Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 2, Février 2025
Page(s) 166 - 172
Section Repères
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025013
Published online 03 March 2025

Vignette (© Wellcome Collection gallery).

Depuis quelques années, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alerte sur une recrudescence mondiale du choléra, avec une augmentation importante du nombre de nouveaux cas déclarés : 472 697 cas de choléra et diarrhées aiguës aqueuses et 2 349 décès en 2022 [1] ; plus de 708 200 cas et de 4 300 décès en 2023 [2] ; et déjà 145 900 cas et 1 766 décès de janvier à avril 2024 [3]. Ces chiffres sont cependant très inférieurs aux estimations issues de modélisations que l’OMS et la plupart des équipes scientifiques préfèrent mettre en avant, sur la base d’une étude faisant état de 1,3 à 4 millions de cas de choléra et de 21 000 à 143 000 décès par an [4]. Ces modélisations reposent néanmoins sur une méthodologie fragile consistant à extrapoler à 69 pays, qualifiés d’endémiques, des données d’incidence obtenues il y a plus de vingt ans à partir d’études transversales menées sur seulement trois sites (Calcutta en Inde en 2003-2004, Jakarta en Indonésie en 2001-2003, et Beira au Mozambique en 2004)1. Parmi les facteurs de risque avancés par l’OMS sur son site internet, figurent la pauvreté, l’accès insuffisant à l’eau et aux services d’assainissement de base, les conflits, l’urbanisation non planifiée et le changement climatique [5]. Toutefois, ces causes générales peinent à expliquer les subtilités de l’épidémiologie du choléra et particulièrement ses conditions d’émergence sur de nouveaux territoires, là où l’agent pathogène ne circulait pas encore.

Nous nous proposons, dans cette revue, de rendre compte de trois épidémies survenues en dehors des zones d’endémie et d’en présenter les causes. La première est survenue en Haïti, en octobre 2010, et a persisté jusqu’en 2019. La seconde est une résurgence de cette épidémie qui mit un point d’arrêt à une période de plus de trois ans sans le moindre cas de choléra. La troisième est survenue à Mayotte à partir de mars 2024, faisant de ce département français le premier territoire d’un pays industrialisé frappé par le choléra depuis cinquante ans.

Haïti, 2010

Alors qu’Haïti n’avait jamais connu de cas de choléra durant son histoire [6], une violente épidémie s’y est déclarée en octobre 2010 [7]. Les investigations de terrain et le séquençage de l’ADN de la souche en cause ont montré que l’épidémie était due à l’introduction malencontreuse du choléra par la relève d’un contingent militaire arrivé du Népal où sévissait une épidémie de choléra [8,9]. Peu après, le contenu des fosses septiques d’un camp militaire a de toute évidence été déversé dans un affluent de l’Artibonite, principal fleuve d’Haïti, contaminant en aval des dizaines de milliers de personnes [8]. La maladie s’est ensuite propagée, telle une onde de choc, frappant l’ensemble du pays à la faveur des déplacements humains (Figure 1) [10].

thumbnail Figure 1

Premières semaines d’épidémie en Haïti, 16 octobre-29 novembre 2010. Le mode de début de l’épidémie a varié d’un endroit à l’autre en Haïti : la flambée dans le bas Artibonite été particulièrement intense et brutale ; elle ne présente pas l’aspect « en dôme » habituel des épidémies. Il y a eu 500 cas le premier jour et plus de 1 000 le lendemain.

À l’époque, l’identification du déversement d’une fosse septique comme origine de l’introduction du choléra en Haïti avait été perçue comme une mise en cause inutile et injuste [11], car ils participaient à une mission de maintien de la paix de l’ONU (Organisation des Nations unies) appelée MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti), une opération débutée en 2004 pour faire face à d’importants troubles politiques qui menaçaient la sécurité du pays. Investiguer l’origine de cette épidémie catastrophique était pourtant indispensable pour mieux organiser une stratégie de lutte et envisager une élimination de la maladie en Haïti [12]. De façon intéressante, les premiers éléments démontrant l’origine de la contamination ont été fournis par une enquête de terrain [8], dont les résultats qualitatifs ont pu être perçus comme anecdotiques par certains chercheurs trop attachés au primat des méthodologies quantitatives [13]. Jusqu’en février 2019, plus de 820 000 cas et près de 10 000 décès ont été officiellement rapportés [14]. L’épidémie n’a pu être maîtrisée qu’après plus de huit années de lutte [14]. Par la suite, et pendant trois ans et demi, aucun cas de choléra n’a été signalé, amenant les autorités locales à demander la reconnaissance par l’OMS de l’élimination du choléra en Haïti [15].

