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Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 1, Janvier 2024
La cavité orale et les dents au cœur de la santé
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Page(s) | 88 - 91 | |
Section | M/S Revues | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023201 | |
Published online | 01 February 2024 |
Régénération des tissus dentaires de soutien
Quels biomatériaux, quelles perspectives ?
Regeneration of dental tissues: Which biomaterials, which prospects?
Université de Nantes, Oniris, Inserm UMRS 1229, 1 place Alexis Ricordeau, 44042 Nantes, France
Après avoir évoqué l’avenir des biomatériaux de réparation des tissus dentaires calcifiés (émail et dentine) en essayant d’être biomimétique et même de stimuler aux interfaces la régénération dentinaire1, nous évoquons dans cet article l’avenir des biomatériaux utilisés pour régénérer les tissus de soutien de la dent, le parodonte qui inclut l’os alvéolaire.
Voir la Synthèse de P. Colon et B. Grosgogeat [1], page 85 de ce numéro.
© 2024 médecine/sciences – Inserm
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Vignette (© Thibault Canceill).
Le parodonte est le tissu de soutien de l’organe dentaire. Il inclut la gencive, le cément, le desmodonte et l’os alvéolaire. L’ancrage de la dent aux tissus osseux de soutien est assuré par l’intermédiaire de liaisons intimes entre le cément, tissu calcifié à la surface des racines dentaires, et les fibres d’ancrages du desmodonte (ou ligament alvéolo-dentaire). Ce dernier joue, en outre, un rôle d’amortisseur de contraintes. Le tissu osseux alvéolaire entoure la racine de la dent, la soutient, la protège et la nourrit.
Le parodonte représente la zone privilégiée pour les attaques de bactéries de la cavité buccale. Les bactéries vont en effet pouvoir s’immiscer à la jonction entre la dent et la gencive, à la surface du système alvéolo-dentaire. Elles entraînent une réaction immunitaire et inflammatoire de défense qui, si elle persiste, va être à l’origine d’une résorption de l’os alvéolaire de soutien. La dent peut alors se mettre à bouger de façon pathologique jusqu’à son déchaussement : c’est la parodontite.
L’apprentissage et le contrôle de l’hygiène buccale du patient représente la première étape de la prévention de la parodontite. En cas de parodontite, le praticien va nettoyer les tissus parodontaux infectés afin de stopper le processus inflammatoire chronique et limiter la perte osseuse. Mais ce traitement ne permet ni de regagner le niveau osseux physiologique de soutien de la dent, ni de régénérer son desmodonte.
Parmi les diverses techniques utilisées pour augmenter le volume osseux alvéolaire, la régénération osseuse guidée (ROG) est une procédure clinique établie dans laquelle un biomatériau de greffe osseuse est implanté dans la cavité de la plaie pour déclencher la régénération osseuse. Une membrane est également placée sur la greffe osseuse pour empêcher l’invasion des tissus gingivaux et améliorer la stabilité du matériau de la greffe osseuse [2–4]. Cette membrane joue un rôle clé dans la prévention de la migration indésirable des tissus mous dans la zone du défaut. Par conséquent, elle fournit suffisamment de temps et d’espace pour l’invasion et la prolifération des cellules ostéogéniques afin de retrouver le niveau osseux perdu. Ces membranes sont très efficaces mais leur utilisation demande une certaine dextérité de la part du praticien, d’où leur utilisation restreinte. Des pistes pour simplifier la procédure de ROG et la rendre accessible à tous les praticiens ont été étudiées comme, par exemple, au laboratoire RMeS (Regenerative Medicine and Skeleton, Inserm U.1229) où des membranes faites d’hydrogel injectable auto-réticulant ont été développées [5].
