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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 2, Février 2025
Les microbes, l’Anthropocène et nous
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Page(s) | 160 - 165 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025014 | |
Published online | 03 March 2025 |
Les virus des bactéries à l’ère de l’Anthropocène : amis ou ennemis de leurs hôtes ?
Bacterial viruses in the Anthropocene era: friends or enemies of their hosts ?
1
Laboratoire de Chimie Bactérienne, UMR7283, Institut de microbiologie de la Méditerranée, CNRS, Aix-Marseille Université, Marseille, France
2
INRAE, université de Bordeaux, UMR 1366 oenologie, Bordeaux INP ISVV, Bordeaux, France
Les virus de bactéries, ou bactériophages, sont les virus les plus abondants sur Terre, et leurs hôtes sont les organismes vivants les plus répandus dans la biosphère. Ils sont retrouvés à l’état libre, sous forme de virions, et aussi très abondants dans les génomes de bactéries, à l’état de prophages. Les bactériophages sont présents dans tous les biotopes colonisés par les bactéries, eaux, sols, environnements extrêmes, microbiotes humains, animaux et végétaux, où ils participent aux échanges génétiques. Tous les facteurs qui impactent ces environnements ont donc des conséquences importantes sur la dynamique des populations de bactéries et de leurs virus.
Abstract
Bacterial viruses, or bacteriophages, are the most abundant viruses on Earth, and their hosts are the most widespread living organisms in the biosphere. They are found in a free state, as virions, but are also very abundant in bacterial genomes, as prophages. Bacteriophages are present in all biotopes colonized by bacteria, such as water, soils, extreme environments, human, animal, and plant microbiomes, where they contribute to genetic exchanges. Therefore, all factors affecting these environments have a major impact on the dynamics of bacterial populations and their viruses.
© 2025 médecine/sciences – Inserm
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Vignette (© Philippe Sansonetti).
Les bactériophages (ou phages) sont des parasites obligatoires des bactéries et les interactions entre ces deux entités sont l’une des principales forces qui contrôlent la densité et la distribution des populations bactériennes dans la biosphère (Figure 1). Toutes les 48 heures, la moitié des bactéries sur terre sont tuées par l’activité lytique des phages, contribuant ainsi aux cycles biogéochimiques majeurs [1]. Les bactéries disposent d’une pléthore de systèmes de résistance contre l’attaque des bactériophages [2,3] (→) ; cependant, aucune espèce bactérienne n’échappe à la prédation par les phages. Toutefois, dans des communautés et des environnements complexes tels que les différents microbiotes humains, ce modèle antagoniste d’attaques et de contre-défenses successives ne décrit pas entièrement l’étendue des interactions entre les phages et les bactéries. Dans d’autres environnements tels que les océans, les effets du réchauffement climatique influencent la dynamique écologique entre les bactéries marines et leurs virus. Dans cette synthèse, nous explorerons les aspects antagonistes et mutualistes des interactions entre les phages et les bactéries dans différents biotopes.
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Figure 1 Image de microscopie électronique à transmission en coloration négative de phages de Xanthomonas (PhagesLCB. © Image de la plateforme de microscopie IMM). |
(→) Voir m/s n° 11, 2023, page 862
Cycles viraux et prédation des bactéries
Les virus de bactéries se multiplient selon différentes modalités [4]. Le cycle le plus efficace pour la production de virions infectieux est le cycle lytique, classiquement retrouvé pour de nombreux virus quels que soient leurs hôtes. Le cycle lytique consiste à répliquer massivement le génome viral, puis à synthétiser les protéines de structure avant de les assembler en capsides dans lesquelles le génome viral sera empaqueté, produisant ainsi de nouvelles particules aptes à lyser la cellule hôte et à initier un nouveau cycle infectieux. La lysogénie constitue un cycle alternatif dans lequel le génome du phage, après son injection dans le cytoplasme de l’hôte, s’intègre à celui de l’hôte, sauf dans le cas des phages-plasmides, des hybrides entre phages et plasmides, qui possèdent une origine de réplication propre dans leur génome leur permettant ainsi de persister dans un état extra-chromosomiques [5,6]. Dans le cas de la lysogénie, la transmission virale est verticale puisque le génome viral est transmis aux cellules filles après division. Pour les phages tempérés, capables de réaliser ces deux types de cycles, la décision et l’équilibre entre ces deux voies dépendent largement de l’abondance en bactéries et en virus, de la structure spatiale des communautés, des conditions environnementales et de la physiologie de l’hôte. Ainsi, lorsque les bactéries se divisent peu, ce qui est le cas en conditions de stress ou de carence nutritionnelle, les phages optent pour la lysogénie qui leur permet une transmission efficace mais peu coûteuse pour l’hôte [7]. Cependant, dans des conditions particulières (exposition aux UV ou aux antibiotiques, par exemple), les prophages peuvent réinitier un cycle lytique, tuant l’hôte et les particules nouvellement formées pourront infecter de nouvelles bactéries. Dans des conditions peu favorables à la croissance bactérienne, un cycle encore mal caractérisé, appelé pseudolysogénie, permet au virus (qu’il soit virulent ou tempéré) de rester quiescent dans le cytoplasme de l’hôte en attendant que les conditions redeviennent favorables à une croissance rapide des bactéries et donc à un cycle viral lytique optimal et massif [8,9].
