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Med Sci (Paris)
Volume 41, Octobre 2025
40 ans de médecine/sciences
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| Page(s) | 133 - 137 | |
| Section | Économie de la santé | |
| DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025118 | |
| Published online | 10 October 2025 | |
Le système de financement des soins souffle ses 80 bougies
Un anniversaire sous tension et l’heure des grands choix !
The healthcare financing system turns 80: a tense anniversary and a time for major decisions!
Centre d’épidémiologie et santé des populations, équipe soins primaires et prévention, Inserm UMR1018, UPS, UVSQ. P. Descartes Villejuif, France
Cette année, la Sécurité sociale fête ses 80 ans. Instaurée par l’ordonnance du 4 octobre 1945 dans la France de l’après-guerre, elle marque la volonté de reconstruire un pays plus solidaire et plus juste. La Sécurité sociale, inspirée du modèle de solidarité nationale dit « Bismarckien », incarne encore aujourd’hui l’un des fondements les plus puissants du modèle social français. À sa création, son objectif était de « garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature, susceptibles de réduire ou supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent »1. Ainsi, « les assurances sociales couvrent les risques de maladie, d’invalidité, de vieillesse et de décès, ainsi que des charges de maternité ». L’affiliation aux assurances sociales est obligatoire et concerne une large part de la population française, « […] toutes les personnes de nationalité française de l’un ou de l’autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, […] »1. Avant 1945, des dispositifs de protection sociale existaient déjà — souvent gérés par des mutuelles ou des caisses professionnelles — mais ceux-ci ne concernaient que certaines catégories de travailleurs. Avec la Sécurité sociale, la France bâtit les bases d’un système « universel »2 [1], reposant sur un principe fondamental, – notre contrat social – : « chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins ».
L’instauration de l’Assurance maladie a profondément transformé le système de santé français. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la construction d’un système de mutualisation du financement des soins est l’un, voire le premier, des fondements essentiels de tout système de santé [2]. En généralisant l’accès aux soins au plus grand nombre, la Sécurité sociale a permis une amélioration de l’état de santé de la population et un développement inédit de l’offre médicale. Elle a ainsi été un moteur de progrès, d’accélération de l’innovation, de structuration des professions de santé et d’émergence d’acteurs économiques autour du soin et de la prévention.
Dans le contexte bien spécifique de la santé, où les personnes les plus défavorisées sont aussi, en moyenne, celles dont l’état de santé est le plus fragile, le modèle de la Sécurité sociale, tel que pensé dès l’origine, organise une double redistribution : à la logique classique de mutualisation de toute assurance entre bien-portants et malades, s’ajoute une redistribution entre les plus riches et les plus modestes. Cette solidarité structurelle, permise par le financement public, par l’obligation d’affiliation et les principes du contrat social, dépasse largement ce qu’une assurance privée pourrait offrir, et constitue encore aujourd’hui une caractéristique centrale du système français. À l’occasion de ce numéro anniversaire des 40 ans de médecine/ sciences, il m’a semblé intéressant de poser mon regard d’économiste de la santé sur cet autre anniversaire, celui de notre système de financement des soins, qui depuis 80 ans oriente de façon majeure notre société, bien au-delà du seul champ sanitaire.