La recherche en odontologie est également fortement axée sur la régénération osseuse alvéolaire. En effet, cet os sert de support pour une prothèse amovible, mais il est surtout essentiel pour le placement d’implants dentaires qui permettent de restaurer la fonction masticatoire de façon pérenne après la perte de dents. Or, l’absence de dents induit, du fait de la non sollicitation mécanique, une disparition rapide de l’os alvéolaire. Afin de limiter la résorption osseuse suite à l’extraction ou à la perte dentaire, des biomatériaux à base de phosphate de calcium ou de bioverres ont été proposés aux praticiens sous forme particulaires. Ces matériaux utilisés depuis une trentaine d’années pour leurs propriétés ostéoconductrices, voire ostéoinductrices, sont bien connus pour leur capacité à soutenir la formation de volumes osseux en site orthotopique. Ces poudres ou granules ne sont malheureusement pas faciles à utiliser car ils se dispersent aisément et ne se maintiennent pas dans un espace qui est généralement en partie ouvert dans la cavité buccale. Pour y remédier, des formulations cohésives injectables ont été mises au point dans les laboratoires de recherche puis produits et distribués par l’industrie des substituts osseux. Ces substituts osseux injectables sont maintenant nombreux sur le marché. Ils sont classifiés selon deux grandes familles [6]. La première est constituée de suspensions de granules de phosphate de calcium dans une solution visqueuse réticulable ou non. Si cette solution visqueuse n’est pas réticulable, la pâte formée est extrudable et peut être injectée dans la zone à augmenter ; sa cohésivité étant temporairement augmentée jusqu’à dispersion des macromolécules organiques dans l’environnement opératoire. Si cette solution visqueuse est réticulable, la formation d’un composite hydrogel/inorganique s’effectue dans le site opératoire prodiguant une structure ostéoconductrice favorable à la formation d’un nouveau tissu osseux (Figure 1) (sous réserve d’une biodégradation de l’hydrogel adaptée). En général ces substituts osseux injectables présentent une ostéoconduction rapide mais des propriétés mécaniques faibles où inexistantes. La seconde famille de substituts osseux injectables est fondée sur des ciments inorganiques de phosphates de calcium couplés à des polymères hydrosolubles. Pour les ciments purement inorganiques, un précurseur réactif de phosphate de calcium (bien souvent du phosphate tricalcique alpha) est mélangé à une solution aqueuse pour obtenir une pâte injectable. Le durcissement de la pâte cimentaire est dû à la dissolution du précurseur inorganique, par une réaction d’hydrolyse ou acido-basique, et à la re-précipitation d’une nouvelle phase qui assure l’intégrité structurelle du ciment. Les propriétés mécaniques initiales de tels systèmes injectables constituent un avantage par rapport aux suspensions granulaires, même si les ciments restent relativement fragiles in fine. Leur inconvénient majeur est le manque ou l’absence de macroporosité empêchant les cellules de l’hôte de progresser des berges osseuses vers le centre du matériau, limitant la repousse osseuse au pourtour du matériau. Pour y remédier, des porogènes2, comme des billes de polymères résorbables ou des particules de polymères solubles, sont ajoutés aux précurseurs inorganiques. En se dissolvant, ils laissent la place à des pores lors du mélange et après injection. Cette porosité va permettre la progression dans le ciment poreux des cellules responsables de la résorption, les ostéoclastes, puis des cellules ostéocompétentes, permettant ainsi la substitution du ciment par du tissu osseux. Actuellement, de nombreuses équipes de recherche travaillent sur l’adjonction de macromolécules réticulantes ou non dans la solution aqueuse servant à la formation du ciment, afin de moduler les propriétés d’injectabilité de la pâte et les propriétés mécaniques des ciments. Ces nouvelles formulations de ciments phosphocalciques injectables peuvent être adaptées aux procédés de fabrication additive (tels que le robocasting3) pour la production de structures macroporeuses adaptées à l’anatomie spécifique de chaque patient, dans le cadre d’une stratégie de médecine personnalisée [7]. L’objectif de la fabrication additive serait, à partir d’un scanner de patient édenté, de pouvoir reconstruire le volume de l’os alvéolaire perdu, pour permettre le futur placement d’implants dentaires et la réhabilitation occlusale secondaire. La génération de ce volume osseux se fera par apposition de la structure macroporeuse sur la surface osseuse mandibulaire basale, ce qui nécessite des matériaux ostéoinstructifs (Figure 2). Entre autre, l’ostéoinduction demeure encore aujourd’hui complexe à mettre en œuvre. Elle peut reposer sur des ajouts de substances synthétiques ou naturelles mais doit surtout respecter la réglementation clinique en vigueur. L’utilisation de facteurs de croissance synthétiques, comme les protéines morphogénétiques osseuses (BMP), associés à un biomatériau, est connue pour stimuler la formation d’un tissu osseux, même à faible dose, en environnement orthotopique mais aussi ectopique. En revanche, ces facteurs de croissance présentent des dangers importants (tels que la formation d’os non désirée), ce qui limite grandement leurs applications actuelles. L’ingénierie tissulaire osseuse associant des cellules souches mésenchymateuses à un biomatériau est également en pleine expansion, mais le manque de preuves tangibles de leur efficacité, leur coût et la réglementation limitent la mise en place de telles stratégies en odontologie. Actuellement, l’utilisation de la moelle osseuse totale associé à un biomatériau est la stratégie la plus proche d’une application clinique. Des expérimentations associant de la moelle osseuse totale autologue à des constructions tridimensionnelles macroporeuses sont en cours en recherche préclinique. Finalement, depuis l’utilisation des vaccins à ARN, des stratégies identiques, associant des vecteurs à ARN pour contraindre les cellules de l’hôte à synthétiser des BMP, viennent d’être publiées pour la première fois et de nombreux laboratoires vont vraisemblablement s’engouffrer dans ces stratégies de médecine régénératrice innovante.
