Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 3, Mars 2025
Page(s) 232 - 235
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025032
Published online 21 March 2025

Les lymphocytes T auxiliaires sont des médiateurs de la réponse immunitaire adaptative qui orchestrent les réponses immunitaires en réponse à des antigènes étrangers, des néo-antigènes ou des auto-antigènes dans des contextes d’infection, de cancer, ou d’auto-immunité, respectivement. La réponse immunitaire adaptative doit être finement régulée car des réponses non-contrôlées contribuent au développement de maladies. Parmi elles, les maladies allergiques, avec notamment une prévalence croissante des allergies alimentaires, des rhinites allergiques, de la dermatite atopique et de l’asthme allergique, engendrent un coût socio-économique croissant. Plus de la moitié des personnes asthmatiques ont une maladie inflammatoire chronique des voies respiratoires inférieures, caractérisée par une réponse inflammatoire de type 21 hyper-réactive. Les cytokines de type 2, interleukine 4 (IL-4), interleukine 5 (IL-5) et interleukine 13 (IL-13), produites notamment par les lymphocytes T auxiliaires de type 2 (aussi appelés lymphocytes Th2, pour T helper 2), jouent un rôle prépondérant dans le développement de la maladie car elles sont responsables de l’hypersensibilité des voies respiratoires, de la production abondante de mucus, du remodelage pulmonaire, de l’augmentation du nombre de granulocytes éosinophiles dans le sang (hyperéosinophilie), de la commutation isotypique des immunoglobulines E (IgE), de la prolifération des lymphocytes B, et de la bronchoconstriction. Il n’est donc pas surprenant que différentes approches thérapeutiques visent à interférer avec les cytokines de type 2 ou leurs récepteurs. Cependant, malgré des résultats très encourageants obtenus avec plusieurs biomédicaments chez les patients ayant une forte réponse inflammatoire de type 2 [1], la moitié des patients traités n’en tirent aucun bénéfice ou en profitent insuffisamment. Il importe donc de progresser dans la connaissance des mécanismes de contrôle du déclenchement et du maintien de la réponse immunitaire afin d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques.

Contrôler et moduler l’abondance de protéines critiques pour les lymphocytes T auxiliaires par des mécanismes transcriptionnels, post-transcriptionnels ou traductionnels est essentiel pour une réponse immunitaire adéquate. De plus, différentes modifications post-traductionnelles sont mises en œuvre pour modifier l’abondance ou l’activité de ces protéines. L’ubiquitinylation est l’une de ces modifications. Elle est rapide, réversible, et fait intervenir successivement trois enzymes : une enzyme d’activation de l’ubiquitine (E1), une enzyme de conjugaison de l’ubiquitine (E2), et une ubiquitine ligase (E3). Le devenir des protéines ubiquitinylées dépend du type de modification : mono-ubiquitinylation, multi-ubiquitinylation (liaison de plusieurs molécules d’ubiquitine au substrat), poly-ubiquitinylation (liaison de chaînes d’ubiquitine). En particulier, les chaînes d’ubiquitines liées par leur lysine en position 48 ou 63 sont prédominantes, et constituent des signaux d’adressage des protéines à la dégradation protéasomique et lysosomique, respectivement. Mais l’ubiquitinylation a également d’autres fonctions, non dégradatives [2] ().

(→) Voir m/s n° 12, 2001, page 1327

La reconnaissance spécifique des substrats à ubiquitinyler est assurée par les centaines d’enzymes E3, monomériques ou multimériques, codées par le génome humain. Au cours de l’évolution et avec la complexification des organismes animaux, la famille des enzymes E3 a augmenté en nombre et en diversité [3]. La synthèse de ces enzymes et leur activité sont souvent strictement contrôlées pour éviter des effets délétères. Du fait de leur sélectivité, ces enzymes sont considérées comme des cibles thérapeutiques attractives [4, 5].