Une augmentation de la part de la richesse nationale consacrée à la santé et une socialisation croissante des dépenses
En 2023, la dépense courante de santé (au sens international), c’est-àdire la DCSi, correspondant à « […] la consommation finale effective (c’est-à-dire en propre ou via un intermédiaire) de services sanitaires et de biens médicaux, qu’ils soient individuels (comme une consultation médicale) ou collectifs (comme une campagne de prévention) », atteint le niveau record de 325,1 milliards d’euros, correspondant à 11,5 % du produit intérieur brut (PIB)3. L’augmentation rapide de la DCSi, observée ces dernières années (+ 3,5 % en 2023, après + 2,2 % en 2022), n’est pas seulement liée à la crise sanitaire de la Covid-19, même si cette épidémie a exacerbé les fortes tensions qui existaient déjà dans le système de santé et dans son financement. Cette hausse est principalement expliquée par la dynamique des dépenses de soins courants illustrée par la hausse rapide de la consommation en soins et biens médicaux, + 5,2 % en 2023 qui, là encore, a atteint, un niveau record de plus de 249 milliards d’euros ! Bien sûr, cette dynamique est largement disséquée et expliquée dans les comptes de la santé. Ainsi, les dépenses en soins hospitaliers, portées par une hausse du prix mais également par un rebond des volumes, contribuent de façon importante à la croissance de la consommation en soins et biens médicaux (+ 25,2 % entre 2019 et 2023 et + 5,7 % pour la seule dernière année). Mais plus largement, tous les postes de soins sont dynamiques, comme par exemple, la consommation de médicaments qui reste soutenue par la dépense pour certains médicaments innovants (au total pour ce poste, + 3,1 % entre 2022 et 2023)3.
Face à cette forte progression, il est facile de comprendre le niveau de tension du système quand, dans le même temps, la croissance de la richesse nationale, représentée par la hausse du PIB, s’élève à seulement + 2,7 % en 2022 et + 1,4 % en 2023. La question est donc de savoir qui finance quoi, quelle part de ces dépenses est socialisée, et si notre système de financement des soins peut et doit absorber ces dynamiques.
À la fin des années 1950, la part de la richesse nationale dédiée à l’assurance maladie publique représentait 3,4 % du PIB (1959), soit le 3e poste de dépenses, derrière la part dédiée à la politique familiale (3,9 % du PIB) et celle dédiée à la politique « vieillesse-survie » (5,2 % du PIB)4. Depuis, cette proportion de notre richesse nationale allouée au financement de l’assurance maladie n’a jamais cessé de croître, au mieux, elle s’est stabilisée quelques années à la suite des réformes les plus structurantes. En près de 80 ans, elle a donc triplé pour atteindre 10 % en 2022, en 2e position après la part allouée à l’assurance vieillesse qui représente 12,7 % du PIB. L’engagement financier public réalisé au titre des prestations d’assurance maladie peut ainsi donner le tournis ! En effet, en 2022, 40 % des dépenses de protection sociale correspondent à des prestations de l’Assurance maladie (187,6 milliards d’euros). Ces ressources publiques sont essentiellement collectées via des cotisations sociales, à peine plus de 37 % en 2022, la contribution sociale généralisée (CSG, 23 %) et via d’autres impôts et taxes dédiés (32 %)5.
Au fil des décennies, la répartition du financement des soins en France a connu des évolutions notables. Première évolution marquante : la part des dépenses de santé prise en charge par l’Assurance maladie et les administrations publiques n’a cessé de croître, de moins de 65 % en 1960 à plus de 80 % en 2023. Cela traduit une forte dynamique de socialisation des dépenses de santé dans un contexte de hausse rapide. Cette tendance n’est ni récente, ni vraiment liée à la crise sanitaire de la Covid 19, mais elle s’inscrit plutôt dans un mouvement de fond amorcé depuis de nombreuses années, puisque la part du financement public des soins atteignait 83 % au début des années 19806. Les raisons principales de cette évolution sont à chercher dans le recentrage de la prise en charge publique sur le risque dit « lourd » et les populations fragilisées. Plusieurs dispositifs amènent ainsi progressivement à une plus forte concentration des financements publics pour les populations les plus fragilisées, particulièrement du fait de leur état de santé. Ainsi, alors que l’Assurance maladie offre une prise en charge complète, à 100 %, des dépenses de soins liées à une maladie grave ou chronique pour les patients atteints d’affections de longue durée (ALD), leur nombre a beaucoup augmenté : en 2022, 20,1 % de la population bénéficient de ce dispositif et concentre plus de 66 % de la consommation en soins et biens médicaux. Par ailleurs, le taux de couverture des dépenses hospitalières par l’Assurance maladie publique a également beaucoup augmenté au cours du temps, puisqu’il est passé de 59 % en 1960 à plus de 93 % en 2023. Ces dépenses de santé, plutôt liées à des risques souvent qualifiés de risque « lourds », sont