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Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Octobre 2025
40 ans de médecine/sciences
Page(s) 56 - 58
Section Génétique, génomique, biotechnologie
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025121
Published online 10 October 2025

Vers la fin des années 1980 – médecine/sciences vivait alors ses premiers printemps – le projet de séquençage de l’ensemble du génome humain émerge. Ses premiers promoteurs viennent plutôt du monde de la physique, et il est sévèrement critiqué dans la communauté des biologistes car considéré comme un projet extraordinairement coûteux (on parle de milliards de francs), et probablement irréalisable : à l’époque la plus longue séquence d’ADN jamais déchiffrée, le chromosome III de la levure, ne mesure que 315 kilobases, alors que l’ADN humain (sous sa forme haploïde) comporte trois milliards de bases. De plus, on sait que les gènes proprement dits (on pense qu’il en existe une centaine de milliers) ne représentent que 2 à 3 % de cet ADN : on va donc dépenser beaucoup d’argent et d’efforts pour déchiffrer ce que beaucoup appellent du junk DNA, des scories de l’évolution sans rôle précis et sans importance fonctionnelle. Certains pourtant sont séduits par ce grand projet dont ils attendent des retombées techniques, cognitives et surtout médicales (Figure 1). Le « Projet Génome Humain » démarre vers 1989-1990, principalement aux États-Unis et en Grande-Bretagne (rejoints plus tard par la France, le Japon et quelques autres).

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Première page d’une présentation du Projet Génome Humain des États-Unis (1992). L’objectif affiché est clairement médical, la lecture des gènes doit déboucher (rapidement ?) sur leur compréhension et sur des applications médicales.

Les débuts sont difficiles : problèmes de coordination, échec cuisant d’un projet de séquençage de la bactérie Escherichia coli (pourtant « seulement » quatre millions de bases) lancé au Japon… Le vent commence à tourner quand, à la surprise générale, le Généthon créé par l’Association française contre les myopathies (AFM) produit en 1992 une carte génétique et une carte physique de l’ensemble du génome [1]. La carte physique s’avérera peu utilisable en raison du fréquent chimérisme1 des YAC (yeast artificial chromosomes) qui la sous-tendent, mais la carte génétique est d’excellente qualité, avec un très grand nombre de marqueurs facilement exploitables, et représente un progrès essentiel. Les équipes de génétique médicale, jusque-là peu favorables au Projet Génome Humain, perçoivent tout l’intérêt de cette carte qui facilite considérablement la localisation du gène impliqué dans une maladie – préalable indispensable à son identification. De ce fait, la communauté devient beaucoup plus favorable à la poursuite du programme. Le séquençage proprement dit, toujours fondé sur la méthode inventée par Fred Sanger en 1977 [2], est maintenant organisé de manière industrielle, quasiment militaire, et une équipe britannique en fait une belle démonstration en séquençant sans accroc l’ADN du nématode (cent millions de bases) [3]. Après une course entre le projet public et une entreprise ambitieuse et performante, la première séquence du génome humain paraît finalement début 2001 [4, 5] (Figure 2). Elle est encore imparfaite, avec des milliers de « trous2 », mais elle sera vite améliorée avec une version « finie »3 en avril 2003 [6]. Une surprise dès le début de son exploitation : le nombre de gènes (environ 20 000) est très inférieur à ce à quoi on s’attendait (Figure 3). Plus ennuyeux : les séquences de tous ces gènes que l’on découvre (la plupart étaient jusque-là inconnus) ne nous disent en général pas grand-chose sur le rôle qu’ils jouent dans l’organisme, et seule une étude approfondie, longue et délicate, est susceptible d’éclairer le fonctionnement de chacun d’eux. La voie du gène à la fonction, et plus encore au médicament, est beaucoup plus ardue qu’on ne l’imaginait, et l’appétit des industriels pour ces recherches décroît fortement avec la prise de conscience du long chemin qu’il reste à parcourir avant de déboucher sur des applications. Mais la connaissance de la séquence du génome humain va être cruciale pour nombre de recherches, tandis que la technologie progresse très rapidement.

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Couvertures des revues Nature et Science relatant les premiers résultats du séquençage du génome humain. Il est rare qu’une découverte scientifique donne lieu à publication la même semaine et avec le même titre dans ces deux revues prestigieuses. Nature that featured the Human Genome, Volume 409 Issue 6822, 15 February 2001. Reproduit avec l’autorisation de Springer Nature. Science Volume 291, Issue 5507, 16 Feb 2001. Reproduit avec l’autorisation de AAAS. © Ann Cutting (cutting.com).

