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Med Sci (Paris)
Volume 41, Octobre 2025
40 ans de médecine/sciences
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| Page(s) | 119 - 132 | |
| Section | Économie de la santé | |
| DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025125 | |
| Published online | 10 October 2025 | |
L’évolution de la place de l’évaluation économique en santé en France
Théories, méthodes et usages
The changing role of health economic evaluation in France: theories, methods, and uses
Professeur honoraire, Département d’Economie, ESSEC Business School
De quoi parle-t-on ?
Les lecteurs de médecine/sciences pardonneront à l’auteur sa préférence pour le terme « évaluation économique en santé » et non « évaluation médico-économique », car le domaine couvert peut aller au-delà des interventions proprement médicales et inclure par exemple la santé au travail ou la santé environnementale. Ce terme recouvre alors des méthodes qui mettent en relation des ressources engagées (ressources humaines, techniques, produits de santé, information) pour obtenir un résultat de santé. Ces méthodes peuvent avoir un objectif de connaissance empirique simple : connaître les coûts de mise en œuvre d’un traitement, d’une stratégie de dépistage, etc. La connaissance des coûts se fait souvent avec un objectif secondaire, qui peut être de prévoir l’impact budgétaire pour les opérateurs concernés par la mise en place de l’action de soins. On parle alors de modèles d’impact budgétaire. Un niveau supplémentaire d’analyse est celui de la mise en relation des effets de santé attendus de l’action de soins et de ses coûts de mise en œuvre. On parle alors de façon générique et par commodité d’études de coût-efficacité, dont l’objectif est d’informer l’acteur qui les commandite du « rendement » de la dépense. Elles peuvent alors être utilisées par un acteur donné, dans le périmètre de son domaine d’intervention, par exemple un hôpital qui veut prévoir l’impact potentiel de l’introduction d’une nouvelle technique. On parle alors de calcul économique privé. L’objet de cet article est principalement centré sur le calcul économique public, réalisé par un acteur mandaté pour représenter l’intérêt général.
Derrière une appellation commune, il existe cependant des courants théoriques divers, des débats débouchant sur les méthodes et des usages différents. Son institutionnalisation a conduit à une standardisation de ses méthodes et en a fait à la fois un objet de recherche et un objet commercial, au sens de l’économie de marché, au point que nous n’accordons plus beaucoup d’importance à ses racines intellectuelles. L’évaluation économique en santé est devenue un domaine d’application des techniques de modélisation, des statistiques et du « data crunching/mining » (le traitement et l’analyse des données), plus qu’une branche de l’économie.
Pour cette raison, on rappelle dans un premier temps les trois traditions intellectuelles de l’économie dont elle dérive, car les différences entre ces traditions ont un impact en termes de concepts, de méthodes et d’usages. Pour chacune d’entre elles, cela permet d’évoquer les questions de méthodes qu’elle soulève et l’évolution de ses usages dans le temps. Sur la période anniversaire couverte par ce numéro hors-série, les progrès en matière de calcul informatique, de puissance des outils et de construction de bases de données ont joué un rôle prépondérant. La troisième partie est consacrée à l’évolution des usages et la constitution progressive d’une offre de production des études d’évaluation en santé. L’auteur assume les choix et les impasses réalisés dans ce texte, ainsi que les défaillances de sa mémoire1. Ce texte se veut aussi pédagogique pour les lecteurs peu familiers de l’évaluation économique.
Les racines intellectuelles de l’évaluation économique en santé : les ingénieurs économistes
On ne peut pas dissocier une présentation des racines intellectuelles de l’évaluation économique du contexte dans lequel elles s’enracinent. On donne ici la préséance au calcul économique « à la française ». Claude Le Pen2 nous rappelait que ces outils de calcul économique appliqué aux décisions publiques étaient l’héritage d’une tradition ancienne d’ingénieurs économistes, pour la plupart issus des grandes écoles d’ingénieurs (l’École polytechnique, l’École des ponts et chaussées, l’École des Mines et plus récemment l’École nationale de la statistique et de l’administration économique) [3].
On s’accorde à attribuer à Jules Dupuit3 la paternité du calcul économique appliqué aux décisions d’investissement publics. Jules Dupuit a sans doute eu une influence largement au-delà de la France et inspiré chez les pères de producteurs l’approche néo-classique4 et de l’économie du bien-être [4]. Confronté, en tant qu’ingénieur des ponts et chaussées, aux choix entre différents projets d’infrastructure, il a proposé de les comparer sur la base de la différence entre le coût de chacun des investissements et la valeur de chacun d’entre eux pour les utilisateurs des infrastructures. Par valeur, il entendait l’utilité que ceux-ci pouvaient en tirer, mesurée par le prix qu’ils seraient prêts à payer pour en bénéficier. Les méthodes développées pour mesurer cette propension à payer permettent de tirer un bilan économique comparant la somme des utilités valorisées monétairement au coût de l’investissement et d’exploitation de différentes infrastructures. Dans le langage des économistes de la santé, on parle alors d’études coût-bénéfices. L’investissement le plus avantageux est alors celui qui présente le solde le plus élevé.
Un raccourci historique permet de faire le lien avec les travaux dont l’objectif est de calculer une valeur de la vie humaine, qui serait applicable à tout projet d’investissement public dont l’objectif est de réduire le risque de décès : on parle de valeur de la vie statistique. Ces calculs ont en France une application réelle dans les décisions d’investissement dans les infrastructures de transport ou de réduction de l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé. Dans ce cas, le résultat attendu de l’étude d’impact est le nombre de décès évité, nombre qui est ensuite valorisé par une valeur de référence d’une vie humaine.
Deux méthodes principales5 ont été utilisées en France et dans d’autres pays pour aboutir à une estimation de la valeur de la vie statistique. La première méthode est celle du capital humain. Le coût d’un décès pour la collectivité est assimilé à la perte de production et de revenus suite au décès d’un individu, à laquelle s’ajoute les coûts directement attribuables aux décès : coûts médicaux et sociaux et autres coûts divers (frais d’obsèques, par exemple). A ces coûts peuvent s’ajouter des coûts non marchands, prenant en compte le préjudice subjectif subi par la personne avant et après son décès. La première évaluation disponible de la valeur de la vie statistique par cette méthode a été publiée en 1994 [5]. Elle était de 0,55 millions d’euros par personne, revalorisée en 1999 à 0,65 millions d’euros.
Le rapport Boiteux de 2001 [6] a consacré l’utilisation de la deuxième méthode, celle du consentement à payer (ou à accepter) une indemnité des individus. En reprenant la formulation du rapport Boiteux, « un programme public est jugé optimal en matière de sécurité lorsque le coût engagé pour sauver une vie de plus est égal au consentement marginal moyen de la collectivité à payer pour la sécurité ». Formulé en termes profanes, si nous connaissons le montant que les membres d’une collectivité sont prêts à payer pour éviter un accident mortel, un programme dont le coût égalise ce montant est optimal ; ou tout programme dont le coût par décès évité est inférieur au consentement à payer dégage un bénéfice, un « surplus » pour la société.
Comment mesure-t-on ce consentement à payer ? La première approche, la plus répandue, est celle de l’enquête en population générale dite de préférence déclarée (stated preference method), à partir d’études dites de propension à payer. Dans ce type d’enquête, les personnes interrogées doivent annoncer un montant qu’elles seraient prêtes à payer pour accéder à un bénéfice prédéfini, ici une année de vie gagnée. Ces méthodes sont complexes à mettre en œuvre à grande échelle. Le rapport Boiteux se fonde alors sur une revue des études et des valeurs publiées dans d’autres pays, pour aboutir à une proposition de 1,5 million d’euros. On retiendra la dernière valeur « officielle » publiée en 2013 par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective [7] de 3 millions d’euros. Comme la précédente, cette valeur a été proposée à partir d’une revue des données publiées dans d’autres pays, fondée sur des enquêtes de valeur déclarée, dont on décrit les caractéristiques plus loin.
