constituant l’organe dentaire (émail, dentine, cément) est un élément de recherche histologique qui est de plus en plus utilisé en odontologie légale, avec les techniques numériques d’acquisition et d’analyse [19]. Citons, par exemple, l’analyse de la translucidité radiculaire (Figure 2) mais aussi le comptage des lignes circulaires d’apposition au niveau du cément acellulaire radiculaire (cémentochronologie) [20–23].
Figure 2. Translucidité radiculaire selon une section dans le plan médio-sagittal. |
La recherche de paléopathologies osseuses ou dentaires apportera également des informations importantes sur certains antécédents pathologiques ou traumatiques qui seront utiles dans l’établissement du profil de l’individu à identifier [24, 25].
Suite à la recherche par l’OPJ d’une fiche correspondant au défunt, si une ou plusieurs personnes signalées disparues présentent des similitudes quant aux caractéristiques anthropologiques du corps, un processus d’identification comparative sera effectué pour chacune d’elle, afin de valider l’identification positive et formelle de l’individu. En l’absence de proposition par l’OPJ de « disparus potentiels », un processus de reconstruction faciale, manuelle ou numérique, à partir du crâne et de la mandibule du corps, permettra de réaliser une simulation faciale en deux dimensions (2D) et en trois dimensions (3D) (Figure 3). Cette simulation pourra alors être diffusée sur les réseaux sociaux et ainsi être reconnue par une tierce personne [26–30].
Figure 3. Processus de reconstruction faciale. |
La problématique des inhumations sous X en France
En France, la problématique des inhumations sous X provient, en premier lieu, de l’absence d’un fichier national unique regroupant les personnes disparues et les corps sous X, un fichier qui contiendrait les données médicales ante-mortem pour chaque disparition inquiétante et les indices recueillis sur chaque cadavre non identifié. Jusqu’à présent, toute qualification de disparition inquiétante (que la personne soit mineure ou majeure) fait l’objet d’une inscription dans le fichier des personnes recherchées, avec émission d’une circulaire d’avis de recherche diffusé nationalement. Ce fichier comprend pour chaque personne disparue, les données administratives, la circonstance de la disparition, et une description physique sommaire [31]. La gendarmerie et la police ont, chacune, leur propre outil dédié aux personnes disparues. Pour la gendarmerie, il existe la base sérielle Caddis (« cadavres et disparus »), validée par la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Cette base répertorie depuis plus de 20 ans les disparitions inquiétantes et les cadavres non identifiés. Palliant les écueils du FPR, elle comptabilise aujourd’hui seulement 1 300 disparitions et plus de 700 cadavres non identifiés. Pour la police, l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) dispose du fichier Fenix, un fichier en phase d’évaluation, dédié au rapprochement des disparus et des enterrés sous X.
Dans certains pays d’Europe (Suède, Norvège, Belgique), il existe un registre informatique national de l’ensemble des données médicales et bucco-dentaires ante-mortem des citoyens disparus. Ce registre autorise ainsi une recherche automatisée des données bucco-dentaires post-mortem lors de la découverte d’un corps avec ou sans présomption d’identité. Ainsi, en Belgique, grâce à l’existence de ce fichier à double entrée (disparitions/corps sous X), les autorités ont réduit drastiquement le nombre de corps non identifiés. De même, aux États-Unis, le fichier NamUs (National Missing and Unidentified Persons System), qui s’appuie sur les données dentaires, permet d’identifier plus de 3 400 corps sous X chaque année.
La problématique des inhumations sous X provient, en second lieu, de la difficulté de finalisation du projet AROA (avis de recherche odontologique automatisé) établi par le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes. Ce projet avait pour but de compenser l’absence de fichier national de données bucco-dentaires ante-mortem pour les personnes disparues. Grâce à l’informatisation de l’ensemble des cabinets dentaires, il pouvait potentiellement constituer une base de données ante mortem quasi-exhaustive des indices bucco-dentaires contenus dans les dossiers des patients. Les données conservées pendant au moins 30 ans dans chaque cabinet dentaire constituaient ainsi autant d’éléments comparatifs pour l’identification de personne avec ou sans présomption d’identité.