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Publicité de l’entreprise Incyte (1992). Cette firme affirmait avoir établi un catalogue complet des gènes humains grâce au séquençage systématique d’ADNc – et commercialisait l’accès à ces données à l’intention de l’industrie pharmaceutique. Elle se vantait de détenir 60 000 gènes « disponibles nulle part ailleurs » alors que, comme on le sait maintenant, nous portons moins de 25 000 gènes dans notre ADN…

En 2025, le paysage a bien changé. Les techniques de séquençage, qui n’avaient pas fondamentalement évolué au cours des dix années du Projet Génome Humain, ont fait des progrès fantastiques [7]. Le séquençage du premier génome humain avait pris dix ans et coûté au moins un milliard de dollars : aujourd’hui un tel résultat peut être obtenu en quelques heures et pour quelques centaines de dollars, ce qui ne va d’ailleurs pas sans poser quelques problèmes d’éthique et de confidentialité. Un « séquenceur » à nanopores peut se glisser dans la poche d’une veste ([8, 9], tandis que les machines de laboratoire les plus productives sont capables de lire près de deux cents génomes humains en une semaine. Et l’ADN peut être lu même s’il est en très petite quantité (dans le bulbe d’un cheveu) ou largement dégradé (dans un ossement vieux de quarante mille ans) [10, 11]. Ainsi, le séquençage est devenu un outil puissant, accessible et versatile. Il est de plus en plus pratiqué pour les « balayages du génome » (GWAS, genome-wide association studies) à la recherche de gènes influençant des caractères complexes, et pour la mise au point de « scores polygéniques4 » quantifiant l’effet des variants [12]. L’anthropologie, elle, a été révolutionnée par le séquençage de nombreux individus qui a profondément changé notre vision de la structure et de l’histoire des populations humaines. La possibilité d’accéder à la séquence de l’ADN ancien a révélé la complexité de l’histoire des hominidés et montré que chacun de nous porte un peu d’ADN de Néandertal [13]. N’oublions pas l’essor des approches « cellule unique » grâce auxquelles on peut accéder au génome et au transcriptome de cellules individuelles [14], ni celui des techniques de « biologie spatiale » qui parviennent à combiner ces informations avec la connaissance de la position de la cellule concernée au sein du tissu ou de l’organe étudiés [15]. Le remarquable succès remporté tout récemment dans la compréhension du mécanisme de la maladie de Huntington montre la puissance de ces approches, qui ont permis de résoudre un mystère vieux de plus de quarante ans… [16, 17].

Il est donc bien loin le temps où, chercheur encore à la paillasse, je m’émerveillais de pouvoir lire des séquences de quelques centaines de bases sur l’autoradiographie d’un gel de polyacrylamide… L’accès à l’ADN et à sa séquence s’est complètement banalisé, et joue un rôle essentiel dans de multiples domaines. Je n’ai pas évoqué ici l’étude des espèces eucaryotes et de leurs relations évolutives, ni celle du microbiome, domaines eux aussi révolutionnés par le recours systématique au séquençage de l’ADN [18, 19, 20]. Les progrès techniques continuent, et des firmes nouvelles menacent sérieusement l’entreprise Illumina, jusque-là ultradominante [21]. La séquence des ADN n’a pas fini d’éclairer la biologie : cela n’a finalement rien d’étonnant vu le rôle central de cette molécule dans le monde vivant…

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiés dans cet article.


1

Le fait que le YAC emporte deux segments d’ADN humain provenant de deux régions différentes du génome.

2

Certaines zones du génome humain, notamment les centromères, les télomères et les bras courts de certains chromosomes, sont constituées de séquences très répétées. Ces régions sont difficiles à séquencer et à assembler, car il est compliqué d’isoler des fragments d’ADN de taille convenable et de reconstituer la séquence complète à partir de morceaux presque identiques. Cela limite la couverture complète du génome.

3

Mais bien sûr une séquence n’est jamais tout à fait terminée, et on travaille encore à l’améliorer.

4

Le score polygénique, également connu sous le nom de score de risque polygénique, est une valeur numérique généralement calculée comme une somme pondérée des allèles associés à un trait phénotypique. Il est utilisé pour prédire la probabilité qu’un individu développe une certaine maladie ou caractéristique en fonction de son profil génétique.

