Numéro |
Med Sci (Paris)
Volume 40, Numéro 10, Octobre 2024
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Page(s) | 711 - 713 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024113 | |
Publié en ligne | 25 octobre 2024 |
Le virus Zika détourne le complexe ribonucléoprotéique cellulaire contenant IGF2BP2 pour la biogenèse des organites de réplication virale
The IGF2BP2 ribonucleoprotein complex is co-opted by Zika virus to control the biogenesis of viral replication organelles
1
Centre Armand-Frappier santé biotechnologie, Institut national de la recherche scientifique, Laval Québec Canada
2
Centre d’excellence en recherche sur les maladies orphelines-Fondation Courtois Québec Canada
3
egroupement intersectoriel de recherche en santé de l’université du Québec Québec Canada
4
Centre de recherche en infectiologie porcine et avicole Québec Canada
Le virus Zika appartient au genre Orthoflavivirus et est transmis à l’homme par les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus. Chez les personnes adultes, les conséquences de l’infection par ce virus incluent, entre autres, des encéphalites ainsi que des paralysies temporaires. Chez les femmes enceintes infectées, le virus peut traverser la barrière placentaire et infecter le fœtus, chez lequel il se dissémine dans le cerveau. Un tel neurotropisme cause des anomalies majeures de la division et de la différenciation des cellules souches neuroprogénitrices, qui peuvent être responsables de retards neurocognitifs et de microcéphalies sévères. Aucun vaccin ni aucune thérapie antivirale ne sont disponibles à ce jour, et l’infection par cet arbovirus constitue donc un problème de santé publique important [1]. Le virus Zika est un virus enveloppé à ARN simple brin de polarité positive. À la suite de l’entrée du virus dans la cellule, son ARN génomique est relâché dans le cytosol, puis traduit en une polyprotéine virale par les ribosomes. Cet ARN ne contient en effet qu’un seul cadre ouvert de lecture flanqué de régions non traduites 5’ et 3’. La polyprotéine virale, qui est associée à la membrane du réticulum endoplasmique, est ensuite clivée par des protéases virale et cellulaires, ce qui produit dix protéines matures, dont l’ARN polymérase virale ARN-dépendante NS5 (nonstructural protein 5). De concert avec les autres protéines non structurales, NS5 réplique et amplifie l’ARN viral au sein de structures membranaires induites par l’infection, que l’on appelle organites de réplication virale. En effet, l’accumulation de protéines non structurales et d’ARN viral induit des invaginations de la membrane du réticulum endoplasmique pour former des paquets de vésicules. On pense que leur biogenèse permet de créer un microenvironnement idéal pour la réplication, en concentrant tous les élément requis pour la synthèse d’ARN viral (nucléotides, métabolites, et protéines cellulaires et virales) tout en le protégeant de la dégradation par des nucléases et de la reconnaissance par des senseurs d’acides nucléiques étrangers pouvant induire une réponse antivirale. Ainsi, les organites de réplication virale pourraient constituer une cible de choix pour le développement de molécules antivirales. Cependant, on connaît mal les déterminants cellulaires et viraux, et les mécanismes moléculaires de leur biogenèse. Par ailleurs, à partir d’observations par microscopie électronique, on a émis l’hypothèse que cette séquestration de l’ARN viral dans les organites de réplication virale permet la coordination spatio-temporelle des différentes étapes du cycle de réplication virale. En effet, l’ARN viral peut être soit traduit en protéine par les ribosomes, soit répliqué par NS5, soit encapsidé dans des particules virales en cours d’assemblage, trois destins qui ne peuvent pas être simultanés. Il est donc vraisemblable que certaines protéines cellulaires qui s’associent à l’ARN (ou RBP pour RNA-binding proteins) coordonnent ces processus viraux. Le cas échéant, elles pourraient constituer des cibles prometteuses pour le développement de nouvelles approches thérapeutiques [2].
Afin d’identifier de tels facteurs de l’hôte, nous avons testé l’effet de la déplétion (par ARN interférent, ARNi) de certaines protéines se liant à l’ARN sur la réplication du virus Zika [3]. Les dix protéines ciblées étaient connues pour contrôler l’équilibre entre la réplication de l’ARN viral et l’assemblage du virus de l’hépatite C, un autre virus de la famille Flaviviridae appartenant, quant à lui, au genre Hepacivirus [4]. Nous avons ainsi identifié IGF2BP2 (insulin growth factor 2 mRNA-binding protein 2) en tant que facteur de l’hôte régulant positivement la réplication de trois souches du virus Zika, et ce dans trois lignées cellulaires différentes pertinentes pour la pathogenèse virale : hépatocytes, trophoblastes, et astrocytes. Cet effet semble spécifique au virus Zika puisque nous ne l’avons pas observé avec le virus de la dengue et le virus du Nil occidental, deux autres orthoflavivirus, ni avec le coronavirus responsable du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SARS-CoV-2), un autre virus à ARN de la famille Coronaviridae.