Contrairement à l’infection virale des organismes multicellulaires, le cycle lytique des phages a une issue fatale pour les cellules infectées. Quotidiennement, à l’échelle de la planète, le cycle lytique des virus provoque le renouvellement d’une proportion allant jusqu’à 40 % de la population bactérienne [10]. Ainsi, les bactériophages influent sur les cycles biogéochimiques tels que les cycles du carbone, de l’azote et de certains métaux comme le fer via le « viral shunt »1 qui libère de la matière organique et des nutriments dans l’environnement [11,12, 55] (→).
(→) Voir m/s, n° 12, 2022, page 1008
Ce court-circuit viral affecte la structure des communautés microbiennes, bactériennes et planctoniques, contribuant ainsi au recyclage des nutriments carbonés via la lyse cellulaire [13,14]. Les bactériophages, en tant que fraction dominante de la virosphère aquatique, sont donc des éléments majeurs des cycles biogéochimiques [15,16]. Outre les capacités métaboliques de l’hôte à produire de nouveaux virions, les phages sont confrontés aux systèmes de défenses des bactéries [2,17]. Les systèmes de restriction-modification ou CRISPR-Cas codés par de nombreux génomes bactériens sont les plus célèbres pour leurs applications en recherche et en biotechnologie [56] (→).
(→) Voir m/s, n° 10, 2024, page 748
Une multitude d’autres systèmes est codée dans les génomes, où ils sont souvent localisés au sein d’îlots de défense [18]. Au-delà d’une simple détection in silico, le décryptage des mécanismes d’action s’amplifie et ces données illustrent la complexité du phénomène de dynamique évolutive entre organismes [3,17]. L’étude des systèmes de défenses anti-bactériophages est essentielle aux applications thérapeutiques ou de biocontrôle utilisant ces derniers afin de mieux appréhender les interactions complexes qui existent entre phages et hôtes dans différents environnements.
Les bactériophages sont très abondants, leur nombre est estimé à 1031 particules [19] dans la biosphère. Ils sont également retrouvés dans tous les environnements où les bactéries sont présentes, y compris dans les biotopes extrêmes comme les nuages, le permafrost ou encore les sources hydrothermales [20,21]. Les récentes avancées scientifiques révèlent de mieux en mieux leur proximité avec l’être humain et l’intimité qu’ils partagent au sein des microbiotes.
Phages et microbiotes associés à l’humain
L’être humain est un holobionte, c’est-à-dire un être vivant constitué non seulement de ses propres cellules, mais également d’une quantité et d’une diversité extraordinaires d’entités microscopiques qui lui sont associées (bactéries, levures, champignons et virus infectant les trois domaines du vivant) [22]. Des progrès récents dans les approches de séquençage ont ouvert la voie au décryptage de la composante virale et de ses rôles [23,24] (→).
(→) Voir m/s n° 12, 2022, page 1028
Le corps humain contient environ 1013 particules virales, ce qui correspond également au nombre de cellules humaines [25]. Les phages sont une composante importante de cette fraction virale et sont présents dans tous les sites anatomiques riches en bactéries, qu’il s’agisse de la peau, de la cavité orale et des tractus respiratoire, digestif et uro-génital. Les génomes phagiques sont constitués d’ADN ou d’ARN, double-brin ou simplebrin. La catégorie des phages à génome ADN double-brin est toutefois de loin la plus abondante dans les inventaires réalisés, ce qui est en partie lié à des biais techniques dans les approches d’isolement et de séquençage utilisées. Les phages à génome ADN double brin identifiés chez l’être humain sont classés dans la classe des Caudoviricetes2, qui rassemble les phages caudés (Figure 1).
