Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 4, Avril 2023
Page(s) 313 - 316
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023036
Published online 24 April 2023

La maladie de Huntington est une maladie neurologique héréditaire qui altère sévèrement les capacités intellectuelles et physiques. Elle est causée par l’expansion anormale de la répétition d’un triplet CAG dans la séquence nucléotidique du gène codant la huntingtine, une protéine qui contribue au transport de diverses molécules dans les neurones [1]. Le dysfonctionnement cellulaire résultant de cette mutation aboutit à la dégénérescence progressive des neurones du striatum et du cortex cérébral. Bien que la maladie se manifeste généralement à l’âge adulte, il est possible de détecter des signes avant-coureurs par imagerie cérébrale ou par des tests psychologiques chez les porteurs pré-symptomatiques de la mutation [27]. Une des explications possibles de ces signes précoces pourrait être l’existence d’anomalies du développement cérébral, qui sont en effet présentes dans un modèle murin de la maladie, mais également chez l’homme [8, 9], et qui pourraient avoir ultérieurement des conséquences sur l’évolution de la maladie. En accord avec cette hypothèse, l’expression de la huntingtine mutée uniquement pendant le développement cérébral embryonnaire et post-natal des souris suffit à induire des caractéristiques de la maladie chez les animaux adultes, notamment des atteintes du cortex cérébral [10].

Bien que le striatum soit la structure la plus affectée par la perte neuronale dans la maladie de Huntington, il existe également un dysfonctionnement précoce du cortex cérébral, d’où l’intérêt d’étudier son développement dans le contexte pathologique. Au cours de la vie embryonnaire, le cortex cérébral se forme à partir de neurones produits par la division de cellules progénitrices. Ces neurones migrent ensuite dans le cortex en formation pour atteindre leur position définitive. Enfin, au cours du développement post-natal, les jeunes neurones développent leurs connexions avec les autres neurones pour former les réseaux matures. Toutes ces étapes de développement – prolifération des cellules progénitrices, migration des jeunes neurones et formation de leurs prolongements neuronaux – sont contrôlées par l’activité neuronale, c’est-à-dire par la force de la transmission synaptique qu’un neurone établit avec d’autres neurones. Ces étapes sont par ailleurs défectueuses dans plusieurs modèles murins de la maladie de Huntington [9, 1113]. Nous avons donc fait l’hypothèse que la maladie pourrait impliquer des défauts de transmission synaptique dans le cortex en développement, défauts qui contribueraient aux anomalies de mise en place des couches corticales.

Nous avons d’abord étudié, dans un modèle murin de la maladie, l’activité excitatrice des neurones situés dans une couche superficielle du cortex cérébral (couche 2/3) à différents stades de son développement post-natal, au cours des quatre premières semaines de vie. Cette période correspond à des évènements majeurs du développement cortical : du jour post-natal 1 (P1) à P6, les neurones des couches superficielles sont encore en cours de migration, de P7 à P10, la migration est terminée et l’arborisation dendritique de ces neurones commence à s’étoffer, et enfin, de P21 à P26, la maturation neuronale est terminée et les neurones forment des circuits fonctionnels. De P1 à P6, nous avons détecté une transmission excitatrice réduite par rapport à des souris témoins (i.e. de génotype sauvage) du même âge : celle-ci redevient normale dès le début de la deuxième semaine de vie. Cette altération transitoire de l’activité neuronale dans le cortex cérébral s’accompagne d’une diminution, également transitoire, du niveau d’expression des récepteurs AMPA (alpha-amino-3-hydroxy-5-méthyl-4-isoxazolepropionate) du glutamate, qui sous-tendent la majeure partie de l’activité neuronale excitatrice. Outre ces changements en lien avec la transmission synaptique, les neurones sont également plus excitables (i.e. ils répondent plus facilement à une stimulation) que ceux des souris témoins, ce qui pourrait être une manière de compenser la réduction de l’activité synaptique, peut-être due à une diminution du nombre de leurs connexions synaptiques. L’ensemble de ces résultats indique l’existence d’un défaut de la formation des circuits corticaux excitateurs dans la maladie de Huntington.

