Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
Page(s) 305 - 307
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025049
Published online 28 April 2025

Les inositol phospholipides [1] () représentent environ 10 à 15 % des phospholipides cellulaires. Ils sont composés de deux acides gras attachés à un squelette glycérol, lui-même lié à un noyau inositol orienté vers le feuillet cytosolique des membranes (Figure 1A). Le phosphatidylinositol (PI) représente environ 80 % des inositol phospholipides. La phosphorylation de son noyau inositol définit une famille de sept phosphoinositides, qui se distinguent par les différentes combinaisons de groupements phosphates attachés aux positions 3, 4 et 5 du groupement inositol. Ces modifications résultent de l’action coordonnée d’enzymes spécifiques : les phosphoinositide-kinases et les phosphoinositide-phosphatases (Figure 1B). Sous l’influence de divers stimuli, la relocalisation de ces enzymes entraîne une augmentation ou une diminution rapide, plus ou moins transitoire et localisée, de certains phosphoinositides. Ce processus permet de coordonner le recrutement de protéines effectrices impliquées dans des mécanismes cellulaires fondamentaux, tels que le maintien de l’intégrité des territoires cellulaires, l’organisation des voies de signalisation intracellulaires, la régulation du trafic intracellulaire et la dynamique du cytosquelette [2, 3]. L’importance des phosphoinositides est illustrée par le fait que des mutations perte-de-fonction ou gain-de-fonction affectant diverses enzymes de leur métabolisme sont directement impliquées dans des maladies génétiques ou des cancers [2, 3]. La faible abondance des phosphoinositides dans les cellules et leur interconversion rapide rend leur étude difficile. En particulier, le rôle cellulaire du phosphatidylinositol-5-phosphate (PI5P) reste mal compris, malgré certaines avancées récentes [4].

(→) Voir m/s n° 11, 2015, page 996

thumbnail Figure 1

A. Structure du précurseur des phosphoinositides, le phosphatidylinositol, ancré dans une bicouche lipidique et lié à un domaine protéique. Les positions 3, 4, et 5 indiquent les positions qui peuvent être phosphorylées par les phosphoinositide-kinases ou déphosphorylées par les phosphoinositide-phosphatases. B. Les principales voies d’interconversion des phosphoinositides métabolisés par MTM1. C. Image (par microscopie confocale) de cellules C2C12 après trois jours de différenciation, immunomarquées pour le PI(4,5)P2. Un agrandissement de la zone encadrée est présenté en bas à gauche. D. Image (par microscopie confocale) de cellules C2C12 après trois jours de différenciation, immunomarquées pour la PI5P4Kα. À droite, un agrandissement de la zone encadrée montre l’abondance de la PI5P4Kα dans les structures « podosomelike ». Figure adaptée de [8].

Modélisation cellulaire de la myopathie myotubulaire liée au chromosome X : un nouvel outil pour la recherche sur cette maladie

Le PI5P peut être produit par l’action de la myotubularine 1 (MTM1), une 3-phosphatase codée par le gène MTM1, qui déphosphoryle le phosphatidylinositol-3-monophosphate (PI3P) et le phosphatidylinositol-3,5-bisphosphate (PI(3,5) P2) en les convertissant respectivement en PI et PI5P (Figure 1B). Des mutations dans MTM1 sont responsables de la myopathie myotubulaire liée au chromosome X [5], une maladie souvent fatale dès les premières années de la vie [6]().

(→) Voir m/s n° 2, 2024, page 133

L’expression de MTM1 est progressive au cours de la différenciation des cellules musculaires squelettiques, ce qui suggère que le PI5P pourrait, par sa production croissante, jouer un rôle dans ce processus. Pour tenter de comprendre ce rôle, nous avons produit une lignée de myoblastes murins déficiente en myotubularine 1 par la technique CRISPR-Cas9. La différenciation de ces myoblastes en myotubes, par un processus de fusion cellulaire1, a révélé des caractéristiques phénotypiques semblables à celles de la myopathie myotubulaire et de ses modèles animaux [5], notamment un retard de différenciation, des myotubes plus courts, un regroupement des noyaux, et des anomalies d’adhérence des myotubes à leur support de culture [7, 8]. La réexpression de la myotubularine 1 dans cette lignée suffit à restaurer un phénotype cellulaire normal. En revanche, la réexpression d’une forme catalytiquement inactive de la protéine n’a pas d’effet sur le phénotype, ce qui souligne l’importance de l’activité phosphatase de MTM1 dans la différenciation musculaire et, en corollaire, le rôle déterminant des phosphoinositides dans ce processus [8].

D’une métabolisation inattendue du phosphatidylinositol-5-phosphate à un rôle dans la fusion des myoblastes