Les approches récentes de métagénomique3 appliquées à des prélèvements corporels issus de cohortes de donneurs sains volontaires ont permis de récolter de nombreuses informations sur les phages associés aux êtres humains [23,27]. L’objectif était de caractériser la totalité du matériel génétique présent dans la communauté microbienne associée au site de prélèvement. L’approche a révolutionné les connaissances sur les microbiotes humains, dans l’attente de progrès significatifs en culturomique, qui consiste à déployer des méthodes à haut débit pour la culture de microorganismes dans des milieux à faible teneur en nutriments afin de faire croître des microorganismes jusqu’ici incultivables [28]. L’exploration des génomes bactériens a permis d’y détecter des prophages intégrés, démontrant ainsi la forte contribution des phages tempérés dans les communautés bactériennes [29]. Il est aujourd’hui établi que, selon le site anatomique considéré, l’ADN viral intégré sous forme de prophage représente entre 1 et 5 % de la taille des génomes bactériens [27]. L’ADN viral issu de phages tempérés est également souvent détecté sous forme circulaire extra-chromosomique dans les métagénomes4 suggérant que les prophages sont actifs et inductibles in vivo [29]. Les facteurs responsables de l’induction restent peu connus. Parmi les candidats figurent notamment des molécules présentes dans notre alimentation (vitamine B12, fructose, D-xylose, acide acétique, acides gras à courte chaîne). Leur effet sur le métabolisme des bactéries du tractus gastrointestinal provoquerait l’excision des prophages et le passage vers un cycle lytique [30].
La métagénomique des communautés associées aux fèces humains a parfois capturé, et ceci de manière accidentelle, des séquences de phages virulents particulièrement abondantes dans les assemblages génomiques. C’est le cas du crAssphage5, dont l’hôte appartient au phylum Bacteroidetes [31]. Toutefois, il est vite apparu qu’une évolution technique était nécessaire pour permettre une approche exhaustive de la diversité génétique virale sur laquelle nous ne possédons que très peu d’informations fonctionnelles et que nous appelons la matière noire génomique, ou dark matter en anglais. Les particules virales libres ont donc été séparées des cellules par centrifugation et filtration des échantillons, puis purifiées et quantifiées par épifluorescence. Cette approche, complexe et ardue selon les viromes et environnements étudiés, donne accès à tous les types de virus présents, regroupés sous le terme de virus-like particles (VLP) ou particules ressemblant à des virus. À titre d’exemple, leur concentration avoisine 109-1010 particules par gramme de fèces humaines. Cette technique permet également de tester le potentiel infectieux des phages présents, de les observer au microscope électronique, éventuellement de les cultiver et enfin de séquencer leur génome, en limitant les contaminations par l’ADN bactérien [32]. Le séquençage à haut débit, et sans a priori, de la composition de la fraction virale dans un échantillon donné est la base de la viromique, aussi appelée métaviromique ou métagénomique virale.
Des inventaires exhaustifs des communautés de phages présentes dans le tractus gastro-intestinal ont été réalisés à l’échelle mondiale, englobant des individus de tous âges, genres et origines géographiques. Ces études ont permis de mettre en évidence l’existence de phageomes – ou communautés phagiques – extrêmement diversifiés et complexes au sein du microbiome intestinal humain. Les viromes des microbiotes possèdent des caractéristiques spécifiques, notamment la présence dans chaque site anatomique d’un « phageome cœur » commun à tous les individus, ainsi qu’un « phageome variable » représentant une portion hautement diversifiée entre les sujets. Une forte proportion des phages détectés (72 %) étaient actifs sur les phyla bactériens les plus abondants (Bacteroidetes et Firmicutes) [32–34].
Le virome des nouveau-nés contient peu de particules virales et les premiers virus détectés sont des phages [35]. Une récente exploration des communautés de phages associées aux fèces chez une cohorte de 647 enfants montre quelques particularités comme une présence moindre du crAssphage comparée aux résultats d’une même étude réalisée chez les adultes [35]. Deux facteurs supplémentaires influencent la composition du phagéome. Il s’agit de la localisation géographique des individus et de leur alimentation. Ainsi, chez des enfants nourris au sein, les populations de phages tempérés infectant les genres Bifidobacterium et Lactobacillus augmentent, ainsi que les populations bactériennes hôtes correspondantes. La composition des communautés phagiques est ensuite relativement stable dans le temps chez l’adulte [32]. D’autres exemples montrent des différences significatives dans l’abondance du crAssphage entre les phagéomes d’individus ayant un régime alimentaire de type occidental et ceux issus de populations de zones rurales au Malawi et dans l’état d’Amazonas au Venezuela [29].