donc plutôt « bien couvertes » par les régimes publics et ont fortement augmenté, tant en volume qu’en proportion de la dépense totale de santé qu’elles représentent. D’autres dispositifs concernent les personnes fragilisées du fait de leur situation économique : la mise en place du volet complémentaire de la couverture maladie universelle en 2000 (CMU-C) et de l’aide complémentaire santé en 2004, fusionnés en couverture santé solidaire (CSS) en 2019, s’est traduite par le financement, par des ressources publiques (notamment collectées via des taxes), d’une assurance maladie complémentaire « publique » qui s’ajoute à l’Assurance maladie publique pour les personnes les plus précaires. Fin 2022, ce dispositif concernait près de 7,4 millions de personnes, soit 10,9 % de la population, dont presque 6 millions en bénéficient gratuitement, soit 8,7 % de la population7 [9]. Toutes ces évolutions impliquent mécaniquement une hausse des dépenses publiques de santé, qui pèse de plus en plus sur les budgets sociaux. Ce processus de socialisation croissante reflète le choix collectif de protéger les individus face à des risques sanitaires de plus en plus coûteux, mais soulève également des enjeux de soutenabilité financière et d’équité dans l’accès aux soins.
Un financement privé croissant pour de nombreuses personnes
Au-delà de la part conséquente et dynamique de l’Assurance maladie publique, le financement des soins est supporté par les organismes complémentaires d’assurance maladie, et les patients qui, après remboursement des différents assureurs, supportent un reste à charge. Là encore, la contribution de ces différents opérateurs du financement à la dépense a beaucoup évolué au cours du temps. Au début des années 1970, si la quasi-totalité de la population bénéficiait de l’assurance maladie publique, près de la moitié seulement avait souscrit une assurance maladie complémentaire, non obligatoire et principalement de nature mutualiste. Ces contrats d’assurance complémentaire permettaient une couverture additionnelle des dépenses de santé1. Aujourd’hui, le contexte a fortement changé par rapport au début des années 1980 : le marché de l’assurance maladie complémentaire s’est diversifié et étendu avec l’entrée des assureurs privés et des institutions de prévoyance sur ce secteur d’activité. Par ailleurs, les dispositifs publics d’accès à la complémentaire (couverture santé solidaire) et la « généralisation de la complémentaire santé » en 2016, ont contribué à quasi-saturer le marché de sorte qu’aujourd’hui, 96 % de la population disposent d’un contrat d’assurance maladie complémentaire, soit le taux le plus élevé des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)7. Notre système de financement des soins est presque unique au monde. Il repose sur la superposition de couvertures d’assurance pour un même panier de soins, une assurance publique obligatoire et des assurances privées qui concernent la quasi-totalité de la population et proposent des couvertures plus ou moins étendues selon le type de contrat (collectif ou individuel), laissant un reste à financer aux patients. Ce système mixte garantit donc à l’ensemble des assurés un même panier de soins, pris en charge conjointement par une assurance maladie publique obligatoire, qui couvre 80,1 % de la consommation en soins et biens médicaux, et par des assurances complémentaires, certaines obligatoires et d’autres non, qui financent 12,4 % de la consommation en soins et biens médicaux. Le reste à charge pour les ménages, quant à lui, figure parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, représentant « seulement » 7,5 % de la consommation en soins et biens médicaux en 20238. Cette répartition moyenne pourrait amener à conclure sur la pertinence et l’efficacité de ce financement en mille-feuille. Elle cache pourtant une distribution des restes à charge supportés par les ménages, à l’image des dépenses de santé, c’est-àdire, extrêmement concentrés sur un petit nombre de personnes. Par exemple, en 2013, 1 % de la population concentrait 15 % de la dépense, et 10 % concentraient 62 % de la dépense totale [3]. Le dispositif des affections de longue durée (ALD) se traduit également par des écarts de prise en charge par l’Assurance maladie très importants qui laissent des restes à financer par le privé (assurance complémentaires et ménages) très dépendants des listes de maladies exonérantes : par exemple, en 2017, parmi les personnes ayant consommé des soins, celles souffrant d’au moins une affection de longue durée avaient une dépense moyenne de plus de 8 900 euros et bénéficiaient en moyenne d’un taux de prise en charge par l’assurance publique de 91 % pour leurs dépenses, comparé à une dépense moyenne de près de 1 440 euros prise en charge à 67 % par l’assurance publique pour celles n’ayant pas une affection de longue durée déclarée8. Si l’assurance privée compense assurément une part de ces restes à charge, le financement par l’assurance complémentaire est nettement moins redistributif [4].