L’activité excitatrice des neurones étant impliquée dans la formation et la maturation des dendrites [14, 15], on pouvait s’attendre à des arborisations dendritiques anormales chez les souris modèles de la maladie. Une analyse morphologique des neurones au cours du développement post-natal a montré, chez ces souris comme chez les souris témoins, un allongement et une complexification des dendrites avec le temps, mais des dendrites plus courtes et plus simples chez les souris modèles de la maladie que chez les souris témoins pendant les stades précoces du développement post-natal, une anomalie non retrouvée au début de la quatrième semaine de développement post-natal (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

Le développement post-natal des neurones corticaux est affecté dans un modèle murin de la maladie de Huntington. A. Les neurones de la couche 2/3 du cortex cérébral ont été étudiés à différents stades du développement post-natal chez la souris : au cours de la première semaine (1), de la deuxième semaine (2), et de la quatrième semaine (4) après la naissance. B. Les neurones de la couche 2/3 sont visualisés grâce à une molécule fluorescente permettant d’analyser leur morphologie. Barre d’échelle : 50 µm. C. Les dendrites des neurones des souris modèles de la maladie de Huntington (MH) sont plus petites que celles des animaux témoins (wild-type, WT) au cours des deux premières semaines de vie post-natale. Cette différence n’existe plus au cours de la quatrième semaine après la naissance.

Ainsi, dans un modèle murin de la maladie de Huntington, les neurones corticaux présentent des défauts morphologiques et fonctionnels précoces mais transitoires. Dans quelle mesure ces défauts contribuent-ils à l’apparition des signes cliniques de la maladie à l’âge adulte ? Afin de répondre à cette question, nous avons corrigé le défaut transitoire de transmission excitatrice en traitant les souriceaux, pendant la première semaine de vie post-natale, avec une molécule neuroexcitatrice agissant sur les récepteurs AMPA du glutamate, l’ampakine, injectée quotidiennement par voie sous-cutanée (Figure 2). Comme attendu, les neurones des souriceaux traités avec la solution saline utilisée comme solution témoin ont, entre la naissance et P10, une arborisation dendritique diminuée par rapport à ceux des animaux de génotype sauvage. Le traitement des souriceaux par l’ampakine corrige cette anomalie : les neurones présentent alors des arborisations dendritiques comparables à celles des neurones des animaux témoins. Ce résultat indique que la diminution transitoire de l’activité neuronale est responsable des défauts morphologiques des neurones corticaux des souris modèles de la maladie.

thumbnail Figure 2.

Le traitement du déficit de l’activité neuronale pendant la première semaine du développement cérébral post-natal chez les souris modèles de la maladie de Huntington permet d’éviter l’apparition des signes de la maladie à l’âge adulte. Les souris modèles de la maladie de Huntington traitées avec une solution saline (témoin) pendant la première semaine de vie post-natale (du jour de la naissance P0 à P7) développent les symptômes de la maladie à l’âge adulte (A), tandis que les souris traitées par l’ampakine, qui augmente l’activité excitatrice des neurones, ne développent pas ces symptômes à huit mois (B).

La maladie de Huntington se traduisant par des troubles du comportement cognitif et moteur, nous avons étudié l’effet des injections d’ampakine effectuées pendant la première semaine de vie sur le comportement des souriceaux modèles de la maladie à différents stades de leur développement cérébral post-natal, ainsi que chez les animaux adultes âgés de deux et six mois. Pour cela, nous avons réalisé différents tests comportementaux moteurs, sensorimoteurs et cognitifs qui rendent compte du fonctionnement du cortex. Nous avons montré que ce traitement transitoire par l’ampakine non seulement diminue les anomalies comportementales observées au cours des deux premières semaines de vie post-natale, mais également empêche les souris de développer les phénotypes comportementaux caractéristiques de la maladie à l’âge adulte [16].

