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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
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Page(s) | 308 - 309 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025050 | |
Published online | 28 April 2025 |
Le Graal des souris humanisées a-t-il été trouvé ?
Has the Holy Grail of humanized mice been found ?
Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (CIMI), Inserm U1135, Sorbonne Université, CNRS, Paris, France
Les modèles murins occupent une place centrale dans la recherche biomédicale. Leur utilisation a permis des avancées majeures dans la compréhension des processus biologiques, mais aussi dans le développement de traitements pour de nombreuses maladies humaines. Cependant, les différences génétiques, immunologiques et physiopathologiques entre la souris et l’Homme peuvent compromettre l’efficacité de ces traitements.
Pour pallier certaines de ces limitations, des modèles murins humanisés sont développés depuis les années 1980 [1]. Classiquement, ces souris présentent des mutations dans des gènes essentiels au développement des lymphocytes impliqués dans l’immunité innée et dans l’immunité adaptative. Les récentes avancées de la recherche ont permis de générer des souris présentant une profonde immunodéficience tout en maintenant leur survie à long terme. Cette incapacité à rejeter des tissus étrangers facilite la greffe de cellules souches hématopoïétiques humaines et leur développement en tous types de cellules immunitaires humaines. Des limitations subsistent néanmoins, telles qu’un développement des cellules de la lignée myéloïde inefficace. Pour améliorer ces modèles, divers protocoles de greffes de tissus fœtaux humains ont été utilisés. Malgré ces avancées, les contraintes réglementaires et éthiques liées à l’usage de tissus fœtaux en Europe rendent l’utilisation de ces modèles réservée à un petit nombre de laboratoires.
En conséquence, il n’existe pas de modèle de souris humanisées facilement accessible permettant de produire une réponse humorale mature, impliquant des anticorps spécifiques et fonctionnels produits par les lymphocytes B. Cette réponse repose sur des processus complexes, tels que l’hypermutation somatique, qui diversifie les anticorps et augmente leur affinité, ainsi que la recombinaison par commutation de classe, qui change l’isotype des immunoglobulines produites. Elle repose également sur la différenciation des lymphocytes B en plasmocytes, producteurs d’anticorps spécifiques, et en lymphocytes B mémoires avec l’aide des lymphocytes T. La cause du défaut de la réponse humorale chez la souris humanisée réside probablement dans le développement avorté des organes lymphoïdes secondaires, notamment des ganglions lymphatiques, qui sont essentiels au dialogue entre lymphocytes T et B.
Dans un article paru récemment [2], l’équipe dirigée par Paolo Casali prétend avoir développé un modèle de souris humanisées capable de former des organes lymphoïdes secondaires et de produire des réponses humorales matures. Pour cela, ils ont utilisé des souris immunodéficientes NBSGW. Ces souris sont porteuses d’une mutation du gène C-kit (CD117) facilitant la prise de greffe des cellules souches hématopoïétiques humaines sans nécessité d’irradiation. Le modèle, dénommé THX par les auteurs, est obtenu en injectant ces cellules, isolées de sang du cordon ombilical, directement dans le cœur des souriceaux NBSGW. Quatorze semaines après cette injection, les souris reçoivent du 17β-estradiol, un œstrogène physiologique, que l’on ajoute à l’eau de boisson. Cette hormone favorise la différenciation des cellules immunitaires, notamment les cellules myéloïdes et lymphoïdes. À partir de quatre semaines de traitement, les souris THX sont prêtes pour une utilisation expérimentale. Les chercheurs ont comparé ce modèle aux souris humanisées huNBSGW et huNSG (la référence des modèles de souris humanisées) non traitées par le 17β-estradiol. Les résultats obtenus sont spectaculaires et potentiellement révolutionnaires.
Reconstitution immunitaire du modèle THX
La cinétique de reconstitution du système immunitaire a d’abord été étudiée. Les souris THX et huNBSGW présentent une forte proportion de cellules immunitaires humaines CD45+ circulantes dès la dixième semaine, atteignant un plateau à respectivement 96 % et 89 % des cellules CD45+ totales, tandis que le pic de reconstitution n’est que d’environ 55 % pour les souris huNSG. Les souris THX produisent également un nombre plus élevé de lymphocytes T et B, de cellules dendritiques, de cellules natural killer (NK) et de monocytes dans le sang. Par ailleurs, on constate une augmentation significative des cellules souches hématopoïétiques humaines dans la moelle osseuse à 18 et 25 semaines après l’humanisation. De plus, les souris THX se distinguent des autres modèles humanisés par des niveaux circulants élevés d’immunoglobulines humaines (IgD, IgG, IgA, IgE) et par une meilleure survie à long terme.
