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Med Sci (Paris)
Volume 38, Number 1, Janvier 2022
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Page(s) | 38 - 44 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2021243 | |
Published online | 21 January 2022 |
Enrichissement des essais cliniques par simulations numériques
L’exemple des prothèses orthopédiques1
Enriching in vivo clinical trials with in silico models for orthopedic implants
1
Zimmer Biomet, Sulzerallee 8, 8404 Winterthur, Suisse
2
Zimmer Biomet, Zählerweg 4, 6300 Zug, Suisse
*
ghislain.maquer@zimmerbiomet.com
*
philippe.favre@zimmerbiomet.com
Les fabricants de dispositifs médicaux doivent démontrer, bien souvent au moyen d’essais cliniques, la sécurité, la performance et les avantages cliniques de leurs produits. Pour pallier les limitations des essais cliniques traditionnels, tout en satisfaisant des exigences réglementaires devenues plus strictes, des données supplémentaires peuvent être acquises par le biais de simulations informatiques. Dans cette revue, l’utilisation de la simulation sera mise en perspective afin d’expliquer comment, à partir de l’exemple de l’industrie des prothèses orthopédiques, il est désormais techniquement possible de modéliser des populations virtuelles de patients. Nous décrivons ainsi les multiples avantages de cette approche de recherche translationnelle, ainsi que les défis qui restent à relever.
Abstract
Clinical trials are used by the medical device industry to confirm products safety, performance, and clinical benefits. Traditional clinical studies typically follow a limited number of volunteers, which prevents capturing the full breath of patient demographics and implant use. New tools are required to overcome the limitations of traditional trials while fulfilling increasingly demanding regulatory requirements. Computer simulations have the potential to enrich traditional clinical trials with so called in silico clinical trials (ISCT) by providing data on a much broader spectrum of patients, clinical conditions and implant configurations. The historical use of simulation in the orthopedic device industry is described here to explain how it is now technically possible to model virtual populations. We also discuss the multiple benefits of such a translational research approach for the patients, healthcare systems, and manufacturers, but also the challenges to overcome. A more detailed version is available in English [1].
Pour aller plus loin sur le sujet des essais cliniques in silico, le lecteur pourra se référer à la version en anglais de l’article, plus détaillée [1].
© 2022 médecine/sciences – Inserm
Vignette (© Amandine Pitaval).
Les prothèses orthopédiques
Les populations concernées
Les progrès de la médecine permettent désormais aux individus de rester actifs de plus en plus longtemps. La population concernée, vieillissante mais pourtant active, souffre cependant de nombreux troubles musculo-squelettiques : l’ostéoporose (fragilisation des os) qui touche 8 % des hommes et 38 % des femmes [2] ; ou l’arthrose (dégradation chronique du cartilage) qui atteint 9 % des hommes et 11 % des femmes, et est responsable de plus de 90 % des prothèses de hanche [3]. Aux facteurs intrinsèques, tels que l’âge, le sexe, ou la forme des articulations, et des facteurs environnementaux, tels que les habitudes alimentaires, le tabagisme, ou l’alcoolisme, s’ajoutent la perte de l’équilibre ou de la masse musculaire (sarcopénie), qui augmentent le risque de traumatismes mécaniques, comme les fractures du col du fémur à la suite d’une chute.
But thérapeutique
Ces dégradations s’accompagnent ainsi d’une réduction partielle ou totale des activités quotidiennes, à cause, en particulier, de douleurs débilitantes. La multiplicité des indications et de facteurs de risque, ainsi que le caractère global de l’arthrose et de l’ostéoporose, font que tout os ou articulation peut être atteint. Lorsque la douleur est insoutenable et que tous les traitements conservatifs ont échoué, l’articulation peut néanmoins être remplacée par une prothèse, composée de matériaux biocompatibles, résistants à l’usure et aux contraintes mécaniques. Ces prothèses sont généralement constituées de métal, de polyéthylène et/ou de céramique. Des systèmes de plaques, de clous et de vis, aux tailles et formes variées, sont adaptés au traitement des fractures de tout os (Figure 1). Le but de ces solutions orthopédiques est de soulager la douleur et de restaurer l’activité du patient, le plus vite et le plus longtemps possible.
