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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 12, Décembre 2024
Épigénétique : développement et destin cellulaire
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Page(s) | 883 - 884 | |
Section | Avant-propos | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024205 | |
Published online | 20 December 2024 |
Le mot des coordinatrices - Épigénétique : développement et destin cellulaire
Epigenetics: Development and cell fate
Institut Curie, université Paris Sciences & Lettres Inserm U934, CNRS UMR 3215, CNRS UMR3244 Paris, France
Épigénétique par ci, épigénétique par là… Ce champ de recherche en biologie fascine le grand public, attiré notamment par l’idée que notre plan de construction génétique serait capable d’intégrer une méta-information non codée, une sorte de trace que nos expériences, voire celles de nos parents et grands-parents, imprimeraient sur nos gènes. À l’origine, le terme épigénétique émane d’un concept fondamental en biologie du développement. Située à l’interface entre génotype et phénotype, cette notion permet d’expliquer la capacité d’une cellule à exprimer un programme génétique propre à sa fonction et à son identité, en réponse à des signaux développementaux. L’épigénétique a ouvert la voie à des avancées majeures dans la compréhension fondamentale des processus biologiques qui façonnent un individu, depuis la fécondation jusqu’à l’âge adulte. Et, en révélant que le génome n’est pas un programme rigide mais un système flexible et adaptable, elle a aussi mené à des applications révolutionnaires pour la santé et les maladies humaines. Nous nous attarderons en particulier sur deux innovations majeures, qui offrent des voies prometteuses et inédites en médecine personnalisée~: les horloges épigénétiques, qui mesurent l’âge biologique et aident à évaluer les risques de maladies, et les épidrogues, des médicaments ciblant l’épigénome pour traiter diverses maladies. Contrairement à l’âge chronologique, qui se fonde sur le temps écoulé depuis la naissance, l’âge biologique reflète l’état de santé et le vieillissement cellulaire. Le principe fondateur des horloges épigénétiques date d’une dizaine d’années~ ; il repose sur la mesure combinée d’une centaine de sites de notre ADN, identifiés par des algorithmes complexes pour leur susceptibilité à perdre ou gagner de la méthylation en fonction de l’âge, et de façon hautement reproductible entre les individus. Étonnamment, ces changements de méthylation de l’ADN liés à l’âge sont aussi remarquablement conservés à travers la phylogénie des mammifères. Ceci a conduit à la conception d’une horloge universelle pan-mammifère qui peut prédire avec précision des traits spécifiques à chaque espèce, tels que la durée de vie maximale et le poids moyen à l’âge adulte. Les mécanismes sous-jacents à ces variations ne sont pas clairs et pourraient impliquer effectivement des variations de la méthylation locale de l’ADN, des changements dans les proportions de types cellulaires dans les tissus échantillonnés qui peuvent varier avec l’âge, ainsi que l’accumulation de mutations génétiques à ces sites. Il reste que l’âge épigénétique, fondé juste sur une poignée de sites de notre ADN, est un biomarqueur puissant qui permet de prédire avec précision le risque de maladies liées à l’âge, telles que les maladies cardiovasculaires, les cancers et les troubles neurodégénératifs. Par exemple, l’horloge de Horvath, une des premières à être développée, est utilisée pour évaluer les effets de l’environnement et du stress. De manière plus anecdotique, les horloges épigénétiques ont été récemment adaptées aux centenaires, pour vérifier les allégations d’âge extraordinaire. L’âge canonique de 122 ans de notre championne nationale Jeanne Calment, dont l’ADN est accessible à la fondation Jean Dausset-CEPH, n’a cependant pas pu être vérifié par cette méthode, faute de consentement familial. Mais plus sérieusement, le domaine le plus prometteur des horloges biologiques est la réalisation qu’elles répondent aux interventions pro- ou anti-âge classiques, telles que l’apport calorique ou la signalisation de l’hormone de croissance, comme démontré chez la souris. Elles sont donc de plus en plus utilisées pour évaluer non seulement les effets des maladies congénitales, de l’environnement ou des modes de vie sur l’âge biologique, mais également pour mesurer le potentiel des interventions thérapeutiques anti-âge.
La seconde avancée biomédicale extraordinaire que l’épigénétique a apportée est celle des épidrogues, ces médicaments qui ciblent les marques épigénétiques. Ces molécules chimiques représentent une approche prometteuse en cancérologie, notamment celles ciblant des marques chromatiniennes répressives, en permettant ainsi de restaurer une expression normale des gènes suppresseurs de tumeurs dans les cellules tumorales. Les inhibiteurs d’enzymes de méthylation (les ADN méthyltransférases ou DNMT), comme l’azacitidine et la décitabine, sont utilisés pour traiter des cancers hématologiques, tels que les syndromes myélodysplasiques et la leucémie aiguë myéloïde. Des molécules inhibitrices des histones déacétylases (HDAC), telles que le vorinostat et le romidepsin, sont approuvées pour traiter les lymphomes T cutanés ou périphériques. Enfin, le Tazemetostat, une molécule ciblant l’enzyme responsable de la triméthylation de la lysine 27 de l’histone H3 (H3K27me3), est utilisé dans le traitement du sarcome épithélioïde et du lymphome folliculaire. Les nouvelles stratégies en oncologie de précision combinent des épidrogues avec d’autres traitements comme la chimiothérapie. Enfin, les recherches intensives sur ces composés laissent espérer des applications au-delà de l’oncologie, notamment dans les maladies neurodégénératives et auto-immunes.
