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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 1, Janvier 2025
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Page(s) | 9 - 12 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024187 | |
Published online | 31 January 2025 |
La correction du déficit en granulocytes éosinophiles : un facteur prédictif du sevrage de l’oxygénothérapie au cours des infections respiratoires sévères ?★
Correction of eosinopenia during respiratory infections is a predictor of oxygen weaning
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Maladies infectieuses, université Paris-Saclay, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), hôpital Raymond Poincaré, Garches, France
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Médecine intensive et réanimation, université Paris-Saclay, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), hôpital Raymond Poincaré, Garches, France
La pandémie de COVID-19, causée par le virus SARS-CoV-2, a submergé les systèmes de santé dans le monde entier, particulièrement lors de la première vague en 2020. Les patients hospitalisés pour des formes graves de la maladie nécessitaient souvent une oxygénothérapie, et la gestion de leurs besoins en oxygène représentait un défi constant pour les équipes de soin. Dès le début de la pandémie, plusieurs marqueurs biologiques sanguins ont été utilisés pour évaluer la gravité de la maladie lors de l’admission à l’hôpital, tels que la valeur de la protéine C-réactive et le nombre des lymphocytes, dans le cadre d’un orage cytokinique [1]. Cependant, il existait peu de données sur les marqueurs biologiques permettant de prédire l’évolution des besoins en oxygène au cours de l’infection, en particulier pour les patients hospitalisés en dehors des unités de soins intensifs.
L’éosinopénie1 est un phénomène connu lors d’infections aigües graves, notamment dans le sepsis et certaines infections virales [2]. Dans la COVID-19, il est rapidement apparu que les patients présentant une éosinopénie sévère à leur entrée à l’hôpital étaient plus susceptibles d’avoir des formes graves de la maladie, nécessitant une ventilation mécanique ou une admission en réanimation [3]. Découlant de ce constat, notre hypothèse est que, durant une prise en charge médicale appropriée de ces patients, un retour progressif du nombre de leurs granulocytes éosinophiles à des valeurs normales pourrait témoigner de l’amélioration clinique, et dans le cas de la COVID-19, de la diminution de l’inflammation pulmonaire. L’objectif de l’étude que nous avons entreprise était d’évaluer si la normalisation du nombre des granulocytes éosinophiles dans les sept premiers jours de l’hospitalisation était prédictive d’une réduction des besoins d’oxygénothérapie chez les patients hospitalisés pour COVID-19 [4]. En pratique, pouvoir anticiper le moment où l’oxygénothérapie ne leur sera plus nécessaire permettrait d’optimiser la gestion des ressources hospitalières, particulièrement sollicitées lors de pics épidémiques.
Cette étude rétrospective a été menée dans un hôpital universitaire de la région parisienne (hôpital Raymond Poincaré, à Garches) sur un groupe de 132 patients adultes hospitalisés entre mars et avril 2020 pour COVID-19, confirmée par un test PCR (polymerase chain-reaction). Tous ces patients avaient été admis dans un service de médecine, sans recours immédiat à la réanimation, et avaient nécessité une oxygénothérapie, d’emblée ou secondairement. Tous les patients avaient un faible taux sanguin de granulocytes éosinophiles, correspondant à une éosinopénie (valeur médiane de l’échantillon = 10/mm3, écart interquartile = 0-60), le premier jour de leur hospitalisation (bilan sanguin d’admission).
Les données ont été recueillies à partir des dossiers médicaux. Elles comprenaient des paramètres biologiques sanguins tels que le nombre des granulocytes éosinophiles, celui des lymphocytes, et la concentration de la protéine C-réactive, mesurés quotidiennement pendant la première semaine d’hospitalisation. Le principal critère de jugement était la normalisation du nombre des granulocytes éosinophiles à une valeur supérieure ou égale à 100/mm3 dans les sept premiers jours, et son association avec une réduction des besoins en oxygène à une valeur inférieure à 2 litres/minute. Les autres données recueillies incluaient les comorbidités, telles que le diabète, les maladies respiratoires chroniques et l’obésité. Les résultats ont été analysés en utilisant un modèle de régression logistique multivariée pour tenter d’identifier les facteurs prédictifs d’une réduction des besoins en oxygénothérapie.
L’âge moyen des patients inclus dans l’étude était de 59 ans, et 65 % d’entre eux étaient des hommes. Parmi les patients étudiés, 72 % avaient nécessité une oxygénothérapie dès leur admission, et la valeur médiane de l’apport en oxygène pour ce groupe était 2,3 litres/minute. Les caractéristiques de ce groupe de patients à leur entrée à l’hôpital sont présentées dans le Tableau I. Au total, 21 % de ces patients ont été transférés secondairement (avec un délai médian de 48 heures) dans une unité de médecine intensive et réanimation en raison d’une détérioration de leur état clinique.
Caractéristiques médicales des patients (n = 132) à l’admission à l’hôpital Raymond Poincaré (Garches).
Les résultats ont mis en évidence que les patients dont le taux sanguin de granulocytes éosinophiles était redevenu normal (≥ 100/mm3) à trois jours d’hospitalisation présentaient, dans les heures suivantes, une réduction significative de leurs besoins en oxygène par rapport aux patients pour lesquels ce taux restait anormalement bas (Figure 1). Ainsi, 70 % des patients ayant atteint ou dépassé le seuil de normalité de 100/mm3, mais seulement 32 % de ceux qui se situaient en-dessous de ce seuil, avaient besoin de moins de 2 litres/minute d’oxygène après deux jours d’hospitalisation (risque relatif rapproché, ou odds ratio = 5,5 ; intervalle de confiance à 95 % : 2,2-13,8 ; p < 0,001).