Une quantification des phosphoinositides au cours de la différenciation des cellules de la lignée de myoblastes murins, en présence (pour le génotype « sauvage ») ou en l’absence (pour le génotype « mutant ») de myotubularine 1, a montré, comme attendu, l’augmentation de l’abondance des substrats de l’enzyme, PI3P et PI(3,5)P2, en l’absence de celle-ci. Cependant, étonnamment, nous avons constaté une diminution de l’abondance de PI5P dans les cellules de génotype « sauvage » au cours de leur différenciation, contrairement à l’augmentation attendue du fait de l’expression croissante de MTM1. La seule voie métabolique connue consommant le PI5P est sa conversion en PI(4,5) P2, un phosphoinositide relativement abondant qui, avec le PI4P, représente 80 % à 90 % de l’ensemble des phosphoinositides de la cellule. La localisation du PI(4,5)P2, grâce à une sonde fluorescente, dans les cellules en cours de différenciation, a révélé, en plus de sa présence caractéristique dans toute la membrane plasmique, l’existence de protrusions membranaires enrichies en PI(4,5)P2 (Figure 1C). Or, un enrichissement en PI(4,5)P2 au site de fusion des myoblastes avait été décrit précédemment chez la mouche drosophile [9]. Ces structures, appelées « podosomelike » [10], n’avaient encore jamais été observées dans les myoblastes de mammifères, bien qu’une étude ait suggéré leur présence en identifiant la protéine d’échafaudage TKS5 (essentielle pour la formation des podosomes) et la GTPase dynamine 2 (impliquée notamment dans la régulation du cytosquelette d’actine) comme des marqueurs protéiques de ces structures [11]. Nous avons caractérisé ces protrusi ons membranaires riches en PI(4,5)P2 par microscopie confocale, et montré qu’elles correspondent bien aux structures « podosome-like » enrichies en TKS5 et dynamine 2 décrites précédemment [11]. Par microscopie en temps réel, nous avons observé que leur formation précède la fusion des myoblastes. En outre, nous avons localisé la protéine fusogène Myomaker [12], dont l’emplacement précis était jusqu’alors inconnu, au sein de ces structures « podosome-like », ce qui témoigne de leur importance dans la coordination de la fusion des myoblastes.

La PI5P 4-kinase α : un acteur majeur de la fusion des myoblastes

La conversion de PI5P en PI(4,5)P2 est catalysée par des PI5P 4-kinases (PI5P4K). Par microscopie confocale, nous avons pu localiser l’isoforme α (PI5P4Kα) aux structures « podosomelike » des myoblastes en cours de différenciation (Figure 1D). Une réduction de l’expression de PI5P4Kα par la technique shRNA (small hairpin RNA) a entraîné une nette diminution du nombre de structures « podosome-like », accompagnée d’un blocage de la fusion des myoblastes, un phénotype que la réexpression d’une version catalytiquement active de l’enzyme a permis de corriger. La mesure des concentrations de PI5P dans les cellules produisant la myotubularine 1 et déficientes ou non en PI5P4Kα, après leur différenciation en myotubes, a permis de confirmer le rôle majeur de cette enzyme dans la conversion du PI5P en PI(4,5)P2 en montrant que les valeurs des concentrations de PI5P dans les cellules déficientes en PI5P4Kα étaient environ cinq fois celles des cellules non déficientes. Cependant, les valeurs des concentrations globales de PI(4,5)P2 sont restées semblables dans les deux types de cellules, ce qui confirme que l’isoforme PI5P4Kα est impliquée dans la synthèse d’une petite fraction très localisée de PI(4,5)P2.

Physiopathologie

Ce travail de recherche a permis une avancée majeure dans la compréhension du processus de fusion cellulaire impliqué dans la formation des cellules musculaires squelettiques, en révélant un mécanisme dans lequel la myotubularine 1 et la kinase PI5P4Kα collaborent pour produire un pool localisé de PI(4,5) P2, indispensable à la formation des structures « podosome-like » orchestrant la fusion des myoblastes. En mettant en lumière le rôle de ces structures, enrichies en phosphoinositides et en protéines fusogènes, dans ce processus physiologique (Figure 2), cette étude éclaire la pathogenèse de la myopathie myotubulaire liée au chromosome X. L’absence de myotubularine 1 dans cette maladie empêche la formation correcte des structures « podosome-like », entraînant une distribution uniforme des protéines fusogènes à la membrane plasmique des myoblastes. Cette perturbation désorganise le processus de fusion des myoblastes pour former les myotubes, contribuant ainsi aux anomalies phénotypiques de la maladie.

thumbnail Figure 2

Modèle pour la production de PI(4,5)P2 dans les structures « podosome-like » via MTM1 et la PI5P4Kα. Figure adaptée de [8].

Remerciements

Ce travail a bénéficié du soutien de l’Inserm, de l’ERare JTC TREAT-MTMs (ANR-17-RAR3-0006 et ERARE17-152), de l’AFM-Téléthon (#20186 et #23101), ainsi que de l’Agence nationale de la recherche (ANR-22-CE44-0026). Nos remerciements s’adressent à l’ensemble de l’équipe « Lipidomique et signalisation dans la production et les fonctions plaquettaires, la thrombose et l’homéostasie cellulaire », ainsi qu’aux plateformes d’imagerie (Genotoul-TRI, infrastructure nationale France-BioImaging ANR-10-INBS-0004), de cytométrie, We-Met et Metatoul-Lipidomics de l’unité Inserm U1297 (I2MC).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Un myotube est un syncytium multinucléé formé par la fusion de plusieurs myoblastes lors de la myogenèse. Les myotubes se différencient ensuite en fibres musculaires.

Références

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Liste des figures

thumbnail Figure 1

A. Structure du précurseur des phosphoinositides, le phosphatidylinositol, ancré dans une bicouche lipidique et lié à un domaine protéique. Les positions 3, 4, et 5 indiquent les positions qui peuvent être phosphorylées par les phosphoinositide-kinases ou déphosphorylées par les phosphoinositide-phosphatases. B. Les principales voies d’interconversion des phosphoinositides métabolisés par MTM1. C. Image (par microscopie confocale) de cellules C2C12 après trois jours de différenciation, immunomarquées pour le PI(4,5)P2. Un agrandissement de la zone encadrée est présenté en bas à gauche. D. Image (par microscopie confocale) de cellules C2C12 après trois jours de différenciation, immunomarquées pour la PI5P4Kα. À droite, un agrandissement de la zone encadrée montre l’abondance de la PI5P4Kα dans les structures « podosomelike ». Figure adaptée de [8].

Dans le texte
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Modèle pour la production de PI(4,5)P2 dans les structures « podosome-like » via MTM1 et la PI5P4Kα. Figure adaptée de [8].

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