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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
Chroniques génomiques
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Page(s) | 73 - 76 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024188 | |
Published online | 31 January 2025 |
23andMe, ou la chute d’une licorne*
The fall of an Unicom
Biologiste, généticien et immunologiste, Président d’Aprogène (Association pour la promotion de la Génomique), 13007, Marseille, France
Abstract
23andMe, a company pioneering on-demand genetic profiling, has attracted much attention, millions of customers and very significant investments, as well as some lucrative collaborations with the pharmaceutical industry. Yet the company is now in deep trouble, with shares worth pennies, and may go bankrupt in the near future. This article describes the firm’s history and attempts to understand its problems.
© 2025 médecine/sciences – Inserm
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L’annonce de la faillite de 23andMe, entreprise pionnière pour la réalisation de profils génétiques en libre accès [1] (→), est probablement une question de semaines. Cette firme innovante, qui était valorisée à six milliards de dollars US début 2021, ne vaut plus actuellement qu’une centaine de millions (autant dire des clopinettes), et le cours de ses actions est aujourd’hui tombé à trente centimes, bien au-dessous de la valeur exigée (un dollar) pour une cotation boursière durable. Un tel parcours météorique n’est pas totalement exceptionnel dans les secteurs très innovants, mais il interroge s’agissant d’une entreprise qui figurait parmi les leaders il y a quelques années.
(→) Voir la Chronique de B. Jordan, m/s n° 1, janvier 2008, page 91
Un bref historique1
La start-up 23andMe est fondée en 2006 par Anne Wojcicki (sœur cadette de Susan Wojcicki, fondatrice de YouTube) (Figure 1), avec comme objectif et business model la fourniture à ses clients, en libre accès, de profils génétiques établis par hybridation de leur ADN sur un microarray, accompagnés d’une interprétation en termes d’ascendance ainsi que d’un repérage de quelques mutations susceptibles d’être pathologiques. L’analyse des ascendances a été le cheval de bataille de la firme, répondant à la curiosité de ses clients désireux de savoir s’ils ont un peu de « sang indien » ou découvrant (pour les Afro-Américains) qu’ils ont souvent une part significative d’ascendance « caucasienne » [2] (→).
(→) Voir la Chronique de B. Jordan, m/s n° 12, décembre 2013, page 1167
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Figure 1. Anne-Wojcicki brandissant un kit de prélèvement de salive (pour l’ADN) et une affiche de 23andMe. Image extraite du programme d’une conférence tenue en 2019 (https://hlth2019.com/speakers/anne-wojcicki/). |
Afin de développer son marché, la firme a pratiqué des prix très accessibles, en dessous du coût réel de ces analyses : 999 dollars en 2007, 399 en 2008 et même 99 en 2012, correspondant à une vente à perte caractérisée, car le coût réel est encore aujourd’hui de l’ordre de 200 à 300 dollars par analyse. Le tarif est actuellement remonté à 199 dollars. L’objectif pour 23andMe était d’accumuler un grand ensemble d’ADN caractérisés par leur profil génétique et enrichis d’informations phénotypiques fournies par les clients : en 2011, sur les 13 millions de clients déjà analysés, 9 millions avaient fourni leurs données et accepté qu’elle soient utilisées (après anonymisation) pour des études médicales : l’établissement à perte de profils génétiques devait permettre de construire une base de données très utile à l’industrie pharmaceutique et donc éminemment valorisable [3] (→).
(→) Voir l’Éditorial de B. Jordan, m/s n° 3, mars 2014, page 227
Cela devait effectivement aboutir à un important contrat avec l’entreprise Glaxo Smith Cline (GSK)2 [4] (→), nous y reviendrons. Parallèlement, 23andMe proposa à ses clients des interprétations médicales de plus en plus étendues, ce qui lui attira, en 2013, les foudres de la Food and Drug Administration (FDA) qui considérait (à juste titre) que l’entreprise n’avait pas les qualifications d’un laboratoire d’analyses médicales ; à partir de 2015, des négociations permirent d’autoriser 23andMe à fournir un nombre limité d’informations médicales3. Cet historique pourrait augurer d’une entreprise en bonne santé. Pourtant, après une introduction en bourse réussie début 2021, l’action de 23andMe, passée par un maximum de 16 dollars, est retombée aujourd’hui à trente centimes (Figure 2), autant dire qu’elle ne vaut presque plus rien. La firme a déjà licencié plus de 100 personnes (sur 600) et perd actuellement une centaine de millions de dollars par trimestre alors que ses réserves ne s’élèvent au total qu’à 170 millions. Anne Wojcicki, qui détient déjà 20 % des actions, a tenté de racheter l’ensemble (à 40 centimes l’unité) mais cette offre a été refusée par les membres du conseil d’administration qui, dans la foulée, ont démissionné [5]. Que s’est-il donc passé ?
