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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
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Page(s) | 310 - 312 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025051 | |
Published online | 28 April 2025 |
Efficacité du jeûne intermittent sur la maladie métabolique du foie, la fibrose et le carcinome hépatocellulaire
Efficacy of intermittent fasting on metabolic liver disease, fibrosis and hepatocellular carcinoma
Centre de recherche sur l’inflammation, Inserm UMR 1149, Université Paris Cité, Faculté de médecine Bichat, Paris, France
« Que ton aliment soit ta seule médecine »
Hippocrate, 460-370 av. J.-C.
Êtes-vous plutôt 16:8, 5:2, ou 1:1 ? Non, il ne s’agit pas ici de l’indicateur de mesure d’un morceau de musique, mais du rythme d’un jeûne intermittent ! Car il y a jeûne et jeûne surtout depuis que ce nouvel habitus consistant à alterner des périodes de prises alimentaires normales avec des périodes de restriction calorique ou de jeûne, est devenu très populaire. Ainsi, le 16:8 consiste en un jeûne de 16 heures et des prises alimentaires qui s’étalent sur 8 heures (en anglais, on parle de time restriction feeding), alors que le 5:2 implique 5 jours d’alimentation normale et 2 jours, généralement non consécutifs, de restriction calorique par semaine, voire de jeûne total (intermittent fasting). Quant au 1:1, il correspond à un jeûne un jour sur deux (Figure 1A). Sachez qu’actuellement, c’est le 5:2 qui a le plus la cote ! En 1823, Brillat-Savarin définit la gastronomie1 comme « la connaissance raisonnée de tout ce qui a rapport à l’homme en tant qu’il se nourrit ». Si les gastronomes de l’ascétisme alimentaire dépensent parfois des fortunes pour être accompagnés dans leur démarche, le font-ils au moins sur des fondements scientifiques ? Quelles sont donc les conséquences du jeûne intermittent sur la santé et le métabolisme ?
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Figure 1 A. Différents types de régime gras avec jeûne intermittent testés dans le modèle murin. Les carrés bleus représentent une alimentation ad libitum sur une journée, les carrés blancs une période de jeûne. B. Effets métaboliques du jeûne intermittent. Les acides gras non estérifiés et les glucocorticoïdes relargués dans la circulation sanguine induisent respectivement la signalisation impliquant PPARα (peroxisome proliferator-activated receptor α) et celle impliquant le récepteur des glucocorticoïdes (GR), ce qui augmente en particulier la synthèse de l’enzyme clé de la néoglucogenèse PCK1 (phosphoénolpyruvate carboxykinase 1). L’action combinée de ces deux voies de signalisation permet de restreindre l’inflammation dans la MASH, de diminuer la stéatose et la fibrose, et de prévenir le développement du carcinome hépatocellulaire (CHC). |
La restriction calorique, on le sait, est un inducteur puissant de l’autophagie. Elle est connue pour augmenter la longévité dans différentes espèces, notamment chez les mammifères [1] (→), un constat corroboré, dans l’espèce humaine, par la durée de vie exceptionnelle des japonais de l’île d’Okinawa, dont le régime est hypocalorique [2]. Plus récemment, la restriction calorique intermittente s’est avérée efficace pour augmenter la durée de vie de la mouche drosophile, mais uniquement si l’autophagie qu’elle induit est spécifiquement nocturne, ce qui implique le cycle circadien dans cet effet bénéfique [3]. Chez l’homme, la restriction calorique inhibe l’expression du gène codant la phospholipase A2 du groupe VII, PLAG7 (ou plateletactivating factor acetylhydrolase), qui hydrolyse les phospholipides oxydés des LDL (low-density lipoproteins) et a un rôle pro-athérogène. Or, la suppression de PLAG7 protège de l’inflammation et de l’altération des paramètres métaboliques liées à l’âge [4]. Ainsi, les effets bénéfiques de la restriction calorique pourraient impliquer l’expression réduite de PLAG7.
(→) Voir m/s n° 12, 2002, page 1 191
Peut-on pour autant faire du jeûne intermittent un outil thérapeutique dans le syndrome métabolique, cette nouvelle « maladie du siècle » qui touche un quart de la population mondiale dans un contexte de surpoids, d’hypertension artérielle, de diabète ou de dyslipidémie ? Ce syndrome entraîne une stéatose et une inflammation du foie [5] (→), qui évolue progressivement vers une fibrose et son stade terminal, la cirrhose. Le spectre de cette maladie chronique est désormais désigné par le sigle MASH, pour metabolic dysfunction-associated steatohepatitis. Mais comme souvent en biologie, plus on croit répondre à une question, plus on alimente la controverse. Si les résultats de certaines études ont montré un effet bénéfique de la restriction calorique chez des personnes présentant un syndrome métabolique, notamment sur la pression artérielle et l’athérosclérose [6], d’autres études ont au contraire montré l’absence d’amélioration, voire une aggravation de l’athérosclérose chez des souris hypercholestérolémiques [7].