Historiquement, cette tradition du calcul économique public « à la française » a connu son apogée en même temps que les travaux du Commissariat général au plan et la rationalisation des choix budgétaires, à partir de la fin des années soixante jusqu’à l’élection de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, élection qui signe la fin de la prééminence de l’économie dirigée, opposée à une économie libérale prônée par le nouveau président. Dans ce contexte de rationalisation des choix budgétaires, le calcul économique a été appliqué aux choix publics d’investissement dans les infrastructures de transport, pour diminuer la morbi-mortalité liée aux accidents de la route et à la pollution atmosphérique. En santé, le calcul économique a été au fondement du premier plan de périnatalité en 1971, dont la motivation première était la réduction de la mortalité à un an et des handicaps à la naissance, à partir de l’observation d’une situation moyenne de la France par rapport à d’autres pays de même niveau de développement. Ce plan a proposé une série d’actions publiques visant à réduire la mortalité infantile, dont Il a chiffré les coûts de mise en œuvre et les résultats attendus. L’originalité des actions de rationalisation des choix budgétaires est qu’elles débouchaient sur des programmations budgétaires pluriannuels. L’élaboration du programme avait été confiée à Marie-Thérèse Chapalain [8], qui avait complété une formation initiale en droit et économie politique par une formation au Centre d’études et de programmes économiques, le CEPE. L’originalité de cette formation était son positionnement en dehors du cadre universitaire.
La deuxième racine : l’économie du bien-être (welfare economics)
Selon Vatin [4], l’influence de Jules Dupuit sur la réflexion théorique en économie aurait été plus importante dans le monde anglo-saxon qu’en France, auprès des promoteurs de l’économie du bien-être (welfare economics). Cette branche de l’économie a été explorée par de très nombreux auteurs et a suscité des controverses qu’on ne traitera pas ici. Son point de départ le plus connu est celui de la démonstration qu’un marché de concurrence pure et parfaite garantit d’aboutir à un optimum de Pareto, c’est-à-dire à une situation dans laquelle on ne peut améliorer la situation d’un agent économique sans détériorer la satisfaction d’un autre6. Mais la branche qui est pertinente ici est celle qui s’intéresse aux biens pour lesquels une concurrence pure et parfaite n’est pas possible, qualifiés de biens publics, tutélaires, etc. Il faut alors trouver une fonction d’utilité collective qui permette de maximiser le bien-être social (collectif). L’analyse coût-bénéfice « à la Dupuit » remplit cette fonction, sous l’hypothèse que le bien-être collectif est égal à la somme des utilités de chaque individu.
Ce qui distingue l’économie du bien-être, ses applications aux biens hors marché et le calcul économique à la française est essentiellement la théorisation d’une fonction d’utilité collective, dont l’ingénieur économiste n’a pas besoin. Les deux approches recommandent la réalisation d’analyses coût-bénéfice, au sens du bilan des bénéfices moins les coûts de mise en œuvre, avec une valorisation monétaire des bénéfices. Mais la question des méthodes utilisées pour valoriser les bénéfices en santé s’est surtout développée au sein de la communauté internationale, avec une faible participation des économistes français de la santé.
Deux familles de méthodes ont été développées, comparées et discutées : les méthodes dites de préférences déclarées (stated preferences) et les méthodes dites de préférences révélées (revealed preferences). Dans une approche coût-bénéfice, la préférence déclarée prend la forme d’études dites de propension à payer (willingness to pay, WTP). Celles-ci consistent à présenter à un échantillon de personnes un système d’enchères visant à converger vers un prix pour un bénéfice donné. Par exemple, Carrat et al. [9] ont mené une étude de propension à payer pour évaluer la dépense consentie pour éviter une journée de symptômes grippaux.
L’approche dite de préférence révélée, proposée par Samuelson [10], consiste à déduire de l’observation d’un marché et notamment des choix de consommation faits par les consommateurs pour un prix donné, l’utilité relative qu’ils retirent de différents biens. Un exemple trivial : si le prix d’une pomme est égal au prix de deux bananes, on en déduit que le consommateur retire une utilité double de la consommation d’une pomme par rapport à celle d’une banane. En dehors du champ de la santé, un exemple d’utilisation d’une telle approche pourrait être l’évaluation de la valeur du temps par l’analyse des choix réalisés par les consommateurs entre différentes modalités de transport. L’application de ce type de méthode rencontre des difficultés importantes pour les biens et services de santé, qui sont en général prescrits, donc pas choisis par l’usager et couverts par des mécanismes assurantiels.
Une analyse de la littérature montrerait un nombre très important d’études de propension à payer, sauf dans le contexte français, où, selon Claude Le Pen [3], il y aurait une réticence à exprimer en unité monétaire la valeur d’une vie humaine. L’adaptation de l’économie du bien-être aux actions de soins de santé est passée par la réalisation d’études coût-utilité, pour lesquelles ce qui est mesuré n’est pas un bilan économique. On mesure alors la différence du coût de mise en œuvre d’une action de santé par rapport à la situation de départ et on rapporte cette différence à la différence attendue en termes de « quantité d’utilités » produites avant et après. Le résultat est un ratio coût-efficacité ou coût-utilité.
Cette approche remplace une difficulté, celle de la mesure de la propension à payer pour un bénéfice donné (ou la valeur révélée), par celle de la mesure de l’utilité retirée d’un bénéfice en santé : morbidité et mortalité évitées, qualité de vie. Ce point sera traité plus loin. Mais elle présente une difficulté nouvelle : s’il est facile de classer différentes actions de soins en fonction du bénéfice net attendu mesuré en euros, comment juger du niveau d’un ratio ? Il faut qu’une société donnée se dote d’un seuil de référence au-delà duquel l’action sera jugée trop chère au regard du bénéfice marginal attendu. C’est ce que les économistes appellent le coût d’opportunité de la dépense en santé.
L’« extra welfarisme » et le pragmatisme britannique
L’école britannique de l’évaluation économique en santé s’est construite en partie à côté de l’approche américaine néo-classique, tout en gardant le principe d’une allocation des ressources publiques en santé fondée sur les études de type ratio coût-efficacité. Ce choix a été très fortement déterminé par le rôle joué au Royaume-Uni par les économistes de la santé académiques et par les fondements du service national de santé (national health service, NHS). Les services de santé sont en effet financés sur le budget de l’Etat. La majorité du système hospitalier est de statut public. La médecine de ville est de statut libéral mais régulée par un modèle de contrat unique signé avec le payeur public, dans le cadre d’un accord entre la British medical association (BMA), syndicat unique de la profession, et le NHS. Si le budget du NHS peut évoluer au cours du temps en fonction des besoins, l’accession à la prise en charge par le NHS de toute activité de soins nouvelle (programme de santé publique, innovation thérapeutiques) doit faire la preuve de sa rentabilité collective : la démonstration doit être faite que le coût marginal de sa mise en œuvre rapporté au bénéfice marginal ne dépasse pas un seuil donné. Ce principe découle de l’application d’un modèle d’optimisation sous contrainte, le seuil étant le coût d’opportunité de la dépense en santé. Ce concept est central : il signifie qu’au-delà d’un certain seuil, la dépense engagée pour une catégorie de patients prive d’autres patients du bénéfice de traitements qui seraient plus coût-efficace. Ce principe repose donc sur une forme de justice allocative collective. En quoi ce modèle se différencie-t-il de l’approche welfariste ? Premièrement, la mesure du résultat n’est pas égale à la somme des utilités des individus potentiellement bénéficiaires, mais à une quantité de santé valorisée pour le gestionnaire du système, comptable de l’emploi des ressources publiques. Cette quantité de santé est mesurée principalement en années de vie, mais il est nécessaire de prendre en compte la qualité de vie associée à son allongement [11].
Comment mesure-t-on cette qualité de vie ? Là s’opère au moins un rapprochement pragmatique avec l’économie du bien-être. Il importe de savoir quelle valeur (utilité ?) relative les individus accordent à des états de santé donnés. La mesure de la quantité de santé produite est alors égale à la durée de la survie multipliée par la valeur de l’état de santé observée au cours de cette survie.
Au Royaume-Uni (et avant en Australie), les résultats d’un calcul coût-efficacité ont été considérés comme une information déterminante avec l’évaluation clinique pour décider de la prise en charge d’un traitement nouveau. Le calcul économique présenté par les promoteurs d’une action nouvelle aboutit à un ratio incrémental de coût par année de vie gagnée en bonne santé (le coût par QALY, pour quality adjusted life years). La création du National institute for clinical excellence en 1999 (le NICE) a opérationnalisé la notion de seuil d’acceptabilité d’une dépense supplémentaire en santé. Si le ratio coût par QALY est inférieur à 20 000 £ (environ 23 000 € au taux de change actuel) par année de vie gagnée en bonne santé et s’il présente un ratio bénéfice/risque favorable, il sera pris en charge par le NHS au prix demandé par l’industriel. Entre 20 000 £ et 30 000 £, le rapport coût bénéfice est considéré comme acceptable. Au-delà, la prise en compte d’autres dimensions va conduire à une prise en charge qui peut être conditionnelle et à une négociation de prix.