Haïti, 2022

C’est dans ce contexte que de nouveaux cas de choléra ont été identifiés à partir du 29 septembre 2022, marquant le début d’une nouvelle épidémie [16,17]. Partie de Port-au-Prince, la nouvelle épidémie s’est rapidement propagée à l’ensemble du pays. Le dernier rapport de situation disponible indiquait qu’au 7 avril 2024, un total de 82 620 cas suspects et 1 266 décès avaient été recensés [18]. Depuis, la surveillance épidémiologique semble s’être interrompue du fait de la situation sécuritaire très dégradée en Haïti. L’étude des séquences génomiques a montré une très grande homogénéité entre les isolats de 2022, euxmêmes proches des souches qui avaient circulé en Haïti durant la première épidémie de 2010 [16,19,20]. Notamment, les isolats cliniques de 2022 semblent partager leur ancêtre commun le plus récent avec une souche isolée dans une rivière haïtienne en juillet 2018 [20]. Notons cependant que cet isolat de 2018, qualifié d’« environnemental », était très similaire à d’autres isolats retrouvés à la même période chez des patients haïtiens. Au vu de ces résultats, plusieurs équipes scientifiques en ont déduit que des souches toxigéniques2 de Vibrio cholerae O13 avaient probablement persisté pendant des années dans des réservoirs environnementaux aquatiques et que cette persistance était à l’origine de la nouvelle épidémie [19,20]. Jusqu’à présent, cette hypothèse n’a pas pu être étayée par la mise en évidence de souches toxigéniques dans l’environnement, ni pendant la période de trois ans et demi au cours de laquelle aucun cas humains n’a été signalé, ni au moment de l’émergence de la nouvelle épidémie. Cet élément est d’autant plus important que la forte homogénéité génomique des isolats de 2022 plaiderait plutôt pour une reprise épidémique liée à une souche unique, alors qu’une source environnementale, où les bactéries auraient proliféré en se diversifiant, se serait plus volontiers traduite par plusieurs départs d’épidémie, en lien avec des souches variées.

Contrastant avec l’accent mis sur les résultats des études génomiques, aucune des publications scientifiques portant sur cette réémergence du choléra n’a pourtant décrit le contexte dans lequel elle s’est produite. Ainsi, la littérature biomédicale n’a toujours pas abordé les liens possibles entre la réémergence du choléra et la situation sécuritaire d’Haïti, pourtant particulièrement dégradée. Le seul article à évoquer ces problèmes ne délivre que des informations vagues, plus à même d’expliquer les difficultés de la lutte que les circonstances précises de l’émergence de l’épidémie [17]. Tout au plus indique-t-il en substance que le contexte social qui prévaut en Haïti et l’action des gangs qui y sévissent ont facilité la résurgence actuelle du choléra et la forte mortalité associée dans tout le pays, faisant état de pénuries de carburant qui ont entravé les efforts de traitement de l’eau et les autres activités de lutte contre le choléra dans tout le pays. Pourtant, si l’on en croit Catherine Russel, la directrice mondiale de l’UNICEF (United Nations of International Children’s Emergency Fund), la situation récente en Haïti est littéralement catastrophique : « Haïti est dans une situation horrible. J’étais là-bas il y a plusieurs mois et il y avait déjà tellement de violence. Il y avait des gangs qui contrôlaient certaines parties de la capitale et maintenant ils ont pris le contrôle de la capitale. Ils ont même pris l’aéroport. Ce que cela signifie pour les gens, c’est que nous ne pouvons plus leur fournir d’aide. C’est très difficile pour nous de le faire. De très nombreuses personnes souffrent de faim et de malnutrition et nous ne parvenons pas à leur apporter une aide suffisante. C’est presque comme une scène de Mad Max » [21].