Il serait toutefois une erreur de ne considérer ces dépenses de santé que comme un fardeau
Véritable facteur de cohésion sociale, la Sécurité sociale de laquelle dépend l’Assurance maladie recueille une opinion plutôt très positive puisqu’en 2023, près des deux-tiers de la population considèrent comme normal que le pays consacre presque un tiers de son revenu national à la protection de tous9. Plus de neuf personnes sur dix (93 %) considèrent que le système d’assurance maladie « doit rester essentiellement public » et pour près de la moitié (49,6 %), l’assurance maladie doit bénéficier « à toutes et à tous sans distinction de catégorie sociale et de statut professionnel ». Malgré cette opinion très favorable, ce soutien semble toutefois se fragiliser ces dernières années : il est intéressant de noter que ce plébiscite pour l’universalité des droits en matière d’assurance maladie tend à se réduire significativement et ce, malgré la crise sanitaire récente. En 2017, 66,6 %, soit les deux-tiers des personnes interrogées considéraient que l’assurance maladie devait bénéficier à toutes et tous comparé à moins de la moitié en 2023 (49,5 %). Cette baisse s’est faite au bénéfice des opinions qui considèrent que l’assurance maladie devrait bénéficier « davantage à celles et ceux qui cotisent, avec un niveau minimal de protection pour les autres » (25 % en 2023 contre 18 % en 2017), voire « uniquement à celles et ceux qui cotisent » (20 % en 2023 contre 11 % en 2017) ! Ces évolutions pourraient être liées à la perception d’une santé de la population qui se dégrade puisque pour 61,9 % des personnes interrogées en 2023 (comparé à 44,8 % en 2017), « la santé des français s’est détériorée ces dernières années ». En parallèle, si la qualité des services offerts semble globalement satisfaisante, l’accessibilité aux soins de proximité perçue des soins de proximité paraît de plus en plus difficile : en 2023, plus de la moitié de la population (55,8 % comparé à 36,5 % en 2017) considère qu’il n’y a pas suffisamment de médecins généralistes à proximité de chez eux et encore moins de spécialistes (68,5 % en 2023 comparé à 54,4 % en 2017). Malgré tout, c’est bien l’assurance maladie que la population soutient : ils sont 59,8 % à considérer qu’il est plus important de « maintenir au niveau actuel les prestations sociales et les remboursements d’assurance maladie », que de « prendre des mesures pour réduire le déficit de la Sécurité sociale »9.