Figure 1. Les prothèses permettent de remplacer les articulations principales pour restaurer une activité normale et soulager la douleur. Plaques, clous et vis permettent de consolider les os fracturés. |
Enjeux sanitaires
Malgré les nombreux tests précliniques réalisés avant la commercialisation des implants orthopédiques, des complications peuvent survenir pendant leur implantation, comme lors de tout acte chirurgical. Le descellement de l’implant, l’usure du polyéthylène, la résorption de l’os autour de l’implant, ou des contacts imprévus entre composants, figurent ainsi parmi les complications possibles de ces prothèses. D’autres complications, telles que des infections ou les maladies thromboemboliques veineuses, peuvent également survenir, dues à la procédure elle-même [4]. Ces complications liées à l’implant ou à l’opération doivent donc être détectées le plus tôt possible.
L’industrie orthopédique est fortement réglementée. Les fabricants doivent en effet démontrer la sécurité, les performances et les bénéfices cliniques de leurs implants au moyen de données cliniques. Ces données, avant tout collectées via des études cliniques, soutiennent alors la certification des nouveaux implants auprès des organismes notifiés. Elles permettent également le maintien sur le marché des produits plus anciens [5].
Les essais cliniques traditionnels sont cependant lourds à mettre en œuvre. Ils imposent en effet aux patients participant à l’essai (sujets) de rencontrer régulièrement leur chirurgien lors de multiples visites de suivi afin de documenter leur état de santé et de déclarer d’éventuelles complications. La durée de ces essais (environ 10 ans pour la prothèse de hanche) implique qu’un nombre non négligeable de sujets sera perdu lors de ce suivi, en raison, par exemple, d’un déménagement, d’un manque d’intérêt ou du décès du sujet. Le nombre de sujets recrutés initialement est donc généralement élevé, pour assurer un nombre suffisant de sujets à la fin de l’étude clinique. Les essais sont de plus en plus longs, coûteux, et difficiles à mettre en œuvre. La règlementation européenne (ou MDR pour Medical Devices Regulation) a également été révisée (MDR 2017/745) pour mieux protéger les patients et offrir plus de transparence [6] : un « tour de vis » légitime [7], mais qui pose de nouveaux défis à l’industrie.
Les conséquences d’un environnement règlementaire plus strict
L’impact sur l’industrie
Les produits déjà sur le marché, et pour lesquels aucune stratégie de collecte de données n’avait été mise en place dans le passé alors que les règlementations étaient moins strictes, doivent désormais être certifiés à nouveau selon les nouvelles normes édictées par la MDR [6]. L’« équivalence » à un dispositif prédicat n’est ainsi plus recevable, ce qui impose l’obtention de nouvelles données cliniques. Les organismes notifiés – qui traditionnellement vérifient qu’un produit réponde aux critères de certification européens (marquage CE : certificat de conformité européenne) – doivent désormais répondre à un rôle de contrôleurs, ce qui ralentit la certification des nouveaux dispositifs. Les prothèses actuelles sont souvent disponibles en plusieurs variantes, pour permettre au chirurgien de reconstruire l’anatomie de chaque patient. Des données cliniques sont ainsi susceptibles d’être exigées pour démontrer l’intérêt de chacune des variantes d’un dispositif, même pour celles qui ne sont utilisées que rarement pour des patients particuliers (de petite taille, par exemple).
L’impact sociétal
Si un fabricant ne parvient pas à acquérir les données cliniques nécessaires à partir de sources traditionnelles (études cliniques, littérature, registres) [5], il peut être contraint de retirer du marché un type de prothèses ou une de ses variantes. Ainsi, des implants ayant pourtant fait leurs preuves, mais dont la marge bénéficiaire pour l’industriel est faible, ne produisent pas suffisamment de revenus pour justifier les dépenses liées à la transition vers la certification MDR. Ces implants risquent alors d’être remplacés par d’autres plus chers qui devront être pris en charge par le système de santé du pays concerné.
