Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 6-7, Juin-Juillet 2024
Page(s) 495 - 497
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024064
Published online 08 July 2024

Depuis la découverte des coronavirus dans les années 1960, de multiples virus de cette famille ont été décrits chez un grand nombre d’espèces de mammifères et d’oiseaux. Jusqu’en 2002, quatre coronavirus saisonniers (HCoV-229E, HCov-NL63, HCov-OC43, HCoV-HKU1) avaient été identifiés chez l’homme, et tous présentaient une faible pathogénicité. Trois nouveaux coronavirus ont ensuite émergé dans la population humaine : le SARS-CoV (coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère) en 2002, le MERS-CoV (coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient) en 2012, et le SARS-CoV-2 en 2019, avec des taux de mortalité respectivement de 13 %, 35 % et 1 % [1]. L’épidémie du SARS-CoV a été rapidement maîtrisée grâce à des mesures de quarantaine, et le MERS-CoV présentait une faible transmission interhumaine, limitant le risque épidémique. Le SARS-CoV-2 est donc le premier des coronavirus pour lequel une pandémie s’est déclarée, causant près de 15 millions de décès entre 2020 et 2021 selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

En raison du faible impact des coronavirus sur la santé humaine et de l’arrêt spontané des épidémies dues au SARS-CoV et au MERS-CoV, la recherche sur les coronavirus était peu soutenue financièrement avant 2019. Avec la pandémie de Covid-19 (coronavirus disease 2019) due au virus SARS-CoV-2, le fort investissement de la communauté scientifique dans la recherche sur ce virus a permis, en quelques mois seulement, de produire des vaccins à ARN messager (ARNm) efficaces, limitant les formes graves et les formes longues de la maladie. Cependant, il convient de rappeler que ces vaccins ne permettent pas de prévenir l’infection par le virus, ni sa transmission, et que l’immunité qu’ils induisent ne persiste que quelques mois. Il importe donc de poursuivre la recherche sur le SARS-CoV-2 et les autres coronavirus dans le but de développer de nouvelles stratégies antivirales et de mieux nous préparer à de futures épidémies liées aux coronavirus.

La particule virale, ou virion

Les coronavirus appartiennent à la famille des Coronaviridae. Ce sont des virus enveloppés contenant un génome à ARN (ARN génomique, ARNg) d’environ 30 kilobases. Le génome viral code plusieurs protéines non-structurales, ainsi que quatre protéines de structure des virions : la protéine de spicule (S, Spike en anglais), la protéine de membrane (M), la protéine d’enveloppe (E), toutes trois présentes à la membrane du virus, et la nucléoprotéine (N) qui couvre l’ARNg viral (Figure 1A).

thumbnail Figure 1.

Les protéines G3BP sont incorporées dans les virions de SARS-CoV-2 et favorisent leur assemblage. A. Représentation schématique de la particule virale (virion) de SARS-CoV-2 et de la méthode d’analyse du protéome viral. Le surnageant des cellules infectées a été soumis à une ultracentrifugation, puis le contenu protéique des virus isolés a été analysé par la technique de spectrométrie de masse par chromatographie en phase liquide (LC-MS). Les données ainsi produites ont été analysées pour déterminer les protéines enrichies spécifiquement dans les préparations contenant les virions par rapport aux préparations à partir de cellules non-infectées. B. L’expression des protéines G3BP a été inhibée par transfection de petits ARN interférents (small interfering RNA, siRNA), puis le taux de la protéine S a été quantifié (UA : unité arbitraire) dans les cellules et dans le surnageant (graphique de gauche) en présence (+) et en l’absence (-) de siRNA. La quantité de virions libérés (titre viral), reflétée par la quantité de la protéine N, a été mesurée par la technique ELISA, et l’infectivité des virions a été évaluée par comptage des plages de lyse induites par la réplication du virus dans les cellules infectées (graphique de droite). L’analyse statistique des différences observées entre les échantillons a utilisé le test t de Student unilatéral non apparié (** p ≤ 0,01, *** p ≤ 0,001, **** p ≤ 0,0001, n.s. : non significatif). C..Colocalisation des protéines N, S et G3BP aux sites d’assemblage des virions, visualisée en microscopie d’expansion (barre d’échelle = 15 µm).