Le rôle des enzymes E3 dans les lymphocytes T auxiliaires est mal connu. Nous avons précédemment montré qu’ASB2α (ankyrin repeat and SOCS box protein 2α), la sous-unité de reconnaissance du substrat d’une enzyme E3 multimérique de la famille CRL5 (cullin-RING ligase 5), est un facteur pro-tumoral des lymphocytes Th2 [6]. En outre, la perte d’ASB2α dans les lymphocytes Th2 consécutive à l’invalidation du gène ASB2 par recombinaison homologue chez la souris affecte les fonctions effectrices de ces lymphocytes et l’équilibre Th1/Th2 en favorisant une réponse antitumorale de type 1 chez les souris porteuses d’un cancer colorectal [6]. Toutefois, les mécanismes moléculaires et cellulaires par lesquels ASB2α agit positivement sur le fonctionnement des lymphocytes Th2 n’étaient pas établis. Par des approches transcriptomiques et protéomiques appliquées à des lymphocytes Th2, nous avons montré que la seule fonction d’ASB2α est d’induire la polyubiquitinylation et la dégradation par le protéasome des filamines A et B, des protéines organisatrices du cytosquelette d’actine et régulatrices de la motilité cellulaire [7]. En conséquence, les concentrations des filamines A et B dans les lymphocytes Th2 sont moindres que dans les lymphocytes T CD4+ naïfs ou dans les autres sous-types de lymphocytes T auxiliaires [7]. La filamine A est une protéine de liaison de l’actine dont la fonction première est d’organiser le cytosquelette d’actine en réseau orthogonal [8]. La concentration de filamine A régit par ailleurs les propriétés mécaniques du réseau d’actine filamenteuse [8]. Tout comme les domaines des filamines impliqués dans la liaison à l’actine, ceux impliqués dans la liaison aux intégrines ont été conservés au cours de l’évolution des espèces, ce qui témoigne de l’importance fonctionnelle des intégrines comme partenaires de liaison des filamines. Outre l’intégrine leucocytaire αLβ2, aussi appelée LFA-1 (lymphocyte function-associated antigen-1), les lymphocytes Th2 produisent très majoritairement l’intégrine αVβ3 [7]. Contrairement aux lymphocytes Th1, les lymphocytes Th2 adoptent, dans un environnement enflammé, un comportement migratoire rapide leur permettant d’explorer une région étendue, qui dépend des intégrines αvβ3 [9, 10]. Nous avons montré qu’ASB2α, via la dégradation des filamines A et B, favorise l’allongement cellulaire propice à la migration des lymphocytes Th2. Inversement, l’accumulation des filamines A et B dans les lymphocytes Th2 déficients pour ASB2α ralentit leur migration, probablement en raison d’une signalisation excessive des intégrines αVβ3 [7], comme précédemment observé pour l’intégrine plaquettaire αIIbβ3 [11]. Il est à noter que les gènes codant ASB2α et les sous-unités αV et β3 des intégrines présentent des régions cis-régulatrices actives seulement dans les lymphocytes Th2, et qu’ils appartiennent au groupe de gènes dont l’expression est restreinte à ce lignage, suggérant l’existence d’une régulation coordonnée de ces gènes pour développer une réponse immunitaire de type 2 [7]. Chez des souris soumises expérimentalement à une inflammation des voies respiratoires, la perte d’ASB2α dans les lymphocytes Th2 entraîne une diminution de leur recrutement dans les poumons enflammés ainsi qu’une atténuation de la réponse inflammatoire de type 2, avec une diminution de la production des cytokines de type 2, de l’infiltration leucocytaire et du remodelage tissulaire, ainsi que de la production de mucus et d’IgE [7].