(→) Voir la Chronique de B. Jordan, m/s n° 4, avril 2015, page 447
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Figure 2. Évolution du cours de l’action 23andMe (en dollars US) depuis son introduction en bourse. |
Un modèle commercial discutable, un piratage désastreux
La vente de profils génétiques n’est pas forcément rentable. Le coût d’un profil (préparation et marquage de l’ADN, hybridation sur un microarray, acquisition et interprétation des données) était encore élevé lors des débuts de 23andMe : rappelons-nous que le seul prix d’un microarray Affymetrix « génome entier »4 s’élevait alors à plus de mille dollars. Les prix ont beaucoup baissé, mais aujourd’hui, le coût « tout compris » de l’établissement d’un profil génétique se situe encore entre 200 et 300 dollars. Cette activité n’était donc pas profitable en soi : l’entreprise a tenté de la rentabiliser par une offre (payante) de services, par exemple, une réinterprétation périodique des résultats à la lumière des nouvelles identifications de gènes impliqués dans diverses maladies, mais cela n’a pas vraiment pris. La fourniture de profils s’apparente à « un fusil à un coup » : une fois les résultats obtenus, le client n’est pas motivé pour répéter l’opération. Seules, peut-être, les firmes spécialisées dans les recherches généalogiques et offrant moult services annexes parviennent à tirer leur épingle du jeu – et constituent une concurrence qui interdit à 23andMe de trop relever ses prix, s’il lui en prenait l’envie [6]. L’entreprise a un temps envisagé de proposer le séquençage intégral de l’ADN des clients, susceptible de fournir des informations beaucoup plus détaillées mais à un prix beaucoup plus élevé : plusieurs milliers de dollars en exploitation commerciale. Elle y a finalement renoncé. Et elle a subi un gros coup dur, avec le piratage, en octobre 2023, des données de 7 millions de ses clients, lesquels lui ont intenté plusieurs dizaines de procès aboutissant finalement à un accord qui va coûter 30 millions de dollars à l’entreprise [7]. Tout cela a évidemment eu un retentissement néfaste sur la réputation de 23andMe et sur son chiffre d’affaires. Qu’en est-il de l’autre volet de son activité, l’exploitation de sa base de données pour la recherche pharmaceutique ?
Drug discovery, un chemin plus ardu qu’attendu
23andMe a consacré beaucoup d’efforts à l’enrichissement de sa base de données, constituée au départ par les ADN de ses clients et leurs profils génétiques. Elle les a sollicités pour obtenir des informations sur leurs caractères physiques, leur état de santé et différents aspects de leur mode de vie. Elle demandait leur accord pour que ces informations, une fois anonymisées, soient utilisés dans des programmes de recherche, et les informait le plus possible sur ces recherches afin qu’ils se considèrent comme des partenaires plus que comme des clients. Bon nombre de chercheurs ont effectivement utilisé la base de données de l’entreprise et ont produit un grand nombre de publications scientifiques, près de trois cents dont certaines dans des revues à très fort impact5. Cela a contribué à asseoir la réputation de la firme même si, actuellement, la base britannique UK Biobank6 est la plus utilisée : bien que son effectif soit moindre – 500 000 personnes tout de même –, elle a été constituée de manière systématique (et non au hasard des commandes de clients), elle comporte de très riches données phénotypiques, et surtout, l’ensemble des ADN a été intégralement séquencé. Mais la réelle valorisation de la ressource accumulée par 23andMe devait résulter de son utilisation pour la recherche pharmaceutique : l’analyse de processus physiologiques aboutissant à la définition de « cibles », des protéines impliquées dans différentes maladies, et la mise au point de médicaments agissant sur ces cibles. Ceci a été abordé au sein de l’entreprise, avec la mise sur pied d’un département de drug discovery, mais aussi proposé à des entreprises pharmaceutiques sous forme de contrat. C’est ainsi qu’a été mis en place en 2018 un contrat sur quatre ans avec la firme GSK, à hauteur d’une cinquantaine de millions par an, que GSK a ensuite prolongé d’un an. On a évidemment très peu d’informations sur les résultats de ce contrat, à part l’affirmation qu’il a permis l’identification d’une cinquantaine de cibles. Beau résultat – mais il y a très loin de la cible au médicament, et 23andMe n’a pas réussi depuis à attirer de nouveaux partenaires. Il faut dire qu’aujourd’hui l’accès aux données de la UK Biobank est ouvert aux partenaires industriels – moyennant l’établissement d’un contrat qui est sans doute moins onéreux que ce que propose 23andMe. Quant au département de recherches interne, il était censé travailler sur deux pistes très prometteuses, mais il vient d’être fermé, et son personnel licencié. Le chemin du génome au médicament, que l’on voyait comme une voie royale à l’époque du Programme Génome, s’avère décidément bien plus long et plus ardu qu’on ne l’imaginait.