Par ailleurs, des pans entiers de la population risquent de ne plus se voir offrir de traitement adéquat ; il est en effet difficile de produire des données cliniques pour des groupes démographiques réduits (des patients très grands, par exemple), des indications rares (telle que la hanche coxa vara1), ou des procédures inhabituelles (telle que l’hémiarthroplastie2).
Il existe un risque que l’innovation devienne de plus en plus coûteuse. Elle se limitera alors aux parts de marché les plus lucratives pour le fabricant. Les fabricants se doivent donc d’envisager de nouvelles approches afin de continuer à offrir des solutions orthopédiques innovantes et adaptées à tous les patients, malgré ces régulations de plus en plus strictes.
Les simulations mécaniques dans l’industrie orthopédique
Les simulations par éléments finis
Les contraintes mécaniques au sein de structures soumises à une charge donnée peuvent être décrites par des équations mathématiques. Pour une structure simple, comme une poutre, ces contraintes peuvent être calculées « à la main », une technique qui a permis la construction de la tour Eiffel, par exemple. Pour des structures plus complexes, une méthode consiste à discrétiser la structure en petits éléments simples, appelés éléments finis (EF), tels que des tétraèdres ou des hexaèdres (on parle alors de maillage), pour lesquels il est possible de résoudre ces équations localement [8]. De nos jours, ces modèles numériques sont utilisés par des industries hautement régulées, telles que l’aéronautique [9] ou l’automobile [10], afin de réduire le nombre d’essais physiques nécessaires. Les tests in silico (par ordinateur) sont moins coûteux, plus rapides à mettre en œuvre, et permettent de tester une infinité de scénarios. En orthopédie, l’amélioration des techniques de modélisation, ainsi que les gains en puissance de calcul des systèmes informatiques ont permis des avancées saisissantes depuis l’introduction de la simulation numérique, en 1972 [11].
Accélérer les tests standardisés d’implants par les simulations
Les modèles numériques les plus simples considèrent l’implant testé isolément (Figure 2A). Par ailleurs, là où une évaluation in vitro sur échantillon réel peut prendre des mois, selon le nombre d’échantillons et de cycles à tester, un test in silico peut être réalisé en quelques jours ou heures. Actuellement, l’utilisation la plus acceptée de ces modèles est la simulation d’essais standard [12, 13] pour identifier la combinaison de tailles et de variantes la plus susceptible d’être à risque (ou en anglais, worst-case). Cette combinaison sera ainsi la seule à être finalement testée physiquement pour confirmer ou non le risque, ce qui permet une réduction considérable du nombre de tests physiques, et une optimisation du projet. Les limites de cette approche sont que les conditions standardisées qui sont appliquées négligent la variabilité due au patient et à l’acte chirurgical. La validité clinique de ces tests standard n’est également pas systématiquement démontrée.
