Issue |
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 3, Mars 2025
|
|
---|---|---|
Page(s) | 211 - 212 | |
Section | Éditorial | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025040 | |
Published online | 21 March 2025 |
EU-JAMRAI – L’Europe engagée sur une réponse coordonnée et « une seule santé » pour faire face à l’antibiorésistance
EU-JAMRAI – Europe committed to a coordinated response and a “one health” approach to tackle antibiotic resistance
1
Université de Limoges, Inserm U1092 CHU Limoges, RESINFIT, Limoges, France
2
Institut Physiopathologie, Métabolisme, Nutrition (PMN) Inserm, Paris, France
La résistance aux antibiotiques, ou antibiorésistance, constitue aujourd’hui l’une des menaces les plus pesantes pour la santé mondiale et fragilise les bases mêmes de la médecine moderne. Les antibiotiques, ces molécules « miracles » qui nous ont permis de gagner des dizaines d’années d’espérance de vie, sont aujourd’hui moins actifs, car de plus en plus de bactéries développent des résistances aux antibiotiques y compris ceux critiques ou de dernier recours. Sans antibiotiques efficaces, des infections bactériennes aujourd’hui bénignes pourraient redevenir mortelles. Sans antibiotiques, greffes, traitements de chimiothérapie anti-cancéreuse et immunomodulateurs, rendant vulnérable aux infections, pourraient aussi être remis en cause.
Selon une étude de 2024, 1,14 million de décès annuels dans le monde sont directement attribuables à l’antibiorésistance [1]. Entre 2025 et 2050, ce sont 39 millions de vies qui pourraient être perdues du fait de bactéries résistantes [1]. En Europe, l’antibiorésistance est responsable de 33 000 décès annuels [2], de 2,5 millions de jours d’hospitalisation supplémentaires par an, soit un coût sociétal estimé à 1,5 milliard d’euros/an1. Cette résistance a aussi des conséquences sur les rendements agricoles, avec une augmentation de la mortalité des animaux de rente et une perte économique évaluée à 13 milliards de dollars chaque année2. Mais alors comment lutter contre ce fléau, humain, agricole et économique ?
Les bactéries ont la capacité d’acquérir des résistances et surtout de les transmettre à d’autres bactéries à la faveur de différents mécanismes génétiques. La résistance peut ainsi facilement se propager au sein de communautés bactériennes : une propagation favorisée par la surutilisation et le mésusage des antibiotiques chez l’homme et chez l’animal. Du fait des activités humaines et agricoles et de leurs rejets, des résidus de médicaments, dont des antibiotiques, sont retrouvés dans l’environnement (eau, sol, plantes). Au fil des ans, l’environnement est devenu un réservoir de bactéries et de gènes de résistance. En outre, les bactéries ne connaissent aucune frontière, et voyagent d’un continent à un autre à la faveur des flux touristiques et des échanges commerciaux. Les taux de résistance des bactéries aux antibiotiques ne sont néanmoins pas répartis de façon homogène dans le monde, les pays à bas et moyens revenus étant plus impactés, en partie du fait de manque de structures sanitaires et de surveillance de la résistance, et des difficultés d’accès à l’eau et aux médicaments. L’antibiorésistance est un problème international touchant à la fois le secteur humain, animal et environnemental. Face à ce problème mondialisé, il convient d’adopter une approche « One Health », ou « une seule santé », s’attaquant au problème dans toutes ses dimensions (humaine/animale/environnementale).
L’Europe a très tôt pris conscience de cette nécessité de traiter les multiples racines de l’antibiorésistance. Dès 2006, elle interdit l’utilisation des antibiotiques en tant que facteurs de croissance dans le secteur agroalimentaire3, ce qui a considérablement réduit la consommation d’antibiotiques et les pressions de sélection en santé animale. En 2017, la Commission européenne adopte un plan d’action One Health de lutte contre l’antibiorésistance visant à faire de l’Europe une région de bonnes pratiques4. Ce plan d’action s’articule autour de sept éléments principaux : le bon usage des antibiotiques, la prévention des infections, la surveillance, la sensibilisation, la recherche, l’engagement politique et la coopération internationale. En 2023, le Conseil de l’Europe adopte un texte fixant des objectifs à atteindre pour les états membres et propose des recommandations pour les atteindre5 [6]. Pour traduire ces engagements en actions concrètes, l’Europe se dote d’outils pratiques pour aider les états membres à renforcer leurs politiques de santé publique en matière de lutte contre l’antibiorésistance. Parmi ces outils, les actions conjointes visent à rassembler les états membres autour de problématiques communes et à les faire travailler ensemble sur des actions concrètes. Concernant la résistance aux antibiotiques, la Commission européenne s’est engagée à soutenir financièrement, successivement, deux actions conjointes de lutte contre l’antibiorésistance et les infections associées aux soins, en 2017 puis en 20246.