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Figure 1. Évolution du taux sanguin des granulocytes éosinophiles (en violet), de la concentration de la protéine C-réactive dans le sérum (CRP, en gris), et de l’apport en oxygène (en trait pointillé bleu), durant la première semaine d’hospitalisation. Les valeurs représentées par les ronds, les carrés, ou les triangles sont les valeurs médianes pour l’échantillon des 132 patients étudié, et les barres verticales représentent les écarts interquartiles. |
La diminution de la concentration de la protéine C-réactive pour atteindre des valeurs inférieures à 80 mg/L à deux jours d’hospitalisation était également associée à une réduction des besoins en oxygène (odds ratio = 26 ; intervalle de confiance à 95 % : 4-169 ; p < 0,001), ce qui témoigne du rôle de l’inflammation généralisée dans la progression de la maladie (Figure 1). Toutefois, les patients souffrant de maladies respiratoires chroniques présentaient une tendance à ne pas bénéficier de cette amélioration, bien que cette relation ne soit pas statistiquement significative (p = 0,06).
Une analyse multivariée a confirmé que la normalisation du taux de granulocytes éosinophiles (p = 0,04) et une concentration de la protéine C-réactive inférieure à 80 mg/L (p < 0,001) étaient les principaux facteurs associés à une réduction des besoins en oxygène dans les 72 heures suivant l’admission à l’hôpital. En revanche, d’autres paramètres biologiques, comme le nombre des lymphocytes ou des granulocytes neutrophiles, n’ont pas montré d’association significative avec l’évolution des besoins en oxygène au cours de la maladie.
Les résultats de cette étude montrent que la normalisation rapide, dans les deux premiers jours suivant l’entrée à l’hôpital, du taux de granulocytes éosinophiles peut servir de marqueur prédictif pour le sevrage de l’oxygénothérapie chez les patients hospitalisés pour une forme grave de COVID-19 [4]. L’éosinopénie, longtemps exclusivement considérée en tant que marqueur biologique de gravité, pourrait aussi, lorsqu’elle se corrige, refléter le retour à un meilleur équilibre entre processus infectieux et réponse immunitaire. Ce constat est particulièrement utile dans le contexte d’une infection comme la COVID-19, une maladie respiratoire parfois grave, pour laquelle les ressources d’assistance respiratoire (dont l’oxygénothérapie) ont été si fortement sollicitées, notamment lors des premières vagues de la pandémie [5, 6].
Ces résultats rejoignent les conclusions d’études précédentes concernant d’autres infections respiratoires graves. Par exemple, Abidi et al. avaient montré que l’existence d’une éosinopénie à l’admission en unité de soins intensifs était un indicateur fiable de sepsis [7]. Notre étude, quant à elle, s’est intéressée à l’évolution du taux de granulocytes éosinophiles dans le cadre des pneumopathies sévères de la COVID-19, et nous suggérons que la normalisation de ce taux dans les premiers jours de la prise en charge médicale pourrait être prédictive d’un arrêt rapide de l’oxygénothérapie [4]. Cette conclusion pourrait également s’appliquer à d’autres infections respiratoires nécessitant une oxygénothérapie prolongée.
Enfin, la protéine C-réactive sérique, un marqueur d’inflammation généralisée, s’est également révélée prédictive des besoins en oxygénothérapie, ce qui corrobore les résultats de travaux précédents sur la COVID-19 [8, 9]. Cependant, en raison de sa non spécificité quant à la cause de l’inflammation, ce marqueur ne permet pas d’anticiper la diminution de la consommation en oxygène avec la même précision que le nombre des granulocytes éosinophiles. La combinaison de ces deux marqueurs pourrait fournir un indicateur simple et efficace, à valeur prédictive du sevrage de l’oxygénothérapie, lors de ces infections respiratoires sévères.
La généralisation des résultats de notre étude est limitée du fait de sa nature rétrospective et monocentrique. De plus, l’effectif relativement faible de l’échantillon (132 patients) pourrait ne pas avoir été suffisant pour prendre en compte certains facteurs de confusion, tels que la mise en œuvre de traitements spécifiques (corticostéroïdes, antiviraux) ou le statut vaccinal des patients, dans l’interprétation des résultats. Toutefois, nous apportons des informations nouvelles pour mieux organiser la prise en charge hospitalière des personnes atteintes de formes respiratoires sévères de COVID-19 nécessitant une oxygénothérapie. Nos résultats plaident pour un suivi rapproché du nombre de granulocytes éosinophiles circulants chez ces patients.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Liste des tableaux
Caractéristiques médicales des patients (n = 132) à l’admission à l’hôpital Raymond Poincaré (Garches).
Liste des figures
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Figure 1. Évolution du taux sanguin des granulocytes éosinophiles (en violet), de la concentration de la protéine C-réactive dans le sérum (CRP, en gris), et de l’apport en oxygène (en trait pointillé bleu), durant la première semaine d’hospitalisation. Les valeurs représentées par les ronds, les carrés, ou les triangles sont les valeurs médianes pour l’échantillon des 132 patients étudié, et les barres verticales représentent les écarts interquartiles. |
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