Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 8-9, Août-Septembre 2024
Page(s) 623 - 625
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024103
Published online 20 September 2024

Les protéines présentes à la surface des virus, des membranes bactériennes ou cellulaires sont impliquées dans de nombreux processus biologiques, tels que la transduction, l’adhérence, la communication cellulaire, le transport des nutriments et l’adaptation à l’environnement. Pour étudier et comprendre ces processus, il est pertinent de développer des outils chimiques permettant de marquer les protéines avec des sondes ou des étiquettes moléculaires. Ces protéines exposées à l’environnement viral ou cellulaire externe constituent également des cibles privilégiées pour y ancrer des effecteurs ou des ligands spécifiques, capables de moduler leurs caractéristiques fonctionnelles ou de leur en conférer de nouvelles (par exemple, une furtivité vis-à-vis du système immunitaire, ou un tropisme différent du tropisme naturel).

La majorité des conjugués de protéines commerciaux, comme les vaccins glycoconjugués ou les anticorps « armés » (antibody-drug conjugates), sont fonctionnalisés sur les résidus de lysine ou cystéine car ce sont les acides aminés les plus nucléophiles. Afin d’étendre les possibilités et de pouvoir adapter les conditions aux besoins du conjugué d’intérêt, de nombreuses réactions chimiques ont été développées ou adaptées ces dernières années pour cibler sélectivement d’autres acides aminés comme la méthionine, le tryptophane et la tyrosine [1, 2]. Si les réactions de bioconjugaison ont dans l’ensemble démontré leur efficacité pour des protéines isolées, le marquage direct de capsides virales ou de protéines membranaires exposées sur des surfaces cellulaires vivantes représente un véritable défi. En effet, les méthodes chimiques sont difficilement compatibles avec des milieux strictement aqueux et tamponnés, et nécessitent souvent l’emploi d’additifs, de catalyseurs métalliques ou d’oxydants chimiques qui sont délétères pour les entités vivantes.

Nous avons créé une méthode innovante de bioconjugaison « douce », qui utilise l’électrochimie pour fonctionnaliser les résidus de tyrosine. Dans sa version optimisée, un précurseur chimique inerte (le N-méthyl luminol, NML) est sélectivement électro-activé en présence de la protéine d’intérêt, et est ensuite capable de réagir rapidement et de façon chimiosélective avec le noyau phénol des tyrosines. Le motif NML peut être aisément fonctionnalisé, directement ou indirectement, par des sondes fluorescentes, des étiquettes moléculaires, et des ligands osidiques ou peptidiques, à la surface des protéines d’intérêt. Cette méthode d’électro-bioconjugaison, baptisée eY-click1, permet ainsi une modification directe de protéines natives isolées, et nous avons montré qu’elle est aussi suffisamment douce pour fonctionnaliser de façon biocompatible les surfaces protéiques de vecteurs viraux, de bactéries Gram positif ou négatif, et de cellules eucaryotes vivantes [3].

Le précurseur N-méthyl luminol pour électro-bioconjuguer la tyrosine

La première méthode de bioconjugaison électrochimique développée dans le laboratoire utilisait le précurseur phénylurazole qui, après oxydation douce, à faible potentiel électrique, à l’anode, produit progressivement l’espèce réactive phényltriazoledione (PTAD), capable de réagir avec les tyrosines [4]. Nous avons ainsi pu électro-fonctionnaliser des peptides, comme l’ocytocine, l’angiotensine 2 ou l’insuline, l’enzyme glucose oxydase (qui conserve son activité après modification), ou encore, un anticorps monoclonal anti-CD22 (epratuzumab). Cependant, une analyse portant sur des peptides modèles a montré, dans certaines conditions opératoires, une fonctionnalisation partielle du groupement amino N-terminal ou du noyau indole de l’acide aminé tryptophane. En nous intéressant à d’autres structures chimiques que le phénylurazole, nous avons découvert que le précurseur NML, également capable de s’électro-oxyder à faible potentiel électrique (750 mV) vs Ag/AgCl2, marque la tyrosine plus rapidement que le PTAD, et surtout avec une totale chimiosélectivité [5]. L’utilisation de ce précurseur dans le protocole eY-click a ainsi permis un marquage direct, rapide, chimiosélectif et biocompatible, d’une gamme de peptides, de protéines et d’anticorps de pertinence thérapeutique (trastuzumab3). Ce procédé vient donc compléter les stratégies existantes pour l’élaboration de bioconjugués.

thumbnail Figure 1.

