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Editorial
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 12, Décembre 2024
Épigénétique : développement et destin cellulaire
Page(s) 881 - 882
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024194
Published online 20 December 2024

Après l’ère du « tout génétique », dont la publication de la première séquence du génome humain en 2001 fut un jalon majeur, nous voici entrés dans celle du « tout épigénétique », ou presque. Effet de mode, mais aussi reflet incontestable des avancées majeures, depuis les années 1990, dans notre compréhension des mécanismes par lesquels les gènes sont activés ou éteints dans les cellules eucaryotes. C’est ainsi que, grâce au développement de méthodes d’analyse de plus en sophistiquées et résolutives, nous savons dorénavant que la chromatine, structure qui organise dans le noyau l’empaquetage de l’ADN autour des protéines histones, est un élément clé du contrôle de l’expression des gènes. Au travers des différentes conformations qu’elle adopte, la chromatine contribue en effet à consolider ou à maintenir l’état réprimé ou actif des gènes, notamment en modulant l’accès aux facteurs de transcription et à la machinerie transcriptionnelle. La reprogrammation de cellules différenciées en cellules souches pluripotentes (iPSC) par l’expression forcée d’un tout petit nombre de ces facteurs illustre de façon exemplaire le rôle crucial du « milieu » chromatinien. Alors que l’obtention d’iPSC fut très peu efficace à l’origine, elle est très vite devenue d’une efficacité quasi-totale dès que l’on a su, par divers artifices, rendre la chromatine des cellules traitées moins répressive au préalable.

Plus naturellement, l’inactivation de l’un des deux chromosomes X chez les individus femelles et l’empreinte génomique parentale, qui dicte l’expression d’un gène en fonction de son origine paternelle ou maternelle, offrent les exemples parmi les plus frappants du rôle central des mécanismes chromatiniens dans le contrôle de l’activité génique. Dans ces deux cas, et pour chacun des gènes concernés, l’une des deux copies présentes dans le noyau des cellules diploïdes est maintenue inactive tandis que l’autre est libre de s’exprimer. De manière tout aussi frappante, ces deux processus illustrent une autre propriété remarquable de la chromatine : la capacité qu’ont certains de ses états (mais pas tous !) d’être perpétués au travers des générations cellulaires alors que les signaux ayant conduit à leur établissement ont disparu ou cessé d’opérer. En effet, l’inactivation du chromosome X est mise en place très tôt au cours du développement de l’embryon, et les changements chromatiniens qui en résultent sont ensuite maintenus dans l’ensemble des lignages somatiques et ce, tout au long de la vie de l’individu. Quant à l’empreinte parentale, elle est établie dans les gamètes parentaux, le spermatozoïde et l’œuf, avant d’être transmise à la descendance, où elle conduit à l’inactivation au long cours d’une des deux copies parentales des gènes concernés. Dans ces deux exemples, les marques chromatiniennes associées sont cependant perdues au cours du développement de la lignée germinale, à l’origine de la formation des gamètes, constituant ainsi un cycle d’établissement-maintien-effacement, avec une reprogrammation séparant chaque génération.

Ces deux exemples nous permettent d’aborder la question épineuse de la définition de l’épigénétique. Si le nom est un néologisme crée en 1942 par l’embryologiste Conrad Waddington, son sens n’a cessé d’évoluer, comme l’analyse précisément Laurent Loison dans ce numéro thématique [1] (). Je retiendrai pour ma part deux définitions. La première, formulée à la fin des années 1980, doit beaucoup aux travaux de Robin Holliday sur la méthylation de l’ADN [2]. Elle désigne l’épigénétique comme l’étude des changements stables et héritables (au travers des mitoses, voire des méioses) d’expression des gènes, sans que cet héritage n’implique d’aucune manière un changement de la séquence de l’ADN. Ces différences d’activité, bien qu’héritables, sont donc potentiellement réversibles. Adrian Bird [3], quant à lui, met l’accent sur la chromatine et ne se limite pas aux situations impliquant une transmission mitotique ou méiotique. Dans cette définition, plus large, l’épigénétique est l’étude de la façon dont la dynamique chromatinienne contribue aux différences d’activité d’une séquence d’ADN, que celles-ci soient ou non perpétuées au travers des divisions cellulaires.

(→) Voir la Synthèse de L. Loison, page 885 de ce numéro

La plupart des travaux actuels faisant référence à l’épigénétique se rattachent à cette seconde définition, traduisant en cela l’importance des mécanismes chromatiniens dans la régulation de l’activité du génome. Nombreuses également sont les études portant sur la possibilité que les changements chromatiniens induits par des environnements adverses (polluants, stress, trauma, etc.) soient transmissibles le long des lignages somatiques. Ce champ d’investigation est riche de promesses pour notre compréhension des cancers et autres maladies liées à ce type d’expositions. Enfin, et tout particulièrement sur la base de données épidémiologiques en lien avec des famines historiques, certains travaux de recherche visent à démontrer une transmission des effets de l’environnement sur de multiples générations. Sans rejeter complètement cette possibilité, il convient néanmoins de rappeler les difficultés méthodologiques d’une telle entreprise chez l’homme, du fait de l’importance des héritages culturels (pris au sens large) dans notre espèce, de la diversité génétique entre individus et des tailles limitées des cohortes étudiées. Qui plus est, l’épigénétique transgénérationnelle est d’emblée très improbable chez les mammifères, du fait de l’existence de puissants mécanismes de reprogrammation des états chromatiniens, tant dans la lignée germinale qu’au tout début du développement embryonnaire, après fécondation. À l’inverse, en accord avec l’absence de reprogrammation extensive de la méthylation de l’ADN d’une génération à l’autre chez les plantes, notre équipe a récemment mis en évidence qu’un tel héritage épigénétique est dans ce cas possible et même relativement fréquent. Les éléments transposables sont les principaux vecteurs de cette information épigénétique transgénérationnelle, et nous avons montré que celle-ci peut affecter l’expression des gènes situés à proximité, et surtout de ceux impliqués dans les réponses à des changements environnementaux. Cependant, rien n’indique à ce jour que le principal moteur de ces changements chromatiniens héritables sur plusieurs générations soit l’environnement lui-même. Chez les mammifères comme chez les plantes, la question d’une mémoire épigénétique transgénérationnelle des expériences passées reste donc ouverte. Enfin, même si chez la mouche (Drosophila melanogaster) et le nématode (Caenorhabditis elegans), il a pu être établi expérimentalement la possibilité d’un héritage épigénétique multigénérationnel, son importance en conditions naturelles reste à déterminer, d’autant plus que les effets s’estompent le plus souvent après seulement quelques générations, à la différence d’une transmission génétique classique.

Pour conclure, l’ère du « tout épigénétique » ne supplante en rien l’ère du « tout génétique », mais doit plutôt être vue comme un enrichissement de celle-ci. Autrement dit, les accomplissements de la génétique moléculaire permettent enfin d’aborder de front, non seulement l’étude des variations de séquence de l’ADN le long du génome, mais aussi celle des déterminants de l’activité des gènes et des dérégulations génétiques ou environnementales qui l’affectent. Dès lors, l’opposition entre l’inné et l’acquis peut être dépassée pour laisser place à une compréhension du rôle des interactions entre variations génétiques et environnementales dans l’élaboration et la transmission des différences phénotypiques entre individus.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Loison L. Retour sur la constitution du concept d’épigénétique. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 885–91. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Holliday R. The inheritance of epigenetic defects. Science 1987 ; 238 : 163–70. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Bird A. Perceptions of epigenetics. Nature 2007 ; 447 : 396–8. [CrossRef] [Google Scholar]

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