Figure 2. Évolution des modèles numériques en orthopédie et équivalent physique incluant des niveaux croissants de la variabilité existante in vivo. A. Les modèles représentant les tests physiques sur l’implant isolé permettent de contrôler les conditions de test très précisément pour en assurer la reproductibilité. B. Les tests cadavériques permettent de mesurer l’influence de facteurs liés à la chirurgie, à la morphologie ou à la densité osseuse. C. Les essais cliniques in silico permettent de simuler les essais cliniques in vivo traditionnels et d’inclure la variabilité démographique (sexe, aâge, morphologie, niveau d’activité) et chirurgicale (type et taille de l’implant, technique opératoire). |
Prise en compte de la variabilité inhérente au patient et à l’acte chirurgical
Des études réalisées sur des cadavres peuvent être effectuées lorsque l’influence du geste chirurgical et de la densité ou de la morphologie osseuse doivent être pris en compte (Figure 2B), mais ces études sont plus coûteuses et plus fastidieuses que les tests standardisés, en raison de la préparation d’échantillons humains [14]. Les modèles numériques reproduisant ces tests sont complexes. Ils doivent en effet inclure les caractéristiques géométriques et mécaniques de l’individu. Ces modèles peuvent être créés à partir d’images médicales (les différentes étapes de la création sont présentées dans la Figure 3 ). Des mesures pouvant être influencées par l’implant, mais difficiles, voire impossibles, à obtenir avec un test réel, peuvent alors être réalisées [15]. Rappelons néanmoins que, quel que soit son degré de complexité, le modèle ne fera que simuler un test réalisé physiquement au laboratoire. Pour plus de réalisme, il sera en effet nécessaire d’intégrer au modèle des forces reflétant les activités quotidiennes du patient, estimées grâce à des modèles musculo-squelettiques [16] ou à des prothèses munies de capteurs [17].
Figure 3. Étapes de la création d’un modèle par éléments finis fondé sur une image médicale (d’après [18]). Une séquence d’images de tomographie par ordinateur avec rayons X (CT) (A) est utilisée pour générer un modèle numérique de l’os en trois dimensions (B). En plus de la géométrie, la qualité osseuse peut être également extraite de l’image médicale par la conversion des niveaux de gris de chaque pixel (mapping). L’os est coupé (C) et la prothèse est placée lors de la chirurgie virtuelle (D). Le modèle est ensuite discrétisé en éléments finis permettant de simuler l’inhomogénéité des propriétés mécaniques de l’os et de discrétiser les géométries complexes (E), puis des forces sont appliquées sur l’implant pour simuler une activité physique (F). Une telle simulation permet, par exemple, d’évaluer les mouvements de l’implant par rapport à l’os sur toute la surface de contact pour l’activité choisie, ce qui est techniquement impossible avec des tests physiques (G). |
Prise en compte de la variabilité clinique
En automatisant les différentes étapes de conception du modèle ( Figure 3 ), un très grand nombre de cas peuvent être simulés à partir d’une base de données d’images médicales réelles, ou d’anatomies simulées par des méthodes statistiques [19]. Plus la base de données utilisée sera conséquente, plus elle aura de chances de correspondre à la variabilité démographique à laquelle le concepteur sera confronté ( Figure 2C ). Le nombre de cas possibles peut cependant être augmenté artificiellement, en altérant le placement ou le dimensionnement de l’implant (simulant ainsi la variabilité chirurgicale), ou en faisant varier la qualité de l’os. Dans une étude réalisée à partir d’un échantillon initial de 16 anatomies différentes [20], 2 000 cas plausibles ont ainsi pu être simulés, ce qui est très supérieur (de plus d’un ordre de grandeur) au nombre de patients généralement inclus dans une étude clinique traditionnelle. Ces modèles de population permettent en fait d’éviter les généralisations abusives à partir d’une population réelle mais restreinte [21]. Ils ouvrent ainsi la voie à des essais cliniques qui seront réalisés in silico. Mais encore faut-il clairement identifier les défaillances qui seront à l’origine de complications cliniques, puis déterminer des mesures quantifiables associées à chaque mode de défaillance [22].
Les essais cliniques in silico
Une nouvelle source de données
Le spectre des complications possibles dépend de la prothèse qui sera implantée. Tout acte chirurgical comporte un risque d’infections ou de douleurs, mais certaines défaillances sont spécifiques à certains actes. L’encoche scapulaire (scapular notching), par exemple, est un mode de défaillance qui est spécifique à un type de prothèse particulière, la prothèse d’épaule inverse3. De même, certains implants utilisés en traumatologie sont conçus pour ne persister que jusqu’à la guérison de l’os qu’ils renforcent. Ce type d’implant temporaire ne sera donc pas sujet aux complications qui se révèlent parfois sur le long-terme avec d’autres types d’implant.
