Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 40, Number 1, Janvier 2024
La cavité orale et les dents au cœur de la santé
Page(s) 57 - 63
Section M/S Revues
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023196
Published online 01 February 2024

© 2024 médecine/sciences – Inserm

Vignette (© Thibault Canceill).

Trente pour cent des cancers des voies aérodigestives supérieures (VADS) sont localisés dans la cavité orale. Parmi ceux-ci, les carcinomes épidermoïdes constituent 96 % des cancers de la cavité orale et présentent certaines particularités épidémiologiques, étiologiques et pronostiques par rapport aux autres cancers des VADS.

Épidémiologie

Les carcinomes épidermoïdes de la cavité orale (CECO) dans le monde et en France

Le carcinome épidermoïde (CE) de la cavité orale (CO) est le 17e cancer le plus fréquent dans le monde : en 2018, 377 713 nouveaux cas et 177 757 décès dus aux CECO étaient rapportés [1]. Le taux d’incidence standardisé était de 5,8/100 000 personnes-années (pa) chez l’homme et 2,3/100 000 pa chez la femme (le ratio hommes/femmes étant égal à 2,5) [1]. Les taux d’incidence varient selon les pays. Une incidence et une mortalité importantes sont observées dans les pays d’Asie du Sud-Est, de l’Inde et du Bangladesh, pays dont les populations ont une consommation importante de tabac non fumé [1].

En 2018, en France, le nombre de nouveaux cas était de 3 106 chez l’homme et de 1 751 chez la femme. Ce taux a diminué de 25 % chez les hommes et a plus que doublé (+ 122 %) chez les femmes, entre 1990 et 2018 [1], du fait d’une augmentation de la consommation de tabac chez celles-là et du vieillissement de la population [2]. En 2018, l’âge médian au moment du diagnostic était de 66 ans pour les femmes et de 62 ans pour les hommes [2].

Les CECO ont un faible taux de survie à cinq ans, inférieur à 50 %, expliqué principalement par un diagnostic tardif (aux stades III/IV), qui rend difficile la prise en charge. La survie dépend également du sexe (meilleure chez la femme que chez l’homme) et de la localisation de la tumeur (plus élevée pour le cancer de la lèvre et plus basse pour le cancer de la langue) [3].

Les caractéristiques des patients exposés ou non aux facteurs de risque

Les facteurs de risque majeurs des CECO sont la consommation d’alcool et de tabac, notamment lorsqu’ils sont associés. Mais ces cancers peuvent également être présents chez des patients ne présentant pas ces consommations. C’est le cas des patients jeunes de moins de 45 ans, et plus particulièrement, pour les cancers de la langue chez les jeunes femmes [4]. Ces patients, sans facteurs « classiques » de risque (Non-Buveurs et Non-Fumeurs – NB-NF), présentent des caractéristiques épidémiologiques et cliniques distinctes des patients fumeurs et buveurs (BF), en termes de répartition par âge, par sexe et selon les localisations orales (voir Tableau I) [5]. La grande majorité des patients NB-NF ont une répartition en sexe égale, un âge jeune (inférieur à 45 ans) ou avancé (supérieur à 70 ans), et une atteinte majoritaire de la langue et des gencives, avec peu d’atteinte du plancher. Les patients BF ont, quant à eux, une répartition en sexe largement masculine, et un âge majoritairement compris entre 45 et 70 ans [5].

Tableau I.

Caractéristiques cliniques des CECO selon l’exposition aux facteurs de risques. NB-NF : non buveurs et non fumeurs ; BF : buveur et fumeurs.

Étiologie des CECO

Comme pour la plupart des cancers, l’étiologie des CECO est multifactorielle. Certains facteurs de risques sont avérés et d’autres suspectés. Nous les détaillerons ci-dessous.