thumbnail Figure 1

Physiopathologie de l’asthme de type 2. Les gènes codant les sous-unités des intégrines αV (ITGAV) et β3 (ITGB3) et ASB2 font partie des gènes plus fortement exprimés dans les lymphocytes T auxiliaires de type 2 (T helper 2, Th2) que dans les autres populations de lymphocytes T auxiliaires ou que dans les lymphocytes T CD4+ naïfs, et qui ont des mécanismes communs de régulation épigénétique. L’expression d’ASB2α dans les lymphocytes Th2 conduit à la polyubiquitinylation des filamines A et B et à leur dégradation par le protéasome, ce qui diminue leur concentration dans ces lymphocytes. Ces concentrations faibles de filamines favorisent la migration des lymphocytes Th2 de façon dépendante des intégrines αVβ3 activées par leur ligand, la vitronectine. Dans le contexte d’une exposition à un allergène, les lymphocytes Th2 sont recrutés dans les poumons et sécrètent des cytokines de type 2 (IL-4, IL-5 et IL-13) favorisant l’inflammation, avec production de mucus, remodelage tissulaire, recrutement des granulocytes éosinophiles et production d’IgE. El B : élongine B ; El C : élongine C ; Ub : ubiquitine.

Nos résultats mettent ainsi en lumière une nouvelle voie contrôlant le fonctionnement des lymphocytes Th2 et révèlent un niveau supplémentaire de régulation de la migration de ces lymphocytes, dépendante des intégrines αvβ3, par la modulation de leur activation via le contrôle de l’abondance des filamines A et B [7]. Les résultats d’études précliniques chez la souris nous permettent aussi de proposer l’axe ASB2α-filamines A/B comme une cible pharmacologique potentielle dans l’asthme de type 22. Bien que cette proposition soit principalement fondée sur des résultats obtenus chez la souris, nous avons aussi apporté différentes preuves de la conservation de ces mécanismes chez l’Homme [7]. Une forte expression du gène ASB2 par les lymphocytes Th2 fait d’ailleurs partie de la signature transcriptomique de l’hyperéosinophilie, une signature prédictive de l’efficacité thérapeutique du lébrikizumab, un anticorps ciblant IL-13, chez les patients asthmatiques [12]. Ainsi, inhiber la dégradation des filamines A et B induite par ASB2α apparaît comme une opportunité thérapeutique pour diminuer la réponse immunitaire de type 2. Dans ce contexte, il importe de rappeler que les enzymes E3 sont des éléments essentiels de la cascade d’ubiquitinylation en apportant la spécificité vis-à-vis du substrat et, par là-même, sont considérées comme des cibles pharmacologiques potentielles. La connaissance issue de nos travaux de recherche pourrait donc être exploitée en santé humaine puisque ces enzymes peuvent être ciblées avec des petites molécules thérapeutiques [4, 5]. Par rapport aux biomédicaments, ces petites molécules ont l’avantage de pouvoir être améliorées chimiquement pour augmenter leur efficacité et diminuer leur toxicité, d’être plus faciles à administrer, et d’être moins coûteuses. L’inhibition d’ASB2α par de telles molécules pourrait donc constituer une nouvelle approche thérapeutique contre l’asthme de type 2.

Remerciements

Les auteurs remercient les collègues qui ont participé à cette étude ainsi que l’Inserm, le CNRS, l’Université de Toulouse, Inserm Transfert, Sanofi, la Fondation du souffle, la Société française d’allergologie, la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, le comité Midi-Pyrénées de la Ligue contre le cancer, et la Fondation Roland Garrigou pour la culture et la santé, qui ont financé ces travaux de recherche.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

La réponse inflammatoire de type 2 est un processus naturel de la défense immunitaire, impliquant des mécanismes de l’immunité innée et de l’immunité adaptative, et conduisant à une infiltration de granulocytes éosinophiles dans les tissus enflammés. L’exacerbation d’une telle inflammation peut entraîner différentes maladies immunitaires de type 2, dont l’asthme.

2

Il existe deux types d’asthme : l’asthme de type 2, qui concerne près de 80 % des cas d’asthme et résulte d’une réponse immunitaire de type 2 exacerbée conduisant à la surproduction de cytokines de type 2, et l’asthme non de type 2, dans lequel l’inflammation est la conséquence du dysfonctionnement d’autres cellules immunitaires.