Les débats qui se sont engagés (auxquels les économistes de la santé français ont peu participé7) ont porté sur le caractère orthodoxe du point de vue de l’économie du bien-être, du QALY comme mesure d’utilité. Ce débat académique a donné lieu à de multiples publications dans les meilleures revues de la discipline.
Un deuxième débat plus opérationnel a eu lieu sur la meilleure méthode pour décrire les états de santé et les valoriser. Le constat de départ (partagé par les psychométriciens) était que la qualité de vie liée à la santé (health-related quality of life) est multi-dimensionnelle, ce qui conduisait à des systèmes descriptifs dits multi-attributs. Deuxièmement, il fallait que ces systèmes descriptifs soient génériques, de façon à pouvoir assurer la comparabilité de plusieurs actions de santé appliquées à des domaines différents. Deux systèmes descriptifs ont été développé par des économistes et ont fait l’objet de valorisation. Le premier, intitulé HUI (health utility index), a été développé par l’équipe de George Torrance de l’université Mc Master, à Toronto (Canada). La troisième version (HUI3 [12]) comporte 8 dimensions, chacune décrite par 5 ou 6 niveaux. La combinaison des réponses sur chaque dimension génère 972 000 états de santé. Le deuxième système est le questionnaire EQ-5D, développé par un consortium de recherche privé à but non lucratif basé aux Pays-Bas, EuroQol. Le système descriptif comporte 5 dimensions avec trois niveaux de gravité par dimensions et génère 243 états de santé (EQ-5D-3L) [13]. Il est maintenant remplacé par un questionnaire qui comporte 5 niveaux de sévérité par dimension (EQ-5D-5L) et génère 3 124 états de santé [14].
D’autres critiques ont porté sur les biais potentiels du QALY dans l’analyse comparative de différentes actions de santé. Le critère du gain incrémental en QALY ne permet pas de prendre en compte des questions d’équité dans l’allocation des ressources. Le multiplicateur en années de vie tend à pénaliser les traitements de fin de vie. Le postulat d’une égale valeur des écarts de QALY quel que soit la valeur de base (« A QALY is a QALY is a QALY ») a également été contesté, au regard des préférences collectives exprimés dans plusieurs enquêtes en population générale pour le traitement des maladies graves. Le HYE (healthy year equivalent) [15] a été proposé comme alternative au nombre de QALY. Les auteurs ont avancé que ce qui était important pour la personne malade était la succession des états de santé par lesquels il transitait, et pas la somme finale de leurs durée multipliée par les valeurs attachées à ces états de santé. Ceci conduisait alors à faire valoriser l’ensemble des profils de santé possibles. Malgré sa supériorité conceptuelle sur le QALY, la difficulté des procéder à une valorisation des HYE a limité son utilisation [16].
Le choix de la méthode de valorisation des états de santé définis soit par le HUI, soit par le questionnaire EQ-5D a également fait l’objet de nombreux débats. Par construction, les valeurs attendues des enquêtes empiriques qui ont été réalisées sont des valeurs d’utilité déclarée. Ces valeurs doivent représenter des choix faits par les individus entre les plusieurs situations, sachant que ces choix portent à la fois sur la durée de chaque situation ou état de santé et la dimension probabiliste de survenue de ces états. Les débats scientifiques ont porté sur les mérites et défauts des deux principales familles de méthode, l’arbitrage intertemporel, et le pari standard (standard gamble, SG).
De façon simplifiée, l’arbitrage intertemporel consiste à demander à un répondant de choisir entre deux options :
Un état de santé moins bon qu’une santé parfaite pendant t année suivi du décès
Un état de santé parfaite pendant x années, ou x est inférieur à t.
La valeur de l’état de santé à l’étude est obtenue en faisant varier x, jusqu’à ce que les deux situations soient considérées comme équivalentes par la personne interrogée.
De façon simplifiée, le pari standard consiste à présenter deux loteries à un répondant :
Être dans un état de santé i donné, moins bon que la bonne santé, pendant t années
Être dans la situation où la personne a une probabilité p d’être en bonne santé pendant t années, et une probabilité (1-p) de mourir.
La valeur de l’état de santé i est obtenue en faisant varier p, jusqu’à ce que la personne soit indifférente entre les deux paris.
Du point de vue de la théorie économique, le pari standard est supérieur à l’arbitrage intertemporel, car il permet d’intégrer l’incertitude inhérente à tout futur choix. Néanmoins, parce que son utilisation peut poser des difficultés aux personnes interrogées dans le but de définir des valeurs d’états de santé, l’arbitrage intertemporel s’est imposé dans la plupart des exercices de valorisation. Il n’est pourtant pas lui-même à l’abri de critiques : son application nécessite le choix d’une période de référence pour l’arbitrage (dans la majeure partie des cas, 10 ans), alors que nous pouvons faire l’hypothèse que les arbitrages réalisés varient en fonction de l’âge du répondant. Par ailleurs, d’autres méthodes ont été proposées, inspirées des méthodes d’évaluation des attributs d’un bien ou d’un service, dérivées du marketing, appelées méthodes de choix discrets. Dans ce cadre, les répondants se voient présenter une paire d’états de santé qui se différencient par des valeurs d’un attribut identifié comme pertinent.
Enfin, une dernière question est relative à la sélection des personnes appelées à participer à un exercice de validation. Il paraît logique d’interroger en priorité des personnes qui ont expérimenté chacun des états de santé. Or, en sus des problèmes majeurs de constitution d’échantillons représentatifs avec des questionnaires générant plusieurs milliers d’états de santé, le cadre posé par l’« extra-welfarisme » est celui d’informer le décideur gestionnaire du budget public sur les préférences de la population qu’il dessert. Les valeurs obtenues dans la population générale sont en quelque sorte le reflet des préférences des assujettis-citoyens, indépendamment de l’expérience qu’ils/elles ont eue de la maladie.
En France, il existe une valorisation du questionnaire HUI3 [18] et des deux versions du questionnaire EQ-5D, à trois et cinq niveaux [19, 20]. Le questionnaire HUI3 a été valorisé à partir d’une enquête auprès d’un échantillon de 365 personnes représentatives issues de la population française, sur la base de leur zone géographique et de la taille de leur commune de résidence et de leur catégorie socio-professionnelle. La méthode de valorisation utilisée a été l’échelle visuelle analogique, L’échantillon utilisé pour le EQ-5D-3L était de 300 personnes représentatives de la population française métropolitaine de plus de 18 ans en termes d’âge, de sexe et de catégorie socioprofessionnelle. Elles ont été recrutées sur l’ensemble du territoire français. Pour le questionnaire EQ-5D-5L, un échantillon de 1 048 personnes représentatives de la population générale sur la base de l’âge, de sexe et de la catégorie socio-professionnelle a été utilisé. Dans le premier cas, la méthode de valorisation utilisée a été l’arbitrage intertemporel sur 10 ans. La deuxième étude a utilisé un mélange de valeurs obtenues par l’arbitrage intertemporel et des choix discrets.
Malgré les critiques souvent fondées adressées au QALY comme mesure de référence du bénéfice en santé, c’est sans nul doute sa simplicité d’application, en particulier celle de l’outil EQ-5D, qui en a fait l’outil de référence dans les études économiques, par autorenforcement. Puisqu’il s’agit de créer un espace de comparabilité des stratégies entre elles, quel que soit le domaine thérapeutique, les premières publications servent de référence aux autres.