Le cycle viral

L’affinité de la protéine S pour le récepteur cellulaire ACE2 (enzyme de conversion de l’angiotensine 2) confère au SARS-CoV-2 son tropisme pour les cellules épithéliales pulmonaires. Après l’entrée du virus dans les cellules hôtes, l’ARNg est traduit en deux polyprotéines, qui sont clivées pour produire les protéines virales non structurales. Celles-ci induisent notamment la formation d’un complexe de réplication et de transcription dans des vésicules à double membrane, dans lesquelles l’ARN polymérase ARN-dépendante virale synthétise les ARNg et les ARN sous-génomiques (ARNsg). Les ARNsg sont traduits en protéines structurales, qui s’assemblent pour former de nouveaux virions à la membrane d’un compartiment intermédiaire entre l’appareil de Golgi et le réticulum endoplasmique (endoplasmic reticulum-Golgi intermediate compartment, ERGIC). La protéine N joue un rôle central dans ce processus en interagissant avec l’ARNg pour former un complexe ribonucléoprotéique N-ARNg qui est incorporé dans les virions. Après leur bourgeonnement dans des vésicules à simple membrane, les virions transitent, via une voie lysosomale détournée (), du ERGIC [11] vers la membrane plasmique à partir de laquelle les virions seront disséminés dans le milieu extracellulaire [2].

(→) Voir la Nouvelle de R.A. Jani et al., m/s n° 8-9, août-septembre 2021, page 716

Les facteurs cellulaires contrôlant l’infection par SARS-CoV-2

Comme pour la plupart des virus à ARN, le génome du SARS-CoV-2 code un petit nombre de protéines, et la réplication du virus repose en grande partie sur les machineries cellulaires. La communauté scientifique s’est rapidement mobilisée pour caractériser les interactions entre le virus et la cellule hôte afin d’identifier de potentielles cibles thérapeutiques. En invalidant de façon systématique les gènes humains grâce à la technique CRISPR-Cas9, plusieurs cribles ont permis d’identifier des protéines cellulaires favorisant (provirales) ou défavorisant (antivirales) la réplication du SARS-CoV-2 [3, 4]. La caractérisation des interactions entre protéines virales et protéines cellulaires a également permis d’identifier des protéines de l’hôte impliquées dans la réplication du virus [5, 6]. Cependant, à la lecture des résultats de ces cribles, il est apparu que la plupart des protéines provirales et antivirales identifiées étaient impliquées dans les étapes précoces de l’infection. Les facteurs cellulaires jouant un rôle dans les étapes tardives d’assemblage, de transport et de libération des virions à la surface des cellules restaient peu caractérisés. Pour tenter d’identifier ces facteurs, nous avons émis l’hypothèse que les protéines cellulaires nécessaires à l’assemblage des virions sont présentes aux sites d’assemblage, et sont donc susceptibles d’être incorporées dans les virions au cours de ce processus. Nous avons alors entrepris de caractériser l’ensemble des protéines cellulaires associées aux virions de SARS-CoV-2 [7].

Le protéome des virions de SARS-CoV-2

Afin d’isoler les virions libérés par les cellules infectées tout en limitant les potentielles contaminations par d’autres vésicules extracellulaires, les surnageants de cellules pulmonaires (A549-ACE2 et Calu-3), infectées ou non, ont été soumis à une ultra-centrifugation sur coussin de sucrose puis filtrés, ou concentrés en virions par capture d’affinité via le récepteur ACE2. Le protéome des préparations a ensuite été analysé par spectrométrie de masse. L’analyse bio-informatique a révélé 92 protéines cellulaires enrichies dans les préparations contenant les virions par rapport à celles faites à partir de cellules non infectées. Ces protéines interagissent en formant un réseau dense d’interactions, et la plupart se lient également à au moins une protéine de structure des virions et/ou à l’ARNg. Nous avons montré que 27 des protéines identifiées étaient des composants de granules de stress, des grands complexes ribonucléoprotéiques qui s’assemblent dans le cytoplasme en réponse à des stress tels que les infections virales, et qui exercent généralement des fonctions antivirales. Deux protéines G3BP (Ras GTPase-activating protein-binding proteins) étaient particulièrement enrichies dans les préparations contenant les virions de SARS-CoV-2, et sont justement les protéines qui déclenchent l’assemblage des granules de stress [8]. Des résultats d’études précédentes suggéraient que la protéine N de SARS-CoV-2 interagissait avec les G3BP dans les cellules pour limiter la formation de ces granules de stress antiviraux [9]. Mais quel est le rôle des protéines G3BP présentes dans les virions de SARS-CoV-2 ?

