Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 3, Mars 2024
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 301 - 304
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2024019
Published online 22 March 2024

© 2024 médecine/sciences – Inserm

L’actualité scientifique vue par les étudiants de Polytech Nice Sophia (PNS)

Contact Équipe pédagogique

Nicole ARRIGHI, Polytech Nice Sophia, Université Côte d’Azur (UniCA). Centre Méditerranéen de Médecine Moléculaire (C3M), INSERM U1065 – UniCA, Nice

Juan A. GARCIA-SANCHEZ, Chercheur postdoctoral, C3M INSERM U1065 – UniCA, Nice

Imène KROSSA, doctorante C3M INSERM U1065 – UniCA, Nice

Cercina ONESTO, Polytech Nice Sophia, UniCA, Institute for Research on Cancer and Ageing, Nice (IRCAN), UMR CNRS 7284 INSERM U1081 UniCA, Nice

Céline PISIBON, doctorante C3M INSERM U1065 – UniCA, Nice

Série coordonnée par Sophie Sibéril.

 

Les antibiotiques sont largement et mondialement prescrits et sont actuellement les outils thérapeutiques les plus adaptés pour traiter les infections bactériennes. Néanmoins, leur mauvaise utilisation et leur surutilisation en santé humaine et animale a conduit à l’émergence de bactéries résistantes contre un ou plusieurs agents antibiotiques, ce qui représente un problème de santé publique mondial particulièrement important dans le milieu hospitalier. Ce phénomène de résistance concerne tous les antibiotiques sur le marché et peut mener à une situation d’impasse thérapeutique, car une infection bactérienne par une souche multirésistante (MDR, multidrug-resistant), voire ultrarésistante (XDR, extensively drug-resistant) devient très difficile, voire impossible à traiter avec la pharmacopée actuelle.

Chaque année, plus de 12 000 patients décèdent d’infections à bactéries résistantes en France [1]. Dans le monde, ce chiffre s’élève à 1,27 millions, et cela pourrait atteindre 10 millions d’ici 2050 si des mesures appropriées ne sont pas mises en place [2].

En France, il existe plusieurs programmes au niveau régional et national qui visent, entre autres, la sensibilisation de la population à ce type de problématique et le développement de recherches innovantes en matière d’antibiorésistance afin de trouver des alternatives à l’antibiothérapie [3].

Parmi les nouvelles stratégies qui ont émergé ces dernières années pour faire face à l’antibiorésistance, celles qui visent la réponse immunitaire de l’hôte (host-directed therapies, HDT) sont d’un intérêt particulier. Celles-ci ont pour but de moduler les mécanismes de défense de l’organisme afin de promouvoir l’élimination du microorganisme.

Les thérapies dirigées vers l’hôte, une nouvelle stratégie contre l’antibiorésistance

Les thérapies dirigées vers l’hôte ainsi que d’autres stratégies « non-traditionnelles » comme l’utilisation de bactériophages (ou de protéines dérivées) ou d’anticorps sont à l’avant-garde de la lutte contre l’antibiorésistance avec des candidats déjà en phase 3 de développement comme la protéine antibactérienne CF-301 ou exebacase. L’exebacase est une endolysine1 de forte activité contre le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus), une bactérie principalement connue pour causer des infections difficiles à traiter dans le milieu hospitalier car résistantes à la méticilline (SARM). Néanmoins, il existe aussi des traitements « non-traditionnels » qui ont été récemment mis sur le marché. Deux anticorps monoclonaux ont été développés pour cibler et neutraliser la toxine B de Clostridioides difficile et la toxine PA de Bacillus anthracis (bezlotoxumab et obiltoxaximab, respectivement). De même, le Rebyota (RBX2660), extrait de microorganismes provenant du microbiote fécal dont le but est de réguler la dysbiose2 des patients, largement associée aux infections récurrentes à Clostridioides difficile, est le premier traitement de ce type (first-in-class) et ouvre la voie à des nouveaux traitements pour faire face à d’autres infections [4].

Malgré l’intérêt évident que les nouvelles stratégies « non-traditionnelles » représentent pour traiter des infections qui souvent sont difficiles à traiter, et malgré les faibles taux de résistance mesurés, elles présentent des limitations, soit parce qu’elles ne sont pas efficaces comme agent antibactérien (Rebyota), soit parce qu’elles peuvent mener toutefois à l’apparition d’une antibiorésistance de manière similaire aux antibiotiques classiques comme cela a été le cas lors de l’utilisation des bactériophages [5]. Une autre stratégie consiste donc à cibler, non pas les agents infectieux par eux-mêmes, mais le système immunitaire de l’hôte.

L’immunité entraînée dans l’infection

Lors d’une infection bactérienne, l’organisme met en place des réponses immunitaires innées et adaptatives. Parmi ces deux branches de l’immunité, l’immunité adaptative est capable de générer, entre autres, des anticorps qui vont cibler de manière très spécifique les antigènes de la bactérie. Cette infection permettra de générer des lymphocytes mémoires qui, mobilisés lors d’une seconde rencontre avec la même bactérie, induiront une réponse immune plus rapide et plus intense que lors de la première rencontre.