L’évaluation économique en France post rationalisation des choix budgétaires
Avant d’aborder l’état des lieux du calcul économique en santé en France et son évolution, une synthèse rapide sur ce qui rapproche et surtout ce qui va différencier les méthodes utilisées entre les trois racines présentées ci-dessus est nécessaire. Le calcul économique « à la française » n’a pas généré d’autres applications aussi impactantes que celle du plan Périnatalité [8]. La fenêtre des évaluations coûtsbénéfices se ferme donc progressivement au sein du ministère de la Santé. Selon Marie-Thérèse Chapalain [8], l’année 1981 marque un tournant dans l’attention portée à ces méthodes, en partie à la suite du renouvellement des équipes de conseillers et aux changements des agendas politiques. Cependant, le débat sur l’application de la valeur de la vie humaine en santé a perduré, entre les économistes impliqués dans l’évaluation économique des investissements publics et les économistes plus spécialisés en santé. Le débat « welfarisme-extra-welfarisme » a été principalement un débat anglo-américain. Au-delà du débat théorique, les difficultés des applications des études dites de propension à payer, ingrédient essentiel des études coût-bénéfice, ont rapproché les deux écoles sur la nécessité de disposer de mesures de l’utilité retirée par les patients d’une intervention en santé. Ce débat est devenu ambigu, dans la mesure où le concept d’utilité a été transformé par l’approche extra-welfariste en un concept de valeur d’un état de santé mesurée en population générale sur la base de ce qui pourrait s’assimiler à un sondage. Cette valeur est ensuite utilisée comme mesure de la quantité de santé que va chercher à maximiser un gestionnaire mandaté par les institutions politiques de son pays et soumis à une contrainte budgétaire. Cette approche est congruente avec le modèle adopté au Royaume-Uni d’un système public universel financé principalement par l’impôt, dont le système hospitalier est essentiellement public et au sein duquel la médecine de ville libérale fonctionne comme un duopole entre l’État et un syndicat médical en position de monopole, la British medical association. Ce qui est singulier dans l’approche extra-welfariste est son application sans état d’âme à l’accès au remboursement des innovations thérapeutiques avec l’institutionnalisation d’un seuil de coût par QALY servant de couperet à la prise en charge.
En France, à la fin du xxe siècle, l’adoption de cette démarche était impossible, voire impensable. Il n’était pas légitime (et c’est encore le cas) de refuser à un groupe de patients souffrant d’une maladie donnée l’accès à des soins efficaces, au motif que son rapport coût par décès évité est trop élevé au regard d’autres opportunités de traitement, ce que les économistes anglais qualifient de « foregone benefits ». À l’époque et jusqu’en 2008, cette notion d’efficience de la dépense est absente du code de la Sécurité sociale. Jusqu’en 2008, les articles de ce code, portant sur l’admission au remboursement des médicaments, précisent les conditions requises pour la prise en charge par la collectivité.
Selon ces articles, tout traitement ayant fait la preuve de son efficacité relative au regard des alternatives existantes est admissible au remboursement. Par voie de corollaire, tout médicament n’ayant pas fait la preuve d’un intérêt suffisant ou s’adressant à des affections peu sévères entraînerait des dépenses injustifiées pour l’assurance maladie. Dans le code de santé publique, ceci apparait comme la seule mention économique prise en considération. De ce fait, le calcul économique d’un « rendement » en santé n’a pas sa place dans le contexte français.
Qu’en était-il dans les milieux professionnels et académiques ? Faire de l’archéologie fine de l’économie de la santé sur la période 1981 à nos jours n’est pas possible dans le cadre de ce texte. L’auteur se fonde sur son histoire personnelle et une recherche documentaire sommaire pour identifier les principaux producteurs, brosser un tableau des priorités thématiques de la spécialité, en particulier la place de l’évaluation économique en santé. Le découpage temporel qui suit est en partie arbitraire. La période 1980-2000 est une période de latence, pendant laquelle l’offre et la demande d’évaluation économique des actions de soins est parcellaire. La période 2001-2013 est une période de consolidation de l’offre et de la demande. On évoque ensuite la période qui s’est écoulée jusqu’à nos jours.
L’évaluation économique en santé mijote àfeu doux
Sur la période 1980-2000, l’offre en économie de la santé a été le fait d’équipes universitaires, associées pour certaines à l’INSERM et/ou au CNRS, d’une équipe associative financée par l’assurance maladie, le Centre de recherche et de documentation en économie de la santé (le CREDES, devenu IRDES), et la Direction des études économiques et de la statistique commune aux administrations nationales de la santé et du travail (DREES). Il existait également un pôle de recherche en gestion de la santé à l’École des Mines, et d’économie et de gestion de la santé à l’Éole polytechnique.
Avant 1980 et durant cette période, les thématiques principales de recherche des pôles universitaires ont été l’analyse des déterminants des dépenses de santé, l’évaluation du fonctionnement des services de santé, la modélisation de la fonction de production hospitalière afin de mettre en évidence des effets d’échelles, le rôle de la concurrence entre offreurs de soins, hôpital et médecins de ville, les modes de paiement, le rôle de la planification. Cette liste est non exhaustive, mais elle illustre le fait que les questions de recherche portaient principalement sur le fonctionnement du système de soins de santé et à quelques exceptions près, n’incluait pas l’évaluation économique des actions de soins.
Celle-ci existait à l’état « rampant », portée par deux courants de pensée et de pratiques. Un petit nombre d’économistes français était convaincu de l’intérêt du calcul économique en santé comme outil d’aide à la décision dans l’allocation des ressources. Ce courant s’inscrivait dans le champ international. Les études coût-efficacité avaient atteint un degré élevé de maturité au Royaume Uni, aux Pays Bas, dans les pays nordiques et dans d’autres pays anglo-saxons comme l’Australie, tant du point de vue des concepts que des méthodes utilisables pour aboutir à l’estimation d’une valeur attribuée à différents états de santé par les individus. Dans ces pays, la valeur du ratio coût-efficacité était un critère d’admission au remboursement, soit de façon formelle avec la publication de seuils de référence comme au Royaume Uni, soit de façon plus informelle. Dans les deux cas, cependant le calcul de ce ratio était exigé des industriels. Dans le cas des Etats-Unis, ce développement très avancé n’était en rien lié à une contrainte imposée par un payeur unique, comme cela a été le cas au Royaume-Uni, mais relevant d’un contexte de notoriété scientifique et de valeur sur le marché du financement de la recherche. Le calcul d’un ratio coût-bénéfice (en général un coût par année de vie en bonne santé gagnée) ne rentrait pas en compte dans une négociation de prix entre l’industriel et les assureurs. Il servait principalement d’argument dans la « proposition de valeur » du produit par l’industriel dans l’accès au marché remboursé, dans une perspective de marketing du produit.
La conjonction d’une demande d’expertise par les industriels, de l’existence d’acteurs académiques convaincus de la pertinence des concepts du calcul économique pour rationaliser les décisions publiques, et l’existence de consultants spécialisés à l’affut d’un nouveau marché a conduit à l’émergence d’une production française, très concentrée sur deux ou trois équipes et un petit nombre d’auteurs. En particulier, l’Unité 357 de l’INSERM dirigée par le Professeur Michèle Fardeau a produit des travaux théoriques et appliqués sur la prise en compte des préférences déclarées des femmes en matière de stratégie de dépistage de la Trisomie 21. Une grande partie de la communauté universitaire en économie de la santé était plutôt hostile à cette approche d’études qui cumulait trois défauts : être contraire à la philosophie française universaliste d’accès aux soins, être une recherche appliquée plus proche du travail d’ingénieur que d’économiste académique, et être en grande partie financée par l’industrie pharmaceutique.
Le deuxième courant porteur de l’évaluation économique des actions de santé est l’émergence à la fin des années 1980 du thème de la rationalisation des dépenses de santé et de la médecine fondée sur les preuves. À partir des constats répétés de l’assurance maladie sur les pratiques de prescription en médecine de ville, sur les variations locales observées des pratiques d’examen ou d’actes chirurgicaux, une politique publique de « normalisation » des pratiques médicales et d’évaluation systématique de celles-ci émerge. L’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (ANDEM) est créée à la fin de l’année 1989. Elle a été remplacée en 1997 par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (ANAES), qui sera elle-même absorbée par la Haute autorité de santé en 2004. Même si la part des approches économiques dans les rapports de ces agences est modeste, au regard du faible nombre d’études françaises réalisées sur les technologies nouvelles, la culture de l’évaluation s’est ancrée dans le système hospitalier public. Par exemple, l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) avait créé le Comité d’évaluation des innovations technologiques (CEDIT) en 1982. Le CEDIT a produit des rapports et recommandations pour l’AP-HP, mais également des études coût-efficacité publiées dans les revues de la spécialité [21]. Au début des années 2000, le ministère de la santé a renforcé cette composante hospitalière par le financement de programmes de recherche dits de soutien aux innovations thérapeutiques coûteuses (les STIC). Les objectifs de ce programme étaient les suivants : d’une part, financer l’accès à l’innovation dans l’attente de la fixation d’un tarif pour la rembourser, permettre l’apprentissage des innovations à l’étude, en estimer les coûts et éventuellement, réaliser une évaluation économique de type coût-efficacité.