Les protéines G3BP sont impliquées dans une étape tardive de la réplication de SARS-CoV-2

Afin d’élucider le rôle des protéines G3BP dans l’infection par le virus SARS-CoV-2, nous avons supprimé expérimentalement leur expression dans les cellules (par la technique des petits ARN interférents ou par la technique CRISPR-Cas9), et nous avons suivi l’effet de cette suppression à différentes étapes du cycle de réplication du virus. L’absence de ces protéines n’impacte ni la production des ARN viraux (ARNg et ARNsg), ni celle des protéines virales N et S dans les cellules infectées. En revanche, elle entraîne une diminution d’environ 50 % de la quantité d’ARNg et de protéines N et S dans le surnageant de ces cellules, ce qui révèle l’existence d’un défaut dans les étapes tardives de production ou de relargage des virions. De plus, les virions produits sont deux fois moins infectieux (Figure 1B). La réexpression expérimentale d’une protéine G3BP par ces cellules permet de rétablir la production de virions. Les protéines G3BP favorisent donc une étape tardive d’assemblage ou de relargage des virions infectieux.

Les protéines G3BP favorisent l’assemblage ou l’accumulation des virions

Nous avons ensuite analysé la localisation des protéines G3BP dans les cellules infectées, par immunofluorescence : elles sont colocalisées avec les protéines N, S, M et avec l’ARNg dans des structures membranaires dérivant du ERGIC. Ces structures, visualisées en microscopie d’expansion, ont une forme torique et correspondent vraisemblablement aux sites d’assemblage ou d’accumulation de virions (Figure 1C). Des expériences de co-immunoprécipitation ont confirmé que les protéines G3BP s’associent avec les complexes ribonucléoprotéiques N-ARNg dans les cellules, mais aussi dans les virions. En l’absence de ces protéines, le nombre de sites d’assemblage est réduit de moitié, et dans des expériences de fractionnement, la protéine N est moins efficacement recrutée aux fractions membranaires contenant la protéine S. Ces résultats suggèrent que les protéines G3BP favorisent l’assemblage des virions dans le ERGIC, par un mécanisme qui reste à préciser.

Perspectives

L’analyse du protéome des virions de SARS-CoV-2 a fourni des renseignements précieux sur l’environnement moléculaire des sites d’assemblage de ces virions. Elle a en particulier révélé un rôle insoupçonné des protéines G3BP dans la production des virions. Cette étude illustre comment le virus SARS-CoV-2 détourne la machinerie cellulaire à son profit : en interagissant avec les protéines G3BP, la protéine N non seulement empêche la formation de granules de stress antiviraux [9, 10], mais également favorise l’assemblage de nouveaux virions infectieux. Cibler l’interaction entre les protéines N et G3BP pourrait donc constituer une bonne stratégie pour le développement de molécules antivirales [10].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

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Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Les protéines G3BP sont incorporées dans les virions de SARS-CoV-2 et favorisent leur assemblage. A. Représentation schématique de la particule virale (virion) de SARS-CoV-2 et de la méthode d’analyse du protéome viral. Le surnageant des cellules infectées a été soumis à une ultracentrifugation, puis le contenu protéique des virus isolés a été analysé par la technique de spectrométrie de masse par chromatographie en phase liquide (LC-MS). Les données ainsi produites ont été analysées pour déterminer les protéines enrichies spécifiquement dans les préparations contenant les virions par rapport aux préparations à partir de cellules non-infectées. B. L’expression des protéines G3BP a été inhibée par transfection de petits ARN interférents (small interfering RNA, siRNA), puis le taux de la protéine S a été quantifié (UA : unité arbitraire) dans les cellules et dans le surnageant (graphique de gauche) en présence (+) et en l’absence (-) de siRNA. La quantité de virions libérés (titre viral), reflétée par la quantité de la protéine N, a été mesurée par la technique ELISA, et l’infectivité des virions a été évaluée par comptage des plages de lyse induites par la réplication du virus dans les cellules infectées (graphique de droite). L’analyse statistique des différences observées entre les échantillons a utilisé le test t de Student unilatéral non apparié (** p ≤ 0,01, *** p ≤ 0,001, **** p ≤ 0,0001, n.s. : non significatif). C..Colocalisation des protéines N, S et G3BP aux sites d’assemblage des virions, visualisée en microscopie d’expansion (barre d’échelle = 15 µm).

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