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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 8-9, Août-Septembre 2024
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Page(s) | 627 - 633 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2024095 | |
Published online | 20 September 2024 |
Détermination du sexe
Chaque chose en son temps !
Sex determination, it is all about timing
Université Côte d’Azur, Inserm, CNRS, Institut de Biologie Valrose (iBV), Nice, France
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marie-christine.chaboissier@univ-cotedazur.fr
Le sexe de l’embryon est décidé au moment de la fécondation par la transmission paternelle du chromosome sexuel X ou Y, tandis que la mère fournit un de ses deux chromosomes X. La différenciation sexuelle débute par le processus de détermination du sexe, qui va permettre le développement de l’ébauche gonadique soit en testicule, chez l’embryon XY, soit en ovaire, chez l’embryon XX. Le gène Sry, localisé sur le chromosome Y, nécessaire et suffisant pour induire le programme de développement masculin, a été découvert en 1990, et la communauté scientifique pensait alors que les autres gènes impliqués dans le processus de détermination du sexe seraient rapidement identifiés. Il aura cependant fallu plus de 30 ans pour identifier le facteur déterminant la différenciation ovarienne, une isoforme de WT1 appelée -KTS. Cette protéine est nécessaire pour induire le développement de l’ovaire chez les souris XX, et peut empêcher le développement masculin lorsqu’elle est activée prématurément chez les embryons XY. L’isoforme -KTS de WT1 agissant très tôt au cours du développement, sa découverte ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur le développement ovarien et permettra de mieux comprendre les réseaux de gènes impliqués dans certaines altérations du développement du sexe.
Abstract
The sex of an individual is determined at the time of fertilization. The mother passes on one sex chromosome, the X chromosome, and the father transmits the second sex chromosome, X or Y. Thus, an XX embryo becomes a female, whereas an XY individual becomes a male. A process known as “primary sex determination” allows the bipotential gonad to become a testis or an ovary in XY and XX embryos, respectively. In 1990, the Sry gene, located on the Y chromosome, was found to be necessary and sufficient to induce the male developmental program. At this time, the scientific community thought that other genes involved in the process of sex determination would be rapidly identified. However, it took more than 30 years to identify the ovarian determining factor. This factor is one variant of WT1, denoted -KTS, which is required to induce ovarian development in XX mice and can prevent male development of the gonad when it is prematurely activated in XY embryos. Because the -KTS variant of WT1 acts very early during development, this discovery opens new avenues for research on ovarian development, as it happened for SRY for testis development. It will also lead to a better understanding of the regulatory gene networks implicated in many unresolved cases of sex development disorders.
© 2024 médecine/sciences – Inserm
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Vignette (© Marie-Christine Chaboissier).
La détermination du sexe est un processus de développement encore partiellement compris. Les premières traces de la question de l’origine du sexe de l’individu remontent à environ 2 000 ans avant Jésus Christ [1], mais il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que les cytologistes allemand Hermann Paul August Otto Henking (1858-1942) et américain Clarence Erwin Mc Clung (1870-1946) suggèrent qu’un chromosome peut être impliqué dans ce processus. En 1905, les généticiens américains Nettie Maria Stevens (1861-1912) et Edmund Beecher Wilson (1856-1939) identifient le chromosome sexuel Y chez les insectes, et proposent que ce chromosome soit responsable de la différenciation sexuelle. À la fin des années 1950, les travaux de Charles E. Ford et de ses collègues établissent que les femmes ont deux chromosomes X et que les hommes ont un chromosome X et un chromosome Y, ce dernier « déterminant » le développement masculin [2]. Le système XX/XY de détermination du sexe venait ainsi de voir le jour. Ce système régit la différenciation entre mâles et femelles chez la plupart des mammifères, à l’exception de quelques espèces de rongeurs, comme le rat Tokudaia osimensis de l’île de Tokunoshima au Japon, pour lequel le caryotype des mâles, X0, comporte un chromosome X et pas de chromosome Y [3].