Cela nous a encouragés à analyser plus en détail le contexte de réémergence du choléra en Haïti, et à nous intéresser aux différents rapports publiés, notamment par les agences de l’ONU (Figure 2). L’un d’eux indique ainsi qu’entre le 8 juillet et le 31 décembre 2022, le quartier de Brooklyn, situé dans l’agglomération de Port-au-Prince et point de départ exact de l’épidémie fin septembre 2022, a été la cible d’attaques d’une violence inouïe par une coalition de gangs appelée « Famille G-9 et alliés » [22]. Ces attaques se sont traduites par la mort, les blessures ou la disparition de 552 personnes et le viol collectif de plus de cinquante femmes et jeunes filles. Après l’échec d’un premier assaut en juillet, le gang G-9 a organisé le siège du quartier, postant des tireurs embusqués (snipers) pour empêcher la population de sortir du quartier et tuant les personnes tentant de se ravitailler en eau et en nourriture. Selon les auteurs du rapport, les gangsters ont bloqué « l’accès aux biens de première nécessité, notamment l’eau et la nourriture, mais aussi aux services sanitaires, comme le ramassage des déchets. Ces tactiques ont eu pour conséquence d’appauvrir davantage les populations locales et de dégrader un environnement sanitaire déjà extrêmement insalubre, favorisant ainsi la propagation de maladies infectieuses. À ce titre, des cas de choléra ont été enregistrés dans le quartier de Brooklyn dès le début du mois d’octobre alors que les services de santé n’en avaient pas documenté dans le pays depuis 2019 ». Les canalisations d’eau ayant été détruites par les gangs, le ravitaillement de ce quartier dépendait de camions citernes dont les chauffeurs ont été menacés de mort s’ils continuaient à approvisionner le quartier, contraignant les habitants « soit [à] consommer les eaux usées […], soit [à] faire plus de deux kilomètres à pied pour s’approvisionner en eau […] au risque d’être ciblés par des snipers » [22]. Enfin, l’étude des dépêches de presse nous a appris que le pénitencier national de Port-au-Prince avait également été touché très précocement par le choléra, avec 147 cas et 21 décès entre le 4 et le 11 octobre 2022, soulignant la connexion entre les gangs et l’épidémie débutante. Par la suite, lorsque l’épidémie a commencé à se propager dans Port-au-Prince, on aurait pu s’attendre à ce que les gangsters laissent un peu de répit à la population pour qu’elle puisse organiser les secours. Cela n’a pas été le cas, bien au contraire : ils ont poursuivi leurs actions, marquées notamment par le blocage du terminal pétrolier de Varreux, le principal du pays, localisé juste à côté du quartier Brooklyn (Figure 2). Du fait de ce blocage et des barrages placés sur de nombreux axes, l’ensemble de l’agglomération de Port-au-Prince s’est retrouvée en pénurie d’eau potable et nombre de patients n’ont pu accéder aux soins. Le siège de Brooklyn, notamment, n’a pas été levé malgré la flambée épidémique qui s’y déroulait.

thumbnail Figure 2

Contexte de la reprise du choléra en Haïti, 2022. Le quartier de Brooklyn et le Pénitencier national ont été les deux foyers initiaux du choléra, dans un contexte de guerre des gangs. Selon le Haut-commissariat des droits de l’homme des Nations unies, entre le 8 juillet et le 31 décembre 2022, dans le seul quartier de Brooklyn, au moins 552 personnes ont été tuées, blessées ou portées disparues [22].

Mayotte, 2024

Passons maintenant à l’épidémie de choléra qui a sévi à Mayotte. Il s’agit ici de comprendre comment une épidémie de choléra a pu survenir sur le territoire d’un pays développé. En France, le dernier épisode significatif de choléra date de la fin du xixe siècle, une époque où l’on venait à peine de découvrir la cause microbienne du choléra et où l’assainissement et l’accès à l’eau potable étaient balbutiants.

