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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 3, Mars 2025
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Page(s) | 213 - 215 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025026 | |
Published online | 21 March 2025 |
L’exposition intermittente à un régime gras accélère le développement de l’athérosclérose
Alternating exposure to a high-fat diet aggravates the development of atherosclerosis
Université Paris Cité, Inserm, Paris centre de recherche cardiovasculaire (PARCC), Paris, France
Les maladies cardiovasculaires liées à l’athérosclérose représentent la principale cause de mortalité dans le monde. De plus, leur prévalence est en forte augmentation dans les pays en développement. Par ailleurs, on observe une incidence croissante de l’obésité et du diabète, deux facteurs de risque cardiovasculaire dans les pays occidentaux [1]. Il est donc primordial de mettre en place de nouvelles stratégies de prévention et de traitement des maladies cardiovasculaires. L’athérosclérose est une maladie inflammatoire chronique qui débute par l’accumulation de lipoprotéines de faible densité (low density lipoproteins, LDL) dans la paroi vasculaire, formant une plaque [2]. L’oxydation des LDL déclenche une réaction inflammatoire locale, impliquant principalement les cellules immunitaires, qui contribue à la fragilisation de cette plaque. De nombreux modèles murins prédisposés à l’athérosclérose en raison d’une hypercholestérolémie ont confirmé le rôle central du cholestérol dans le déclenchement et la progression du processus athérogène. L’hypercholestérolémie est un facteur de risque de l’athérosclérose que l’on peut contrôler par l’ingestion de statines1 [3]. Cependant, les individus modifient souvent leurs habitudes alimentaires au cours de leur vie, et sont ainsi exposés à des taux sanguins variables de cholestérol. Les effets de cette variation sur la progression de l’athérosclérose sont encore mal connus et peu étudiés à ce jour.
Deux études récentes chez la souris ont apporté des perspectives inédites sur le développement de l’athérosclérose, en explorant les conséquences de l’alternance entre un régime riche en graisses (high fat diet) et un régime pauvre en graisses (régime standard) [4, 5]. Étonnamment, les résultats de ces deux études montrent que cette alternance augmente considérablement l’athérosclérose par rapport à un régime riche en graisses ininterrompu. Ils confortent l’idée que le régime riche en graisses par intermittence (régime « yo-yo ») aggrave le développement des plaques athérosclérotiques en affectant la réponse immunitaire, et contribue ainsi à l’augmentation de la prévalence des maladies cardiovasculaires.
La différence entre les protocoles d’alimentation des animaux utilisés dans ces deux études a permis de comparer les effets d’un régime intermittent « prolongé » à ceux d’un régime intermittent « fréquent ». Lavillegrand et al. ont exposé un premier groupe de souris au régime riche en graisses pendant quatre semaines, suivi d’un régime standard pendant huit semaines, avant de réintroduire le régime riche en graisses pendant quatre semaines supplémentaires. Les auteurs ont comparé les conséquences de ce régime alterné prolongé à celles d’un régime athérogène conventionnel administré au groupe témoin qui, après un régime standard pendant les huit premières semaines, a été exposé sans interruption au régime riche en graisses pendant les huit semaines suivantes. Takaoka et al., quant à eux, ont utilisé un protocole d’intermittence fréquente : six cycles d’une semaine d’un régime riche en graisses suivie de deux semaines d’un régime standard. Dans les deux cas, quel que soit le protocole utilisé, les souris sous régime riche en graisses alterné ont développé des plaques d’athérosclérose plus étendues que le groupe témoin nourri sans interruption avec le régime riche en graisses. Il convient de noter que, pour chacune de ces études, la durée totale du régime riche en graisses, qu’il soit intermittent ou continu, était identique dans les deux groupes de souris comparés, ce qui signifie que la charge alimentaire totale en cholestérol était la même.