L’évaluation des produits de santé sans l’économie
Après l’année 2000, le développement des travaux en évaluation économique est plus étroitement lié à l’évolution de la réglementation en matière d’évaluation des produits de santé, d’accès au marché et de fixation des prix. Jusqu’à la création de la HAS en 2004, les deux organes d’évaluation des produits de santé, la Commission de la transparence (CT) et la Commission des dispositifs médicaux étaient hébergés par l’Agence du médicament (à l’époque, l’AFSSAPS). On se restreint ici à la Commission de la transparence, qui donne un avis sur l’accès des médicaments au remboursement, ainsi qu’une indication de valeur. La CT évalue le service médical rendu (le SMR), qui détermine l’accès au remboursement. Elle évalue l’amélioration du service médical rendu (ASMR), une échelle à 5 niveaux caractérisant le progrès thérapeutique du nouveau traitement, le niveau I représentant une amélioration majeure, et le niveau V l’absence de progrès thérapeutique. La CT définit également la place du produit dans la stratégie thérapeutique et la taille de la population éligible au traitement. Jusqu’en 1999, les textes prévoyaient la présence d’un spécialiste en économie. Celui-ci pouvait donner un avis sur le caractère d’une dépense supplémentaire, mais sans disposer d’une étude d’évaluation complète. Cette présence a disparu en 1999, consacrant la volonté de centrer l’évaluation sur des critères cliniques et de santé publique.
La fixation du prix des médicaments (et des autres produits de santé) est du ressort du comité économique des produits de santé (le CEPS). Ce comité n’a pas vocation à porter un jugement sur la valeur thérapeutique des produits. Il négocie le prix de chaque produit dans une indication donnée dans le cadre de règles conventionnelles définies depuis 1994 par un accordcadre entre l’industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics. Jusqu’en 2013, la logique de fixation du prix ne pouvait pas intégrer le résultat d’une étude de coût-efficacité, puisque celle-ci n’était pas requise. Elle reflète le pouvoir relatif de négociation entre le CEPS et l’industriel. Face à un nouveau produit à haute valeur ajouté, donc répondant à un besoin important (par exemple absence de solution thérapeutique satisfaisante), le CEPS n’est pas en position de force. En revanche, si l’apport d’un produit est minime, voire nul, le CEPS peut légitimement refuser de payer un prix élevé par rapport aux prix des comparateurs.
Ce mécanisme ne laisse aucune part à une évaluation économique ex ante, qui pourrait a minima informer le CEPS du coût par année de vie gagnée en bonne santé. Mais pour les économistes, cette information a du sens si l’on dispose d’une référence de ce que le payeur public français est prêt à payer, le fameux seuil. Pour les médicaments et les dispositifs médicaux, la demande industrielle d’études à des fins d’accès au marché se tarit et ne se reporte que partiellement sur des études avec une finalité de communication. Alors que certains grands laboratoires avaient constitué des équipes d’économistes importantes, ils en réduisent la taille. La demande se reporte aussi partiellement sur des études d’impact budgétaire, qui deviennent un outil important dans la négociation avec le CEPS.
Améliorer les études d’évaluation en santé
Malgré l’apparent désintérêt des instances de régulation de l’accès au marché, deux facteurs ont joué en faveur le développement d’études d’évaluation économique de qualité, à l’initiative du collège des économistes de la santé. Constatant un déficit de visibilité des travaux français dans ce domaine et notamment dans les revues de langue anglaise de référence, le collège a cherché à internationaliser ses échanges scientifiques. La communauté scientifique du Royaume-Uni a été privilégiée, avec l’organisation périodique de rencontres scientifiques. Le champ couvert par ces rencontres dépassait le cadre de l’évaluation économique. Mais le rôle joué au Royaume-Uni par le NICE et une politique active de communication de nos collègues anglais ont conduit à replacer le thème de l’évaluation sur l’agenda du Collège. À l’instar de nos collègues de langue anglaise, un premier objectif a été de définir un guide méthodologique précisant les « bonnes pratiques » de publication. Une première version d’un tel guide avait déjà été rédigée en 1997. En 2003, un groupe de travail a été constitué pour rédiger un guide méthodologique pour l’évaluation économique des stratégies de santé [22]. Dans le même temps, le CES a obtenu un financement de la Communauté européenne pour développer une base de données similaire à celle du service national de santé britannique, la EDD (economic evaluation database), recensant les publications françaises dans le domaine avec une grille de critères. Faute de support financier sur le long terme, la base CODECS (Connaissances et Décision en Économie de la Santé) n’a pas pu être maintenue, mais elle a créé une culture commune de lecture critique des articles, avec notamment l’élaboration d’une grille d’analyse des publications, dans l’objectif d’augmenter la transférabilité des résultats d’un pays à l’autre.
L’évaluation économique à l’hôpital
Si la demande industrielle baisse ou stagne, en revanche, la demande d’études économiques soit avec une perspective hospitalière, soit une perspective collective, augmente dans les établissements hospitalo-universitaires et les centres de lutte contre le cancer. Ceci est lié à la publication d’appels d’offres financés sur fonds public. Par exemple, la Direction des hôpitaux finance à cette époque le programme de soutien aux innovations thérapeutiques coûteuses (le STIC). Le principe de ce programme est de financer l’accès à des traitements non médicamenteux innovants (par exemple, la chimiothérapie intra-péritonéale associée à une chirurgie d’exérèse) dans un petit nombre de centres, en contrepartie d’un apprentissage partagé de la technique permettant sa diffusion future, ainsi qu’un recueil de données de résultats et de coûts, pouvant servir de base à la fixation d’un tarif. Les équipes hospitalières d’économistes ont tenté d’y associer une étude coût-efficacité du point de vue de la collectivité, lorsque cela était possible [24].
Le modèle spécifique de l’évaluation économique des vaccins
Le vaccin est également un domaine qui a donné lieu à la préparation d’évaluations économiques en termes de coût par année de vie gagnée, pondérée ou non par la qualité. En effet, historiquement, les recommandations en termes de vaccination et donc l’accès au remboursement ont été de la responsabilité du Conseil supérieur d’hygiène publique de France jusqu’en 2007, puis du Haut conseil de la santé publique. Les recommandations de ces deux instances étaient éclairées par les évaluations réalisées par le comité technique de la vaccination (CTV). À partir de 2007, le HCSP a fondé ses recommandations sur une analyse approfondie des bénéfices attendus de la vaccination avec un exercice de modélisation des différentes stratégies envisageables. Ces modélisations ont permis également de réaliser des études coût-efficacité, indépendantes de celles présentées par les industriels. Le premier dossier a ainsi traité de la vaccination contre les papillomavirus. L’avis rendu par le HCSP est un tout : on ne saurait identifier à coup sûr le poids éventuel du calcul du coût par année de vie gagnée. Néanmoins, les auteurs des rapports font explicitement allusion à un seuil recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’un maximum de 3 PIB (produit intérieur brut) par habitant, soit pour la France d’aujourd’hui, environ 117 000 €. Les rapports proposent également des scénarios avec des prix différents, pour identifier ce que serait un prix acceptable. L’originalité de ce dispositif tenait à deux éléments. Les modèles étaient développés par des équipes universitaires indépendantes financées sur fonds public, et le comité technique de la vaccination utilisait explicitement une borne supérieure acceptable de rentabilité collective. Depuis l’intégration en 2017 du comité technique de la vaccination à la HAS comme commission, ce modèle ne fonctionne plus de manière identique. Ses avis économiques sont fondés sur une revue de la littérature internationale, et les modèles présentés par les laboratoires sont évalués par la Commission d’évaluation économique et de santé publique de la HAS.