Au-delà de l’opinion publique et du sentiment de cohésion sociale qu’apporte l’Assurance maladie, les dépenses de santé constituent par nature un investissement pour la santé de tous. Toutefois, elles peuvent également être vues comme un investissement dans un secteur économique innovant, via différents leviers de financement dédiés, comme pour les dispositifs médicaux et actes innovants, un « forfait innovation », qui offre des modalités de prise en charge dérogatoires par l’Assurance maladie. Plus largement, l’investissement en capital dans la santé (ou formation brute de capital fixe) correspond à l’achat d’actifs utilisés plus d’un an dans la production de soins (infrastructures, équipements, logiciels, bases de données) par opposition à l’achat de soins courants. En 2022, en France, cet investissement correspond à près de 0,3 % du PIB et 2,3 % de la DCSi, ce qui paraît faible en comparaison d’autres pays européens, alors même que cet investissement a augmenté ces dernières années (+ 16 % depuis 2018)10. Les dépenses de santé peuvent également être vues comme un investissement dans un secteur créateur d’emplois avec une part des emplois du secteur médico-social qui a fortement progressé en France (+ 32,4 %) avec en 2002, 10,6 % des emplois dans les secteurs médical et sanitaire comparé à 14 % en 2022. Malgré cette hausse, la France, comme de nombreux autres pays européens, est confrontée à la difficulté de garantir une offre de professionnels de santé suffisante, durable et également répartie sur les territoires. Cela devrait se traduire par le fait que l’emploi dans ces secteurs devrait encore se développer. Enfin, ces dépenses de santé peuvent être vues comme un investissement dans un secteur moteur d’une croissance économique inclusive. En effet, une population en bonne santé contribue à la croissance économique, par sa participation au marché du travail, sa consommation, etc. Enfin, ces dépenses peuvent également constituer un levier pour accroître les gains de productivité d’autres secteurs : par exemple, « une mauvaise santé dans les premiers âges de la vie peut ralentir le développement cognitif et dégrader les résultats éducatifs » [5]. Plus largement, dans une logique de croissance endogène, la santé, comme l’éducation, constitue un pilier du capital humain, ce qui peut justifier un financement principalement public [6].
Ainsi, le défi n’est pas tant le montant et l’évolution des dépenses, que le fait qu’une très grande partie de ces dépenses de santé soit socialisée… Que ce soit pour des raisons historiques, des arguments économiques liés aux défaillances de marchés ou autres [7], la réponse aux attentes de la population, le moyen de mettre en œuvre le contrat social de 1945, la réduction des inégalités sociales de santé, etc., le financement du système de santé française ne peut pas répondre à tous ces défis. Il est conçu sur le modèle d’une assurance sociale qui, comme toute assurance intervient pour compenser les conséquences d’un risque quand le risque est survenu. L’Assurance maladie rembourse ou compense des dépenses de soins, une fois que la maladie est déclarée.
Ce système ne peut donc, par exemple, pas à lui seul répondre à la complexité des inégalités sociales de santé et notamment celles dont les causes sont bien « en amont ». En effet, ce système se prête mal au financement de tout un pan de la prévention et, attendre de lui qu’il corrige les conséquences de nombreux déterminants sociaux tels que les conditions de logement, les inégalités faces à l’environnement et à l’éducation, les écarts de revenus, revient certainement à surestimer ses objectifs et sa capacité. Les attentes de toute la société pourraient conduire à une perception croissante d’inefficacité et à une insatisfaction grandissante des bénéficiaires, c’est un vrai risque !
Ne pas choisir, c’est faire un choix : les enjeux éthiques d’un flou persistant
L’une des fragilités majeures de notre système pourrait être liée au flou entretenu autour des finalités assignées à notre système de financement des soins de santé, à l’Assurance maladie. Doit-elle avant tout garantir un accès universel aux soins ? À tous les soins ? Pour tous ? Dans un monde sans contrainte budgétaire, les réponses seraient naturellement positives, mais, les tensions budgétaires n’ont jamais été aussi fortes ! Alors quels objectifs pour l’Assurance maladie ? Doit-elle chercher à corriger les inégalités sociales de santé et les inégalités d’accès, quelles qu’elles soient ? Tous ces objectifs, bien que légitimes, peuvent entrer en tension, et leur coexistence non hiérarchisée peut induire des frustrations et des insatisfactions forcément délétères.
La redistribution entre les générations, induite par les deux principaux postes de la protection sociale que sont l’assurance vieillesse et l’assurance maladie, est majeure. Les conséquences sont loin d’être anodines tant les coûts d’opportunité, qui mesurent les bénéfices que la mobilisation de ces ressources publiques aurait pu générer dans un emploi alternatif (comme l’éducation, la transition écologique, la recherche publique, etc.), augmentent quand les contraintes budgétaires se resserrent. Ces systèmes orientent donc la politique sociale et constituent de véritables choix de société, finalement assez peu, voire pas du tout discutés. Cette absence de transparence peut, à terme, fragiliser la légitimité du système dans son ensemble.