La survenue des premiers cas de choléra à Mayotte est contemporaine d’une flambée épidémique dans l’Union des Comores, et tout particulièrement dans l’île d’Anjouan, distante de quelques dizaines de kilomètres, que des embarcations, appelées kwassa-kwassa, franchissent quotidiennement de manière illégale. Le premier cas de choléra en provenance d’Anjouan a été signalé le 18 mars 2024 [23]. La personne a immédiatement été prise en charge au centre hospitalier de Mayotte (CHM) tandis que des mesures étaient mises en place à son domicile afin d’enrayer la propagation de la maladie auprès des cas contacts et du voisinage. Ces mesures comprenaient le traitement, par dose unique de doxycycline, des sujets contacts et leur vaccination par le vaccin inactivé Dukoral®4, la désinfection du domicile, la recherche active de cas secondaires dans l’entourage et la vaccination par le vaccin vivant atténué Vaxchora® des personnes du voisinage n’ayant pas été directement en contact avec le patient mais partageant les mêmes facteurs de risque.

Ce n’était pas la première fois que Mayotte recevait des cas de choléra importés d’autres îles de l’archipel des Comores. Dix cas, dont neuf confirmés par le centre national de référence, avaient été recensés entre 1998 et 2000 alors qu’une flambée de choléra sévissait en Grande Comore et à Anjouan. Six de ces cas avaient été classés comme importés tandis que pour les quatre autres un début de transmission autochtone avait été suspecté. Des mesures avaient été prises pour éviter toute propagation, avec la mise en place d’une centaine de point d’accès à l’eau potable et l’organisation d’une campagne de vaccination. Plus de 115 000 personnes avaient été vaccinées avec deux doses de vaccin Dukoral®, pour une population alors estimée à 150 000 habitants. Finalement, aucune flambée épidémique n’avait été observée.

En 2024, le choléra à Mayotte a, pendant un temps, semblé rester sous contrôle comme 24 ans plus tôt : de nouveaux cas importés ont été identifiés en avril et à chaque fois les mesures prises ont permis d’éviter le début d’une épidémie [23]. La situation a cependant basculé lorsque, fin avril 2024, de nouveaux cas ont été identifiés dans un quartier de la commune de Koungou, sans lien direct avec les Comores [23]. Kierson, le bidonville où furent diagnostiqués ces premiers cas autochtones, cumulait les facteurs de risque de transmission de la maladie : y vivent environ 5 000 habitants, dont les ressources en eau se limitent à des ruisseaux, l’eau de pluie collectée dans des cuves (pour ceux qui en ont) et, pour quelques maisons, un réseau de tuyaux en provenance de captages non sécurisés situés en amont. Ce bidonville est implanté le long d’une ravine où s’écoule un ruisseau utilisé par nombre d’habitants du quartier pour divers usages domestiques, tels que la vaisselle, la lessive et l’eau du ménage. En outre, enfants et adultes s’y baignent et s’y abreuvent, alors même que ses berges sont utilisées comme toilettes à ciel ouvert. Malgré la survenue précédemment d’une épidémie de fièvre typhoïde, il n’existait pas, au début de l’épidémie, de point d’eau potable dans le quartier, ce qui contraignait les habitants à en sortir pour accéder à des bornes fontaines monétisées ou à des rampes de robinets (Figure 3). Au fil de l’évolution de l’épidémie, plusieurs autres quartiers ont été touchés, qui présentaient tous les mêmes problèmes d’absence d’accès à l’eau potable pour une partie de la population, contrainte de recourir à l’eau de ruisseaux souillés par des déjections [23]. Une enquête menée par Santé publique France auprès de 163 patients atteints de choléra indique que 60 % d’entre eux (98/163) utilisaient l’eau des ruisseaux pour au moins un usage quotidien (hygiène, vaisselle, lessive, etc.), et même que 18 % (30/163) l’utilisaient comme eau de boisson [23].

thumbnail Figure 3

Choléra et accès à l’eau à Mayotte, 2024. Le quartier le plus touché est Kierson, immédiatement à l’ouest de la carrière, où la seule ressource en eau était un petit cours d’eau lors du début de l’épidémie (11 cas).