Nous avons aussi étudié l’effet de ce traitement transitoire des souriceaux par l’ampakine sur d’autres caractéristiques neuropathologiques de la maladie de Huntington à l’âge adulte. À l’âge de huit mois, il existe une réduction du nombre de synapses dans le cortex cérébral des souris modèles de la maladie de Huntington, ce qui correspond aux observations faites précédemment chez l’homme [17, 18]. Nous avons montré que le traitement des souriceaux par l’ampakine restaure un nombre de synapses normal chez les animaux adultes. Un autre signe typique de la maladie de Huntington, présent à la fois chez la souris et chez l’homme, est la diminution de volume du cerveau, en particulier du cortex et du striatum. Par l’imagerie à résonance magnétique, nous avons montré que le traitement des souriceaux par l’ampakine normalise le volume relatif de ces structures à l’âge adulte [16].

Des défauts d’activité neuronale et de la formation des circuits neuronaux au cours du développement contribuent à l’apparition des symptômes de différentes maladies neurologiques qui se déclarent tôt au cours de la vie, telles que les troubles du spectre autistique, l’épilepsie, ou même la schizophrénie [19]. Nos travaux de recherche chez la souris suggèrent que c’est également le cas pour la maladie de Huntington, qui se manifeste généralement à l’âge adulte. En effet, les résultats obtenus dans un modèle murin de cette maladie indiquent que l’existence d’une altération transitoire de l’activité neuronale pendant le développement du cerveau affecte ultérieurement sa structure et son fonctionnement à l’âge adulte. Il semble donc que le processus de compensation de ce défaut transitoire, bien que temporairement efficace, n’empêche cependant pas l’apparition des signes cliniques de la maladie à un âge plus avancé. Nous montrons également qu’un traitement néonatal normalisant l’activité neuronale pendant une période critique du développement du cerveau permet d’améliorer certains symptômes et caractéristiques neuropathologiques de la maladie de Huntington lorsque celle-ci commence à se manifester cliniquement. Ces résultats soulignent le risque d’efficacité réduite des tentatives de traitement de cette maladie qui n’interviendraient pas dès les stades asymptomatiques.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Remerciements

Les auteures remercient les personnes concernées par la maladie pour leur contribution à la recherche et l’association Huntington France pour son soutien. Ce travail a été cofinancé par l’agence nationale pour la recherche et la fondation pour la recherche médicale.

Références

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Liste des figures

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Le développement post-natal des neurones corticaux est affecté dans un modèle murin de la maladie de Huntington. A. Les neurones de la couche 2/3 du cortex cérébral ont été étudiés à différents stades du développement post-natal chez la souris : au cours de la première semaine (1), de la deuxième semaine (2), et de la quatrième semaine (4) après la naissance. B. Les neurones de la couche 2/3 sont visualisés grâce à une molécule fluorescente permettant d’analyser leur morphologie. Barre d’échelle : 50 µm. C. Les dendrites des neurones des souris modèles de la maladie de Huntington (MH) sont plus petites que celles des animaux témoins (wild-type, WT) au cours des deux premières semaines de vie post-natale. Cette différence n’existe plus au cours de la quatrième semaine après la naissance.

Dans le texte
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Le traitement du déficit de l’activité neuronale pendant la première semaine du développement cérébral post-natal chez les souris modèles de la maladie de Huntington permet d’éviter l’apparition des signes de la maladie à l’âge adulte. Les souris modèles de la maladie de Huntington traitées avec une solution saline (témoin) pendant la première semaine de vie post-natale (du jour de la naissance P0 à P7) développent les symptômes de la maladie à l’âge adulte (A), tandis que les souris traitées par l’ampakine, qui augmente l’activité excitatrice des neurones, ne développent pas ces symptômes à huit mois (B).

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