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Figure 1 Un régime riche en graisses intermittent accélère l’athérosclérose. A. L’administration continue d’un régime riche en graisses induit la formation de plaques d’athérosclérose essentiellement constituées de macrophages spumeux et de macrophages résidents. B. Au cours d’un régime riche en graisses intermittent prolongé, la myélopoïèse d’urgence libère, dans la circulation sanguine, des granulocytes neutrophiles pro-inflammatoires matures et immatures, et de l’interleukine 1β (IL-1β). Ces granulocytes infiltrent la plaque d’athérome et contribuent à l’accélération de l’athérosclérose (en haut). De même, un régime riche en graisses intermittent fréquent augmente la taille de la plaque d’athérome par rapport au régime riche en graisses continu. Cette augmentation s’accompagne d’une diminution du nombre de macrophages résidents, protecteurs, ainsi que d’un défaut d’autophagie et d’efférocytose (en bas). NET : neutrophil extracellular trap. |
Les résultats de ces deux études permettent de conclure que l’exposition alternée au régime riche en graisses aggrave l’athérosclérose indépendamment des facteurs de risque conventionnels comme l’hypercholestérolémie. Lavillegrand et al. ont constaté, lors de la première administration du régime riche en graisses, une augmentation du nombre de granulocytes neutrophiles circulants, qui s’est ensuite normalisée durant la période d’alimentation standard. Ils ont aussi constaté que la réintroduction du régime riche en graisses induisait une augmentation du nombre de ces granulocytes cinq fois plus forte que lors de la première exposition à ce régime. Cette forte augmentation est associée à une augmentation de la concentration plasmatique de chimiokines impliquées dans le recrutement des granulocytes neutrophiles. En utilisant la technique de séquençage nucléotidique des transcrits sur des cellules isolées (single cell RNA sequencing) de la paroi de l’aorte et par des analyses histologiques des sinus aortiques2 (sièges de plaques d’athérome), les auteurs ont constaté une accumulation locale de granulocytes neutrophiles pro-inflammatoires et de certaines de leurs molécules actives, comme la myéloperoxydase (pro-inflammatoire et pro-oxydante). De plus, après avoir neutralisé les granulocytes neutrophiles à l’aide d’un anticorps dirigé contre une de leurs glycoprotéines spécifiques, Ly6G, ils ont constaté la disparition de l’effet stimulant de l’alternance du régime riche en graisses sur l’athérosclérose, prouvant ainsi l’implication de ces cellules dans ce processus. Par des expériences de transplantation de moelle osseuse permettant d’étudier spécifiquement le rôle des cellules hématopoïétiques, ces auteurs ont montré que la réexposition des souris au régime riche en graisses déclenche un processus de « myélopoïèse d’urgence ». Un tel processus survient lorsqu’un stimulus aigu, tel qu’une infection ou toute autre agression, produit une réponse immunitaire innée. Dans cette étude, la réexposition au régime riche en graisses conduit à la production de granulocytes neutrophiles immatures qui libèrent de l’interleukine-1β, une cytokine pro-inflammatoire impliquée dans les maladies cardiovasculaires. Les chercheurs ont également montré que la première exposition au régime riche en graisses induit une reprogrammation des cellules précurseurs de granulocytes neutrophiles dans la moelle osseuse. En effet, après la première semaine de ce régime, ces cellules progénitrices commencent à surexprimer RUNX1, un facteur de transcription qui joue un rôle essentiel dans la granulopoïèse. Ce facteur induit une diminution de l’expression d’un des récepteurs des LDL oxydés, TLR4 (Toll-like receptor 4), dans les cellules myéloïdes, entraînant une moindre sensibilité des granulocytes à ce stimulus. Inversement, l’arrêt du régime riche en graisses induit à long terme une diminution de l’expression de RUNX1, rendant les granulocytes beaucoup plus sensibles à une nouvelle exposition à ce régime. L’inhibition de l’interleukine-1β ou de l’inflammasome NLRP3 (NOD-like receptor family, pyrin domain containing 3), un complexe protéique impliqué dans l’activation de cette interleukine, permet de bloquer l’accélération de l’athérosclérose. Ainsi, les chercheurs ont montré l’importance de l’interleukine-1β dans la reprogrammation des cellules progénitrices myéloïdes et dans l’accélération de l’athérosclérose constatée dans ce modèle.