La méthode eY-click permet de modifier les surfaces virales et cellulaires. L’application d’une faible différence de potentiel entre deux électrodes (seule l’anode est représentée ici, par la barre verticale et le signe +) oxyde en solution le motif N-méthyl-luminol (NML) sans affecter la viabilité des vecteurs viraux, des bactéries ou d’autres cellules d’intérêt.

L’électrochimie-click pour fonctionnaliser les vecteurs viraux

La stratégie eY-click a été appliquée à des virus adéno-associés recombinants (rAAV), qui sont utilisés dans le cadre de la thérapie génique. En effet, nous avions montré que la présence de ligands osidiques introduits par bioconjugaison chimique à la surface de rAAV permet d’augmenter la transduction de cellules d’intérêt [6, 7]. Nous avons ainsi évalué la compatibilité et l’efficacité du protocole électrochimique sur le sérotype rAAV2, en utilisant des dérivés du NML préalablement fonctionnalisés par du N-acétylgalactosamine (GalNAc) ou du mannose. Une analyse par dot blot et western blot a confirmé que la bioconjugaison des ligands était déjà effective à l’échelle de la minute, voire de la seconde, et le potentiel électrique utilisé pour cette électro-conjugaison n’a pas affecté l’intégrité de la capside virale.

L’efficacité de transduction des particules virales électro-conjuguées rAAV2, portant un gène rapporteur codant la GFP (green fluorescent protein), a alors été évaluée sur la lignée cellulaire HEK2934. Les cellules ont été incubées à une MOI (multiplicity of infection) de 104 particules AAV/cellule pendant 48 heures, et le pourcentage de cellules exprimant la GFP ainsi que l’intensité moyenne de la fluorescence ont été mesurés par cytométrie en flux. Nous avons montré que les rAAV2 électro-fonctionnalisés en 20 secondes et 1 minute par du mannose ou du GalNAc ont conservé leur infectiosité. Cependant, l’utilisation de temps de réaction plus longs a conduit à une absence d’expression de la GFP, suggérant que la modification excessive des tyrosines perturbe l’interaction du virus avec les récepteurs cellulaires ou le trafic intracellulaire [3]. Le niveau de modification des tyrosines à la surface du rAAV2 doit donc être ajusté pour conserver la capacité de transduction du vecteur. Enfin, le rAAV2 décoré de GalNAc a montré une capacité de transduction améliorée sur les cellules HuH-75, ce qui souligne la pertinence de pouvoir fonctionnaliser à souhait des vecteurs viraux pour cibler des lignées cellulaires spécifiques [3].

L’électrochimie-click pour fonctionnaliser les surfaces cellulaires

La méthode la plus couramment utilisée pour modifier la surface de bactéries ou de cellules eucaryotes vivantes est l’ingénierie métabolique d’oligosaccharides. Cette technique consiste à cultiver les bactéries et cellules en présence d’un sucre modifié par une fonction chimique bio-orthogonale6 (azoture, alcyne, etc.). Une fois internalisé, le leurre osidique est pris en charge par la machinerie cellulaire et incorporé aux oligosaccharides qui tapissent les membranes cellulaires. La présence de la fonction exogène réactive permet ensuite de décorer ces surfaces cellulaires par la sonde ou le ligand souhaité en utilisant les réactions de chimie click bio-orthogonales [8] ().

(→) Voir le Repères de A. Mourot, m/s n° 2, février 2023, page 184

Cette méthode de marquage est efficace, mais elle requiert une étape de coculture de plusieurs jours avec un sucre non naturel qui peut être toxique pour certaines lignées cellulaires ou être faiblement incorporé dans les oligosaccharides membranaires. Une méthode directe de greffage du sucre modifié serait une alternative pertinente à l’ingénierie métabolique. Nous avons donc évalué la possibilité de marquer ces surfaces cellulaires par la méthode eY-click. Nos travaux de recherche sur les bactéries ont été réalisés en collaboration avec l’équipe d’ingénierie moléculaire et glycobiologie de l’unité en sciences biologiques et biotechnologies (US2B) de Nantes Université. Les résultats obtenus avec Escherichia coli (Gram -) et Staphylococcus epidermidis (Gram +) ont montré un marquage rapide et contrôlé des protéines membranaires, sans que la modification de surface n’affecte la viabilité et les capacités de division des bactéries [3]. Nous avons ensuite évalué la possibilité de modifier des cellules eucaryotes avec le protocole (NML)-eY-click en utilisant comme premiers modèles les cellules HEK293 et des cellules HeLa7. Ces cellules ont pu être décorées avec succès par une fonction d’accroche bio-orthogonale (azoture) ou par une biotine, et être ensuite marquées par des sondes fluorescentes fonctionnalisées par, respectivement, un cyclooctyne ou une streptavidine. Lors de cette séquence de marquage direct, beaucoup plus rapide que l’ingénierie métabolique, la viabilité des cellules a pu être conservée [3].