Ce projet, initié en 2008, était en phase de test en 2016 après son intégration dans un logiciel (Logos®). En 2018, lors d’une question à l’Assemblée nationale, concernant l’avancée du projet AROA, la réponse du ministère mettait en évidence l’absence d’évolution, liée en partie au refus d’éditeurs de logiciels de participer au projet d’intégration de ce module d’identification automatisé. Toujours en réponse à la question posée à l’Assemblée, le ministère de la Justice, associé au projet jusqu’en 2014, estimait qu’un investissement accru des praticiens, avec une tenue irréprochable des dossiers patients était nécessaire pour l’efficacité du projet AROA.
La méconnaissance et le désintérêt de la situation problématique des inhumations sous X par les autorités civiles et judiciaires sont également à considérer. Pour rappel, l’article 87 du Code civil stipule que : « Si le défunt ne peut être identifié, l’acte de décès doit comporter son signalement le plus complet [...]. L’officier d’état civil informe sans délai le procureur de la République du décès, afin qu’il puisse prendre les réquisitions nécessaires aux fins d’établir l’identité du défunt ». En 2010, le ministère de l’Intérieur a présenté en Conseil des ministres un projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI). Il prévoit, dans le chapitre III (Utilisation des nouvelles technologies), articles 5 à 9, la possibilité pour les services de police et les personnes habilitées, de procéder à des investigations techniques (empreintes génétiques, empreintes digitales, recherches odontologiques) sur des cadavres anonymes pour permettre leur identification et répondre à l’attente des familles.
Actuellement, une telle recherche intervient après qu’une information judiciaire ait été ouverte, sur le fondement de l’article 74 du Code de procédure pénale, pour déterminer l’identité de la personne décédée. Or, tous les décès de personnes inconnues ne font pas l’objet d’une telle procédure. L’ouverture de l’information judiciaire dépend généralement du caractère suspect ou non du décès constaté. L’autorisation de fermeture du cercueil, prévue à l’article 2223-42 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) est délivrée par le maire, agissant en sa qualité d’officier d’état civil (art. R. 2213-17), au vu d’un certificat établi par le médecin. Cette autorisation intervient généralement dans un délai assez court, compte tenu de la brièveté des délais prévus en matière d’inhumation. Ainsi, sauf dérogations particulières, l’inhumation doit intervenir vingt-quatre heures au moins et six jours au plus après le décès si celui-ci a eu lieu en France, et six jours au plus après l’entrée du corps en France, si le décès a eu lieu à l’étranger ou dans un territoire d’outre-mer (art. R. 2213-33 et R. 2213-35). Il n’est pas exceptionnel que l’autorisation soit délivrée pour une personne décédée inconnue avant que le procureur de la République ait pris la décision de procéder aux opérations nécessaires en vue d’établir l’identité du défunt (prélèvements d’empreintes génétiques, relevé d’empreintes digitales, odontogramme) et qu’il y soit procédé. Aucune information biologique post-mortem (ADN, odontologie) n’est recueillie pour alimenter un fichier des corps sous X et permettre une potentielle identification comparative d’une personne disparue. Dès lors, les inhumés sous X sont placés dans le carré des indigents des cimetières, dans des concessions de cinq ans à la charge de la mairie locale. À l’issue de ce temps, les inconnus sont exhumés et leurs restes sont incinérés, et les cendres, dispersées.
Comment résoudre la problématique des inhumations sous X
En 1997, Enfopol statuait qu’« En raison du lien existant, il est évident que le cas des personnes disparues et celui des cadavres non identifiés doivent être traités parallèlement car bien souvent une bonne information sur la personne disparue conduira à l’identification du cadavre ». De 1994 à 2021, 26 000 personnes ont été inhumées sous X et autant de familles qui espèrent !!
Face à cette situation, des lois et des décrets ont été promulgués sur l’obligation, par le procureur, d’identifier des corps sous X en utilisant l’ADN dans le cadre d’une procédure judiciaire et extra-judiciaire (LLOPSSI2) [31, 32]. Cette obligation ne s’accompagne cependant pas toujours d’une réponse favorable exécutoire. S’agit-il d’un problème de durée d’obtention des résultats, de coûts engendrés ? Considérant l’incidence toujours croissante de la problématique des inhumations sous X, une solution odontologique et anthropologique complémentaire serait utile dans la résolution de ce dysfonctionnement [33]. Cette solution pourrait consister en :
-
La création d’un fichier unique national pour les disparitions, regroupant les fichiers des données médicales et odontologiques ante-mortem des personnes signalées disparues, ainsi que les fichiers des données odontologiques et anthropologiques post-mortem recueillies sur les corps sous X lors des opérations thanatologiques par les IML
-
La réalisation systématique d’un recueil des indices odontologiques post-mortem pour tout corps sous X avec présomption d’identité.