Les différentes étapes de la détermination du sexe
Le sexe est décidé dès la fécondation, avec l’héritage, transmis par le père au zygote1, soit du chromosome X, soit du chromosome Y. La détermination du sexe, dite primaire ou gonadique, est le processus qui permet à la gonade bipotentielle (la future glande sexuelle) de se différencier soit en ovaire chez un embryon XX, soit en testicule chez un embryon XY, selon un programme génétique spécifique. Cette étape est essentielle car elle conditionne l’ensemble du développement sexuel de l’individu, en particulier la différenciation des ébauches des organes génitaux : canaux de Müller (précurseurs des structures femelles) et canaux de Wolff (précurseurs des structures mâles) [4]. Après la détermination du sexe gonadique et la formation des ovaires ou des testicules, les organes génitaux internes (trompes de Fallope ou oviductes, utérus et vagin chez les femelles, et épididymes, canaux déférents, prostate et vésicules séminales chez les mâles) et les organes génitaux externes (clitoris et lèvres chez les femelles, pénis et scrotum chez les mâles) se différencient ou régressent en fonction du sexe de l’individu. On parle alors de détermination du sexe secondaire. C’est l’extrapolation de l’observation du développement des organes génitaux externes au processus de développement gonadique qui est vraisemblablement à l’origine du dogme selon lequel le sexe féminin est une voie par défaut, c’est-à-dire qui se produit « automatiquement » en l’absence du chromosome Y.
À la fin des années 1940, et au début des années 1950, les expériences de l’endocrinologue français Alfred Jost (1916-1991) visaient à comprendre les mécanismes impliqués dans la différenciation des voies génitales [5]. Des expériences d’ovariectomie (ablation des ovaires) et d’orchidectomie (ablation des testicules) après l’étape de détermination du sexe gonadique avaient alors été réalisées sur des fœtus de lapin sexés, selon la morphologie de leur gonade. Alfred Jost observa que chez les individus mâles dépourvus de testicules, les canaux de Wolff, précurseurs du tractus génital interne mâle, régressaient, démontrant que leur développement normal requiert un facteur synthétisé par le testicule. À l’inverse, les canaux de Müller, précurseurs du tractus génital femelle, persistaient chez les mâles après ablation de leurs testicules, ce qui indiquait que leur régression nécessite également un facteur testiculaire. Ces facteurs testiculaires sont respectivement, les androgènes, principalement la testostérone, responsables du développement des canaux de Wolff, et l’hormone anti-müllérienne, responsable de la régression des canaux de Müller, deux hormones synthétisées par le testicule. Ainsi, la présence des testicules impose la différenciation masculine à l’ensemble de l’appareil reproducteur extra-gonadique, qui sera féminisé en leur absence, la présence ou l’absence d’ovaires ne jouant pas de rôle dans ce contexte [6]. Ces travaux ne préjugeaient cependant en rien de l’existence d’un gène directement responsable de la détermination ovarienne.