Réponse humorale après immunisation
Par la suite, les chercheurs ont analysé la diversité de l’ensemble des récepteurs des lymphocytes B (BCR, B-cell receptor) et des lymphocytes T (TCR, T-cell receptor). Comme nous l’avions déjà décrit dans le modèle d’origine [3], les répertoires antigéniques des souris humanisées sont comparables à ceux des humains. Comme ces souris ont la capacité de produire des anticorps, les chercheurs ont ensuite évalué leur capacité à produire une réponse humorale, dépendante ou non des lymphocytes T. Pour caractériser la réponse humorale dépendante des lymphocytes T, les souris ont été immunisées avec un haptène conjugué, NP16-CGG. Bien que les souris THX et huNBSGW produisent des quantités comparables d’IgM, les souris THX se distinguent par une production nettement plus grande d’IgG1, IgG2, IgG3, IgA et IgE spécifiques de l’haptène. À l’inverse, les modèles huNBSGW et huNSG produisent peu, voire pas, d’anticorps spécifiques. En réponse à l’immunisation, les souris THX expriment des gènes humains clés, tels que AID (activation-induced cytidine deaminase) et BLIMP-1 (B lymphocyteinduced maturation protein-1), indispensables à une réponse humorale complète. Cette réponse comprend l’hypermutation somatique (2 × 10-² mutation par base), la recombinaison isotypique, l’expansion clonale des lymphocytes B et leur différenciation en plasmocytes et en lymphocytes B mémoires.
Les chercheurs ont ensuite exploré la réponse humorale indépendante des lymphocytes T, qui repose sur l’activation des récepteurs de type Toll (TLR), en particulier TLR9, un senseur des signaux de danger. Les souris THX ont été injectées avec un ligand de TLR9, DNP-CpG, et, comme pour la réponse dépendante des lymphocytes T, elles ont développé une réponse humorale complète contre DNP.
Ces résultats mettent en évidence la capacité unique des souris THX à produire des réponses humorales humaines matures et diversifiées, qu’elles soient dépendantes des lymphocytes T ou non, un atout majeur pour l’étude et la validation de vaccins.
Développement des ganglions lymphatiques
L’incapacité des modèles murins humanisés à développer des organes lymphoïdes secondaires pleinement fonctionnels reste l’un des principaux obstacles à surmonter. Les chercheurs ont donc examiné la formation des ganglions lymphatiques dans les modèles huNSG, huNBSGW et THX après immunisation avec le conjugué NP16-CGG. Les résultats ont montré que les ganglions lymphatiques cervicaux, médiastinaux, axillaires et mésentériques des souris THX étaient nettement mieux structurés comparativement aux autres modèles humanisés. Cette amélioration majeure du micro-environnement lymphoïde périphérique est une condition essentielle pour l’établissement de réponses immunitaires adaptatives robustes.
Réponse immunitaire post-vaccination
L’équipe a ensuite étudié la réponse immunitaire des souris THX dans des contextes expérimentaux pertinents pour la santé humaine, notamment leur réponse humorale après administration d’un vaccin à ARN messager contre le coronavirus SARS-CoV-2 (responsable de la récente pandémie de COVID-19). Les souris vaccinées ont produit des immunoglobulines IgM, IgG et IgA spécifiquement dirigées contre la protéine Spike du virus. Il convient de noter que les souris présentant des taux élevés d’IgG spécifiques de la région RBD (receptor binding domain) de Spike ont montré une activité neutralisante anti-SARS-CoV-2 comparable à celle déterminée chez les patients vaccinés. Ces résultats indiquent que le modèle THX reproduit avec précision les mécanismes immunologiques associés à la vaccination humaine, en produisant une réponse humorale complète et mature.
Modélisation du lupus auto-immun
L’équipe a également évalué l’utilité du modèle THX pour modéliser le lupus auto-immun. Des souris THX ont été injectées avec du pristane, une molécule pro-inflammatoire capable d’induire une maladie similaire au lupus chez la souris. Trois semaines après l’injection, les souris présentent des éruptions cutanées au museau évoquant le symptôme humain, associées à une augmentation des taux d’IgG et d’IgA. Une partie de ces IgG est dirigée entre autres contre l’ADN double brin, et on constate la présence de dépôts d’IgG dans les glomérules rénaux. La mortalité de ces souris THX atteintes de lupus est de 45 % à 12 semaines après l’injection de pristane, tandis que les souris THX non traitées survivent toutes. Ainsi, le modèle THX s’avère pertinent pour la modélisation du lupus humain.
Perspectives
Le modèle des souris humanisées vise à mimer le fonctionnement du système immunitaire humain, ce qui permettrait de transposer les résultats obtenus chez la souris à la médecine humaine avec une plus grande fiabilité. À ce titre, le modèle THX constitue une avancée majeure par rapport aux modèles précédents. Il s’en distingue par sa capacité à soutenir une réponse humorale complète et mature, probablement due au développement des organes lymphoïdes périphériques. Ce modèle ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude approfondie des mécanismes immunitaires humains et leurs applications, notamment dans les études vaccinales ou les maladies auto-immunes. Cependant, des interrogations demeurent, notamment quant au mécanisme d’action du 17β-estradiol, et sa capacité, à lui seul, d’induire des organes lymphoïdes secondaires aussi nombreux. Même si des études supplémentaires sont indispensables pour évaluer la robustesse et la reproductibilité de ce modèle, jamais le Graal des souris humanisées n’a été si proche.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Martinov T, McKenna KM, Tan WH, et al. Building the next generation of humanized hemato-lymphoid system mice. Front Immunol 2021 ; 12 : 643852. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Chupp DP, Rivera CE, Zhou Y, et al. A humanized mouse that mounts mature class-switched, hypermutated and neutralizing antibody responses. Nat Immunol 2024 ; 1–18. [PubMed] [Google Scholar]
- Pham H-P, Manuel M, Petit N, et al. Half of the T-cell repertoire combinatorial diversity is genetically determined in humans and humanized mice. Eur J Immunol 2012 ; 42 : 760–70. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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