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Med Sci (Paris)
Volume 41, Octobre 2025
40 ans de médecine/sciences
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| Page(s) | 16 - 17 | |
| Section | Histoire de médecine/sciences | |
| DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025131 | |
| Published online | 10 October 2025 | |
médecine/sciences, être ou ne pas être, ou le pari gagnant d’une revue médicale et scientifique écrite dans la langue de Molière
Le regard de l’un de ses anciens rédacteurs en chef
médecine/sciences, to be or not to be, or the winning bet of a medical and scientific journal written in the language of Molière: A view from a former editor-in-chief of médecine/sciences
Inserm U1135, Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (CIMI) Paris France
Écrire en français sur la biologie et la médecine au début des années 1980, à l’heure d’un hégémonisme toujours plus puissant de l’écriture anglophone, et d’une marginalisation croissante des revues scientifiques et médicales en langue française, tel fut le rêve d’une poignée de médecins qui se lancèrent alors dans l’élaboration d’un projet fou : il ne visait pas à s’inscrire dans une course aux indicateurs bibliométriques devenus aujourd’hui le graal de la réussite scientifique et médicale - même si l’une des réussites de la revue fût son indexation dans PubMed au second semestre 2003 - mais à « créer en langue française, une revue biologique et médicale qui pourrait rivaliser avec les meilleures revues anglosaxonnes » [1]. Car il s’agissait bien de médecins, jeunes et moins jeunes, certains sur la route de brillantes carrières scientifiques et médicales, d’autres étant déjà de grands professionnels du soin et de la recherche dans leurs disciplines respectives : ils prirent leurs désirs de communication et d’échange scientifiques et médicaux en langue française pour la réalité de leurs désirs ! Car au début des années 1980, de remarquables revues francophones – telles les Annales de l’Institut Pasteur, les Comptes rendus hebdomadaires de l’Académie des Sciences et quelques autres, où se publiaient de non moins remarquables travaux de recherche comme ceux de Georges Barski [2], de Jacques Oudin [3-5], ou de Pierre Grabar [6], tentaient de résister au rouleau compresseur anglo-saxon ; et ce, grâce aux efforts des uns et des autres pour faire vivre ces revues, dont certaines existent encore de nos jours, mais parfois au prix du renoncement à l’usage de la langue française, voire à leur titre initial. Mais quelle recette – ou quelle potion magique d’irréductibles gaulois – permit donc la naissance de médecine/ sciences ? Un contexte politique favorable où science et culture reçurent un souffle nouveau puissant en mai 1981, la rencontre préalable de Jean Hamburger, néphrologue de renommée mondiale, avec l’éditeur Henri Flammarion, suivie d’une réflexion approfondie portée et précisée par le gastro-entérologue Claude Matuchansky, alors conseiller de Philippe Lazar, le directeur général de l’Inserm ; une réflexion complexe et profonde, se voulant porteuse d’un projet pionnier inédit, devant s’inscrire dans la coopération franco-québécoise suite au colloque tenu à Montréal en novembre 1981 sur l’avenir du français dans les publications scientifiques [7]. Un projet de revue capable de rendre compte du dialogue de plus en plus étroit entre deux mondes, celui de la médecine et celui de la biologie, fut affiné à la faveur de la rencontre de novembre 1983 à Montréal entre Jean Hamburger, Claude Matuchansky et les scientifiques québécois. Un projet où les écritures croisées de chercheurs-cliniciens et de scientifiques-chercheurs allaient permettre d’annoncer, de décrire et de commenter l’entrée de la médecine dans une nouvelle ère - celle irriguée par l’irruption massive des découvertes de la biologie, qui allait conduire aux biothérapies et aux thérapies ciblées et, plus récemment, à l’entrée fracassante de l’intelligence artificielle dans les domaines médicaux et scientifiques. Mais aussi un projet de revue où la part de l’humain dans la médecine et la science se devait de rester au centre de ses réflexions, comme l’illustra, des années plus tard, l’un des derniers éditoriaux d’Axel Kahn dans cette même revue [8].
Pour que l’utopie devînt réalité, encore fallait-il que des membres fondateurs puissent se trouver, prendre langue de part et d’autre de l’Atlantique. Cela se fit, avec l’appui du ministère de la recherche et de la technologie, représenté par Brigitte Vogler1, et de son ministre d’alors, Jean-Pierre Chevènement2. Le projet prit alors la forme, plus précise et plus mature, d’une revue internationale en langue française, une revue « qui visait l’objectif le plus ambitieux, celui de devenir le moyen de communication entre chercheurs et cliniciens de tous les pays en langue française », comme le souligna en mars 1985 lors de son lancement, son premier rédacteur en chef, Jean-François Lacronique dans les colonnes d’Inserm actualités.