Découverte du déterminant testiculaire
Le début des années 1990 vit une avancée considérable dans notre compréhension du système XX/XY de détermination du sexe, avec l’identification du déterminant testiculaire chez l’homme et chez la souris [7–9]. Comme anticipé, il s’agit d’un gène localisé sur le chromosome Y. Ce gène, appelé SRY (sex-determining region Y), fut identifié par l’analyse moléculaire des cas « d’inversion » de sexe, qui résulte d’une divergence entre le sexe génétique et le sexe anatomique (mâles XX et femelles XY). Ces travaux révélèrent en effet des mutations de novo dans le cadre de lecture du gène SRY chez les individus de phénotype féminin malgré un caryotype XY, et la présence d’une région du chromosome Y contenant SRY chez la plupart des individus de phénotype masculin malgré un caryotype XX. La preuve que le gène Sry est suffisant pour initier le développement mâle fut apportée en 1991 par des expériences de transgénèse additive2 de Sry chez des souris XX [10]. La découverte de SRY a renforcé l’idée que la différenciation femelle se produisait par défaut : si l’individu possède un gène SRY fonctionnel, il deviendra un mâle et, dans le cas contraire, une femelle, laissant supposer que l’existence d’un déterminant ovarien est inutile. Néanmoins, les chercheuses américaines Eva M. Eicher et Linda L. Washburn (The Jackson Laboratory, Bar Harbor, États-Unis) avaient déjà proposé, en 1983, une explication différente de la détermination du sexe [11]. Selon ces auteures, le déterminant testiculaire prédit sur le chromosome Y, nommé Tdy (testis-determining locus on the Y chromosome) – Sry n’avait pas encore été identifié –, active l’expression d’un gène nécessaire au développement testiculaire, appelé alors Td-I, et identifié depuis comme étant le gène Sox9 (SRY-box transcription factor 9) (Figure 1). Le déterminant ovarien (Od, ovary-determining gene), localisé sur le chromosome X ou sur un autosome3, active, quant à lui, l’expression d’un gène nommé Od-I, un gène tel que Foxl2 (forkhead box L2), nécessaire au développement de l’ovaire. Cependant, la déficience des déterminants testiculaires Sry (ou Sox9) chez la souris XY pouvant conduire à l’obtention de femelles XY fertiles [12,13], Od devait également être exprimé dans le testicule pour permettre le développement d’ovaires lorsque Sry (ou Sox9) est déficient. Pour garantir la différenciation des testicules, Tdy doit donc être actif avant Od. Selon cette hypothèse, si l’expression de Tdy/Sry est inhibée ou retardée, ou si l’expression de Od est activée avant celle de Tdy, la gonade bipotentielle pourra devenir un ovaire chez un individu de caryotype XY.
Figure 1. Modèle simplifié de la détermination du sexe selon Eva M. Eicher et Linda L. Washburn [11, 39]. Le développement testiculaire est induit par les facteurs Tdy (Testis-determining gene) et Td-I (Testis determining-1) à partir de 11,5 jours post-coïtum (jpc), alors que le développement ovarien début à 12,5 jpc par l’activation de Od (Ovary determining) et Od-I (Ovary determining-I). |
Différences de développement sexuel
Les différences de développement sexuel (disorders of sex development, DSD) constituent un groupe hétérogène d’altérations congénitales de l’appareil génital, caractérisées par divers symptômes, tels que la cryptorchidie (non descente des testicules dans le scrotum) ou des anomalies plus ou moins sévères dans la formation ou la fonction des gonades, ou dans la production ou la sensibilité aux hormones sexuelles [14]. L’inversion de sexe, ou dysgénésie gonadique complète, est un cas rare de DSD, caractérisé par une anomalie partielle ou complète du développement des organes génitaux [15,16].
Actuellement, moins de 50 % des personnes atteintes d’un syndrome de 46,XY DSD4 et moins de 20 % des personnes atteintes d’un syndrome de 46,XX DSD reçoivent un diagnostic génétique [15, 17], établi par un séquençage ciblé de gènes associés à ces dysgénésies et d’autres gènes candidats [17]. Au-delà des anomalies du développement de l’appareil génital, les DSD ont de nombreuses conséquences, notamment, des difficultés à assigner un sexe biologique aux individus atteints, des problèmes hormonaux, la stérilité et un risque accru de cancers génitaux, mais aussi de cancers touchant d’autres organes, dont l’incidence dépend du sexe. Connaître les facteurs clés de la différenciation des gonades est donc essentiel pour compléter la liste des gènes dont les mutations doivent être recherchées au cours de la démarche diagnostique.
Pour confirmer l’implication d’un gène candidat responsable de DSD, le modèle animal couramment utilisé est la souris, chez laquelle des mutations perte-defonction (par délétion de gène [knock-out, KO]) ou gain-de-fonction (addition de copies de gène [gain of function, GOF]) d’un gène peuvent être introduites. Les analyses phénotypiques de ces modèles permettent de déterminer si les mutations introduites affectent la différenciation de la gonade.