Facteurs de risque avérés

Le tabac et l’alcool

La fumée de tabac contient des milliers de composants générant des agents cancérogènes [6]. Le risque de CECO augmente avec la durée d’exposition et la quantité de tabac cumulées (exprimées en paquets-années), avec une relation de type dose-effet [7]. Le tabac non fumé est également un cancérogène avéré [6], utilisé seul ou mélangé avec d’autres produits. En Asie, le risque est principalement lié à la consommation de feuilles de bétel, mâchées seules, ou à une consommation associée à d’autres produits (noix d’Arec, chaux, condiments, épices, etc.), sous le nom de paan ou gutkha [6].

L’alcool intervient dans la cancérogenèse orale via plusieurs mécanismes incluant l’altération de la barrière lipidique de l’épithélium buccal et l’augmentation de sa perméabilité, facilitant ainsi l’absorption d’autres cancérogènes (dont le tabac), et l’effet génotoxique et mutagène de l’acétaldéhyde, le métabolite principal de l’éthanol. Notons que, chez les sujets ayant une mauvaise santé bucco-dentaire, il a été montré que les bactéries du microbiote oral métabolisent l’alcool ingéré et produisent localement de l’acétaldéhyde [6], mais sans qu’il soit prouvé que cette production intervienne dans l’oncogenèse orale. Le risque de CECO augmente avec la quantité consommée quotidiennement (exprimée en grammes d’alcool pur) et la durée, cumulée pendant une vie entière (quantifiée en verres-années) [7]. Le risque diminue progressivement après l’arrêt de la consommation, avec une réduction de ce risque d’environ 60 % après une période d’abstinence de 20 ans ou plus. La consommation conjointe de tabac et d’alcool exerce une action synergique, avec un effet multiplicatif sur le risque de CECO [7].

Les affections orales à potentiel malin

Les leucoplasies, les érythroplasies et le lichen plan sont les principales affections à potentiel malin (APM) en Europe, s’ajoute la fibrose orale sous-muqueuse en Asie. Une méta-analyse a montré une prévalence mondiale des APM chez l’adulte de 4,5 % (IC à 95 % : 2,43-7,08), les lésions les plus fréquentes étant la leucoplasie (4,1 %, IC à 95 % : 1,9-6,9) et la fibrose orale sous-muqueuse (4,9 %, IC à 95 % : 2,2-8,6) ; 60 % des sujets étant des hommes. Les pays d’Asie, de l’Amérique du Sud et des Caraïbes ont les prévalences les plus élevées (10,54 %, IC à 95 % : 4,60-18,55 pour la fibrose sous-muqueuse ; 3,93 %, IC à 95 % : 2,43-5,77 pour la leucoplasie). Le risque de transformation maligne est plus élevé lorsque les lésions sont situées au niveau du plancher buccal et de la langue et qu’elles ont un aspect inhomogène [8]. La leucoplasie verruqueuse proliférative touche principalement les femmes non fumeuses de plus de 70 ans et est une APM à transformation maligne quasi-obligatoire [9] tout comme les érythroplasies qui se présentent comme des plages veloutées, rouge brillant, bien limitées par rapport à la muqueuse saine [9]. La fibrose orale sous-muqueuse, liée à la chique de bétel, est également une lésion à haut risque de transformation maligne (entre 7 % et 13 %) [9]. Enfin, le lichen plan et les lésions lichénoïdes présentent un risque faible de transformation maligne, estimé respectivement à 1 % et à 2,5 %, avec un risque plus élevé chez les fumeurs, les buveurs d’alcool et les patients porteurs du virus de l’hépatite C [10].

Facteurs de risque suspectés

Facteurs alimentaires, familiaux et génétiques

La consommation de fruits et de légumes [1], de café et de thé diminuerait le risque de CECO d’après certaines études [12, 13. Cet effet protecteur serait lié aux substances anti-oxydantes (comme les polyphénols) présentes dans ces aliments et ces boissons. Les sujets ayant des antécédents familiaux de cancer des VADS ont un risque plus élevé de développer le même type de cancer, ce qui pourrait s’expliquer par des habitudes de vie similaires, et par le partage d’un polymorphisme de gènes impliqués dans la métabolisation des cancérogènes du tabac et/ou de l’alcool ou dans la réparation des altérations de l’ADN [4].