La France a été plébiscitée par ses collègues européens pour piloter ces deux actions, avec l’Inserm en charge de la coordination opérationnelle. La première action, EU-JAMRAI 1, financée par la Commission européenne à hauteur de 4 millions d’euros entre 2017 et 2021, a réuni 44 partenaires (ministères, agences de santé publique, instituts de recherches, hôpitaux…) issus de 26 pays, ainsi qu’une quarantaine de parties prenantes (agences européennes/internationales, organisations à but non lucratif, associations de patients/étudiants/professionnels), tous unis dans la lutte contre l’antibiorésistance. Pendant trois ans et demi, ces acteurs ont œuvré à développer des outils concrets pour mieux lutter contre l’antibiorésistance. Parmi les dispositifs mis en œuvre, on peut citer : 1) un recueil de recommandations en matière de bon usage des antibiotiques ; 2) plusieurs outils pour aider à la mise en œuvre des programmes de prévention des infections en Europe ; 3) un jeu en ligne pour sensibiliser aux maladies infectieuses et à leur prévention ; 4) un agenda de recherche autour de la prévention des infections ; 5) des campagnes de communication sur les réseaux sociaux ; ou encore 6) des programmes d’échange entre pays pour favoriser la dissémination des bonnes pratiques. Le projet EU-JAMRAI 1 a aussi contribué au lancement d’un programme de surveillance de la résistance chez les animaux malades en Europe, baptisé EARS-Vet, et à la proposition d’un modèle d’incitation économique européen pour stimuler le développement de nouveaux antibiotiques, un secteur délaissé par les industriels car peu rentable. Ce modèle sert aujourd’hui de base aux discussions sur le développement d’un tel outil à l’échelle européenne.
Enfin, un concours international a été lancé, dans le cadre du projet, pour choisir un symbole afin de sensibiliser la population générale au problème de l’antibiorésistance, de la même manière que le VIH ou certains cancers ont leur symbole. Ce symbole a été aperçu à l’assemblée générale des Nations Unies, en octobre 2024, où il a été distribué aux 192 délégations présentes : une assemblée où ont été adoptées de nouvelles résolutions mondiales en matière de lutte contre l’antibiorésistance. Fort du succès de cette première action conjointe, la Commission européenne en a financé une seconde, EU-JAMRAI 2, à partir de 2024, et cette fois, à hauteur de 50 millions d’euros. Cette nouvelle action rassemble désormais 128 partenaires issus de 30 pays différents (27 États membres de l’Union européenne, ainsi que la Norvège, l’Islande et l’Ukraine), en continuité avec les axes d’intervention de l’EU-JAMRAI1 : bon usage des antibiotiques, prévention des infections, sensibilisation et amélioration de l’accès aux traitements et outils diagnostiques en santé humaine et animale, surveillance intégrée One Health, et impact environnemental de l’usage des antibiotiques. Elle met également un accent particulier sur le renforcement des capacités, les activités intersectorielles, et l’appui aux initiatives nationales. Un des nouveaux enjeux du projet EU-JAMRAI 2 est de s’assurer de l’engagement politique des pays participants. Pour cela, le projet s’appuiera sur un réseau européen de décideurs politiques (au moins un représentant par pays participant). Ce réseau doit permettre aux pays de renforcer leur coopération, de favoriser l’échange de bonnes pratiques, et de mieux identifier les besoins spécifiques de chaque pays en matière de lutte contre l’antibiorésistance. En France, l’Inserm sera épaulé par différents acteurs nationaux : ministère de la santé et de l’accès aux soins, ministère de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques, agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), CHU de Nantes et université de Limoges.
Face à la menace mondiale que représente la résistance aux antibiotiques, l’Union européenne, à travers les actions EU-JAMRAI, prouve son engagement en faveur d’une réponse coordonnée et concrète. Le succès de EU-JAMRAI 1 et les ambitions de EU-JAMRAI 2 dessinent un avenir où les pays européens échangent activement leurs bonnes pratiques en matière de lutte contre l’antibiorésistance, où les professionnels de santé agissent selon des standards toujours meilleurs, et où les citoyens sont sensibilisés à l’importance de préserver l’efficacité des antibiotiques. En adoptant une approche globale et coordonnée, l’Europe met en œuvre de façon très concrète l’approche One Health autour de l’antibiorésistance. Au-delà des efforts internationaux, il convient de poursuivre les efforts nationaux. Une nouvelle feuille de route interministérielle (2024-2034) de lutte contre l’antibiorésistance, portée par sept ministères français, vient d’ailleurs d’être publiée en appui des plans sectoriels de lutte contre l’antibiorésistance7. Cette nouvelle feuille de route vient aussi compléter les efforts de recherche et de structuration One Health mis en œuvre par le programme prioritaire de recherche sur l’antibiorésistance. Chacun à son échelle peut aussi contribuer à l’effort One Health et à la lutte contre l’antibiorésistance. Comment ? En évitant l’automédication et en consultant un médecin ou un pharmacien avant de prendre un traitement, en mangeant de la viande d’origine européenne, ou encore en évitant de jeter ses médicaments dans le circuit des eaux usées (toilettes et éviers). Par ces gestes simples, vous préserverez la diversité des êtres vivants et leur environnement des effets néfastes de la surconsommation d’antibiotiques.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- GDB 2021 Antimicrobial resistance collaborators. Global burden of bacterial antimicrobial resistance 1990–2021 : a systematic analysis with forecasts to 2050. Lancet 2024 ; 404 : 1199–226. [Google Scholar]
- Cassini A, Högberg LD, Plachouras D, et al. Attributable deaths and disability-adjusted life-years caused by infections with antibiotic-resistant bacteria in the EU and the European Economic Area in 2015 : a population-level modelling analysis. Lancet Infect Dis 2019 ; 19: 56–66. [Google Scholar]
© 2025 médecine/sciences – Inserm
Article publié sous les conditions définies par la licence Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), qui autorise sans restrictions l’utilisation, la diffusion, et la reproduction sur quelque support que ce soit, sous réserve de citation correcte de la publication originale.
Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.
Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.
Initial download of the metrics may take a while.