Le développement de la gonade et ses principaux acteurs
La détermination du sexe primaire a lieu entre la 5e et la 7e semaine de grossesse chez l’Homme, et entre le 11e et le 12e jour de gestation (jour post-coitum, jpc) chez la souris. La gonade est formée de différentes lignées cellulaires, dont les principales sont les cellules germinales, les cellules de soutien, nécessaires à la maturation des cellules germinales (cellules de la granulosa pour une gonade XX, ou cellules de Sertoli pour une gonade XY), et les cellules interstitielles, comprenant notamment les cellules stéroïdogènes et les cellules vasculaires [18] (Figure 2). Les cellules de soutien jouent un rôle clé dans la détermination du sexe car elles constituent la première lignée cellulaire somatique différenciée dans la gonade, et elles contrôlent ensuite le devenir des autres lignées cellulaires. À 10,5 jpc, les cellules progénitrices des cellules de soutien, situées dans l’épithélium cœlomique qui recouvre les ébauches gonadiques, migrent dans le mésenchyme sous-jacent pour former la gonade bipotentielle. À ce stade, les cellules de soutien sont spécifiées, mais pas encore sexuellement différenciées (on parle alors de cellules de soutien « bipotentielles »). Jusqu’à 11,5 jpc, l’expression de Sry dans ces cellules chez les souris XY induit une expression robuste de Sox9 et leur différenciation en cellules de Sertoli [19, 20] : la protéine SOX9 est ainsi considérée comme le marqueur précoce des cellules de Sertoli. Elles vont alors s’agréger, entourer les cellules germinales primordiales pour former les cordons testiculaires, futurs tubes séminifères, et bloquer l’induction de la spermatogenèse durant la phase embryonnaire. À 12,5 jpc, le testicule devient identifiable par la présence de deux tissus distincts, les cordons testiculaires et les régions interstitielles, dans lesquelles vont se différencier les cellules stéroïdogènes, ou cellules de Leydig, qui contribuent à la synthèse de la testostérone. Le stock de cellules de Sertoli est alors défini, ce qui influencera la taille du testicule définitif [21].
Figure 2. Représentation schématique du processus de détermination du sexe gonadique associant les principaux gènes impliqués et la différenciation cellulaire. Schéma réalisé en utilisant notamment des images de Servier Medical Art, sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/3.0/). |
Chez les souris XX, la différenciation ovarienne débute plus tardivement, aux alentours de 12 ou 12,5 jpc, avec la différenciation des cellules de la pré-granulosa [22, 23], ainsi nommées car dans cette espèce, la formation des follicules ovariens n’a lieu qu’après la naissance (alors que dans l’espèce humaine, la folliculogenèse débute in utero). Peu de modifications morphologiques se produisent dans l’ovaire murin jusqu’à l’entrée en méiose, à 13,5 jpc, des cellules germinales, qui seront ensuite bloquées en prophase I à la naissance.
Dans les années 2000, trois acteurs majeurs du développement ovarien ont été identifiés : le gène Foxl2, codant un facteur de transcription, et deux gènes activateurs de la voie de signalisation WNT/E-caténine dans la gonade, Wnt4 et Rspo1 (codant la R-spondine 1) [24]. Les mutations affectant ces trois gènes sont sans effet sur l’initiation du développement ovarien, mais ces gènes perturbent pour son maintien. Dans l’espèce humaine, les mutations hétérozygotes de FOXL2 sont responsables d’un syndrome caractérisé par des anomalies des paupières (blepharophimosis, ptosis, epicanthus inversus) [25]. Les femmes présentant ce syndrome peuvent être affectées par une insuffisance ovarienne prématurée, en raison de la formation d’un stock insuffisant de follicules ovariens au cours du développement fœtal, d’une perte prématurée des follicules, ou d’une insensibilité aux gonadotrophines. Chez la souris, Foxl2 est exprimé spécifiquement dans les cellules de soutien à partir de 12,0 jpc, et constitue un marqueur de différenciation sexuelle femelle des cellules de pré-granulosa [26]. Les souris XX dont le gène Foxl2 a été délété (souris Foxl2-/-) présentent une stérilité résultant du blocage de la croissance des follicules ovariens.
