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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
Réfléchir le vivant
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Page(s) | 69 - 71 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024195 | |
Published online | 31 January 2025 |
Réfléchir le vivant
Les non-dits de l’excrétion
Overlooked facts about excretion
Professeur du Muséum national d’histoire naturelle, Institut de systématique, évolution, biodiversité, membre de l’Institut universitaire de France
Vignette (© Marc Selosse).
L’excrétion élimine les déchets du métabolisme d’un organisme : de nombreux lecteurs se souviennent sans doute de leurs cours de physiologie animale à ce sujet… Rien en physiologie végétale, car les autotrophes ne produisent pas de déchets métaboliques (nous verrons que c’est faux, mais c’est, en creux, l’image souvent laissée par nos études).
Les modalités de l’excrétion animale laissent aussi des souvenirs d’organes complexes fabriquant des liquides pour évacuer les déchets : néphrons, protonéphridies, néphridies, tubes de Malpighi, glande antennaire de l’écrevisse… Il s’agit surtout d’excrétion azotée. En effet, les animaux utilisent une grande partie de leur alimentation pour la respiration, du fait de leur hétérotrophie et de besoins énergétiques augmentés par leur mobilité. Leur catabolisme détruit donc une partie des molécules venues de l’alimentation, libérant du CO2, y compris à partir de molécules porteuses d’azote : des squelettes carbonés d’acides aminés rejoignent par exemple les voies cataboliques de diverses façons. Il en résulte une libération d’azote, qui est en partie utilisée dans les molécules structurales, expliquant un rapport atomique carbone/azote plus bas que celui des végétaux. Par exemple, alors que la matrice extracellulaire des végétaux est faite de lignine et de cellulose purement carbonées, celle des animaux est dominée par des protéines comme le collagène1. Reste quand même de l’azote à éliminer, issu de désaminations : de l’ammoniac, donc.
Or, cette molécule est toxique, par elle-même, car elle entraîne des aminations2 spontanées de certaines molécules, et parce qu’elle peut neutraliser les gradients de pH transmembranaires. Les animaux aquatiques ont assez d’eau pour éliminer l’ammoniac en solution très diluée, sous forme d’ions ammonium : c’est ce que font, par exemple, les poissons dans leurs branchies, où ils profitent du flux d’eau respiratoire. Pour les animaux terrestres, l’eau est comptée, et ils doivent éliminer des molécules azotées moins toxiques mais plus complexes, comme l’urée et l’acide urique, ce qui entraîne une perte d’énergie et de carbone. L’urée est une petite molécule qui reste un peu toxique, car elle peut dénaturer les protéines : il faut la maintenir un peu diluée3, même si elle peut être plus concentrée que l’ammonium. C’est pourquoi l’urine humaine, qui excrète de l’urée, est assez abondante ! L’acide urique est une plus grosse molécule (perte énergétique et carbonée accrue !) moins toxique, qui peut être évacuée presque sans eau, voire sous forme de cristaux : c’est le matériau blanc qui entoure les crottes des oiseaux ! L’excrétion rejette également des molécules sans usage qui sont entrées dans l’organisme, plus ou moins toxiques et plus ou moins transformées. Cela explique, par exemple, pourquoi la plupart des infusions de plantes sont diurétiques (on parle justement de « pissemémé ») : le rejet des tanins, entre autres toxines légères et composés inutilisables, exige un flux hydrique. Mais tout cela n’est qu’excrétion par voie aqueuse. Or, ce que cachent ces histoires et leur sur-représentation en enseignement, c’est que dans le monde vivant, l’excrétion est un phénomène généralement et massivement… gazeux !
Prenons les microbes4 : dépourvus d’organes complexes, ils sont en contact avec le monde extérieur par toute leur surface cellulaire. Une excrétion gazeuse libère les déchets dans leur milieu ! Les microbes se débarrassent des éléments en excès produits par le catabolisme en les volatilisant. L’azote est émis sous forme d’ammoniac gazeux, par exemple par les champignons de la croûte de vieux fromages à pâte molle (camembert notamment) ou par les bactéries qui se nourrissent d’urée ou d’acide urique (c’est pourquoi les toilettes mal lavées puent). C’est aussi le cas des excès de soufre auxquels sont confrontés les microbes utilisant des protéines riches en acides aminés soufrés. C’est le cas des brévibactéries, des eubactéries orangeâtres car riches en carotènes, qui peuplent deux milieux entre lesquels il est amusant de faire le parallèle. Ces bactéries abondent sur les croûtes lavées (et donc humides) de fromages comme le munster, mais aussi sur nos propres pieds (avez-vous remarqué leur couleur souvent orangée ?) : dans les deux cas elles produisent du méthane-thiol (CH3SH), qui excrète le soufre et dégage… une odeur de pieds, justement !
C’est une excrétion gazeuse qui évacue aussi l’oxygène, ce déchet des organismes photosynthétiques, unicellulaires (cyanobactéries, microalgues) ou non (grandes algues, plantes), dont l’accumulation fait courir un risque de stress oxydant… Sans cette excrétion, notre environnement ne contiendrait pas d’oxygène, car il n’y en avait pas dans l’atmosphère primitive du globe. Oui, ce que nous respirons n’est qu’une forme d’urine gazeuse des végétaux !
Le festival des excrétions gazeuses est à chercher dans la façon dont les organismes non photosynthétiques se « débarrassent » des électrons issus de leur catabolisme : ils vivent de réactions d’oxydoréduction et les composés qui reçoivent in fine les électrons de ces réactions doivent être évacués. Il existe, pour simplifier, deux solutions : dans les fermentations, une molécule issue de la cellule reçoit ces électrons ; dans les respirations, c’est une molécule minérale venue du milieu qui les reçoit. Dans tous les cas, il faut se débarrasser du produit.