Takaoka et al., quant à eux, se sont concentrés sur le rôle des macrophages. Ceux de la paroi vasculaire jouent en effet un rôle fondamental dans le développement et la modulation de l’athérosclérose. Ces auteurs ont exploré, par la technique de single cell RNA sequencing, le profil transcriptomique des cellules de la paroi de l’aorte de souris exposées de manière continue ou intermittente au régime riche en graisses, lorsque la taille des plaques athérosclérotiques était similaire dans les deux groupes. L’analyse des profils d’expression génique a révélé que le régime riche en graisses intermittent entraîne une réduction du nombre de macrophages résidents dans l’aorte et dans le sinus aortique. Les fonctions homéostatiques protectrices de ces cellules dans la paroi artérielle étaient déjà connues [6], mais les auteurs ont ainsi pu montrer le rôle protecteur, méconnu, de ces cellules dans l’athérosclérose. Ils ont également mis en évidence une altération des processus cellulaires protecteurs, tels que l’autophagie (recyclage des débris cellulaires) et l’efférocytose (élimination des cellules mourantes), dans les macrophages résidents de la paroi athérosclérotique de l’aorte des souris exposées au régime riche en graisses intermittent. En invalidant le gène codant le facteur de transcription Spi-C, responsable du maintien des macrophages résidents dans les tissus, les auteurs ont constaté une augmentation de l’athérosclérose chez les souris exposées sans interruption au régime riche en graisses, ainsi qu’une suppression de l’effet accélérateur de l’intermittence de ce régime sur l’athérosclérose des souris de l’autre groupe. Ils en concluent que le régime riche en graisses intermittent diminue le nombre des macrophages résidents dans la paroi artérielle, et fait également perdre à ceux qui restent leurs fonctions protectrices, ce qui contribue à la formation de plaques athérosclérotiques plus étendues et plus instables que lorsque ce régime est ininterrompu. Par ailleurs, ces auteurs ont inclus dans leur article des données observationnelles humaines provenant d’une vaste étude prospective qui examine l’impact de l’exposition au cholestérol sanguin durant la jeunesse sur la formation de plaques d’athérosclérose à l’âge adulte (cardiovascular risk in young Finns study). Ils ont découvert qu’une cholestérolémie élevée pendant l’enfance et l’adolescence augmente l’athérosclérose à l’âge adulte. Ces données chez l’homme viennent à l’appui des conclusions des auteurs concernant l’étude de leur modèle murin, et ouvrent de nouvelles perspectives de prise en charge précoce de l’athérosclérose et des maladies cardiovasculaires.
Les résultats des deux études que nous avons présentées montrent, sur des modèles murins, qu’un régime alimentaire riche en graisses, lorsqu’il est intermittent, entraîne une accélération de l’athérosclérose par rapport au même régime ininterrompu. Ils mettent également en lumière le rôle de « l’immunité entraînée » dans le développement des maladies cardiovasculaires, où la reprogrammation des cellules progénitrices des granulocytes neutrophiles induit une réponse immunitaire innée à long terme. Le régime « yo-yo », dont ces travaux de recherche ont révélé les conséquences délétères chez la souris, reflète davantage notre mode d’alimentation contemporain qu’un régime riche en graisse continu, et l’implication de l’interleukine-1β comme médiateur potentiel de l’effet d’un régime gras intermittent est particulièrement intéressante dans ce contexte. En effet, l’étude clinique internationale CANTOS a précédemment montré le bénéfice, en prévention secondaire, d’un traitement utilisant un anticorps monoclonal inhibant l’interleukine-1β pour prévenir la survenue d’un nouvel événement cardiovasculaire après un infarctus du myocarde [7]. Enfin, ces résultats, tout en confirmant l’importance d’une intervention précoce et continue sur les facteurs de risque alimentaires de l’athérosclérose, offrent de nouvelles perspectives d’action thérapeutique sur des cibles potentielles pour la prévention des maladies cardiovasculaires.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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- Lavillegrand J-R, Al-Rifai R, Thietart S, et al. Alternating high-fat diet enhances atherosclerosis by neutrophil reprogramming. Nature 2024 ; 634 : 447–56. [Google Scholar]
- Takaoka M, Zhao X, Lim HY, et al. Early intermittent hyperlipidaemia alters tissue macrophages to fuel atherosclerosis. Nature 2024 ; 634 : 457–65. [Google Scholar]
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Figure 1 Un régime riche en graisses intermittent accélère l’athérosclérose. A. L’administration continue d’un régime riche en graisses induit la formation de plaques d’athérosclérose essentiellement constituées de macrophages spumeux et de macrophages résidents. B. Au cours d’un régime riche en graisses intermittent prolongé, la myélopoïèse d’urgence libère, dans la circulation sanguine, des granulocytes neutrophiles pro-inflammatoires matures et immatures, et de l’interleukine 1β (IL-1β). Ces granulocytes infiltrent la plaque d’athérome et contribuent à l’accélération de l’athérosclérose (en haut). De même, un régime riche en graisses intermittent fréquent augmente la taille de la plaque d’athérome par rapport au régime riche en graisses continu. Cette augmentation s’accompagne d’une diminution du nombre de macrophages résidents, protecteurs, ainsi que d’un défaut d’autophagie et d’efférocytose (en bas). NET : neutrophil extracellular trap. |
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