Dans l’espèce humaine, les mutations homozygotes de WNT4 et de RSPO1 chez des individus de caryotype 46,XX se traduisent généralement par la formation d’une gonade hybride, ou ovotestis, contenant une partie ovarienne et une partie testiculaire [27, 28]. Chez la souris, Wnt4 et Rspo1 sont exprimés dans les cellules progénitrices de la gonade et stimulent leur prolifération dans les deux sexes ; leur expression est ensuite réprimée dans la gonade XY, à 11,5 jpc, et maintenue dans la gonade XX [29]. L’étude des phénotypes murins associés aux mutations perte-defonction de ces gènes a montré que l’initiation de la différenciation ovarienne est amorcée, avec la différenciation de cellules de pré-granulosa, mais à migestation (à partir de 16,5 jpc), une proportion de ces cellules se transdifférencient en cellules de Sertoli, à l’origine de la formation d’un ovotestis [30, 31]. Ces résultats montrent l’importance du gène Foxl2 et de la voie de signalisation WNT/E-caténine dans le maintien du développement ovarien. Ils ne fournissent cependant pas d’informations sur l’initiation de la cascade moléculaire à l’origine de la différenciation de la gonade bipotentielle en ovaire.
À la recherche du déterminant ovarien
Dans l’hypothèse où il existe un déterminant ovarien, certaines de ses caractéristiques peuvent être prédites. Comme l’ont proposé Eicher et Washburn, ce gène peut être localisé sur n’importe quel chromosome (autosome ou chromosome X) à l’exception du chromosome Y, et son activation doit avoir lieu après le pic d’expression de Sry, dans les gonades XX et XY. Sa déficience doit induire un blocage du développement de l’ovaire chez les individus XX, mais pas une inversion de sexe car la protéine SRY est absente chez ces individus. S’il est exprimé précocement, il pourrait antagoniser Sry et favoriser le développement d’un ovaire chez les individus XY. On peut également prédire que le rôle du facteur qu’il code serait conservé dans de nombreuses espèces, à l’image de Sry et de Sox9 pour la détermination testiculaire.
Le gène WT1 (Wilms’ tumor 1), identifié en 1990 par l’équipe de David Housman (Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, États-Unis), présente les caractéristiques d’un tel gène [32]. Des délétions de la région du chromosome 11 (11p13) contenant les gènes WT1 et PAX6 (paired box 6) sont associées au syndrome WAGR (Wilms tumor, aniridia, genitourinary anomalies, mental retardation syndrome), qui se caractérise par une combinaison de tumeur de Wilms5, d’aniridie6, d’anomalies génitales et de retard mental [33]. Par ailleurs, des mutations ponctuelles affectant l’exon 9 de WT1 entraînent, chez un grand nombre de patients de caryotype 46,XY, des anomalies de la fonction rénale et la présence d’organes génitaux féminins (syndrome de Frasier) [34].