Références

  1. Weissenbach J, Gyapay G, Dib C, et al. A second-generation linkage map of the human genome. Nature 1992 ; 359 : 794–801. [Google Scholar]
  2. Sanger F, Nicklen S, Coulson AR. DNA sequencing with chain-terminating inhibitors. Proc Natl Acad Sci U S A 1977 ; 74 : 5463–7. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Consortium CeS. Genome sequence of the nematode C. elegans: a platform for investigating biology. Science 1998 ; 282 : 2012–8. [Google Scholar]
  4. Lander ES, Linton LM, Birren B, et al. Initial sequencing and analysis of the human genome. Nature 2001 ; 409 : 860–921. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Venter JC, Adams MD, Myers EW, et al. The sequence of the human genome. Science 2001 ; 291 : 1304–51. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. International Human Genome Sequencing C. Finishing the euchromatic sequence of the human genome. Nature 2004 ; 431 : 931–45. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. McGinn S, Gut IG. DNA sequencing - spanning the generations. N Biotechnol 2013 ; 30 : 366–72. [Google Scholar]
  8. Jordan B. Séquençage d’ADN : l’offensive des nanopores. Med Sci (Paris) 2017 ; 33 : 801–4. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Montel F. Séquençage de l’ADN par nanopores : résultats et perspectives. Med Sci (Paris) 2018 ; 34 : 161–5. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Bon C. La paléogénétique ou de l’intérêt de l’exploration génétique du passé. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 556–9. [Google Scholar]
  11. Jordan B. L’ADN ancien parle. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 563–5. [Google Scholar]
  12. Uffelmann E, Huang QQ, Munung NS, et al. Genome-wide association studies. Nat Rev Methods Primers 2021 ; 1 : 59. [CrossRef] [Google Scholar]
  13. Bon C. Quand Néandertal rencontre Sapiens : ce que l’on sait, et ce que l’on ignore encore du métissage entre Néandertal et Homo sapiens. Med Sci (Paris) 2025 ; 41 : 386–91. [Google Scholar]
  14. Kashima Y, Sakamoto Y, Kaneko K, et al. Single-cell sequencing techniques from individual to multiomics analyses. Exp Mol Med 2020 ; 52 : 1419–27. [Google Scholar]
  15. Tang L. Multiomics sequencing goes spatial. Nature Methods 2021 ; 18 : 31-. [Google Scholar]
  16. Handsaker RE, Kashin S, Reed NM, et al. Long somatic DNA-repeat expansion drives neurodegeneration in Huntington’s disease. Cell 2025 ; 188 : 623–39.e19. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  17. Jordan B. Maladie de Huntigton : enfin un mécanisme ! Med Sci (Paris) 2025 ; 41 : 394–7. [Google Scholar]
  18. Blottiere HM, Dore J. Impact des nouveaux outils de métagénomique sur notre connaissance du microbiote intestinal et de son rôle en santé humaine — Enjeux diagnostiques et thérapeutiques. Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 944–51. [Google Scholar]
  19. Dore J, Sansonetti PJ. [The human microbiome: 340 years of history, 140 years of interrogations, technological innovations and emergence of “microbial medicine”]. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 654–60. [Google Scholar]
  20. Pinto Y, Bhatt AS. Sequencing-based analysis of microbiomes. Nat Rev Genet 2024 ; 25 : 829–45. [Google Scholar]
  21. Shendure J, Balasubramanian S, Church GM, et al. DNA sequencing at 40: past, present and future. Nature 2017 ; 550 : 345–53. [Google Scholar]
Bertrand Jordan

Bertrand Jordan
Membre du comité éditorial depuis 2006. Bertrand Jordan est l’auteur des « Chroniques génomiques », qui constituent une des rubriques phare de m/s depuis 1990.

Après un doctorat d’État de Physique des particules en 1965, B. Jordan s’est converti à la biologie moléculaire à partir de 1967. Il a effectué la majeure partie de sa carrière au CNRS et au Centre d’immunologie Inserm/CNRS de Marseille-Luminy où il a été responsable de l’équipe de biologie moléculaire (premier clonage d’un gène HLA en 1982), directeur adjoint puis directeur de cet institut (1989). Tout au long de l’année 1991, il a effectué une enquête mondiale sur l’état des programmes Génome (États-Unis, Australie, Japon, Europe) fondée sur une centaine de visites de laboratoires et rapportée dans plusieurs dizaines d’articles ainsi que dans trois livres. Il a coordonné la préparation du projet de Marseille-Nice Génopole et en a été directeur (2000-2002). Outre ses publications de recherche, il a publié de nombreux articles de vulgarisation ainsi que douze livres sur des thèmes touchant à la génétique, la génomique et leurs impacts sociétaux. Il est chevalier de l’Ordre du Mérite (1983) à titre scientifique, membre de l’Organisation Européenne de Biologie Moléculaire (EMBO), et de Human Genome Organisation (HUGO) depuis son début, Il s’est impliqué dans le développement de relations scientifiques entre la France et Taiwan et a reçu à ce titre le Grand Prix Franco-Chinois de l’Académie des Sciences (2000).


© 2025 médecine/sciences – Inserm

Liste des figures

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Première page d’une présentation du Projet Génome Humain des États-Unis (1992). L’objectif affiché est clairement médical, la lecture des gènes doit déboucher (rapidement ?) sur leur compréhension et sur des applications médicales.

Dans le texte
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Couvertures des revues Nature et Science relatant les premiers résultats du séquençage du génome humain. Il est rare qu’une découverte scientifique donne lieu à publication la même semaine et avec le même titre dans ces deux revues prestigieuses. Nature that featured the Human Genome, Volume 409 Issue 6822, 15 February 2001. Reproduit avec l’autorisation de Springer Nature. Science Volume 291, Issue 5507, 16 Feb 2001. Reproduit avec l’autorisation de AAAS. © Ann Cutting (cutting.com).

Dans le texte
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Publicité de l’entreprise Incyte (1992). Cette firme affirmait avoir établi un catalogue complet des gènes humains grâce au séquençage systématique d’ADNc – et commercialisait l’accès à ces données à l’intention de l’industrie pharmaceutique. Elle se vantait de détenir 60 000 gènes « disponibles nulle part ailleurs » alors que, comme on le sait maintenant, nous portons moins de 25 000 gènes dans notre ADN…

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