Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 4, Avril 2023
Page(s) 316 - 318
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023037
Published online 24 April 2023

La trisomie du chromosome 21 est la cause génétique la plus fréquente de déficience intellectuelle congénitale (environ 1 naissance sur 800). Les individus porteurs d’une trisomie 21 présentent diverses affections [1, 2], notamment des troubles de l’apprentissages qui s’accentuent à la puberté, un défaut de la myélinisation axonale des neurones à l’âge adulte, et un déclin cognitif dû à l’apparition précoce d’une maladie qui ressemble à la maladie d’Alzheimer [3], mais aussi une altération de l’odorat débutant avant la puberté, ainsi qu’une subfertilité chez la femme et une infertilité chez la plupart des hommes [4]. Aujourd’hui, il n’existe aucun traitement des déficits cognitif et olfactif des personnes porteuses de trisomie 21.

Dans le cas d’un défaut précoce de développement du système nerveux olfactif périphérique, l’infertilité ou la subfertilité associée à l’absence congénitale d’odorat (anosmie) est la conséquence d’un déficit ou de l’absence de l’hormone de libération des gonadotrophines (GnRH)1, à cause d’une interruption de la migration embryonnaire, depuis la région nasale vers le cerveau, des neurones produisant cette hormone (syndrome olfacto-génital) [5]. L’avènement de nouvelles approches neuroanatomiques, notamment la possibilité de rendre les tissus transparents, et l’utilisation de la microscopie de fluorescence à feuille de lumière [6] () ont permis de montrer que les neurones hypothalamiques synthétisant la GnRH projettent leurs axones, non seulement vers l’éminence médiane, où a lieu la neurosécrétion de l’hormone, mais aussi vers d’autres régions du cerveau, notamment l’hippocampe et le cortex cérébral, qui sont impliqués dans les fonctions cognitives [7, 8]. Nous nous sommes donc demandé si les déficits cognitifs observés dans la trisomie 21 étaient corrélés avec la maturation du système neuronal produisant la GnRH, quelles altérations de ce système, le cas échéant, se produisaient dans un modèle animal de cette trisomie, et si ces altérations pouvaient être corrigées par un traitement à l’âge adulte [7].

(→) Voir le Dossier technique de P.P. Girard et C.C. Forget, m/s n° 8-9, août-septembre 2011, page 753

Nous avons d’abord caractérisé le phénotype des souris Ts65Dn, chez lesquelles les régions analogues au chromosome 21 humain, localisées sur le chromosome 16 murin, sont présentes en trois exemplaires. Nous avons constaté que ce modèle murin de la trisomie 21 présentait non seulement une infertilité chez le mâle et une subfertilité chez la femelle, similaires à ce qui est retrouvé chez les hommes et les femmes porteurs d’une trisomie 21, mais aussi des déficiences olfactive et cognitive apparaissant progressivement avec l’âge. Ces symptômes neurologiques non directement liés à la fonction de reproduction étaient en revanche associés à une diminution progressive du marquage immunohistofluorescent de la GnRH dans les corps cellulaires des neurones hypothalamiques qui la synthétisent et dans leurs prolongements neuritiques, particulièrement ceux qui se projettent en dehors de l’hypothalamus. La baisse de production de l’hormone GnRH se traduit par des modifications des taux et du mode de libération de l’hormone lutéinisante (LH)2 dans le sang. Il importe de noter que chez les souris Ts65Dn, la diminution de l’expression de la GnRH à l’âge adulte est accompagnée d’un déséquilibre dans un réseau complexe de microARN (dont plusieurs sont codés dans la région trisomique) et de facteurs de transcription tels que ZEB1 (zinc finger E-box-binding homeobox 1), qui joue le rôle d’« interrupteur » contrôlant l’expression du gène Gnrh1 et la maturation des neurones produisant la GnRH dans l’hypothalamus, à partir de la période infantile ou « minipuberté3 » [9] ().