Une revue faite d’articles de synthèse, véritable colonne vertébrale de son développement, d’éditoriaux, de nouvelles scientifiques et médicales, et, au tout début seulement, de quelques notes originales de recherche. Des rêveurs réalistes et efficaces, Xavier Bertagna, Laurent Degos, Serge Erlinger, Jean-Pierre Grünfeld, Axel Kahn - bâtisseur infatigable, haut en couleur et visionnaire d’une épopée inscrite dans la durée -, et Claude Matuchansky - fondateur parmi les fondateurs - et, de l’autre côté de l’Atlantique, des scientifiques québécois réunis autour de Michel Bergeron, vont alors convaincre les institutions de recherche et les universités que cette utopie pouvait devenir réalité, grâce à l’aide décisive et le soutien indispensable et enthousiaste « de l’autre côté du miroir » de deux fées cachées, Brigitte Vogler et Suzy Mouchet [7]3. Cette réalité fut alors en pleine cohérence avec l’un des sept programmes mobilisateurs de la loi d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France,4 loi tout juste adoptée et issue des Assises de la recherche.5 Tous ces efforts furent enfin couronnés par la signature, en mai 1984, d’un protocole d’entente entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la Province du Québec : il conduisit, en mars 1985, au lancement de la revue par Hubert Curien, alors ministre de la Recherche et de la Technologie et, au Québec, par Bernard Landry, son ministre des Relations internationales. Pour toutes ces pionnières et pionniers auxquels je rends hommage, quoi donc, alors, de plus évident que de s’être accordés tous ensemble à ce que la revue s’appelât médecine/sciences ?
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiés dans cet article.
Jean-Pierre Chevènement fut, dans les gouvernements Mauroy, ministre de la recherche et de la technologie du 23 juin 1981 au 28 juin 1982, puis ministre de l’industrie et de la recherche jusqu’à sa démission le 23 mars 1983, date à laquelle il fut remplacé à ce poste par Laurent Fabius, poste que ce dernier quitta le 17 juillet 1984. Il fut ensuite ministre de l’éducation nationale du 19 juillet 1984 au 20 mars 1986 dans le gouvernement Fabius.
Brigitte Vogler est alors devenue la présidente du comité des fondateurs franco-québécois de la revue et Suzy Mouchet a été nommée mandataire de l’Inserm [7].
Loi d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France (n° 82-610 du 15 juillet 1982), parue au JO du 16 juillet 1982. (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000691990/2025-06-10/)
Les Assises de la recherche se sont tenues entre le 5 octobre et le 15 novembre 1981 sous la forme de 31 Assises régionales en métropole et outre-mer et ont été couronnées par le Colloque national de la recherche et de la technologie tenu du 13 au 16 janvier 1982. Les travaux de ces Assises ont permis de définir le projet de loi et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France, portée par Jean-Pierre Chevènement, présenté au Parlement au printemps 1982, la loi elle-même étant adoptée le 15 juillet 1982.
Références
- Kahn A. Quinze ans après… Med Sci (Paris) 1998 ; 1 : 4–5. [Google Scholar]
- Barski G, Sorieul S, Cornefert F. Production dans des cultures in vitro de deux souches cellulaires en association de cellules de caractère hybride. C R Hebd Séances Acad Sci 1960 ; 251 : 1825–7. [Google Scholar]
- Oudin J. Méthode d’analyse immunochimique par précipitation spécifique en milieu gélifié. C R Hebd Séances Acad Sci 1946 ; 222 : 115–6. [Google Scholar]
- Oudin J. L’« allotypie » de certains antigènes protéidiques du sérum. C R Hebd Séances Acad Sci 1956 ; 242 : 2606–8. [Google Scholar]
- Oudin J, Michel M. Une nouvelle forme d’allotypie des globulines g du sérum de lapin apparemment liée à la fonction et à la spécificité anticorps. C R Hebd Séances Acad Sci 1963 ; 257 : 805–8. [Google Scholar]
- Grabar P. Réactions de divers sérums normaux avec des substances macromoléculaires naturelles ou synthétiques. Ann Inst Pasteur (Paris) 1955 ; 88 : 11–23. [Google Scholar]
- Vogler B. AXEL et les fées cachées de m/s. Med Sci (Paris) 2021 ; 37 Hors-série n° 2 : 17–8. [Google Scholar]
- Kahn A. La part de l’humain dans la médecine de demain. Med Sci (Paris) 2018 ; 34 : 283–4. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
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