Les maladies orales à risque

◗ Infections par les papillomavirus humains (HPV)

Le rôle des HPV à haut risque (notamment HPV 16 et HPV 18) dans la survenue des cancers des VADS est établi pour l’oropharynx, mais il reste débattu pour le CECO. Une méta-analyse récente a estimé la prévalence globale des CECO HPV+ à 6 % (IC à 95 % : 3-10 %) par la détection de l’ADN et de l’ARN des HPV et/ou de la surexpression de la protéine p16, avec une localisation prédominante linguale [5]. Dans cette étude, les auteurs concluent que les HPV ne représentent pas un facteur de risque important dans l’oncogenèse orale et s’interrogent sur une possible classification erronée des cancers de la base de la langue (fortement liées à l’infection par les HPV) parmi les CECO.

◗ Édentement, maladie parodontale et dysbiose orale

La perte de plusieurs dents, la maladie parodontale ainsi que l’inflammation chronique avec la présence des germes parodontogènes (Porphyromonas gingivalis et Fusobacterium nucleatum) semblent augmenter le risque de CECO [68]. L’atteinte de l’intégrité épithéliale, en présence d’une inflammation orale chronique, faciliterait la pénétration de cancérogènes issus du tabac et de l’alcool. Le rôle des traumatismes chroniques de la muqueuse orale dans la survenue des CECO reste controversé.

Diagnostic

État actuel

Aujourd’hui, les CECO restent majoritairement diagnostiqués à un stade tardif, entraînant un pronostic sombre. Le diagnostic repose sur la biopsie d’une lésion clinique et par un bilan d’extension à la recherche d’éventuelles métastases ganglionnaires ou à distance [9]. La détection précoce et le dépistage des CECO constituent un enjeu crucial pour les malades et les professionnels de santé. Les nouveaux moyens d’aide au diagnostic pourraient reposer sur l’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) [20] et sur la définition de marqueurs salivaires ( Figure 1 ).

thumbnail Figure 1.

Méthodes diagnostiques et thérapeutiques actuelles et futures potentielles. IA : intelligence artificielle ; IRM : imagerie par résonnance magnétique.

L’IA, une aide au diagnostic des patients présentant un CECO ?

Certains auteurs ont utilisé des algorithmes pour le diagnostic du CECO, fondés sur des données cliniques comme l’âge, le sexe et la consommation d’alcool. Les données obtenues sont utilisées par un système informatique ayant la capacité de classer les patients selon leur risque de présenter ou pas un CECO en fonction du phénotype clinique (âge, facteurs de risques, sexe, etc.) leur correspondant. Il est également possible d’établir une probabilité de malignité des lésions orales à partir de photographies intrabuccales.

Jubair et al. [1] et Fu et al. [2] ont développé une classification binaire entre lésions orales bénignes et malignes. La première équipe a notamment affirmé avoir obtenu des performances comparables à celles des experts de la cavité orale en termes de précision et de sensibilité diagnostiques. Par ailleurs, Warin et al. ont proposé un algorithme permettant une distinction entre les CECO et la muqueuse orale saine [3]. Enfin, le projet MeMoSA® (Mobile Mouth Screening Anywhere) a pour but de constituer une grande bibliothèque de lésions orales annotées, dont les images sont actuellement en cours de collecte, afin de les mettre à disposition au moyen d’une application utilisable avec des téléphones cellulaires.