(→) Voir la Synthèse de A. Messina et al., m/s n° 5, mai 2017, page 506

En effet, nous avons observé que les éléments de ce commutateur étaient déréglés dans l’hypothalamus des souris Ts65Dn dès la période minipubertaire, bien avant l’apparition du déficit cognitif ou olfactif [7]. De plus, cette expression modifiée des microARN, notamment ceux de la famille des miR-200, et des facteurs de transcription contrôlant l’expression de Gnrh1 (augmentation de répresseurs tels que ZEB1, ou diminution d’activateurs tels que OTX2) dans l’hypothalamus semble entraîner une modification de l’expression de plusieurs autres gènes cibles, dont certains sont impliqués dans la myélinisation des axones et la transmission synaptique de l’influx nerveux, non seulement dans l’hypothalamus lui-même, mais aussi et surtout dans l’hippocampe, ainsi qu’une modification de la conduction nerveuse dans l’hippocampe [7] (Figure 1). Une expérience de surexpression ciblée de miR-200b dans l’hypothalamus des souris Ts65Dn a permis de corriger à la fois les modifications de l’expression génique et l’anomalie de la conduction nerveuse dans l’hippocampe, ainsi que le déficit de l’olfaction et de la cognition chez ces souris. Étonnamment, même si cette surexpression expérimentale de miR-200b a été effectuée chez des souris adultes, c’est-à-dire longtemps après la maturation physiologique du promoteur du gène Gnrh1 qui a lieu dans les premières semaines de vie au moment de la minipuberté [9], elle a permis de réactiver la transcription de ce gène à l’âge adulte et d’augmenter ainsi le nombre de neurones qui l’expriment dans l’hypothalamus, mais aussi d’accroître dans l’hypothalamus, notamment dans les neurones synthétisant la GnRH, la proportion des neurones exprimant Otx2, un gène connu par ailleurs pour contrôler l’ouverture et la fermeture d’autres périodes critiques de la maturation du cerveau [10] (Figure 1). Pour vérifier que ces améliorations de l’olfaction, de la cognition, et de l’activité neuronale de l’hippocampe, impliquant toutes des structures cérébrales distantes du site de surexpression de miR-200b, étaient dues à la restauration de l’expression de GnRH1 dans les neurones hypothalamiques, nous les avons confirmées par des transplantations de neurones hypothalamiques de souris de génotype « sauvage » chez les souris Ts65Dn adultes, ainsi que par des interventions chimiogénétiques et pharmacologiques pour faire produire à ces souris la GnRH à un niveau et à un rythme (sécrétion pulsatile de l’hormone) physiologiques [7]. Nous avons également réalisé une étude clinique pilote chez des hommes adultes porteurs d’une trisomie 21, et nous avons constaté qu’un traitement de six mois avec une pompe délivrant la GnRH de façon pulsatile [11] améliorait à la fois les performances intellectuelles, mais aussi la connectivité fonctionnelle, au repos, de certains circuits neuronaux connus pour être altérés par cette trisomie, qui ont été visualisés par IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) [7]. Ce traitement a notamment permis de diminuer la connectivité fonctionnelle au repos du circuit neuronal reliant l’hippocampe et l’amygdale, connue pour être exacerbée chez les personnes porteuses d’une trisomie 21 et pour être impliquée dans les phénomènes d’anxiété [12], alors qu’il a permis d’augmenter la connectivité fonctionnelle au repos dans de vastes régions du cortex cérébral comprenant les circuits reliant les aires visuelles et sensorimotrices, qui sont connus pour être peu actifs chez les personnes trisomiques [13], pour atteindre des niveaux proches de ceux observés dans la population générale [7] (Figure 1).

thumbnail Figure 1.