Figure 1. Substitut osseux injectable à base d’acide hyaluronique silanisé (hydrogel) + des granules de BCP. Coupe histologique colorée au MOVAT qui montre entre les granules de céramique de BCP (B), l’ostéoïde (ost) (en rose foncé) contre le tissu osseux (Os) (en vert). La microscopie électronique à balayage (MEB) en électrons rétrodiffusés montre le minéral du BCP en blanc et du tissu osseux minéralisé en gris. La représentation chimique de l’acide hyaluronique silanisé après réticulation covalente montre l’obtention d’un réseau tridimensionnel solide, un hydrogel. L’évaluation de la repousse osseuse de cet hydrogel associée au BCP donne des résultats de repousse osseuse équivalents au BCP seul sans ses inconvénients (tenue, dispersion, etc.) et meilleurs que lorsqu’un autre polysaccharide à base de cellulose réticulée par la même chimie avec également du BCP (HPMC-Si/BCP) est utilisé. BCP : biphasic calcium phosphate ; HPMC : hydroxypropylmethylcellulose (figure adaptée de [8]). |
Figure 2. Médecine personnalisée pour la régénération des tissus dentaires de soutien. 1. Imagerie volumétrique de l’anatomie du patient (e.g., cone beam CT). 2. Génération d’un modèle virtuel anatomique 3D par traitement d’image (i.e. segmentation). 3. Génération d’un scaffold personnalisé dont la forme globale correspond au manque osseux, et dont l’architecture interne stimule et guide la formation osseuse. 4. Fabrication additive (impression 3D) du scaffold personnalisé. 5. Intervention chirurgicale d’augmentation mandibulaire verticale et horizontale avec le placement du scaffold personnalisé et des implants dentaires. |
Voir la Synthèse de P. Colon et B. Grosgogeat [1], page 85 de ce numéro.
Références
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Liste des figures
Figure 1. Substitut osseux injectable à base d’acide hyaluronique silanisé (hydrogel) + des granules de BCP. Coupe histologique colorée au MOVAT qui montre entre les granules de céramique de BCP (B), l’ostéoïde (ost) (en rose foncé) contre le tissu osseux (Os) (en vert). La microscopie électronique à balayage (MEB) en électrons rétrodiffusés montre le minéral du BCP en blanc et du tissu osseux minéralisé en gris. La représentation chimique de l’acide hyaluronique silanisé après réticulation covalente montre l’obtention d’un réseau tridimensionnel solide, un hydrogel. L’évaluation de la repousse osseuse de cet hydrogel associée au BCP donne des résultats de repousse osseuse équivalents au BCP seul sans ses inconvénients (tenue, dispersion, etc.) et meilleurs que lorsqu’un autre polysaccharide à base de cellulose réticulée par la même chimie avec également du BCP (HPMC-Si/BCP) est utilisé. BCP : biphasic calcium phosphate ; HPMC : hydroxypropylmethylcellulose (figure adaptée de [8]). |
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Figure 2. Médecine personnalisée pour la régénération des tissus dentaires de soutien. 1. Imagerie volumétrique de l’anatomie du patient (e.g., cone beam CT). 2. Génération d’un modèle virtuel anatomique 3D par traitement d’image (i.e. segmentation). 3. Génération d’un scaffold personnalisé dont la forme globale correspond au manque osseux, et dont l’architecture interne stimule et guide la formation osseuse. 4. Fabrication additive (impression 3D) du scaffold personnalisé. 5. Intervention chirurgicale d’augmentation mandibulaire verticale et horizontale avec le placement du scaffold personnalisé et des implants dentaires. |
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