Deux sites d’épissage alternatif, situés à la fin de l’exon 9 de WT1 et conservés chez les vertébrés [35], sont à l’origine des deux principales isoformes de WT1, qui ne diffèrent que par la présence ou l’absence des trois acides aminés lysine (K), thréonine (T) et sérine (S). Les isoformes dépourvues de ce triplet KTS, appelées -KTS, sont des facteurs de transcription nécessaires pour induire ou réprimer l’expression d’autres gènes. La synthèse de l’isoforme -KTS est en compétition avec celle de l’isoforme +KTS, qui contient les trois acides aminés KTS, et un équilibre régule leur production. Dans le syndrome de Frasier, cet équilibre est déplacé en faveur de l’isoforme -KTS [34]. En 2001, l’équipe dirigée par Andreas Schedl (institut de biologie Valrose, université Côte d’Azur) a reproduit chez la souris le phénotype de dysfonctionnement rénal et de féminisation des organes génitaux du syndrome de Frasier en introduisant dans le gène WT1 une mutation empêchant la synthèse de l’isoforme +KTS [36]. L’augmentation de l’isoforme -KTS de WT1, ou l’absence de l’isoforme +KTS, pourrait donc être impliquée dans la détermination du sexe.
WT1-KTS est un, sinon le déterminant ovarien
Pour étudier le rôle de WT1 dans la détermination du sexe, nous avons réexaminé les modèles de souris knock-out pour les isoformes KTS [36]. En l’absence de l’isoforme -KTS, la différenciation des gonades est bloquée dans les deux sexes, et chez les embryons XX dépourvus de -KTS, le programme femelle n’est pas activé (Figure 3). Les gonades portant la délétion restent dans un état indifférencié et ne se développent pas en ovaires [37]. Il semble donc que l’isoforme -KTS est nécessaire à l’initiation de la différenciation ovarienne.
Figure 3. Absence de développement ovarien dans une gonade de souris XX déficiente pour l’isoforme-KTS du gène Wt1 (XX-KTS KO). A. Expression d’un marqueur des cellules de Sertoli (SOX9, en cyan) du testicule et d’un marqueur des cellules de pré-granulosa (FOXL2, en magenta) de l’ovaire à 12,5 jours post coïtum (jpc). Barre d’échelle : 100 μm. B. Schéma de synthèse du devenir gonadique associé aux génotypes. KO : knock out. |
Dans le modèle murin du syndrome de Frasier, la mutation empêchant la synthèse de l’isoforme +KTS induit une augmentation de la production de l’isoforme -KTS. L’excès de cette isoforme stimule prématurément la différenciation ovarienne, empêchant l’activation du gène Sry et la différenciation testiculaire des gonades XY, ce qui conduit à l’inversion de sexe décrite dans le syndrome de Frasier (Figure 4). La production d’embryons XY transgéniques contenant des copies supplémentaires du gène codant l’isoforme -KTS entraîne également une inversion du sexe, avec le développement d’ovaires. L’ensemble de ces résultats permet d’écarter l’implication de + KTS dans l’initiation du développement ovarien, et constitue une preuve que l’isoforme -KTS est nécessaire et suffisante pour induire le destin ovarien de la gonade bipotentielle (Figure 5).
Figure 4. Développement ovarien d’une gonade de souris XY surexprimant l’isoforme -KTS du gène Wt1. Expression du marqueur des cellules de pré-granulosa FOXL2 (en magenta) de l’ovaire dans une gonade XY déficiente pour l’isoforme +KTS (XY +KTS KO) à 15,5 jours post coïtum (jpc) A. et dans une gonade transgénique XY obtenue par gain de fonction de l’isoforme -KTS du gène Wt1 (XY -KTS GOF) à 12,5 jpc B. Barre d’échelle : 100 μm. C, D. Schémas de synthèse du devenir gonadique associé aux génotypes. KO : knock out ; GOF : gain-de-fonction. |
Figure 5. Modèle actualisé de la détermination du sexe à partir de l’hypothèse formulée par Eva M. Eicher et Linda L. Washburn [11]. Les voies de différenciation de la gonade bipotentielle vers un phénotype femelle (ovaire) ou vers un phénotype mâle (testicule) sont déterminées génétiquement. Le déterminant ovarien, l’isoforme -KTS de WT1, également présent chez le mâle, doit être actif après SRY pour que la détermination testiculaire ait lieu. Ce schéma simplifié se concentre sur les acteurs des premières étapes de la détermination du sexe chez la souris. Pour une version complète des acteurs moléculaires de la détermination du sexe, différenciation et maintien de la gonade, voir [40]. jpc : jours post coïtum. |