En conclusion, les horloges épigénétiques pourraient devenir des outils cliniques standardisés pour surveiller le vieillissement, ajuster les traitements ou évaluer l’impact des interventions préventives. Par ailleurs, les épidrogues pourraient offrir des solutions ciblées et potentiellement réversibles pour une variété de maladies complexes. Cependant, il reste encore beaucoup de chemin à faire, car pour les horloges biologiques comme pour les épidrogues, les mécanismes sous-jacents sont mal connus. Dans le cas des épidrogues, des défis importants demeurent, tels que les effets hors-cible, la toxicité, l’efficacité et l’apparition de résistances. Plus généralement, des recherches fondamentales restent indispensables à la compréhension intégrée des mécanismes épigénétiques, de leur susceptibilité à l’environnement et de leur réversibilité.
Dans ce numéro thématique, nous sommes heureuses de présenter un ensemble de contributions de collègues spécialistes en épigénétique qui, en couvrant l’état des connaissances de cette discipline, reprennent les bases fondamentales de l’épigénétique, son vaste champ d’application et les perspectives thérapeutiques qui en découlent. Ce dossier s’ouvre avec la présentation de l’évolution historique de la notion d’épigénétique et sa perception en sciences humaines et sociales [1] (→).
(→) Voir la Synthèse de L. Loison, page 885 de ce numéro
Nous abordons ensuite la dynamique développementale de l’épigénome chez les mammifères, mettant en exergue deux grands principes à l’origine de la définition de l’épigénétique : son héritabilité et sa réversibilité [2] (→).
(→) Voir la Synthèse de C. Roidor et al., page 892 de ce numéro
Il est de plus en plus reconnu que l’un des grands moteurs de l’évolution des complexes de modification épigénétique, notamment ceux conduisant à un état chromatinien réprimé, serait lié à la nécessité de contrôler les séquences non géniques et répétées de notre ADN, un thème émergent qui est ici également abordé [3] (→).
(→) Voir la Synthèse de C. Kleijwegt et J. Déjardin, page 904 de ce numéro
Trois illustrations essentielles du rôle de l’épigénétique en santé humaine sont déclinées : les maladies congénitales liées à des mutations génétiques dans les complexes de régulation épigénétique [4] (→), le cancer et les nouveaux outils de diagnostic et pronostic non invasif fondés sur la méthylation de l’ADN [5] (→) et la susceptibilité des femmes vis-à-vis des maladies épigénétiques en relation avec l’inactivation du chromosome X [6] (→).
(→) Voir la Synthèse de M. de Dieuleveult et G. Velasco, page 914 de ce numéro
(→) Voir la Synthèse de M. Gorse et al., page 925 de ce numéro
(→) Voir la Synthèse de J. Chaumeil et C. Morey, page 935 de ce numéro
Le volet épidémiologique de l’épigénétique est également discuté, au travers notamment du concept de la DOHaD1 [7] (→).
(→) Voir la Synthèse de J. Lepeule et al., page 947 de ce numéro
Enfin, en complément des épidrogues dont la limite est de modifier indistinctement le niveau d’une marque chromatinienne sur l’ensemble du génome, il est important de présenter les avancées concernant les outils d’ingénierie de l’épigénome, dérivés en particulier de la technique CRISPR, qui offrent l’espoir de canaliser une perturbation chromatinienne sur une cible génique précise [8] (→).
(→) Voir la Synthèse de H. Martin et M. Wassef, page 955 de ce numéro
Nous espérons que la lecture de ce numéro thématique sera aussi passionnante que sa conception l’a été pour nous.
Liens d’intérêt
Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
- Loison L. Retour sur la constitution du concept d’épigénétique. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 885–91. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Roidor C, Chebl K, Borensztein M. Reprogrammation, lignée germinale et empreinte génomique parentale. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 892–903. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Kleijwegt C, Déjardin J. Hétérochromatine et contrôle épigénétique des séquences répétées. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 :904–13. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- de Dieuleveult M, Velasco G. Les maladies génétiques de la machinerie épigénétique. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 914–24. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Gorse M, Bianchi C, Proudhon C. Épigénétique et cancer : la méthylation dans tous ses états. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 925–34. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Chaumeil J, Morey C. Régulation du chromosome X et spécificités fonctionnelles des cellules femelle. Deux X valent mieux qu’un ? Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 935–46. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Lepeule J, Broséus L, Jedynak P, Masdoumier C, Philippat C, Guilbert A, Nakamura A. Expositions environnementales et modifications de l’épigénome dans la période des 1 000 premiers jours de vie. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 947–54. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
- Martin H, Wassef M. L’ingénierie ciblée de l’épigénome. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 955–62. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
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