Un tour d’horizon de la situation dans les 17 communes de Mayotte nous apprend que des dizaines de milliers de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. Une telle situation peut surprendre dans un pays comme la France où la loi contraint les communes à fournir un accès à l’eau potable dans tous les quartiers, même les bidonvilles. Cette obligation légale fait suite à une directive européenne (Directive (UE) 2020/2184) qui impose aux États membres de prendre des mesures concrètes et adaptées pour améliorer l’accès à l’eau potable des groupes vulnérables, une directive maintenant transposée en droit français [24]. L’ordonnance n° 2022-1611 du 22 décembre 2022, publiée au Journal Officiel le 23 décembre 2022, et les arrêtés et décrets complémentaires publiés le 30 décembre 2022, imposent d’assurer l’accès à l’eau pour les groupes vulnérables, cet accès étant placé sous la responsabilité des communes [25]. Cela comprend l’installation d’équipements dans les espaces publics et l’information des populations sur les possibilités de connexion au réseau d’eau potable. Les mesures à prendre peuvent inclure la mise en place de fontaines publiques, de rampes d’eau, et de bornes fontaines, ainsi que l’accompagnement des personnes vers l’utilisation de ressources alternatives en cas de besoin.

À Mayotte, il avait bien été envisagé de mettre en place de nouveaux points d’accès à l’eau, notamment durant les premières vagues de la pandémie de COVID-19 (coronavirus disease 2019) et juste après, lorsqu’un épisode de sècheresse avait contraint les autorités à organiser des tours d’eau, qui persistent toujours (l’eau étant coupée un à deux jours sur trois selon les zones et les périodes). Malheureusement la majorité de ces rampes d’eau ne sont pas fonctionnelles. Selon des données fournies par l’Agence régionale de santé de Mayotte (ARS-Mayotte) lors d’une mission sur place menée par l’un des auteurs de cette revue (Renaud Piarroux), on note que sur un total de 174 rampes de robinets récemment installées sur l’île pour les besoins élémentaires des populations les plus précaires, 66 seulement sont considérées comme fonctionnelles. La grande majorité des autres (81/108) ont été « vandalisées », dont 37 avant même d’être mises en service. Les 27 restantes ont été désactivées (26 d’entre elles n’avaient jamais servi), souvent à la demande des mairies où elles avaient été installées. En fait, une part importante de la population mahoraise s’oppose fermement à la mise en place d’accès à l’eau dans ces quartiers où vivent de nombreux étrangers en situation irrégulière. Ainsi, durant la crise de l’eau, en 2023, un « collectif citoyen » a écrit aux mairies, leur demandant d’adopter des arrêtés municipaux interdisant la mise en place de rampes d’eau dans les bidonvilles. Selon un article daté du 21 août 2023 publié sur le site d’information KWEZI « [ce] Collectif met en avant deux arguments principaux contre ces rampes d’eau. Premièrement, il souligne que cela provoquera un gaspillage d’eau alors que de nombreux abonnés sont déjà privés d’eau. Deuxièmement, il met en garde contre les risques de violence autour de ces installations. En réponse à cette situation, le Collectif propose aux maires d’adopter un arrêté municipal interdisant toute nouvelle installation de rampe d’eau pour les six prochains mois, et fournit même un modèle d’arrêté pour faciliter la démarche » [26].

Au 12 juillet 2024, alors que l’épidémie semble enfin marquer le pas, le bilan fait état de 221 cas (dont 214 confirmés par analyse par PCR [polymerase chain reaction]), dont 14 ont dû être admis en soins intensifs, et de sept décès, dont quatre confirmés, tous survenus à domicile ou sur le trajet vers l’hôpital [23].

Néanmoins, l’accès à l’eau potable est en cours d’amélioration dans les principaux bidonvilles de Mayotte, avec la réparation et la remise en eau de nombreux point d’eau et l’installation de rampes de robinets là où les accès à l’eau étaient trop éloignés. Selon une enquête de l’Agence France-Presse (AFP), les collectifs citoyens qui auparavant s’étaient opposé à ces mesures semblent avoir revu leur position. « L’opposition à l’installation de points d’eau « était un positionnement légitime quand il y avait 48 heures de coupures d’eau et que les rampes d’eau coulaient en continu : nous, on subissait les coupures et on devait payer une facture astronomique », explique à l’AFP Yasmina Aouny, porteparole des « Forces vives ». Mais face à l’épidémie, son collectif « a exprimé son inquiétude et revoit son positionnement », dit-elle. » [27].