Pour un dispositif donné, il est donc nécessaire d’identifier les complications pour évaluer ses performances cliniques. Notre approche s’axe autour de trois questions :
1) La complication est-elle pertinente pour le patient ? Le risque se détermine en fonction de la probabilité d’apparition et de la gravité du préjudice pour le patient. Par exemple, la fracture de la tige humérale d’un implant d’épaule présente une faible probabilité d’occurrence [23], donc un risque faible pour le patient. Cette complication ne devrait donc pas être une priorité pour un essai clinique in silico.
2) L’implant a-t-il un impact sur la complication ? Le design et les matériaux utilisés pour la réalisation de l’implant ont une influence sur, par exemple, la déviation des contraintes (stress shielding) [24], ou sur l’amplitude de mouvement (range of motion) [25]. De tels risques peuvent être inclus dans un essai in silico. En revanche, l’apparition d’hématome ou un retard de cicatrisation dépendent avant tout d’autres facteurs. De telles complications ne devraient donc pas être une priorité pour un essai clinique in silico.
3) Existe-t-il une mesure virtuelle correspondant à la complication ? Contrairement à la douleur ou la métallose4, des risques tels que le descellement de l’implant, sa fracture ou la fracture péri-prosthétique, peuvent être évalués par des mesures virtuelles ( Tableau I). Ces complications peuvent donc être incluses dans un essai clinique in silico.
Un désavantage de cette approche est qu’elle se limite aux risques qui ont été préalablement identifiés, lors d’une analyse de risque ou lors d’un suivi réalisé sur des dispositifs équivalents. Le but des essais cliniques in silico n’est donc pas de remplacer les sources de données cliniques accessibles (études, littérature, registres), mais bien de les compléter.
La crédibilité des modèles numériques
Établir la crédibilité d’un modèle utilisé pour un essai clinique in silico est essentiel. Une erreur de modélisation peut en effet avoir, indirectement, un impact sur la santé des patients [26]. L’ASME (American Society of Mechanical Engineers) propose de démontrer la crédibilité des modèles numériques standard en suivant une approche de vérification et de validation (V&V40) [27]. Dans l’industrie orthopédique, le contexte d’utilisation des modèles numériques consiste traditionnellement à simuler un essai sur banc (par exemple, le test de résistance d’une tige humérale d’un implant d’épaule inversée) ( Figure 2A,B ). Dans le cadre de la V&V40, la quantité d’intérêt est une mesure pertinente qui permet de comparer objectivement les configurations réelles et numériques (dans notre exemple : la localisation et l’ampleur des contraintes maximales).
La composante vérification de la V&V40 [27] a pour but de s’assurer que le modèle numérique est implémenté correctement. Elle peut être abordée de différentes manières : la vérification par des pairs du code informatique utilisé pour la modélisation ; ou l’étude de l’influence du maillage et des paramètres du logiciel de calcul sur les quantités d’intérêt in silico.
La composante validation [27] a, quant à elle, pour but de s’assurer que le modèle numérique simule correctement la physique du test, en comparant les quantités d’intérêt mesurées en situation réelle à celles obtenues in silico ( Figure 2A et 2B ) dans un contexte d’utilisation. La validation doit par ailleurs évaluer l’impact des hypothèses de modélisation sur les prédictions du modèle (dans notre exemple : la position de la tige humérale ou l’application de la charge).
Dans le cadre d’un essai in silico, le contexte d’utilisation est plus complexe. Il comprend une variabilité importante, due au patient, au chirurgien, et à d’autres variables cliniques. Alors que des modèles numériques traditionnels peuvent être validés par des essais sur banc, la validation d’essai in silico s’effectuera selon des données cliniques internes, des registres internationaux, et/ou selon la littérature, des sources qui sont beaucoup moins contrôlées et souvent limitées pour les nouveaux produits. Les quantités d’intérêt in silico (Tableau I) doivent donc pouvoir être reliées à des évènements précis et documentés, car à risque pour le patient, dans un contexte d’utilisation (en extrapolant notre exemple, les reprises d’implants similaires dues à une fracture de la tige humérale).