Perspectives

L’électrochimie-click comporte de réels avantages par rapport aux réactions et activations chimiques classiquement utilisées, et pourrait ainsi élargir le champ d’application des réactions de bioconjugaison. En effet, la méthode eY-click ne nécessite pas de produits chimiques fortement réactifs (oxydants) ou de catalyseurs métalliques, ni de co-solvant organique. L’utilisation d’un faible potentiel d’oxydation in situ est suffisante pour faire réagir sélectivement, rapidement et efficacement le NML sur la tyrosine. L’électrochimieclick opère en conditions suffisamment douces pour fonctionnaliser des surfaces virales, bactériennes et cellulaires de façon reproductible et sans effet délétère sur leur pouvoir infectieux (virus), leur viabilité ou le processus de division cellulaire. Le protocole d’électro-fonctionnalisation est simple et accessible aux chimistes et biologistes non spécialistes en électrochimie après acquisition d’un potentiostat et d’électrodes (coût inférieur à 5 K€). Ces différentes caractéristiques de l’électrochimie-click en font un outil pertinent pour l’amélioration des propriétés pharmaceutiques des vecteurs viraux et des cellules utilisés dans les thérapies géniques et cellulaires.

Liens d’intérêt

Deux demandes de brevets (EP23305042.6. et EP23305040.0.) ont été déposées sur la méthode eY-Click. Déposants : Nantes Université, Inserm, CNRS. Inventeurs : S.G., D.D, M.M, S.D.

Remerciements

Ce travail a bénéficié d’un soutien financier du CNRS, de l’Inserm, de la fondation d’entreprise thérapie génique en Pays de Loire, du CHU de Nantes, de Nantes Université, du Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de l’Agence nationale de la recherche (ECLICK ANR19-CE070021-01).


1

Pour electrochemically promoted tyrosine-click.

2

Électrode de référence argent/chlorure d’argent.

3

Le trastuzumab est un anticorps monoclonal humanisé recombinant dirigé contre le récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2). Il est utilisé pour traiter certains cancers du sein.

4

Lignée issue de cellules embryonnaires du rein humain.

5

Lignée issue d’un carcinome hépatocellulaire. Ces cellules expriment des récepteurs de GalNAc.

6

Le terme « chimie bio-orthogonale », introduit par Carolyn R. Bertozzi en 2003, fait référence à toute réaction chimique qui peut se produire à l’intérieur des systèmes vivants sans interférer avec les processus biochimiques natifs.

7

Lignée issue d’un cancer du col de l’utérus.

Références

  1. Kjærsgaard NL, Nielsen TB, Gothelf KV. Chemical conjugation to less targeted proteinogenic amino acids. Chembiochem 2022 ; 23 : e202200245. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Dorta DA, Deniaud D, Mével M, et al. Tyrosine conjugation methods for protein labelling. Chem Eur J 2020 ; 26 ; 14257–69. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Depienne S, Bouzelha M, Courtois E, et al. Click-electrochemistry for the rapid labeling of virus, bacteria and cell surfaces. Nat Commun 2023 ; 14 : 5122. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Alvarez-Dorta D, Thobie-Gautier C, Croyal M, et al. Electrochemically promoted tyrosine-click-chemistry for protein labeling. J Am Chem Soc 2018 ; 140 : 1712026. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Depienne S, Alvarez-Dorta D, Croyal M, et al. Luminol anchors improve the electrochemical-tyrosine-click labelling of proteins. Chem Sci 2021 ; 12 : 15374–81. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Mével M, Bouzelha M, Leray A, et al. Chemical modification of the adeno-associated virus capsid to improve gene delivery. Chem Sci 2019 ; 11 : 1122–31. [Google Scholar]
  7. Leray A, Lalys PA, Varin J, et al. Novel chemical tyrosine functionalization of adeno-associated virus improves gene transfer efficiency in liver and retina. Biomed Pharmacother 2024 ; 171 : 116148. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Mourot A. Prix Nobel de chimie 2022 : la chimie click et la chimie bio-orthogonale. Med Sci (Paris) 2023 ; 39 : 184–6. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

La méthode eY-click permet de modifier les surfaces virales et cellulaires. L’application d’une faible différence de potentiel entre deux électrodes (seule l’anode est représentée ici, par la barre verticale et le signe +) oxyde en solution le motif N-méthyl-luminol (NML) sans affecter la viabilité des vecteurs viraux, des bactéries ou d’autres cellules d’intérêt.

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