Conclusion

Ces trois exemples montrent combien la garantie d’un accès à l’eau potable et d’un assainissement suffisant est essentielle pour préserver les populations du choléra. En 2010, le déversement dans la nature d’une fosse septique a été à l’origine de la contamination de dizaines de milliers d’habitants dans le delta de l’Artibonite en Haïti [8]. Ce qui n’était qu’une négligence dans la gestion des sanitaires d’un camp de casques bleus a donné lieu à la pire épidémie de choléra que l’humanité ait connu depuis le début du xxie siècle. Douze ans plus tard, la résurgence du choléra en Haïti semble, elle-aussi, impliquer la contamination de l’eau d’un quartier assiégé par des gangs qui s’en étaient pris à son approvisionnement en eau potable. Ici, la volonté de nuire apparaît manifeste si l’on en croit un rapport de l’ONU. Enfin, plus indirectement, à Mayotte, les entraves à l’installation de points d’eau dans des quartiers où vivent des étrangers, dont une partie est en situation irrégulière, sont à l’origine d’une situation inédite depuis des décennies dans un pays industrialisé (la dernière épidémie touchant un pays européen eut lieu au Portugal en 1974).

Sans vouloir épiloguer sur ces trois malheureux exemples, notons que nombre de scientifiques préfèrent s’abstenir d’évoquer les circonstances particulières liées au contexte local, pour mettre en avant des considérations générales telles que le réchauffement climatique ou la pauvreté endémique dans le monde pour expliquer la persistance du choléra au xxie siècle. Cette pusillanimité est évidente lorsqu’on se replonge dans l’histoire de l’épidémie de choléra de 2010 en Haïti et la manière dont la plupart des articles se sont abstenus d’en expliquer la cause [13] ; c’est tout aussi manifeste dans le cas de la résurgence du choléra en 2022 pour laquelle aucune publication scientifique n’a fait état du siège du quartier Brooklyn, point de départ précis de l’épidémie. Pour le cas de Mayotte, nous manquons encore de recul pour savoir comment les déterminants politiques de l’épidémie seront présentés dans la littérature biomédicale future. L’analyse présentée dans cet article, contribuera peut-être à mieux cerner les causes profondes du choléra dans un contexte où la maladie continue sa progression alors que les moyens de la prévenir sont à ce point connus de tous qu’ils ont fait l’objet d’une résolution de l’ONU : la résolution 64/292 (2010) qui « reconnaît que le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme » [28]. La France a évidemment voté pour. Il est temps qu’elle soit mise en application.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Il s’agit du seul modèle d’estimation des cas de choléra à notre connaissance. La dernière mise à jour du modèle date de 2015 [4] et reprend les données anciennes de Beira, Djakarta et Calcutta pour proposer un nouveau modèle pour l’Afrique et l’Asie. La seule innovation est d’avoir inclus des données d’Haïti et de Saint Domingue pour l’estimation du choléra dans les Caraïbes.

2

Qui produisent des toxines.

3

Souches de Vibrio cholerae contenant l’antigène o du groupe 1.

4

Les vaccins Dukoral et Vaxchora sont indiqués dans l’immunisation active contre la maladie causée par Vibrio cholerae sérogroupe o1.

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Liste des figures

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Premières semaines d’épidémie en Haïti, 16 octobre-29 novembre 2010. Le mode de début de l’épidémie a varié d’un endroit à l’autre en Haïti : la flambée dans le bas Artibonite été particulièrement intense et brutale ; elle ne présente pas l’aspect « en dôme » habituel des épidémies. Il y a eu 500 cas le premier jour et plus de 1 000 le lendemain.

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Contexte de la reprise du choléra en Haïti, 2022. Le quartier de Brooklyn et le Pénitencier national ont été les deux foyers initiaux du choléra, dans un contexte de guerre des gangs. Selon le Haut-commissariat des droits de l’homme des Nations unies, entre le 8 juillet et le 31 décembre 2022, dans le seul quartier de Brooklyn, au moins 552 personnes ont été tuées, blessées ou portées disparues [22].

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Choléra et accès à l’eau à Mayotte, 2024. Le quartier le plus touché est Kierson, immédiatement à l’ouest de la carrière, où la seule ressource en eau était un petit cours d’eau lors du début de l’épidémie (11 cas).

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