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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
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Page(s) | 303 - 304 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025074 | |
Published online | 28 April 2025 |
Éclipse de science
Eclipse of science
Hôpital Necker Enfants-Malades, AP-HP Paris, Institut Imagine, Inserm U1163, Collège de France, Paris, France
Le 20 janvier dernier, Donald Trump a été investi Président des États-Unis d’Amérique. Dès le lendemain, il signe une série de décrets qui, entre autres, affecte gravement les politiques de santé et d’environnement : dénonciation de l’accord de Paris sur le climat, volonté de retrait de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), suppression d’un site public d’information sur la médecine reproductive, à laquelle s’ajoute le retrait de la protection dont bénéficiaient Anthony Fauci, ancien conseiller santé des présidents des États-Unis, et les membres de sa famille, menacés de mort par les acolytes de Trump opposés à la vaccination. Depuis lors, les annonces et les décisions se succèdent quasi quotidiennement, toutes sources de menaces et de dommages à l’égard de la recherche scientifique, de la santé et de l’environnement.
Haro sur le National Institute of Health
Le National Institute of Health (NIH), la première agence mondiale de financement de la recherche biomédicale avec un budget de 47 milliards de dollars, source de 120 000 à 150 000 publications scientifiques chaque année, est en première ligne des attaques. Le licenciement de 1 100 employés (6 % des effectifs du NIH dans son site principal de Bethesda dans le Maryland) fut quasi immédiat, affectant le personnel administratif et les chercheurs recrutés depuis peu. Il en résulte, entre autres, une réduction de moitié, depuis le début des actions de la nouvelle administration, des contrats de recherche attribués aux chercheurs de différentes universités américaines. Il existe aujourd’hui une menace forte sur la pérennisation des contrats des chercheurs en voie de titularisation travaillant au sein du centre du NIH à Bethesda. Le 25 mars dernier, l’administration du NIH annonce l’annulation de contrats de recherche sur les thèmes du Covid-19, de l’hésitation vaccinale, de la santé des personnes transgenres, des effets du changement climatique, et des recherches menées avec la Chine ou l’Afrique du Sud. Enfin, il semble que l’on s’achemine vers un arrêt des recherches sur les vaccins à base d’ARN messager ! On peut y voir la « signature » de Robert F Kennedy junior, secrétaire d’état à la santé et aux services sociaux, dont les positions « antivax » sont notoires. Sachant que ce même Robert F Kennedy junior a déclaré, il y a quelques mois, qu’il faudrait envisager une pause sur les recherches concernant les maladies infectieuses pour ne s’intéresser qu’aux maladies chroniques (dont la cause peut être infectieuse !), il y a de quoi être particulièrement inquiet. Mais ce n’est pas tout, la mesure la plus impactante concerne la réduction à un maximum de 15 % (au lieu de 40 à 50 %, voire plus), du montant d’un contrat de recherche alloué à l’université du titulaire du contrat, au titre du financement des coûts indirects (« overheads »). L’administration Trump considère que ces montants élevés reflètent une mauvaise gestion, alors qu’en réalité, ils couvrent une partie importante des dépenses d’infrastructure, y compris celles des animaleries. La somme en jeu est estimée à environ 5 milliards de dollars. La mesure est pour l’instant suspendue car attaquée en justice par plusieurs universités. Néanmoins, elle a pour conséquence d’inciter les universités à être extrêmement prudentes dans l’embauche de post-doctorants, de nouvelles équipes et même d’étudiants en thèse. Si cette mesure est mise in fine en application, elle risque de détourner une partie de la nouvelle génération d’étudiants de se former à ou par la recherche scientifique. Enfin, bien sûr, sont remises en cause les recherches soutenues par l’administration américaine précédente et fondées sur le programme diversité, équité et inclusion. Certains mots « compromettants », dont femmes, minorités, etc., ne doivent plus figurer dans les projets de recherche soumis à la National Science Foundation.
Haro sur la santé publique
Des licenciements ont également été rapidement décidés au sein du Center for Disease Control et de la Food and Drug Administration, dont l’impact concerne la recherche (en particulier sur la Covid-19), mais aussi les missions de santé publique : contrôle des aliments, des médicaments, et la surveillance épidémiologique. Pensons à l’épidémie de grippe aviaire qui sévit aux États-Unis, pour laquelle Robert F Kennedy junior préconise de la laisser se propager. Pensons à l’épidémie de rougeole qui sévit notamment au Texas, pour laquelle Robert F Kennedy junior, encore lui, préconise un traitement par la vitamine A !