Quelques leçons
L’histoire de 23andMe montre la fragilité des start-up en biotechnologie, même si elles ont réussi à accumuler des milliards de dollars et à accéder ainsi au statut envié de Licorne (Unicorn). Rappelons l’histoire récente de Theranos, qui prétendait avoir mis au point une technique révolutionnaire de micro-analyse sanguine : valorisée à 9 milliards de dollars fin 2014, l’entreprise a vu sa valeur tomber à zéro fin 2018, quand il s’est avéré qu’elle était fondée sur une série de mensonges et que les appareils tant vantés n’existaient pas7 [8]. Plus dans l’actualité, le fondement scientifique et le modèle économique de la firme GRAIL me semblent très fragiles [9, 10] (→) et je ne serais pas étonné de voir cette entreprise redescendre de sa (très belle) valorisation actuelle de 6 milliards.
(→) Voir la Chronique de B. Jordan, m/s n° 4, avril 2016, page 417 Voir la Chronique de B. Jordan, m/s n° 10, octobre 2024, page 789
Comme discuté ci-dessus, le modèle économique de 23andMe (ou du moins la partie concernant l’établissement de profils génétiques à la demande) souffrait aussi de problèmes qui en ont fait une source de pertes. Celles-ci devaient être compensées par des contrats industriels – mais ceux-ci n’ont pas pris l’ampleur nécessaire, tandis que le développement pharmaceutique en interne s’avérait trop long et trop dispendieux pour une entreprise de taille moyenne.
Plus généralement, les difficultés de 23andMe illustrent la prise de conscience que le chemin du génome au médicament ou, plus généralement, à la thérapie, est bien plus difficile qu’on ne l’imaginait il y a quelques années. La Figure 3, reproduction d’une brochure du Programme Génome Humain éditée en 1995, montre bien à quel point la transition semblait proche (et justifiait des investissements d’ampleur alors inusitée en biologie). Le séquençage du génome humain et toutes ses retombées technologiques et cognitives ont fait faire un pas de géant pour la recherche et, de plus en plus, la clinique ; mais la séquence n’est que le début d’une longue marche vers la connaissance.
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Figure 3. Génome et médecine, la vision des années 1990. (Brochure du programme Génome Humain des États-Unis, 1995) |
Pour un historique détaillé et à jour, voir https://en.wikipedia.org/wiki/23andMe.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Jordan, B. « Génome personnel » : gadget ou révolution ? Med Sci (Paris) 2008 ; 24 : 91–4. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Jordan B. Un triomphe commercial surprenant. Med Sci (Paris) 2013 ; 29 : 1167–70. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Jordan B. Grandes manœuvres autour des profils génétiques en libre accès. Med Sci (Paris) 2014 ; 30 : 227–8. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Jordan B. 23andMe ou comment (très bien) valoriser ses clients. Med Sci (Paris) 2015 ; 31 : 447–9. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Mullin E. 23andMe Is Under Fire. Its Founder Remains ‘Optimistic’ Wired, Feb 12, 2024. www.wired.com/story/23andme-genomic-testing-financial-results-earnings-anne-wojcicki/ [Google Scholar]
- Hancock E. 6 Best 23andMe Alternatives in 2024 (Ancestry & Health). DNA weekly, Sep 30, 2024. www.dnaweekly.com/blog/23andme-alternatives/ [Google Scholar]
- 23andMe to Pay M in Data Breach Lawsuit Settlement. GenomeWeb, Sep 16, 2024. [Google Scholar]
- Carreyrou J. Bad blood: Secrets and lies in a Silicon Valley startup. New York : Knopf ed., 2018. [Google Scholar]
- Jordan B. Le Graal de Grail est-il un mirage ? Med Sci (Paris) 2016 ; 32 : 417–20 [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Jordan B. Grail, un rêve de médecine préventive ? Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 789–791. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
Liste des figures
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Figure 1. Anne-Wojcicki brandissant un kit de prélèvement de salive (pour l’ADN) et une affiche de 23andMe. Image extraite du programme d’une conférence tenue en 2019 (https://hlth2019.com/speakers/anne-wojcicki/). |
Dans le texte |
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Figure 2. Évolution du cours de l’action 23andMe (en dollars US) depuis son introduction en bourse. |
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Figure 3. Génome et médecine, la vision des années 1990. (Brochure du programme Génome Humain des États-Unis, 1995) |
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