L’évaluation économique enfin reconnue
La Loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour l’année 2007 a inscrit l’évaluation économique dans les missions de la Haute autorité de santé. (Art L161-37, Code de la Sécurité Sociale, modifié par la LFSS 2017) :8
« Dans le cadre de ses missions, la Haute Autorité de santé émet des recommandations et avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescription ou de prise en charge les plus efficientes. »
La Loi a abouti à la création de la commission d’évaluation économique et de santé publique, la CEESP, dont la première présidente et membre du Collège de la HAS a été le Professeur Lise Rochaix. Le règlement intérieur de la CEESP définit les missions de l’époque9 :
« Proposer au Collège de la Haute Autorité de Santé les décisions relatives à la validation et à la diffusion :
des recommandations et avis médico-économiques sur les stratégies de soins, de prescription ou de prise en charge les plus efficientes mentionnés à l’article L.161-37 du code de la sécurité sociale ;
des avis mentionnés à l’article L.161-40 du code de la sécurité sociale sur la liste des consultations médicales périodiques de prévention et des examens de dépistage mis en œuvre dans le cadre des programmes de santé visés à l’articleL.1411-6 du code de la santé publique ;
des travaux d’évaluation de la qualité de la prise en charge sanitaire de la population, mentionnés à l’article L.161-40 du code de la sécurité sociale, concernant la qualité et l’efficacité des actions ou programmes de prévention, notamment d’éducation pour la santé, de diagnostic ou de soins ;
des travaux méthodologiques utiles à la réalisation des missions de la Haute Autorité de Santé dans le champ de compétence de la Commission.
Apporter une expertise relative aux études économiques effectuées :
par le service « évaluation économique et santé publique » ;
par d’autres services de la Haute Autorité de Santé ; »
L’évaluation économique fait son entrée à la HAS par la porte de l’évaluation des actions de santé publique, même si l’évaluation des produits de santé est inscrite dans ses missions. La composition de la CEESP reflète la volonté du législateur de promouvoir une évaluation pluridisciplinaire : elle inclut c’est encore vrai des économistes, des sociologues et psychologues, des spécialistes en santé publique, des pharmaciens hospitaliers, des professionnels de santé, un directeur d’hôpital, un éthicien, et des représentants des associations de patients.
À titre d’exemple, en 2010, la note de présentation de la CEESP faisait état d’un dossier d’évaluation sur les stratégies médicamenteuses du contrôle glycémique pour le diabète de type II, mais également de l’évaluation du dépistage néonatal systématique de la mucoviscidose en France. L’agenda de la CEESP était alors principalement rythmé par les demandes externes des instances publiques (ministère de la santé, assurance maladie).
Au sein de la commission, les économistes de la santé représentent le sous-groupe le plus important, avec la présidente, le Professeur Lise Rochaix et sept personnes. Ceux-ci vont constituer le « groupe des économistes », qui va établir les éléments de doctrine de la HAS dans le domaine. Ce groupe va collaborer avec le collège des économistes de la santé, en prenant comme point de départ le guide publié en 2003 par le collège. Une première version du guide a été publiée en 201110, avec une première mise à jour en 202011.
Ce travail préfigure l’ancrage des études d’évaluation économique dans la procédure d’évaluation des médicaments et des dispositifs médicaux, inscrit dans la LFSS de 2012 (Article 47) et son décret d’application (n° 2012-1116 du 2 octobre 2012). Le décret s’appliquera à la date anniversaire de sa parution, en octobre 2013. La HAS, par le biais de la CEESP, doit rendre un avis sur les études économiques présentées par les industriels du médicament et du dispositif médical qui revendiquent une amélioration du service médical rendu ou du service attendu majeure, importante ou modérée (ASMR et ASA 1,2 ou 3) et dont l’impact attendu sur les dépenses de l’assurance maladie dépasse un seuil au-delà de deux ans de commercialisation. Cet avis sera préparé par la CEESP en même temps que l’évaluation clinique et l’accès au remboursement des produits seront réalisés pour les médicaments par la commission de la transparence (CT), et par la commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMTS) pour les produits couverts par son champ de compétence.
La définition de l’éligibilité des produits à la présentation d’une étude d’évaluation économique va évoluer au cours du temps. A ce jour, les invariants sont les suivants. Le résultat de l’étude d’évaluation présenté par l’industriel n’a pas d’impact sur l’accès au remboursement, qui reste du ressort des deux commissions compétentes et ne prend pas en compte l’impact économique des produits évalués. Ceci a pour conséquence que, contrairement au Royaume-Uni, le législateur français n’a pas défini de seuil au-delà duquel le remboursement d’un produit pourrait être refusé ou discuté. Ce thème a fait et fait encore l’objet de débats récurrents dans la communauté des économistes de la santé et au sein même de la HAS. L’avis rendu par la CEESP sur les études présentées par les industriels est destiné à informer la négociation de prix entre l’industriel et le CEPS. Sommairement, cet avis prend la forme suivante : en fonction d’une grille de critères de conformité des dossiers au guide méthodologique élaboré par la CEESP, la commission peut conclure à une acceptabilité des résultats de l’étude. Dit autrement, si l’étude conclut à un ratio différentiel coût-résultat (RDCR, terminologie officielle pour désigner un ratio coût-efficacité) acceptable, le CEPS peut s’appuyer sur les estimations du laboratoire pour positionner le prix du traitement nouveau par rapport aux comparateurs. La CEESP du point de vue méthodologique peut aussi conclure à un résultat inacceptable, soit que l’industriel n’a pas respecté tous les critères de conformité, soit que les données disponibles sont trop parcellaires et génèrent une incertitude forte sur le calcul du RDCR. L’impact réel des études et des avis de la CEESP sur la fixation des prix est difficile à estimer. D’une part, la discussion de prix entre industriel et CEPS est confidentielle. D’autre part, les règles de fixation des prix sont fixées par un accord bilatéral (accord-cadre) entre les pouvoirs publics, représentés par le CEPS et par le LEEM, organisme représentatif des industriels du médicaments. Un rel accord n’existe pas pour les dispositifs médicaux et technologies de santé. Or l’accord-cadre spécifie que si un médicament obtient une amélioration du service médical rendu de niveau 1,2 ou 3 (produit dit « innovant »), l’industriel peut imposer son prix, dès lors que celui-ci ne dépasse pas le prix le plus élevé observé dans les quatre marchés européens principaux (Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni). L’impact réel des études d’efficience serait donc plus important dans les cas où la demande d’une amélioration du service médical rendu dit « innovant » serait rejetée et que le produit obtiendrait une amélioration du service médical rendu mineure. Dans ce cas, cependant, le coût des comparateurs devient un point d’ancrage important pour le payeur. Là encore, l’impact décisionnel des études d’efficience est difficile à évaluer.
Du point de vue théorique et méthodologique, la publication du Guide se situe entre l’économie du bien-être et l’extra-welfarisme : il y a une « French touch », qui correspond à la nécessité d’adapter les méthodes aux institutions de chaque pays. Par exemple, la perspective choisie est, selon le guide, celle qui inclut l’ensemble des personnes ou institutions affectées, que ce soit en termes de perspective collective, d’effets sur la santé ou de coût, par la production d’une intervention dans le cadre d’une prise en charge globale. Cette définition distingue l’approche française de l’économie du bienêtre, qui recommande l’inclusion dans l’évaluation des coûts et des effets des impacts d’une intervention sur l’économie du pays (par exemple l’impact sur la productivité). L’insistance est également mise sur la prise en compte de coûts effectifs (c’est-à-dire correspondant à l’utilisation effective de ressources). Elle se distingue également de l’approche du NICE, restreint l’analyse des coûts et des effets aux services du NHS. Ce choix est cohérent avec le financement des dépenses de soins de santé en France, qui comprend des dépenses à la charge des patients, soit sous la forme de l’adhésion à des assurances complémentaires, soit sous la forme de dépenses directes non remboursées.
Les études d’évaluation requièrent le traitement de flux de résultats et de coûts au cours du temps. En économie, cette question est traitée par l’application d’un taux d’actualisation, pour donner une valeur présente aux flux futurs. Sur ce point, le Guide adopte la recommandation française d’un taux applicable à tous les investissements publics, dans la lignée des travaux des ingénieurs économistes français, à savoir 2,5 %. D’un point de vue théorique, ce taux n’intègre pas l’incertitude inhérente aux actions de santé. En cela, ce choix s’écarte des choix des économistes du bien-être, qui recommanderaient soit un choix dicté par l’observation des taux d’intérêt à long terme, soit un taux prenant en compte l’incertitude sur les effets et d’autres facteurs macroéconomiques.
L’impact du décret de 2012 sur la production d’évaluations économiques en santé
L’obligation de dépôt d’une étude d’efficience a de fait stimulé la production d’études réalisées, principalement par les industriels du médicament (241 dossiers déposés jusqu’en décembre 2024, dont 19 pour des dispositifs médicaux12). Compte tenu du calendrier réglementaire, la réalisation de ces études a été assurée par des sociétés de conseil spécialisées en économie de la santé, s’appuyant sur des conseils scientifiques composés d’experts cliniciens, économistes et méthodologistes. En général, les études ont adapté des modèles conçus par les sociétés mères des filiales françaises, avec comme cadre méthodologique de base les exigences du NICE. Le travail local a consisté principalement à adapter des choix méthodologiques fondamentaux aux recommandations de la CEESP et à ajuster des paramètres numériques propres au contexte français.