L’analyse de cellules infectées par le virus Zika par microscopie confocale a révélé que la protéine IGF2BP2 est relocalisée dans le compartiment de réplication virale, généralement situé dans la région périnucléaire où s’accumulent les organites de réplication virale. Des expériences de co-immunoprécipitation ont par ailleurs montré que IGF2BP2 s’associe avec la polymérase virale NS5 et avec l’ARN viral. Cette dernière interaction a d’ailleurs été validée par la colocalisation de IGF2BP2 avec l’ARN viral à la suite d’hybridation in situ en fluorescence, ainsi que par des tests de liaison in vitro qui ont montré l’existence d’une interaction directe. Grâce à l’utilisation d’un réplicon1 sous-génomique rapporteur et d’une forme non réplicative du génome viral, nous avons montré que IGF2BP2 régule positivement la synthèse de l’ARN viral, mais pas sa traduction, ce qui est cohérent avec le fait que ce facteur de l’hôte interagit avec la polymérase et le génome viraux [3].
Ces processus viraux de détournement s’accompagnent d’un remodelage majeur de la composition du complexe ribonucléoprotéique (ribonucleoprotein, RNP) contenant IGF2BP2. Tout d’abord, des expériences de co-immunoprécipitation combinées à la technique de RT-qPCR (quantitative reverse transcription - polymerase chain reaction) ont révélé que l’infection par le virus Zika induit une diminution de l’interaction de IGF2BP2 avec les ARN messagers (ARNm) cellulaires PUM2 et TNRC6A, qui sont des ligands connus de cette protéine [3]. Cela suggère que l’infection par le virus induit une reprogrammation des fonctions d’IGF2BP2 dans le métabolisme de l’ARN. D’ailleurs, cette observation est à mettre en lien avec le fait que l’infection par le virus Zika change le profil de méthylation sur la position N6 des adénosines dans des ARNm cellulaires, une modification de l’ARN spécifiquement reconnue par IGF2BP2 [5, 6]. De plus, une analyse protéomique, par spectrométrie de masse, du complexe RNP contenant IGF2BP2, après immunopurification, a révélé que l’infection par le virus Zika change spécifiquement la stœchiométrie de 62 des composantes protéiques de cette RNP (soit 14 % de son interactome total), pour la plupart impliqués dans le métabolisme de l’ARN cellulaire. Notamment, l’abondance relative de plusieurs protéines impliquées dans l’épissage de l’ARN avait considérablement diminué dans ce complexe macromoléculaire, ce qui est en accord avec le fait que les infections par le virus Zika et par le virus de la dengue induisent des changements post-transcriptionnels [7–9]. Dans l’ensemble, le remodelage de ce complexe RNP pourrait constituer une stratégie virale par laquelle le virus Zika contrôlerait les fonctions de IGF2BP2 dans l’expression génique au niveau post-transcriptionnel (incluant l’épissage et la traduction), afin d’établir un environnement cytoplasmique propice à une réplication virale optimale. Le mécanisme moléculaire pourrait impliquer l’interaction de IGF2BP2 avec NS5 puisqu’il a été déjà rapporté que dans le cas du virus de la dengue, cette polymérase virale peut moduler l’épissage des ARN cellulaires [9].
Selon cette analyse interactomique et une validation subséquente, l’un des partenaires protéiques du complexe IGF2BP2 les plus enrichis lors de l’infection par le virus Zika était l’atlastine 2, une protéine du réticulum endoplasmique qui contrôle la forme de cet organite endomembranaire. Or, l’atlastine 2 est un cofacteur important de la biogenèse des organites de réplication orthoflaviviraux, et donc de la réplication virale [10, 11]. Nous avons donc émis l’hypothèse que cette interaction induite par l’infection par le virus Zika impliquerait un rôle de IGF2BP2 dans la biogenèse de novo des paquets de vésicules de réplication. Grâce à un système génétique d’induction de ces structures dans un contexte indépendant de la réplication virale (appelé pIRO-Z) [12] et leur analyse par microscopie électronique à transmission, nous avons pu valider cette hypothèse, puisque la diminution de l’expression de IGF2BP2 s’accompagnait d’une réduction de la proportion de cellules contenant des paquets de vésicules. Cela permet d’expliquer comment IGF2BP2 contrôle la réplication de l’ARN viral [3]. L’ensemble de ces résultats nous a amenés à élaborer un modèle de l’implication provirale de IGF2BP2 dans le cycle de réplication du virus Zika (Figure 1). La première étape est l’association de IGF2BP2 avec les régions non codantes de l’ARN viral rapidement après l’entrée du virus dans la cellule hôte. Nous pensons que ce complexe se forme avant l’interaction IGF2BP2/NS5 car nous avons montré que celle-ci requiert la présence d’ARN. Cela s’accompagne d’un remodelage majeur du complexe ribonucléoprotéique, incluant l’exclusion de certains ARNm cellulaires tels que PUM2 et TNRC6A ainsi que le recrutement de l’atlastine 2, ciblant ce complexe au réticulum endoplasmique. Cette interaction induite par l’infection stimulerait l’invagination du réticulum endoplasmique (étape 2) et ainsi induirait la formation des organites de réplication virale, un processus qui requiert, entre autres, les régions non codantes de l’ARN viral, vraisemblablement pour maintenir ce génome viral sous forme circulaire (étapes 3 et 4) [12]. Plus généralement, le détournement du complexe RNP contenant IGF2BP2 par le virus Zika permettrait d’obtenir une réplication optimale de l’ARN viral. Ce processus pourrait donc constituer une cible prometteuse pour inhiber la réplication du virus.