(→) Voir m/s n° 12, 2005, page 1 045
Pour mieux comprendre ces discordances, et puisque le rythme du jeûne semble jouer un rôle important dans les effets observés, une équipe de recherche a soumis des souris mâles à trois sortes de régime : 1) un régime normal, 2) un régime gras dit « occidental », enrichi en fructose et en sucrose, en continu, ou 3) ce même régime en jeûne intermittent de type 5:2 [8]. Les auteurs montrent que le jeûne intermittent diminue le poids des animaux, malgré une prise alimentaire équivalente, et qu’il prévient le développement de la MASH. Mieux encore, il améliore la glycémie et l’homéostasie lipidique s’il est commencé alors que la maladie est déjà établie. Il diminue la fibrose hépatique indépendamment de l’apport calorique total et sans modifier la masse musculaire. En faisant varier différents éléments, les auteurs définissent quatre paramètres critiques pour l’efficacité du jeûne intermittent sur la maladie métabolique du foie : la composition du régime alimentaire, le nombre de cycles et le temps du jeûne (deux fois 12 heures de jeûne par semaine serait plus efficace qu’une seule fois 24 heures, dans le contexte d’un régime gras encore plus agressif pour le foie) et enfin, le moment où le jeûne commence dans la journée (chez la souris, un jeûne de 24 heures débutant le soir, c’est-à-dire au début de la période d’activité de cet animal nocturne, est plus efficace qu’un jeûne débutant le matin). Cerise sur le gâteau – il est toujours agréable de rêver dans ce contexte de restriction alimentaire –, le jeûne intermittent protège également de l’apparition du carcinome hépatocellulaire lorsqu’il est mis en place une fois la MASH établie. En effet, 36 % des souris ayant poursuivi le régime gras de façon continue ont développé des lésions cancéreuses au bout de quatre mois, alors qu’aucune des souris soumises au régime intermittent n’en a développé. Ainsi, ces résultats montrent que le jeûne intermittent, en particulier de type 5:2, chez la souris, non seulement prévient le développement de la MASH et du carcinome hépatocellulaire, mais aussi améliore la fibrose hépatique déjà constituée. Quels sont les fondements moléculaires de ces constatations ? Des approches « omiques » combinées et désormais classiques, voire incontournables (transcriptome, protéome, et métabolome), ont permis d’identifier la modulation de nombreuses voies de signalisation et métaboliques par le jeûne intermittent, comme l’induction de la cétogenèse et des gènes anti-oxydants ou la diminution de la glycolyse. En particulier, le jeûne active la voie de signalisation impliquant le récepteur nucléaire PPARα (peroxisome-proliferator-activated receptor α), ainsi que la voie métabolique de la néoglucogenèse via l’induction, par les glucocorticoïdes, d’une enzyme clé, la phosphoénolpyruvate carboxykinase 1 (PCK1) (Figure 1B). Les jeûnes de 24 heures qui ont commencé au début de la période active des souris, donc les plus efficaces pour diminuer la stéatose, induisent l’expression du gène Pck1 plus fortement que ceux qui ont commencé à un autre moment de la journée. De plus, les auteurs montrent que les deux voies coopèrent dans la réponse bénéfique du foie. En effet, ce n’est que lorsqu’elles sont toutes deux inhibées in vivo que les effets bénéfiques du jeûne sur l’inflammation et la fibrose hépatique sont abolis, l’inhibition d’une seule d’entre elles étant insuffisante, et l’invalidation des deux gènes Ppparα et Pck1 aggravant la maladie du foie sans modifier l’obésité ou les paramètres métaboliques. Il faut également rappeler que des essais cliniques utilisant des agonistes de PPARα (pemafibrate) ou pan-PPAR (lanifibranor) avaient déjà montré une relative efficacité pour diminuer l’atteinte hépatique et améliorer certains marqueurs cardio-métaboliques [9, 10]. Néanmoins, dans le contexte du jeûne intermittent chez la souris, l’administration d’un tel agoniste de PPARα n’est pas suffisante pour reproduire l’ensemble de la réponse bénéfique hépatique. En revanche, la surproduction de PCK1 par transduction par un vecteur viral AAV8 (adeno-associated virus serotype 8) diminue la stéatose hépatique et le contenu du foie en triglycérides chez les souris sous régime gras. Au contraire, l’invalidation de Pck1 exacerbe la MASH, active les cellules étoilées et augmente l’inflammation et la fibrose hépatiques [11]. Ces résultats concordants permettent d’imaginer des essais thérapeutiques combinant des agonistes de PPAR et de PCK1, lorsque ces derniers seront disponibles. Ils confortent également les adeptes du jeûne intermittent dans leurs convictions, et prouvent que la mode a parfois un substrat scientifique, à condition toutefois de ne pas trop tenir à sa chevelure… En effet, une conséquence inattendue du jeûne intermittent vient d’être mise au jour dans un article de la très sérieuse revue Cell : l’inhibition de la régénération des follicules pileux, indépendamment de la réduction calorique ou de la modification du rythme circadien. Ainsi, le dialogue entre les adipocytes du derme et les glandes surrénales induit par le jeûne entraîne le relargage d’acides gras libres, à l’origine d’un stress oxydant qui favorise l’apoptose des cellules souches cutanées [12]. Si Dalila avait eu connaissance de cet effet du jeûne, elle n’aurait sans doute pas eu besoin de couper les cheveux de Samson pendant son sommeil pour le rendre vulnérable : il lui aurait suffi de le convertir à la mode du jeûne intermittent !
Liens d’intérêt
L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Figure 1 A. Différents types de régime gras avec jeûne intermittent testés dans le modèle murin. Les carrés bleus représentent une alimentation ad libitum sur une journée, les carrés blancs une période de jeûne. B. Effets métaboliques du jeûne intermittent. Les acides gras non estérifiés et les glucocorticoïdes relargués dans la circulation sanguine induisent respectivement la signalisation impliquant PPARα (peroxisome proliferator-activated receptor α) et celle impliquant le récepteur des glucocorticoïdes (GR), ce qui augmente en particulier la synthèse de l’enzyme clé de la néoglucogenèse PCK1 (phosphoénolpyruvate carboxykinase 1). L’action combinée de ces deux voies de signalisation permet de restreindre l’inflammation dans la MASH, de diminuer la stéatose et la fibrose, et de prévenir le développement du carcinome hépatocellulaire (CHC). |
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