Dans ce contexte, le travail technico-scientifique s’est déplacé du champ économique vers des problématiques de modélisation et d’analyse statistique. Par construction, les études économiques des actions de soins reposent sur des modèles de simulation du devenir des patients, au-delà des résultats des essais cliniques qui sont à la base de la démonstration des effets de nouveaux traitements. Les points suivants font régulièrement l’objet de discussions entre industriels, services de la HAS et experts membres des conseils scientifiques. Les points de méthode les plus fréquemment discutés ont été et sont encore la validité des études de comparaison indirecte de l’efficacité des traitements et le choix des méthodes d’extrapolation des données de survie à partir des données d’essais cliniques, et le choix d’un type de modèle en relation avec la nature du produit et de l’indication étudiée. Cette focalisation sur les questions de méthode est liée intrinsèquement aux principes présidant à la rédaction des avis, qui éloignent le débat des questions purement économiques. Elle est aussi très directement liée au fait que le facteur principal d’incertitude des modèles est la mesure de l’efficacité relative d’un traitement nouveau par rapport à ses comparateurs. Enfin, bien que les industriels aient maintenant intégré la mesure de la qualité de vie dans les essais cliniques d’enregistrement, les données recueillies le sont à titre exploratoire et sont souvent incomplètes. Les données de qualité de vie utilisées au-delà de la durée de l’essai clinique pour la modélisation à long terme sont tirées de revues de la littérature avec des valeurs d’utilité propres au pays ayant servi de support à l’étude. Faute de recueil de données en France, la qualité des données d’utilité est médiocre [25].
Un exemple concret des discussions méthodologiques en cours est celui de la modélisation des courbes de survie pour les thérapies nouvelles laissant espérer une guérison ou tout du moins une rémission complète de longue durée. Cela a été le cas pour les immunothérapies et maintenant les thérapies cellulaires dans les cancers solides et hématologiques, et désormais des thérapies géniques. Dans ces cas, les durées de suivi des patients après les essais cliniques suggèrent l’atteinte d’un « plateau » des données de survie, mais ne sont pas suffisantes pour asseoir l’hypothèse d’une guérison (« cure »). Les compétences mobilisées pour trouver des solutions méthodologiques qui confirmeraient de façon robuste ces hypothèses sont essentiellement celles de la modélisation mathématique, et non économiques.
Les études d’évaluation en santé publique
Il existe cependant un flux d’études économiques des actions de soins en dehors du champ de l’accès au marché. Le stimulus initial des programmes STIC se retrouve aujourd’hui dans sa version du programme de recherche médico-économique (PRME), un dispositif « initié en 2013 pour remplacer le Programme de Soutien aux Techniques Innovantes, coûteuses ou non (PSTIC). Conçu sous la forme d’appels à projets annuels, il a pour mission de soutenir financièrement des recherches menées par des établissements de santé sur l’évaluation médico-économique de technologies de santé et de stratégies de prise en charge, dont l’efficacité clinique a déjà été établie. »13.
Les vaccins ont aussi été un cas particulier de référence aux résultats des études d’efficience pour proposer le remboursement d’un programme d’immunisation. Dans ce cas, la valeur du ratio coût-efficacité telle qu’elle découle des travaux est prise en compte de façon explicite dans la décision finale de prise en charge. Jusqu’en 2017, l’accès au remboursement des vaccins était documenté par le Haut comité de la santé publique (HCSP), qui s’appuyait sur les travaux du Comité technique de vaccination (CTV). L’originalité de ce modèle tenait au fait que le HCSP disposait d’un budget d’études, lui permettant de mandater auprès d’équipes académiques d’économistes ses propres modèles d’évaluation. Les travaux économiques inclus dans les avis du HCSP ont porté sur le rotavirus, le papillomavirus les infections à méningocoque C, les infections invasives à méningocoque B, le zona et les infections à pneumocoque chez l’adulte. Chaque recommandation souligne de façon claire que les avis sont fondés sur l’ensemble des données épidémiologiques, cliniques et économiques, il est donc difficile d’identifier le rôle joué par les études économiques. Cependant, il est explicitement fait référence à une fourchette de seuils recommandée par l’OMS, de 1 à 3 PIB par habitant, ce qui correspondrait à une fourchette entre 38 775 € et 116 325 € en 2022. On peut penser que ces valeurs de référence ont joué un rôle dans le fait qu’en première intention, le vaccin contre le méningocoque B n’a pas eu une recommandation positive. En effet, le rapport concluait :
« Pour un coût par dose de vaccin de 60 €, les ratios coût par année de vie ajustée sur la qualité (QALY) varient selon les scénarios entre 585 000 et 1 816 000 €/QALY gagnée. Pour un coût par dose de vaccin de 20 €, ce même ratio varie entre 274 000 et 949 000 €/QALY gagnée »14.
Enfin, la réalisation d’études économiques s’est également imposée dans l’analyse des bénéfices des programmes de dépistage. La justification de la création de la CEESP était en effet, comme son nom l’indique, de réaliser des études d’évaluation économiques et de faisabilité de la mise en œuvre de stratégies de dépistage ou d’organisation des soins. Par exemple, en 2007, la HAS a publié un rapport sur les stratégies de dépistage de la Trisomie 21, incluant un volet économique15. Le dépistage organisé du cancer colorectal a fait l’objet d’une analyse économique des différentes options à la fois techniques et de ciblage des personnes16.
Une synthèse : théories, méthodes et usages
L’évaluation économique des actions de santé a trouvé sa place comme outil d’aide à la décision dans le contexte français, même si le poids de ses résultats dans les décisions d’allocation des ressources reste ambigu. Au sein du processus d’accès au remboursement et de fixation des prix des produits de santé, l’absence d’une valeur de référence, à l’instar du modèle britannique, limite le poids des avis de la CEESP, d’autant plus que ceux-ci sont centrés principalement sur des questions de méthode et de validité des résultats. Le positionnement des résultats présentés par les industriels permettrait en effet de porter un jugement sur le positionnement absolu (pour un produit) et relatif (en comparant plusieurs produits) quant au niveau de prix, sans remettre en cause le fait que l’évaluation économique n’a pas d’impact sur la décision d’accès au remboursement et l’accord-cadre entre l’Etat et l’industrie pharmaceutique. La CEESP a exprimé à plusieurs reprises le besoin d’établir cette ou ces références.
On a également souligné la place reconnue de l’évaluation économique dans l’analyse des produits et stratégies hospitalières, ainsi que dans l’analyse des programmes de vaccination et de dépistage. Dans le cas d’espèce, le but principal de ces études est de renseigner le décideur public sur la « rentabilité » collective de différentes stratégies, par exemple en termes de population ciblée, de techniques et de combinaison de stratégies. Dans les deux cas des vaccins et des programmes de dépistage, l’approche économique et l’approche de santé publique sont complémentaires et semblables dans leurs objectifs.
Qui réalise les études mentionnées ? Dans le cas des études destinées à la HAS, les opérateurs sont principalement des sociétés de service, qui sont devenues un débouché pour des jeunes diplômés de formation en statistique et en mathématiques appliquées et des pharmaciens de la filière industrie, formés dans les programmes de master. Les études hospitalières sont réalisées par des équipes internes, qui font collaborer statisticiens, économistes hospitaliers, pharmaciens et médecins de santé publique. Les études économiques sur les stratégies vaccinales demandées par les HCSP ont été réalisées par des économistes académiques, avec une forte compétence en modélisation. Dans tous les cas, pour aborder la question des méthodes, le champ d’expertise est moins économique que de mathématique appliquée, de statistique et de méthodologie de la recherche clinique. L’évaluation économique telle qu’elle est pratiquée, est avant tout une technologie sociale.
Que reste-t-il des débats théoriques abordés au début de ce texte ? On se limite dans ce qui suit au contexte français, qui se caractérise par une forme de syncrétisme entre approche du calcul économique à la française, welfarisme et extra-welfarisme.