Face à ces enjeux, un débat démocratique sur les finalités et les priorités du financement des soins devient indispensable. Ce débat ne peut pas être purement technique ou budgétaire : il engage des choix de société, de véritables arbitrages. Quels soins doivent être collectivement garantis à tous ? Jusqu’à quel niveau de dépense publique ? Quelles priorités face aux besoins croissants liés au vieillissement ou aux maladies chroniques ?
Au regard de la dynamique des dépenses et de la part socialisée de ces dépenses, des coûts des traitements innovants, des besoins liés au vieillissement de la population et à la complexité croissante des prises en charges, etc., « les choix de priorisation deviennent un quasi-devoir éthique ». La planification annuelle via l’ONDAM (objectif national des dépenses d’Assurance maladie) suppose la recherche d’un large consensus autour des choix et des priorisations puisqu’il s’agit, pour la représentation nationale, de voter la définition des enveloppes de postes de soins et de leur évolution. Ces discussions posent de nombreuses questions sur les arbitrages possibles qui dépassent celles sur l’allocation des ressources nécessaires pour les traitements très coûteux. Ne pas se doter des moyens de choisir, en orientant et aidant la décision publique, dans un cadre de démocratie sanitaire mature, pose un véritable problème éthique. En effet, le risque est grand de voir des décisions publiques prises par défaut ou par contrainte avec un risque important de renforcer les incohérences, les inégalités et in fine l’inefficacité de notre système de financement. Il convient de mobiliser l’ensemble des acteurs du système, d’améliorer les compétences de tous, et de continuer à développer les méthodes permettant de valoriser différentes stratégies thérapeutiques ou programmes afin de mieux appréhender leurs impacts et les hiérarchiser selon les différents projets de société portés par le plus large consensus [8]. C’est de plus en plus urgent alors que le constat de cet attentisme n’est pas récent, déjà en 2009, « L’accroissement prévisible de la contrainte financière, […], et plus généralement l’explosion des demandes de toutes natures adressées au système de santé sont autant de facteurs qui rendent plus que jamais nécessaires l’instauration de processus d’arbitrage décisionnel à la fois rationnels et transparents » [9].
Liens d’intérêt
L’auteure déclare n’avoir aucun line d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Journal Officiel 1945 (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORF-TEXT000000698857/).
L’affiliation à l’assurance sociale étant liée à la situation professionnelle actuelle ou ancienne, ou de celle de d’un conjoint ou d’un parent, seules 3 personnes sur 4 sont couvertes par « l’assurance maladie de la Sécurité sociale » en 1960. L’extension rapide de la couverture est telle qu’en 1970, 95 % de la population est affiliée et en 1980, le mouvement est quasi achevé.
OECD/European Commission (2024), Health at a glance: Europe 2024: state of health in the EU cycle, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/b3704e14-en.
Références
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Carine Franc
Membre du comité éditorial depuis 2014.
Carine Franc est une économiste de la santé chargée de recherche à l’INSERM depuis 2002, rattachée à l’équipe « Soins primaires et prévention » du Centre d’épidémiologie et de santé des populations (CESP). Elle a obtenu son doctorat en sciences économiques à l’Université de Toulouse (Toulouse school of economics) et son habilitation à diriger des recherches à l’université Paris Dauphine. Elle concentre ses recherches sur l’évaluation des politiques publiques, l’organisation des soins et les mécanismes de rémunération des offreurs, à l’analyse comparée des systèmes de santé et leur financement. Ses travaux reposent sur des méthodes quantitatives avancées pour éclairer les décisions politiques et économiques dans le secteur de la santé. Carine Franc a publié de nombreux articles dans des revues spécialisées. Elle enseigne également et codirige le parcours « organisation des systèmes de santé » du Master 2 recherche de Santé Publique de Paris Saclay. Elle est membre du Conseil d’administration du Collège des Économistes de la Santé en France depuis 2008, membre du Conseil d’administration de l’European health economics association (EuHEA) depuis 2020.
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