L’immunité innée, quant à elle, est moins spécifique et a longtemps été considérée comme dénuée de mémoire. Cependant, plusieurs études ont démontré que ce type d’immunité pouvait également posséder une certaine forme de mémoire [6, 7]. Cette fonction de la réponse immunitaire innée chez les mammifères est appelée « immunité entraînée » et se caractérise principalement par des changements à la fois épigénétiques, qui vont « faciliter », grâce à la modification de l’état de condensation de la chromatine, l’accessibilité de certaines zones de l’ADN et par conséquent l’expression de gènes pro-inflammatoires, et métaboliques, nécessaires pour l’activation des différents acteurs épigénétiques et immuno-régulateurs (Figure 1). Ces modifications qui affectent les cellules de l’immunité innée, notamment des cellules myéloïdes comme les monocytes et les macrophages, mais aussi certaines populations lymphoïdes comme les NK (natural killer cells) et les ILC (innate lymphoid cells), vont permettre une réponse plus efficace contre le pathogène grâce à l’augmentation de la phagocytose et la libération de cytokines pro-inflammatoires lors d’une seconde activation de la cellule due au même pathogène, ou à un pathogène différent qui déclenche une réponse cellulaire similaire [6].

thumbnail Figure 1.

Induction d’une réponse immunitaire entraînée. La première rencontre avec l’agent microbien induit l’augmentation de l’expression des récepteurs de l’immunité innée (PRR) localisés à la surface des cellules immunitaires (monocytes, macrophages, lymphocytes et neutrophiles). Cette surexpression entraîne des modifications épigénétiques impliquées dans la phagocytose et la production de cytokines pro-inflammatoires. Après la seconde rencontre avec ce même agent pathogène, les cellules immunitaires innées entraînées sont capables de répondre de façon plus intense grâce aux PRR plus nombreux. La phagocytose et la production de cytokines proinflammatoires sont accrues.

Bien que les mécanismes cellulaires qui contrôlent l’immunité entraînée soient à l’étude et que le domaine soit très jeune, la reprogrammation épigénétique des cellules via la modification des histones, la méthylation de l’ADN ou la modulation des ARN non codants du type miRNA ou lncRNA, a été proposée comme étant le mécanisme principal de régulation de la mémoire immunitaire innée. De manière intéressante, cette régulation semble être principalement contrôlée par des modifications post-traductionnelles comme la phosphorylation, elles-mêmes régulées par l’activation de certains récepteurs de l’immunité innée comme la Dectine-1 ou le récepteur de l’insuline (IGF1R) [7].

La modulation de l’immunité entraînée dans la lutte contre l’antibiorésistance

L’immunité entraînée peut être induite par la mise en contact avec un antigène provenant d’un pathogène, tels les composants extracellulaires (le lipopolysaccharide, l’acide téichoïque, le beta-glucane, etc.) ou même le pathogène atténué, qui seront reconnus par des récepteurs de motifs moléculaires (PRR) particuliers. Un bon exemple de cette induction est le vaccin Bacille de Calmette et Guérin (BCG) qui a joué un rôle clé dans la découverte de la mémoire immunitaire innée.

Le BCG est un vaccin vivant atténué initialement conçu pour protéger de façon spécifique contre Mycobacterium tuberculosis, bactérie responsable de la tuberculose. Alors que les antigènes de la paroi de la souche atténuée permettent l’activation de l’immunité adaptative spécifique contre M. tuberculosis, il a également été observé que la vaccination conférait une immunité accrue via le système immunitaire inné, contre des pathogènes fongiques (Candida albicans) et d’autres souches bactériennes (Staphylococcus aureus) [8]. S. aureus, souvent retrouvée dans les infections nosocomiales, est une bactérie d’un intérêt particulier étant donné sa classification comme menace grave par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) due à son potentiel de résistance aux antibiotiques [2]. L’équipe de Roger T, en collaboration avec Netea M. – chercheur dont les travaux ont largement porté sur la caractérisation de l’immunité entraînée – a montré que l’injection des souris avec du zymosan (une préparation de paroi cellulaire de levure riche en beta-glucane) induit une réponse protectrice face à plusieurs plusieurs espèces bactériennes, connues pour présenter des résistances aux anti-microbiens, comme S. aureus, Pseudomonas aeruginosa et Escherichia coli [9]. À la suite du traitement par le zymosan, les cellules immunitaires vont subir des modifications épigénétiques sur des gènes liés à la réponse immunitaire, ce qui facilitera leur activation dans le cas d’une infection postérieure. Ceci ouvre la voie à de potentiels traitements prophylactiques qui modulent la réponse immunitaire à long terme à travers l’immunité entraînée.