Les directives actuelles de l’ASME ne fournissent aucun conseil pratique relatif aux essais cliniques in silico. Néanmoins, un groupe de travail développe une version de la stratégie V&V40 appliquée aux comparateurs cliniques. L’association Avicenna5 tente d’établir les bonnes pratiques de simulation, l’équivalent des bonnes pratiques cliniques (good clinical practice) pour les essais cliniques in silico [28]. Notons que l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (Food and Drug Administration, FDA) promeut l’utilisation de la simulation numérique pour accélérer l’innovation [29, 30]. On peut donc raisonnablement espérer un effet boule de neige et une acceptation croissante par les organismes réglementaires des données provenant de simulations numériques.
Les essais cliniques in silico permettent d’anticiper les éventuelles complications cliniques liées à la prothèse grâce à des mesures mécaniques virtuelles correspondantes.
Les avantages des essais cliniques réalisés in silico
La variabilité clinique est un facteur difficile à capturer in vivo, y compris dans les registres incluant un grand échantillon de participants [31]. Chaque patient a en effet une anatomie qui lui est propre, un os de qualité variable et des niveaux particuliers d’activité. De même, chaque chirurgien opère et choisit la taille de l’implant, sa variante, et son positionnement, ce qui a un impact sur la distribution de charge perçue par la prothèse et l’os environnant. Ces aspects peuvent être évalués indépendamment grâce à une modélisation numérique, ce qui est impossible avec des patients « réels ». Les essais cliniques in silico peuvent donc permettre de révéler l’influence de ces sources de variabilité sur les résultats cliniques, même pour des individus atypiques.
L’idée est donc d’obtenir un maximum d’informations afin d’améliorer la conception de l’implant (son design et les matériaux qui le constituent), ses indications et contre-indications, ou même la technique opératoire, et ainsi prévenir un maximum de complications tout en assurant les meilleurs bénéfices cliniques pour les patients [32].
Les principaux bénéficiaires des essais in silico sont bien sûr les patients eux-mêmes, mais pas exclusivement. Ce type d’essais peut en effet combler certaines lacunes des données cliniques, minimisant ainsi l’escalade des coûts supportés par les fabricants d’implants. En détectant les incidents potentiels avant la commercialisation et l’utilisation clinique de ces implants, les essais cliniques in silico peuvent, par exemple, aider à prévenir le rappel de produits défectueux. Les données obtenues sur un dispositif par les essais in silico peuvent également être publiées dans des revues scientifiques, ce qui est souvent un argument de vente supplémentaire lors des appels d’offre. Finalement, ce type d’essai, moins coûteux, peut soulager les systèmes de santé, en permettant de garder des implants à faible marge, mais toujours pertinents sur le marché d’un point de vue clinique. L’analyse de la migration précoce d’un implant (en général, survenant dans les deux ans après sa pose) est considérée par certains pays (la Suède, par exemple) comme un substitut à une étude de descellement à long terme (qui nécessite dix années de suivi), ce qui réduit considérablement le temps nécessaire pour la mise sur le marché des nouveaux produits [33]. Les essais cliniques in silico pourraient ainsi faire l’objet d’une utilisation similaire, après validation avec des données à long terme, ce qui faciliterait le déploiement de solutions innovantes sur le marché.
Conclusion
L’industrie orthopédique utilise traditionnellement des méthodes numériques pour simuler des tests sur banc réalisés de manière contrôlée. Les techniques récentes permettent désormais de simuler la façon dont la prothèse interagit avec un patient, ou dans la population, en englobant la variabilité représentative d’une utilisation in vivo. D’une certaine façon, la simulation comble désormais le fossé entre les essais précliniques (recherche fondamentale) et cliniques (recherche clinique) : les essais in silico constituent un exemple concret de recherche translationnelle. En complétant – et non en remplaçant – les essais cliniques traditionnels par des données simulées, l’essai clinique in silico est une stratégie novatrice pour couvrir l’ensemble des patients, indications, procédures chirurgicales et variantes qui caractérisent les dispositifs médicaux contemporains. Des évaluations de la sécurité et des performances potentiellement moins risquées, moins coûteuses, plus rapides et plus efficaces pourraient profiter aux patients, aux systèmes de santé, et aux fabricants.