Comprendre la dynamique des interactions hôtes humain-bactéries-phages et leur impact sur la santé humaine nécessite de nombreux travaux complémentaires. Des initiatives en matière de science participative, comme le projet French Gut porté par MetaGenoPolis6, et l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), y contribueront et devront s’inscrire dans une nécessaire dynamique mondiale pour intégrer aux études les populations dont l’alimentation demeure dans un état préindustriel. Les données déjà acquises montrent combien les phages sont susceptibles d’exercer une influence non négligeable sur les populations bactériennes en alternant cycle lytique, cycle lysogénique et infection chronique, qui produit des phages mais sans pour cela détruire la cellule. Par ailleurs, d’autres pistes, comme le processus de transduction qui permet le transfert de matériel génétique d’une bactérie donneuse à une bactérie receveuse par l’intermédiaire d’un phage, sont étudiées. En effet, les phages favorisent le transfert horizontal de gènes entre bactéries [4]. La lysogénie, quant à elle, peut favoriser la formation de vésicules membranaires et permettre certains échanges de molécules entre bactéries [36]. Enfin, les phages seraient capables d’inhiber la réponse immunitaire locale ainsi que les réactions inflammatoires [37]. Toutes ces situations participent à l’homéostasie des microbiotes.
Phages, santé humaine, santé végétale et santé animale
Soigner les maladies infectieuses à l’aide des bactériophages est une réalité depuis plus d’un siècle [38] ! Plus précisément, la stratégie puise ses origines dans l’article princeps de Félix d’Hérelle, [39], qui expérimenta la phagothérapie7 chez des enfants atteints de dysenterie autour des années 1920 [40]. Cependant, l’avènement des antibiotiques dans la pharmacopée moderne suite à la découverte de la pénicilline par A. Fleming en 1928 a conduit au déclin de la thérapie phagique [38]. L’usage massif des antibiotiques, non limité aux seules fins thérapeutiques, a conduit à une situation alarmante de résistance des bactéries aux antibiotiques et de leur dissémination. Les bactéries multirésistantes sont aujourd’hui omniprésentes : dans les hôpitaux, les élevages, les cours d’eau… L’Organisation mondiale de la Santé alerte régulièrement sur la menace grave pesant sur la santé mondiale [43] et préconise non seulement de cesser l’usage déraisonné des antibiotiques, mais aussi d’étudier précisément les facteurs locaux d’émergence des cas de résistance à travers le monde, et également de se tourner vers de nouvelles thérapies alternatives ou complémentaires [41,42]. De récents modèles statistiques prédisent que ces infections deviendront la principale cause de mortalité dans le monde d’ici 2050 [43]. En Europe occidentale, de plus en plus de praticiens hospitaliers et pharmaciens reprennent actuellement le flambeau de la phagothérapie, alors que sa pratique s’est maintenue sans discontinuer en Géorgie et en Pologne (Figure 2) [44]. Mais, comme mentionné plus haut, les bactéries, du fait de leur coévolution prolongée avec leurs virus, sont capables de résister aux bactériophages. De nombreux chercheurs étudient les systèmes de défenses anti-phages, leurs modes d’action, la manière dont ils sont sélectionnés, leur évolution et les conditions qui activent ces systèmes de défense qui parfois collaborent [45]. Toujours est-il que soigner avec des virus est à nouveau une réalité, comme le montrent les résultats de l’étude observationnelle multicentrique, multinationale et rétrospective de 100 cas [46]. Aujourd’hui, en Europe occidentale, la phagothérapie est appliquée selon les protocoles d’usage compassionnel et quasiment exclusivement en présence d’antibiotiques [47] (→).
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Figure 2 Préparations commerciales de phages thérapeutiques, Tbilisi, Georgia (photo © M. Ansaldi). |
(→) Voir m/s n° 12, 2022, page 1043
Selon les classes d’antibiotiques et les bactériophages utilisés, ces traitements combinés produisent des effets synergiques, neutres, ou antagonistes, qu’il convient d’étudier en détail afin de pouvoir établir des recommandations pour les praticiens [48,49] (→).