-
La réalisation systématique d’un recueil des indices odontologiques post-mortem, ainsi qu’une analyse anthropologique exhaustive pour tout corps sous X sans présomption d’identité avant inhumation.
-
Un système numérisé et automatisé d’analyse des concordances entre les données médicales et odontologiques issues des dossiers ante-mortem de disparitions inquiétantes et les données odontologiques et anthropologiques post-mortem recueillies sur les corps sous X.
-
L’obligation pour les chirurgiens-dentistes de renseigner un odontogramme initial pour chaque nouveau patient ou la réalisation d’une radiographie panoramique initiale, afin de disposer d’un fichier exhaustif des données odontologiques ante-mortem.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Cavard S, Alvarez JC, De Mazancourt P, et al. Forensic and police identification of “X” bodies. A 6-years French experience. Forensic Sci Int 2011 ; 204 : 139–143. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Cattaneo C, Porta D, De Angelis D, et al. Unidentified bodies and human remains: an Italian glimpse through a European problem. Forensic Sci Int 2010; 195 : 167.e1–6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Mazzarelli D, Milotta L, Franceschetti L, et al. Twenty-five years of unidentified bodies: an account from Milano, Italy. Int J Legal Med 2021; 135 : 1983–91. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Beauthier JP. Traité de médicine légale. 2e édition. Bruxelles : DeBoeck Éditions, 2011, 1056 pp. [Google Scholar]
- Nuzzolese E. Missing people, migrants, identification and human rights. J Forensic Odontostomatol 2012 ; 30 : Suppl 1 : 47–59. [PubMed] [Google Scholar]
- Duday H, Courtaud P, Crubézy E, et al. L’anthropologie « de terrain » : reconnaissance et interprétation des gestes funéraires. Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris 1990 ; 2 : 29–49. [Google Scholar]
- Heathfield LJ, Haikney TE, Mole CG, et al. Forensic human identification: Investigation into tooth morphotype and DNA extraction methods from teeth. Sci Justice 2021; 61 : 339–44. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Andelinovic´ S, Sutlovic´ D, Erceg Ivkosic´ I, et al. Primorac, Twelve-year experience in identification of skeletal remains from mass graves. Croat Med J 2005; 46 : 530–9. [PubMed] [Google Scholar]
- Nuzzolese E, Torreggianti M. The need for a complete dental autopsy of unidentified edentulous human remains. Forensic Sci Res 2021; 7 : 319–22. [Google Scholar]
- Auderset FC, Connert T, Meller C, et al. Evaluation of five methods to identify composite restorations in human teeth on a forensic purpose-an ex vivo comparative study. Int J Legal Med 2022. doi: 10.1007/s00414-022-02869-z. [PubMed] [Google Scholar]
- Chiam SL, Louise J, Higgins D. “Identified”, “probable”, “possible” or “exclude”: The influence of task-irrelevant information on forensic odontology identification opinion. Sci Justice 2022; 62 : 461–70. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Bruzek J, Schmitt A, Murail P. Identification biologique individuelle en paléoanthropologie : détermination du sexe et estimation de l’âge au décès à partir du squelette. In Dutour O, Hublin JJ, Vandermeersch B (éds). Objets et Méthodes en Paléoanthropologie. Comité des Travaux Historiques et Scientifiques 2005 : pp. 217–46. [Google Scholar]
- Coelho J, Armelim Almiro P, Nunes T, et al. Sex and age biological variation of the mandible in a Portuguese population - a forensic and medico-legal approaches with three-dimensional analysis. Sci Justice 2021; 61 : 704–13. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Baliso A, Heathfield LJ, Gibbon VE. Forensic human identification: retrospective investigation of anthropological assessments in the Western Cape, South Africa. Int J Legal Med 2023; 137 : 793–807. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Schmitt A. Estimation de l’âge au décès des adultes à partir du squelette : des raisons d’espérer. Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris 2002 ; 14 : 1–23. [Google Scholar]
- Chaillet N, Nyström M, Demirjian A. Comparison of dental maturity in children of different ethnic origins: international maturity curves for clinicians. J Forensic Sci 2005 ; 50 : 1–11. [CrossRef] [Google Scholar]