Les essais cliniques in silico sont une nouvelle étape dans l’utilisation des méthodes numériques en orthopédie, qui n’en est finalement qu’à ses balbutiements. S’appuyant notamment sur le Big Data et l’intelligence artificielle, les traitements pourraient en effet devenir totalement personnalisés grâce au « jumeau numérique » : un modèle virtuel du patient « X » à l’instant t sur lequel différentes interventions sont testées préalablement. Il reste cependant de nombreux défis à relever en termes de formalisation, vérification, validation, et interprétation pour un concept qui n’est pas encore clairement défini [34].
Liens d’intérêt
Les auteurs sont employés de Zimmer Biomet.
Le col fémoral fait un angle avec la diaphyse fémorale de 135° en moyenne (angle cervico-diaphysaire). Les variations individuelles sont fréquentes, mais une malformation importante entraîne un excès de pression articulaire. En cas de col trop vertical ou trop horizontal, on parle respectivement de coxa valga et de coxa vara. La malformation peut être associée î une ovalisation de la tête fémorale ou î une malformation du cotyle.
L’intervention consiste î éliminer les zones d’os et de cartilage qui sont usées, et î les remplacer par des pièces artificielles. Pour une prothèse d’épaule inverse, la partie sphéricale est implantée au niveau de l’omoplate et la partie creuse est implantée au niveau de l’humérus, ce qui est l’inverse de l’anatomie du patient. Le centre de rotation de l’articulation est alors déplacé vers l’omoplate ce qui permet au muscle deltoïde de compenser la rupture des tendons de la coiffe lors des mouvements du bras.
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Liste des tableaux
Les essais cliniques in silico permettent d’anticiper les éventuelles complications cliniques liées à la prothèse grâce à des mesures mécaniques virtuelles correspondantes.
Liste des figures
Figure 1. Les prothèses permettent de remplacer les articulations principales pour restaurer une activité normale et soulager la douleur. Plaques, clous et vis permettent de consolider les os fracturés. |
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Figure 2. Évolution des modèles numériques en orthopédie et équivalent physique incluant des niveaux croissants de la variabilité existante in vivo. A. Les modèles représentant les tests physiques sur l’implant isolé permettent de contrôler les conditions de test très précisément pour en assurer la reproductibilité. B. Les tests cadavériques permettent de mesurer l’influence de facteurs liés à la chirurgie, à la morphologie ou à la densité osseuse. C. Les essais cliniques in silico permettent de simuler les essais cliniques in vivo traditionnels et d’inclure la variabilité démographique (sexe, aâge, morphologie, niveau d’activité) et chirurgicale (type et taille de l’implant, technique opératoire). |
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Figure 3. Étapes de la création d’un modèle par éléments finis fondé sur une image médicale (d’après [18]). Une séquence d’images de tomographie par ordinateur avec rayons X (CT) (A) est utilisée pour générer un modèle numérique de l’os en trois dimensions (B). En plus de la géométrie, la qualité osseuse peut être également extraite de l’image médicale par la conversion des niveaux de gris de chaque pixel (mapping). L’os est coupé (C) et la prothèse est placée lors de la chirurgie virtuelle (D). Le modèle est ensuite discrétisé en éléments finis permettant de simuler l’inhomogénéité des propriétés mécaniques de l’os et de discrétiser les géométries complexes (E), puis des forces sont appliquées sur l’implant pour simuler une activité physique (F). Une telle simulation permet, par exemple, d’évaluer les mouvements de l’implant par rapport à l’os sur toute la surface de contact pour l’activité choisie, ce qui est techniquement impossible avec des tests physiques (G). |
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