Le pire concerne la santé mondiale. Outre le retrait annoncé de l’OMS, alors que les États-Unis assuraient jusqu’ici environ 1/6 de son budget, l’administration de Trump supprime 83 % du budget de l’agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development, USAID), qui disposait d’un budget de 43 milliards de dollars. La quasi-totalité des employés, au nombre de 10 000, sont licenciés. Les programmes de recherche soutenus par cette agence dans le Sud sont à l’arrêt, et l’aide sanitaire (médicaments contre le SIDA, la tuberculose et la contraception féminine) est abandonnée, avec les conséquences tragiques que l’on peut aisément prévoir.
Les fondements d’une telle politique
À ces attaques contre la recherche biomédicale et contre la santé s’ajoutent les mesures prises contre les recherches environnementales ou en sciences humaines et sociales, qui dépassent le cadre de mon propos. En fait, toute la recherche scientifique, de la plus fondamentale à la plus appliquée, est concernée. Comment comprendre une telle politique quasi inimaginable dans une démocratie occidentale tournée jusque-là vers l’acquisition des savoirs et leur utilisation rationnelle ? On peut y voir au moins le poids de trois facteurs idéologiques, annoncés depuis longtemps par Trump et ses suiveurs. En premier lieu, la méfiance et même la détestation du système public et de ses fonctionnaires. C’est l’esprit de la création du Department of Government Efficiency, supervisé par Elon Musk, qui taille à la hache dans les effectifs et les budgets publics ; ces coupes budgétaires n’épargnent bien évidemment pas la recherche scientifique, dont le NIH. En deuxième lieu, pour certains, les idées populistes qui plaisent tant, méprisant les élites et surtout remettant en cause les valeurs de la connaissance scientifique, ravalées au mieux au statut d’« opinion comme une autre ». La négation du réchauffement climatique et les attaques contre la vaccination en sont les exemples les plus criants. Le vice-président JD Vance, dans un discours désormais célèbre datant de 2021, a considéré que les universités sont l’ennemi parce qu’elles propagent de fausses nouvelles et pervertissent l’esprit de la jeunesse. Enfin, prenant prétexte des excès du wokisme ou de manifestations antisémites dans quelques universités, l’administration de Trump déploie son idéologie hostile aux minorités. L’exemple le plus flagrant est la suppression de 400 millions de dollars de subventions (dont 250 millions destinés à la recherche biomédicale !) à l’université Columbia de New York, en exigeant non seulement des mesures très strictes contre les manifestations, mais aussi des modifications des programmes de recherche de certains départements de l’Université, en opposition frontale avec les principes fondamentaux des libertés académiques.
L’ascension de Donald Trump est-elle résistible1?
Les conséquences potentielles des mesures prises, et sans doute de celles à venir, sont graves : destruction durable de programmes de recherche, abandon de la recherche par certains, découragement, frein aux collaborations internationales, et risque de désastre sanitaire. Nous ne pouvons rester indifférent face à ces attaques contre des valeurs essentielles auxquelles nous sommes profondément attachés, ce d’autant plus que l’idéologie de Trump fait des émules dans le monde, de Bolsonaro hier au Brésil, à Milei aujourd’hui, qui a asséché la recherche scientifique et les universités en Argentine. Des contempteurs de l’importance du savoir et des libertés académiques, fervents adeptes de réalités alternatives, sont présents en France et en Europe, et pourraient un jour s’inviter au pouvoir pour mener une politique, entre autres hostile à la science et à la recherche scientifique. Il me semble qu’en tant que scientifiques, nous portons la responsabilité de mettre en garde contre ces risques. La mobilisation observée en France à l’occasion des manifestations de solidarité avec nos collègues américains lors de la journée « Stand up for science » est encourageante, mais elle doit se poursuivre dans un esprit trans-partisan, au nom des valeurs fondamentales du monde universitaire et de la recherche. Nous nous devons aussi d’aider des chercheurs en difficulté aux États-Unis et dans d’autres pays comme l’Argentine. L’annonce, par le gouvernement français, d’un tel programme d’aide, attendu à court terme, va dans le bon sens. Idéalement, une mobilisation commune de l’Europe lui conférerait une plus grande envergure, et enverrait un message plus visible de résistance face aux attaques de l’administration de Trump contre la science.
Liens d’intérêt
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