(→) Voir m/s n° 10, 2019, page 806
Sans l’octroi d’un statut particulier aux bactériophages par les agences de régulation et de sûreté du médicament, les applications en thérapeutique moderne ne se développeront pas, et cela en dépit de l’urgence de la situation mondiale [50,51]. Aujourd’hui, les essais cliniques préconisés par ces agences ne sont pas adaptés aux phages thérapeutiques, alors même que ces phages sont présents en grandes quantités (parmi d’autres virus et microorganismes procaryotes et eucaryotes) dans les approches de transplantation fécale qui sont, quant à elles, autorisées [52]. Les atouts majeurs des phages thérapeutiques sont de cibler spécifiquement les bactéries, d’être relativement faciles à isoler et à produire en laboratoires hospitaliers (à condition que la bactérie hôte le soit également). Le séquençage à haut débit permet une caractérisation rapide et l’élimination des génomes à risque (présence de gènes de toxines ou de lysogénie) [48]. Les défis actuels sont d’améliorer la qualité et la disponibilité des phages appliqués en médecine personnalisée, et deux principales approches se distinguent actuellement : la production de produits GMP (Good Manufacturing Practices) génériques et commerciaux, ou la constitution de biobanques hospitalières et académiques ouvertes et accessibles [53]. Bien évidemment la santé humaine n’est pas la seule concernée par la réintroduction de la phagothérapie. Une prise en compte globale des santés humaine, animale et environnementale a fait son chemin en Europe, c’est l’approche « One Health » ou « une seule santé », qui devrait devenir la norme. Les infections bactériennes d’origine animale (ex : salmonellose, campylobactériose) doivent être détectées et traitées globalement de la zone d’élevage des animaux de rente à toute la chaîne de production des aliments. Des solutions à base de phages ou d’enzymes phagiques telles que les lysines, sont développées pour améliorer la santé animale et l’hygiène des surfaces dans les usines de transformation. Le renforcement des programmes de vaccination et l’amélioration des pratiques de prévention et de contrôle des infections sont essentiels pour réduire les besoins en antibiotiques. Cependant, en élevage, les antibiotiques sont encore largement administrés, principalement pour favoriser la croissance des animaux. En agronomie, les conséquences du réchauffement climatique impactent la santé des plantes, et la réduction de l’usage de traitements chimiques vis-à-vis des espèces indésirables est devenue une réalité. L’utilisation des bactériophages dans ces domaines émerge comme une alternative prometteuse, car, bien sélectionnés ils respectent la composition du microbiote endémique et l’environnement [54]. Néanmoins, de nombreux obstacles persistent, notamment dans les modalités d’application de ces produits sur les plantes, la rémanence des phages et la présence de nombreux inhibiteurs dans l’environnement.
Conclusions
Bactéries et bactériophages cohabitent et coévoluent dans tous les environnements, et la question des effets de l’Anthropocène sur ces populations peut légitimement être posée. Les pressions de sélection liées à l’élévation de la température, à la présence d’antibactériens, et à la diminution globale de la biodiversité pourraient également affecter les équilibres entre phages et bactéries. L’étude de ces interactions d’un point de vue fondamental est capitale pour comprendre leurs contributions aux cycles géochimiques et à l’équilibre des populations. Ces études sont également à la source de nombreuses innovations [38], mais qui se souvient du rôle physiologique du système CRISPR-Cas9, ce système immunitaire adaptatif anti-phage qui est devenu la référence de l’ingénierie des génomes ? La recherche menée autour des bactériophages se doit d’être interdisciplinaire, mêlant tous les aspects de la recherche fondamentale (écologie, génomique, structurale, mécanistique) aux aspects appliqués en médecine, en agriculture ou en biotechnologies.
Liens d’intérêt
Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Les Caudoviricetes sont une classe de virus à ADN double brin (1 497 genres et plus de 4 800 espèces enregistrées à l’ICTV), représentant environ 30 % de toutes les espèces virales connues et 95 % des bactériophages. Ils possèdent une capside protéique icosaédrique et une queue qui permet l’entrée de leur génome ADN dans la cellule hôte.
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Liste des figures
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Figure 1 Image de microscopie électronique à transmission en coloration négative de phages de Xanthomonas (PhagesLCB. © Image de la plateforme de microscopie IMM). |
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Figure 2 Préparations commerciales de phages thérapeutiques, Tbilisi, Georgia (photo © M. Ansaldi). |
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