- Reppien K, Sejrsen B, Lynnerup N. Evaluation of post-mortem estimated dental age versus real age: a retrospective 21-year survey. Forensic Sci Int 2006 ; 159 : S84–S88. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Pinchi V, Pradella F, Buti J, et al. A new age estimation procedure based on the 3D CBCT study of the pulp cavity and hard tissues of the teeth for forensic purposes: a pilot study. J Forensic Leg Med 2015 ; 36 : 150–157. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Cameriere R, Pacifici A, Pacifici L, et al. Age estimation in children by measurement of open apices in teeth with Bayesian calibration approach. Forensic Sci Int 2016 ; 258 : 50–54. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Drusini AG, Toso O, Ranzato C. The coronal pulp cavity index: a biomarker for age determination in human adults. Am J Phys Anthropol 1997 ; 103 : 353–363. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Willems G. A review of the most commonly used dental age estimation techniques. J Forensic Odontostomatol 2001 ; 19 : 9–17. [PubMed] [Google Scholar]
- Lucas VS, Andiappan M, McDonald F, Roberts G. Dental age estimation: a test of the reliability of correctly identifying a subject over 18 years of age using the gold standard of chronological age as the comparator. J Forensic Sci 2016 ; 61 : 1238–1243. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Adserias-Garriga J, Nogué-Navarro L, Zapico SC, Ubelaker DH. Setting the light conditions for measuring root transparency for age-at-death estimation methods. Int J Legal Med 2018 ; 132 : 637–641. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Brothwell DR. Digging Up Bones : The Excavation, Treatment and Study of Human Skeletal Remains. Londres : British Museum of Natural History, 1981 : 208 p. [Google Scholar]
- Aufderheide AC, Rodriguez-Martin C. The Cambridge Encyclopedia of Human Paleopathology. Cambridge: Cambridge University Press, 1998 : 496 p. [Google Scholar]
- Lee WJ, Wilkinson CM, Hwang HS. An accuracy assessment of forensic computerized facial reconstruction employing cone-beam computed tomography from live subjects. J Forensic Sci 2012 ; 57 : 318–327. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Guyomarc’h P, Santos F, Dutailly B, Coqueugniot H. Facial soft tissue depths in French adults: variability, specificity and estimation. Forensic Sci Int 2013; 231 : 411.e1–10. [PubMed] [Google Scholar]
- Stephan CN, Caple JM, Guyomarc’h P, Claes P. An overview of the latest developments in facial imaging. Forensic Sci Res 2019; 4 : 10–28. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Kim SM, Lee WJ, Cho JH, et al. An investigation of environmental factors influencing quantitative accuracy and recognition rate of craniofacial reconstructions. J Environ Biol 2020; 41 : 539–48. [CrossRef] [Google Scholar]
- De Donno A, Mele F, Angrisani C, et al. Facial approximation for identification purposes: soft tissue thickness in a Caucasian population. Sex and age-related variations. J Forensic Odontostomatol 2022; 1 : 34–41. [Google Scholar]
- Légifrance. Loi n° 95–73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. Article 26. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527983/. [Google Scholar]
- Légifrance. Code civil. Article 16–11. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000039367698/. [Google Scholar]
- Légifrance. Code civil. Art 87 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000033460936/. [Google Scholar]
- Jayakrishnan JM, Reddy J, Vinod Kumar RB. Role of forensic odontology and anthropology in the identification of human remains. J Oral Maxillofac Pathol 2021; 25 : 543–7. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
Liste des figures
Figure 1. Protocole méthodologique dans un processus d’identification de personne. AM : ante-mortem ; PM : post-mortem ; OPJ : officier de police judiciaire ; FPR : fichier des personnes recherchées. |
|
Dans le texte |
Figure 2. Translucidité radiculaire selon une section dans le plan médio-sagittal. |
|
Dans le texte |
Figure 3. Processus de reconstruction faciale. |
|
Dans le texte |
Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.
Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.
Initial download of the metrics may take a while.