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Figure 1. Un modèle du rôle de la protéine IGF2BP2 dans le cycle réplicatif du virus Zika. La protéine cellulaire IGF2BP2 (insulin growth factor 2 mRNA-binding protein 2) s’associe avec l’ARN viral après l’entrée du virus et la traduction de son ARN permettant la production des protéines virales. Par la suite, ce génome va former un complexe ribonucléoprotéique (RNP) qui promeut la réplication de cet ARN viral. Étape 1 : la formation de ce complexe pourrait commencer par l’interaction entre IGF2BP2 et l’ARN viral, ce qui permettrait l’association subséquente de ce complexe avec l’ARN polymérase virale NS5, puis avec l’atlastine 2 (ATL2). Étape 2 : l’interaction du complexe IGF2BP2/ARN viral/NS5 avec ATL2 conduirait à la biogenèse des organites de réplication virale. Étape 3 : une fois les organites de réplication virale formés, l’ARN viral, toujours associé à ce complexe RNP, changerait de conformation pour se circulariser et permettre l’Étape 4, qui consiste en une néosynthèse et une amplification de l’ARN viral génomique. Une fois synthétisés, ces ARN viraux sortent par les pores des vésicules pour être encapsidés dans les virions en train de s’assembler et de bourgeonner dans le réticulum endoplasmique (Figure créée avec la ressource BioRender.com). |
Il conviendra de définir, dans le cadre d’une campagne de criblage de type au moyen d’ARNi, le rôle proviral ou antiviral des protéines dont l’interaction avec IGF2BP2 change pendant l’infection. Par ailleurs, il serait pertinent d’évaluer l’impact de l’infection sur les différentes fonctions cellulaires de IGF2BP2, telles que l’épissage, la stabilité, le transport et la traduction des ligands ARN messagers. Il faudra également déterminer si ce contrôle par le virus est lié aux changements épitranscriptomiques des ARNm cibles d’IGF2BP2 (tels que la méthylation en position N6 des adénosines), ainsi qu’à ses modifications post-traductionnelles, comme les phosphorylations sur les résidus sérine situés en positions 162 et 164 de la protéine, qui sont connues pour contrôler ses activités.
Remerciements
Cette étude a été soutenue par une subvention à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, par un soutien salarial du Fonds de recherche du Québec-Santé, et par des bourses d’études de la Fondation Armand-Frappier, du Centre d’excellence en recherche sur les maladies orphelines-Fondation Courtois et du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des figures
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Figure 1. Un modèle du rôle de la protéine IGF2BP2 dans le cycle réplicatif du virus Zika. La protéine cellulaire IGF2BP2 (insulin growth factor 2 mRNA-binding protein 2) s’associe avec l’ARN viral après l’entrée du virus et la traduction de son ARN permettant la production des protéines virales. Par la suite, ce génome va former un complexe ribonucléoprotéique (RNP) qui promeut la réplication de cet ARN viral. Étape 1 : la formation de ce complexe pourrait commencer par l’interaction entre IGF2BP2 et l’ARN viral, ce qui permettrait l’association subséquente de ce complexe avec l’ARN polymérase virale NS5, puis avec l’atlastine 2 (ATL2). Étape 2 : l’interaction du complexe IGF2BP2/ARN viral/NS5 avec ATL2 conduirait à la biogenèse des organites de réplication virale. Étape 3 : une fois les organites de réplication virale formés, l’ARN viral, toujours associé à ce complexe RNP, changerait de conformation pour se circulariser et permettre l’Étape 4, qui consiste en une néosynthèse et une amplification de l’ARN viral génomique. Une fois synthétisés, ces ARN viraux sortent par les pores des vésicules pour être encapsidés dans les virions en train de s’assembler et de bourgeonner dans le réticulum endoplasmique (Figure créée avec la ressource BioRender.com). |
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