La supplémentation en GnRH améliore la cognition chez les souris Ts65Dn, modèle de la trisomie 21, et chez des personnes porteuses de cette trisomie. Les personnes porteuses d’une trisomie 21 présentent une déficience olfactive et des troubles cognitifs en plus de la déficience intellectuelle et d’une anomalie de la maturation de la fonction de reproduction. Parmi les neurones hypothalamiques synthétisant la GnRH, l’hormone qui contrôle l’axe endocrinien de la reproduction, certains projettent leurs axones vers des zones du cerveau impliquées dans la cognition, comme l’hippocampe. Chez les souris Ts65Dn, dont le phénotype pathologique est semblable à celui des patients porteurs d’une trisomie 21, l’expression de la GnRH par les neurones hypothalamiques diminue progressivement au cours du développement postnatal. L’implantation sous-cutanée d’une pompe programmable permettant une administration pulsatile de GnRH chez les souris Ts65Dn adultes ou chez des patients porteurs d’une trisomie 21 améliore la connectivité fonctionnelle du cerveau ainsi que la cognition. LH : hormone lutéinisante ; POA : aire préoptique ; OVLT : organe vasculaire de la lame terminale ; IRMf : imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.

En conclusion, le contrôle et le maintien de la production de GnRH par les neurones de l’hypothalamus semblent jouer un rôle critique dans le développement et la maturation du cerveau et dans le développement des fonctions cognitives. Même s’il convient d’attendre les résultats de l’essai clinique multicentrique contrôlé randomisé, contre placebo et en double aveugle, qui concerne 60 hommes et femmes volontaires porteurs d’une trisomie 21 en Suisse en 2023, avant de tirer des conclusions définitives, le traitement des personnes trisomiques par l’administration pulsatile de GnRH semble prometteur pour améliorer les déficits cognitifs associés à cette trisomie. Pourrait-on également envisager d’utiliser ce traitement dans le cadre de certains troubles cognitifs majeurs liés à l’âge, par exemple pour mobiliser la réserve cognitive dans des maladies neurodégénératives telles que les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson ?

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

La GnRH (gonadotrophin-releasing hormone) ou gonadolibérine est la neurohormone hypothalamique à l’origine de l’axe hormonal contrôlant la reproduction : production des hormones sexuelles stéroïdiennes par les gonades et gamétogenèse.

2

La LH (luteinizing hormone), aussi appelée ICSH (interstitial cell-stimulating hormone) chez le mâle, est une hormone produite par les cellules gonadotropes de l’antéhypophyse. C’est l’une des deux gonadotrophines, l’autre étant la FSH (follicle-stimulating hormone). La sécrétion des gonadotrophines hypophysaires est directement contrôlée par la GnRH.

3

La « minipuberté » désigne une période d’activation temporaire de l’axe hormonal gonadotrope qui survient peu de temps après la naissance chez les mammifères.

Références

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

La supplémentation en GnRH améliore la cognition chez les souris Ts65Dn, modèle de la trisomie 21, et chez des personnes porteuses de cette trisomie. Les personnes porteuses d’une trisomie 21 présentent une déficience olfactive et des troubles cognitifs en plus de la déficience intellectuelle et d’une anomalie de la maturation de la fonction de reproduction. Parmi les neurones hypothalamiques synthétisant la GnRH, l’hormone qui contrôle l’axe endocrinien de la reproduction, certains projettent leurs axones vers des zones du cerveau impliquées dans la cognition, comme l’hippocampe. Chez les souris Ts65Dn, dont le phénotype pathologique est semblable à celui des patients porteurs d’une trisomie 21, l’expression de la GnRH par les neurones hypothalamiques diminue progressivement au cours du développement postnatal. L’implantation sous-cutanée d’une pompe programmable permettant une administration pulsatile de GnRH chez les souris Ts65Dn adultes ou chez des patients porteurs d’une trisomie 21 améliore la connectivité fonctionnelle du cerveau ainsi que la cognition. LH : hormone lutéinisante ; POA : aire préoptique ; OVLT : organe vasculaire de la lame terminale ; IRMf : imagerie par résonance magnétique fonctionnelle.

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