Références

  1. Kolkhir P, Akdis CA, Akdis M, et al. Type 2 chronic inflammatory diseases : targets, therapies and unmet needs. Nat Rev Drug Discov 2023 ; 22 : 743–67. [Google Scholar]
  2. Peyron JF. Les multiples rôles de l’ubiquitinylation des protéines. Med Sci (Paris) 2001 ; 12 : 1327–9. [Google Scholar]
  3. Zheng N, Shabek N. Ubiquitin ligases : structure, function, and regulation. Annu Rev Biochem 2017 ; 86 : 129–57. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Skaar JR, Pagan JK, Pagano M. SCF ubiquitin ligase-targeted therapies. Nat Rev Drug Discov 2014 ; 13 : 889–903. [Google Scholar]
  5. Lamsoul I, Uttenweiler-Joseph S, Moog-Lutz C, et al. Cullin 5-RING E3 ubiquitin ligases, new therapeutic targets? Biochimie 2016 ; 122 : 339–47. [Google Scholar]
  6. Spinner CA, Lamsoul I, Metais A, et al. The E3 ubiquitin ligase Asb2a in T helper 2 cells negatively regulates antitumor immunity in colorectal cancer. Cancer Immunol Res 2019 ; 7 : 1332–44. [Google Scholar]
  7. Maire K, Chamy L, Ghazali S, et al. Fine-tuning levels of filamins a and b as a specific mechanism sustaining Th2 lymphocyte functions. Nat Commun 2024 ; 15 : 10574. [PubMed] [Google Scholar]
  8. Lamsoul I, Dupré L, Lutz PG. Molecular tuning of filamin A activities in the context of adhesion and migration. Front Cell Dev Biol 2020 ; 8 : 591323. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Overstreet MG, Gaylo A, Angermann BR, et al. Inflammation-induced interstitial migration of effector CD4+ T cells is dependent on integrin aV. Nat Immunol 2013 ; 14 : 949–58. [Google Scholar]
  10. Gaylo-Moynihan A, Prizant H, Popovic M, et al. Programming of distinct chemokine-dependent and -independent search strategies for Th1 and Th2 cells optimizes function at inflamed sites. Immunity 2019 ; 51 : 298–309 e6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  11. Liu J, Lu F, Ithychanda SS, et al. A mechanism of platelet integrin αIIbβ3 outside-in signaling through a novel integrin αIIb subunit-filamin-actin linkage. Blood 2023 ; 141 : 2629–41. [Google Scholar]
  12. Choy DF, Jia G, Abbas AR, et al. Peripheral blood gene expression predicts clinical benefit from anti-IL-13 in asthma. J Allergy Clin Immunol 2016 ; 138 : 1230–3 e8. [Google Scholar]

© 2025 médecine/sciences – Inserm

Licence Creative CommonsArticle publié sous les conditions définies par la licence Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), qui autorise sans restrictions l’utilisation, la diffusion, et la reproduction sur quelque support que ce soit, sous réserve de citation correcte de la publication originale.

Liste des figures

thumbnail Figure 1

Physiopathologie de l’asthme de type 2. Les gènes codant les sous-unités des intégrines αV (ITGAV) et β3 (ITGB3) et ASB2 font partie des gènes plus fortement exprimés dans les lymphocytes T auxiliaires de type 2 (T helper 2, Th2) que dans les autres populations de lymphocytes T auxiliaires ou que dans les lymphocytes T CD4+ naïfs, et qui ont des mécanismes communs de régulation épigénétique. L’expression d’ASB2α dans les lymphocytes Th2 conduit à la polyubiquitinylation des filamines A et B et à leur dégradation par le protéasome, ce qui diminue leur concentration dans ces lymphocytes. Ces concentrations faibles de filamines favorisent la migration des lymphocytes Th2 de façon dépendante des intégrines αVβ3 activées par leur ligand, la vitronectine. Dans le contexte d’une exposition à un allergène, les lymphocytes Th2 sont recrutés dans les poumons et sécrètent des cytokines de type 2 (IL-4, IL-5 et IL-13) favorisant l’inflammation, avec production de mucus, remodelage tissulaire, recrutement des granulocytes éosinophiles et production d’IgE. El B : élongine B ; El C : élongine C ; Ub : ubiquitine.

Dans le texte

Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.

Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.

Initial download of the metrics may take a while.