Conclusion
L’isoforme -KTS de WT1, qui rassemble toutes les caractéristiques prédites par Eicher et Washburn, est donc le déterminant ovarien, recherché depuis longtemps, chez la souris, et très probablement chez de nombreuses autres espèces de mammifères, dont l’espèce humaine, en raison de la conservation des sites d’épissage alternatif du gène WT1 chez des vertébrés [35]. Il est intéressant de noter, par exemple, qu’une modification du ratio des isoformes +KTS et -KTS en faveur de -KTS se produit lorsque les œufs de Chelydra serpentina, une tortue dont la détermination du sexe dépend de la température, sont transférés d’un environnement propice au développement mâle à un environnement avec une température favorisant le développement femelle [38]. L’identification de l’isoforme -KTS de WT1 comme un acteur très précoce du développement gonadique ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur le développement ovarien, comme cela a été le cas pour SRY et le développement testiculaire en 1990, et permettra de mieux comprendre les réseaux de gènes régulateurs dont le dysfonctionnement est vraisemblablement à l’origine des nombreux cas de différences du développement sexuel encore non élucidés.
Liens d’intérêt
Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
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Liste des figures
Figure 1. Modèle simplifié de la détermination du sexe selon Eva M. Eicher et Linda L. Washburn [11, 39]. Le développement testiculaire est induit par les facteurs Tdy (Testis-determining gene) et Td-I (Testis determining-1) à partir de 11,5 jours post-coïtum (jpc), alors que le développement ovarien début à 12,5 jpc par l’activation de Od (Ovary determining) et Od-I (Ovary determining-I). |
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Figure 2. Représentation schématique du processus de détermination du sexe gonadique associant les principaux gènes impliqués et la différenciation cellulaire. Schéma réalisé en utilisant notamment des images de Servier Medical Art, sous licence Creative Commons Attribution 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by/3.0/). |
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Figure 3. Absence de développement ovarien dans une gonade de souris XX déficiente pour l’isoforme-KTS du gène Wt1 (XX-KTS KO). A. Expression d’un marqueur des cellules de Sertoli (SOX9, en cyan) du testicule et d’un marqueur des cellules de pré-granulosa (FOXL2, en magenta) de l’ovaire à 12,5 jours post coïtum (jpc). Barre d’échelle : 100 μm. B. Schéma de synthèse du devenir gonadique associé aux génotypes. KO : knock out. |
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Figure 4. Développement ovarien d’une gonade de souris XY surexprimant l’isoforme -KTS du gène Wt1. Expression du marqueur des cellules de pré-granulosa FOXL2 (en magenta) de l’ovaire dans une gonade XY déficiente pour l’isoforme +KTS (XY +KTS KO) à 15,5 jours post coïtum (jpc) A. et dans une gonade transgénique XY obtenue par gain de fonction de l’isoforme -KTS du gène Wt1 (XY -KTS GOF) à 12,5 jpc B. Barre d’échelle : 100 μm. C, D. Schémas de synthèse du devenir gonadique associé aux génotypes. KO : knock out ; GOF : gain-de-fonction. |
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Figure 5. Modèle actualisé de la détermination du sexe à partir de l’hypothèse formulée par Eva M. Eicher et Linda L. Washburn [11]. Les voies de différenciation de la gonade bipotentielle vers un phénotype femelle (ovaire) ou vers un phénotype mâle (testicule) sont déterminées génétiquement. Le déterminant ovarien, l’isoforme -KTS de WT1, également présent chez le mâle, doit être actif après SRY pour que la détermination testiculaire ait lieu. Ce schéma simplifié se concentre sur les acteurs des premières étapes de la détermination du sexe chez la souris. Pour une version complète des acteurs moléculaires de la détermination du sexe, différenciation et maintien de la gonade, voir [40]. jpc : jours post coïtum. |
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