De l’approche du calcul économique, la pratique française retient le choix d’un taux d’actualisation ne prenant pas en compte l’incertitude liée à l’efficacité des projets étudiés. Par ailleurs, le calcul d’un coût de l’année de vie gagnée en bonne santé (la valeur d’un QALY) à partir de la valeur statistique de la vie a été réalisée, à des fins de référence acceptable en santé, puisque dérivée des seuils appliqués pour d’autres investissements publics. Le résultat publié était de 147 093 €, plus élevé que les valeurs seuils référencées dans d’autres pays et proche de la valeur maximale de 3 PIB per capita.
On a déjà évoqué le fait que l’approche coût-bénéfice, attachée au modèle welfariste, avait donné lieu à peu d’applications en France, en raison des difficultés de mener des expériences de mesure de la propension à payer. Par ailleurs, cette absence d’appétence pour ce type d’études n’est pas indépendante des discussions théoriques entre économistes néo-classiques, alignés sur le courant dominant dans le monde anglo-saxon et économistes radicaux. Le seul point en débat est celui du périmètre des études d’efficience, à des fins de publication ou de soumission à la HAS. Adopter un cadre welfariste conduit à recommander la prise en compte des actions de soins sur le fonctionnement de l’économie, par exemple par le biais de l’impact de la maladie sur la force de travail. La pandémie récente de la COVID a montré que cet impact pouvait être massif. Malgré tout, les pouvoirs publics de tous les pays, y compris le Royaume-Uni, n’ont pas eu besoin de recourir à une évaluation économique des vaccins pour en recommander la prise en charge. Pour la HAS et la CEESP, il est admissible de proposer une mesure de ces coûts, mais dans des analyses de scénario. Mais il n’existe pas de consensus dans la communauté des économistes sur la façon de mesurer cet impact, à la fois en termes de nombre de perte de journées productives et de coût. Enfin, si pour le décideur, l’impact de la maladie sur l’utilisation des services de santé et leur coût est observable, les variations de l’absentéisme pour chaque maladie ne sont ni mesurées, ni valorisées par des flux monétaires identifiables.
L’approche française serait-elle extra-welfariste ? Elle est une adaptation de l’approche du NICE au contexte français. Dans le système britannique, la majorité des services de santé sont gratuits au point de contact, ce qui n’est pas le cas en France. Ceci conduit en France à une définition large du périmètre des études et de leur perspective. Le guide de la HAS parle de perspective collective, « renvoyant à l’ensemble des personnes ou institutions affectées, que ce soit en termes d’effets sur la santé ou de coût, par la production d’une intervention dans le cadre d’une prise en charge globale. » [25]. Cette perspective est originale et ne trouve pas d’équivalents dans les études publiées dans d’autres contextes, dans lesquels on va parler de perspective sociétale, incluant l’impact sur l’économie, ou de perspective du système de santé.
En matière d’évaluation économique institutionnelle, il existe donc en France une forme de syncrétisme entre les différentes théories racines du calcul économique en santé. Ceci est en partie dû à la nécessité d’adopter au contexte français d’organisation et de financement des soins de santé. Le cadre mis en place par les textes et appliqué par la HAS est rigide, mais ceci est justifié. En premier lieu, il y a une préoccupation de garantir une forme de cohérence au cours du temps permettant de maintenir la comparabilité des évaluations ; cette cohérence est renforcée par le souci de ne pas donner aux industriels l’occasion d’un recours au Conseil d’État au prétexte d’une rupture d’égalité de traitement. Cela ne signifie pas absence d’évolution de la doctrine : le guide méthodologique a été révisé une fois, sept ans après la première version. La HAS et la CEESP entretiennent des relations de coopération intellectuelle avec le Collège des Economistes de la Santé, soit pour améliorer la précision de certaines recommandations 17soit pour prendre en compte la puissante évolution survenue par l’accès aux données de remboursement de l’Assurance maladie, ouvrant la porte à une utilisation plus intensive de données en vie réelle [32]18.
Si l’utilisation du QALY comme mesure de l’apport en santé d’une action de soins fait encore l’objet de travaux académiques, soit théoriques, soit empiriques (par exemple pour montrer l’absence de pertinence pour certaines pathologies), ce calcul reste la métrique dominante. En l’espèce, la HAS a une posture conservatrice : les références internationales et surtout les recommandations du NICE servent de modèle. Le quasimonopole d’EUROQOL, le consortium scientifique à but non lucratif à l’origine du questionnaire EQ-5D, ne favorise pas non plus l’évolution méthodologique, même si le groupe continue ses recherches prospectives dans le but d’améliorer la pertinence de l’outil. Dans le contexte des études d’efficience présentées à la HAS, le principal problème n’est pas celui de l’outil mais de l’absence de données collectées auprès de patients français pour documenter les modèles. Ce qui manque sont les données relatives à l’expérience des patients au-delà du suivi de l’essai clinique, par pathologie.
Enfin, rappelons que les principaux producteurs de ces analyses institutionnelles ne sont pas les économistes académiques mais des sociétés de conseil spécialisées, disposant d’expertises fortes en modélisation et en analyse des données, en méthodologie des essais cliniques et en épidémiologie et surtout capables de délivrer un résultat dans un temps contraint par les délais des procédures publiques.
Les économistes académiques sont plus présents dans les autres domaines identifiés plus haut, en partie parce qu’il existe des financements publics. Ceci peut donner plus de souplesse sur les mesures adoptées de résultats des actions de soins, en utilisant des méthodes alternatives au questionnaire EQ-5D pour mesurer les variations de qualité de vie. Par exemple, l’étude des maladies rares chez l’enfant justifie l’utilisation de questionnaires spécifiques, avec leur propre méthode associée de mesurer de l’utilité déclarée [26]. On a donc d’un côté, une activité technico-économique institutionnalisée par l’obligation faite aux industriels de produire des analyses d’efficience, dont l’impact est limité. Les techniques utilisées font l’objet de recherches actives au niveau international, et plus limitées en France. L’utilisation de ces techniques est concentrée principalement dans la sphère académique et hospitalière de la santé publique.
Un changement est-il attendu dans les années à venir ? Au niveau des dispositifs d’accès au remboursement et de fixation des prix des produits de santé, l’introduction d’un changement majeurpar exemple, le choix d’un seuil de référence – est improbable, car elle nécessite une renégociation du cadre conventionnel actuel entre Etat et l’industrie. Par ailleurs, on ne voit pas aujourd’hui quelle serait la formation politique qui serait porteuse d’un tel changement. Le rapport d’activité de la CEESP19 présente cependant des perspectives qui vont dans la direction du renforcement de l’évaluation économique dans les décisions ; ainsi, la CEESP souhaite pouvoir se prononcer sur le niveau des RDCR des produits de santé.
Liens d’intérêts
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article
L’approche néo-classique des producteurs est une théorie économique qui se concentre sur le comportement des entreprises dans la prise de décision de production. Cette approche considère que les entreprises cherchent à maximiser leurs profits en choisissant la combinaison optimale de facteurs de production (travail, capital, etc.) pour produire un niveau donné de production.
La principale opposition au QALY en France a été portée par l’équipe CNRS dirigée par Gérard Duru, à Lyon. L’équipe a été à l’initiative d’un projet européen, ECHOUTCOME, qui a mené une enquête auprès de 1361 économistes de la santé européen, dont les résultats aboutissaient à remettre en cause la validité de l’hypothèse multiplicative du QALY (utilité x durée).
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Gérard de Pouvourville
Membre du comité éditorial de 1999 à 2002.
Gérard de Pouvourville est un économiste français, spécialiste reconnu de l’économie de la santé et des politiques de santé. Titulaire d’un doctorat en sciences économiques, il a consacré l’essentiel de sa carrière à l’analyse des systèmes de santé, de la régulation économique des soins, et de l’évaluation des technologies médicales. Il a été directeur du Centre de recherches en économie et gestion appliquées à la santé (CREGAS), unité INSERM-CNRS de 2000 à 2006. Il a ensuite dirigé la chaire santé de l’École supérieure de commerce de Paris (ESSEC), de 2007 à 2019. Il a également travaillé pour de grandes institutions publiques et privées, en France comme à l’international, notamment l’OCDE et la Commission européenne. Ses recherches portent sur l’efficience des systèmes de soins, la tarification à l’activité (T2A), les parcours de soins, ainsi que les politiques de remboursement des médicaments. Il a publié de nombreux articles scientifiques et ouvrages de référence dans le domaine. Par son approche rigoureuse et son engagement, Gérard de Pouvourville a contribué à structurer le débat public sur les réformes de santé en France. Il est également membre de plusieurs comités d’experts en santé publique.
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