D’un autre côté, la réponse immunitaire peut aussi causer des effets délétères dans l’organisme si elle est inadaptée et des corrélations entre la suractivation des mécanismes liés à la mémoire immunitaire et des maladies auto-immunes ont été faites. L’équipe de M. Netea a récemment publié une preuve de concept qui montre la faisabilité d’un traitement inhibant l’immunité entraînée via la voie de l’interleukine 4 (IL-4). Plusieurs exemples nous montrent l’intérêt thérapeutique de la modulation des voies métaboliques et épigénétiques liés à l’immunité entraînée comme une prophylaxie pour certaines infections ainsi que pour traiter des maladies auto-immunes où la réponse inflammatoire est exacerbée [10].

Conclusion, perspectives et limitations

L’activation de l’immunité entraînée, en tant que solution de remplacement aux antibiotiques, pourrait se révéler utile en utilisation prophylactique afin d’éviter l’émergence de souches antibiorésistantes, mais aussi pour traiter des infections bactériennes contre lesquelles il n’y aurait plus de traitement efficace. Varier les approches thérapeutiques en association avec la modulation de l’immunité entraînée, tout en utilisant des antibiotiques sous un contrôle strict pourrait permettre de limiter la pression de sélection sur les bactéries résistantes. De plus, l’activation de la mémoire immunitaire innée présente l’avantage de protéger le patient contre un large spectre d’infections, là où la mémoire immunitaire adaptative protège contre un nombre plus restreint de pathogènes.

Néanmoins, il faut également garder en tête que cette immunité innée est seulement transitoire, même si la durée n’est pas négligeable (quelques mois à quelques années), mais ceci pourrait être pallié par l’utilisation de rappels ou une prise régulière du traitement induisant cette immunité innée entrainée. Néanmoins, les personnes atteintes de maladies auto-immunes pourraient subir des effets délétères d’une sur-activation de l’immunité innée et d’une réponse inflammatoire exacerbée, ce qui nécessite un approfondissement des connaissances des mécanismes régissant l’immunité entraînée afin de contrôler le plus finement possible sa modulation et son utilisation thérapeutique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Remerciements

La publication de cette nouvelle a été possible grâce au soutien de l’Université Côte d’Azur et aux corrections de Dr. Cédric Torre de l’unité Inserm U1065 - C3M à Nice, France.


1

Une endolysine est une enzyme hydrolytique produite par un bactériophage, qui va détruire la bactérie.

2

Dérégulation des populations microbiennes formant le microbiote

Références

  1. Carlet J, Le Coz P. Propositions du groupe de travail spécial pour la présentation des antibiotiques. Ministère des affaires sociales et de la santé. 2015 Juin http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_antibiotiques.pdf. [Google Scholar]
  2. Global antimicrobial resistance and use surveillance system (GLASS) report 2022. Geneva: World Health Organization 2022. Licence: CC BY-NC-SA 3.0 IGO. [Google Scholar]
  3. Stratégie nationale 2022–2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_nationale_2022-2025_prevention_des_infections_et_de_l_antibioresistance.pdf. [Google Scholar]
  4. Butler MS, Henderson IR, Capon RJ, et al. Antibiotics in the clinical pipeline as of December 2022. J Antibiot (Tokyo) 2023; 76 : 431–73. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Li J, Yan B, He B, et al. Development of phage resistance in multidrug-resistant Klebsiella pneumoniae is associated with reduced virulence: A case report of a personalised phage therapy. Clin Microbiol Infect 2023 Aug 29; S1198–743X(23)00405–6. [Google Scholar]
  6. Torre C, Boyer L. Effector-triggered trained immunity : an innate immune memory to microbial virulence factors ? Toxins 2022; 14 : 798–804. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Dominguez-Andres J, Cristina dos Santos J, Bekkering S, et al. Trained immunity : adaptation within innate immune mechanisms. Phys Rev 2023; 103 : 313–46. [Google Scholar]
  8. Covián C, Fernández-Fierro A, Retamal-Díaz A, et al. BCG-Induced cross-protection and development of trained immunity: implication for vaccine design. Front Immunol 2019 ; 10 : 2806. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Ciarlo E, Heinonen T, Théroude C, et al. Trained immunity confers broad-spectrum protection against bacterial infections. J Infect Dis 2020; 222 : 1869–81. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Ochando J, Mulder WJM, Madsen JC, et al. Trained immunity – basic concepts and contributions to immunopathology. Nat Rev Neph 2023; 19 : 23–37. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Induction d’une réponse immunitaire entraînée. La première rencontre avec l’agent microbien induit l’augmentation de l’expression des récepteurs de l’immunité innée (PRR) localisés à la surface des cellules immunitaires (monocytes, macrophages, lymphocytes et neutrophiles). Cette surexpression entraîne des modifications épigénétiques impliquées dans la phagocytose et la production de cytokines pro-inflammatoires. Après la seconde rencontre avec ce même agent pathogène, les cellules immunitaires innées entraînées sont capables de répondre de façon plus intense grâce aux PRR plus nombreux. La phagocytose et la production de cytokines proinflammatoires sont accrues.

Dans le texte

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