Dans les fermentations, les odeurs émises sont précisément celles des produits fermentaires gazeux excrétés. L’alcool et l’acide lactique ne sont que lentement volatils, mais finissent par s’exhaler (c’est, respectivement, le nez du vin et l’odeur du yaourt). D’autres produits fermentaires, les acides gras, sont rendus moins solubles et donc plus volatils par une chaîne carbonée courte dépourvue de fonction oxygénée, hormis la fonction carboxylique terminale (–COOH). Nos flatulences expulsent ceux excrétés par notre microbiote digestif. L’acide acétique, celui du vinaigre, pique le nez. L’odeur de l’acide propionique va de la noisette, à l’état dilué, au vieux gruyère, à plus forte concentration : cela explique les odeurs des fromages, d’autant plus prononcées et typées que celui-ci est vieux et a accumulé de l’acide propionique ; elle fait aussi l’odeur de la peau, d’autant plus désagréable et marquée que le lavage est ancien… Dans les deux cas, les matières grasses du laitage ou du sébum cutané retiennent durant un temps cet acide gras que sa chaîne carbonée assez longue rend lipophile, mais il finit par s’évaporer. L’acide butyrique, enfin, s’exhale de la choucroute, de certains fromages gras, comme le roquefort, ou encore de nos propres flatulences. La volatilisation des acides gras emporte les ions H+ formés au cours de la fermentation, qui ont un effet antimicrobien et qui existent en solution tant que les acides gras sont sous forme soluble dissociée (acétate, propionate ou butyrate).
Dans le cas des respirations, on a en tête… celle des animaux et des végétaux, qui produit du CO2 et de l’eau5 : eh oui, le rejet de CO2 est une excrétion ! D’autres organismes, procaryotes eubactériens ou archéens, utilisent des respirations différentes en l’absence d’oxygène : d’autres molécules que l’oxygène reçoivent les électrons issus du métabolisme6. Ces réactions sont moins rentables énergétiquement que la respiration à l’oxygène, qui est donc utilisée en priorité, mais elles adaptent les organismes aux milieux anaérobies. Certains procaryotes utilisent du sulfate, qui est transformé en hydrogène sulfuré (H2S), à l’odeur d’œuf pourri : la vase anoxique ainsi que l’accumulation d’algues vertes sur le littoral émettent ce gaz, toxique à forte dose. D’autres utilisent du nitrate, transformé en oxydes d’azote gazeux : NO, N2O ou NO2 (et plus rarement N2). D’autres enfin combinent simplement leurs électrons à des ions H+ et produisent du H2. Certains enfin utilisent… le CO2, qui est transformé en méthane (CH4) : ces procaryotes méthanogènes œuvrent par exemple dans le tube digestif des ruminants et dans les méthaniseurs [1] (→).
(→) Voir le Réfléchir le vivant de M-A. Selosse, m/s n° 11, novembre 2024, page 866
Au passage, ces excrétions gazeuses, de l’oxygène au méthane en passant par le N2O et le CO2, font la composition de notre atmosphère et modifient la température globale, par le biais de l’effet de serre (pour les gaz qui sont soulignés). Et voilà comment l’excrétion est à la fois simple et gazeuse, généralement et massivement… au point de fabriquer notre atmosphère. Des fermentations aux respirations sans oxygène, ces excrétions construisent nos expériences olfactives. L’intérêt des gaz est que, même sans organe dédié, ils se dispersent dans le milieu par simple diffusion, sans coût énergétique, ce qui évite qu’ils s’accumulent dans l’organisme producteur !
Le centrage traditionnel de la physiologie animale sur l’excrétion liquide azotée cache cette généralité de l’excrétion gazeuse. Il porte à négliger le fait que les végétaux ont aussi une excrétion, via l’émission d’oxygène, et que notre poumon, à côté de sa fonction nutritive pour l’organisme en prélevant O2 de l’air inhalé, excrète aussi du CO2. Le poumon excrète également des gaz venus, par le sang, de notre microbiote digestif, qui produit du H2, du CH4 et des acides gras volatils, qu’on retrouve dans nos souffles… À tel point que la détection des humains incapables de digérer le lactose peut se faire par leur haleine [2] : chez eux, le lactose est digéré par des bactéries du microbiote, dont certaines relâchent du H2 qui passe dans le sang, et après une ingestion de lait, leur poumon excrète en quelques heures du H2 facilement détectable ! La fonction excrétrice du poumon a sans doute été masquée par l’habitude (pourtant obsolète) de l’enseignement de la physiologie animale d’associer un organe à une fonction unique. La respiration a ainsi été attribuée au poumon… masquant ainsi les deux autres fonctions élémentaires, nutrition et excrétion, auxquelles cet organe contribue. Il nous faut sortir des modèles animaux pour entrevoir la généralité des processus physiologiques ! D’ailleurs, même chez les animaux, les fonctions d’excrétion sont parfois plus simples et légères (comme des gaz !) qu’on ne le pense…
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Selosse MA. Les déchets, outils du mutualisme parfait ? Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 866–8. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Högenauer C, Hammer H, Mellitzer K, et al. Evaluation of a new DNA test compared with the lactose hydrogen breath test for the diagnosis of lactase non-persistence. Eur J Gastroenterol Hepatol 2005 ; 17 : 371–6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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