Les biomarqueurs salivaires d’aide au diagnostic

L’identification de biomarqueurs à partir de fluides biologiques salivaires offre la possibilité d’un diagnostic précoce, facile à réaliser et peu coûteux [4]. Le contact direct de la salive avec les lésions de CECO en fait un outil de dépistage qui pourrait être l’une des références diagnostiques à l’avenir [4]. En effet, la salive contient de nombreuses molécules dont certaines ont déjà été étudiées et ont montré un intérêt diagnostique dans les CECO : ADN, ARN, ARN messager, marqueurs protéiques, cytokines (IL[interleukine]-8, IL-1β, TNF-α [tumor necrosis facrtor alpha]), défensine-1, TP53, Cyfra 21-1, spermidine/spermine N1-acétyltransférase, profiline, cofiline-1 et transferrine) [4]. D’autres potentiels marqueurs salivaires de détection précoce des CECO ont également été analysés, comme l’hyperméthylation de l’ADN [5] ou les auto-anticorps anti-TP53 et anti-HSP (heat shock protein)-70, reflétant la surexpression respective de ces molécules au sein des tissus tumoraux [6]. Toutefois, ces marqueurs sont, pour l’instant, à l’étude et des analyses complémentaires sont nécessaires avant d’envisager leur application clinique.

Les aspects cliniques et histologiques des CECO

Les CECO peuvent se présenter sous différents aspects cliniques (Figure 2) : ulcéré, l’aspect le plus fréquent, mais aussi végétant (nodule exophytique) ou ulcéro-végétant ou fissuraire. Les bords de la lésion sont irréguliers, surélevés et indurés.

thumbnail Figure 2.

Aspects cliniques des CECO : (A).forme ulcérée de la gencive, (B) forme végétante du palais, (C) forme ulcéro-végétante de la langue, (D) forme nodulaire de la gencive.

D’un point de vue histologique, les CE présentent plusieurs grades de différenciation selon leurs similarités avec l’épithélium malpighien sain. Certains CECO sont très différenciés, indiquant que les cellules impliquées dans le processus néoplasique sont des kératinocytes bien identifiés, tandis que d’autres tumeurs sont constituées de cellules peu différenciées, dont la catégorie tissulaire est moins identifiable.

Prise en charge des CECO

Thérapeutiques actuelles

À l’issue du bilan initial, clinique, histologique et radiologique, selon le siège et le stade de la tumeur, en s’appuyant sur la classification TNM1, une prise en charge thérapeutique est décidée lors de la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). La chirurgie reste le traitement de référence en première intention pour les tumeurs non métastatiques. Elle peut être associée à une radiothérapie cervico-faciale et/ou une chimiothérapie.

La chirurgie consiste à la résection de la tumeur associée ou pas au curage des aires ganglionnaires. Compte tenu des pertes de tissus de la chirurgie, des procédures de reconstruction (lambeaux libres, etc.) sont réalisées. Celles-ci ont considérablement évoluées ces dernières années grâce à l’impression en trois dimensions (3D) et la planification numérique, permettant de réhabiliter au mieux les patients jusqu’à la mise en place d’implants dentaires pour rétablir les différentes fonctions et l’esthétique.

La radiothérapie volumétrique à modulation d’intensité (IMRT) a progressivement remplacé la radiothérapie classique. Elle permet de mieux protéger les structures anatomiques saines au voisinage de la tumeur et de diminuer la toxicité sur les muqueuses et les glandes salivaires et, en conséquence, la mucite et la xérostomie induites2. La curiethérapie n’est pratiquement plus pratiquée aujourd’hui.

Les molécules couramment utilisées pour la chimiothérapie sont les sels de platine, les taxanes et le 5-fluorouracile (5-FU). La chimiothérapie, dans le traitement à visée curative, ne semble être bénéfique que lorsqu’elle est utilisée en association avec un traitement locorégional de chirurgie d’exérèse et/ou de radiothérapie. Il n’y a pas de bénéfice, en termes de survie, de l’utilisation de la chimiothérapie d’induction avant radiothérapie. La chirurgie ou la chimioradiothérapie (CRT) adjuvante réduit le risque de décès de 16 % par rapport à la radiothérapie seule. La chimioradiothérapie concomitante, comparée à la radiothérapie seule, est associée à une amélioration de plus de 20 % de la survie globale [7].

En cas de récidive, de poursuite évolutive ou de tumeur d’emblée métastatique, les thérapeutiques sont différentes. Dans les deux premiers cas, une nouvelle radiothérapie est contre-indiquée et la chirurgie d’exérèse pas toujours possible compte tenu des risques d’ostéoradionécrose induite par la radiothérapie préalable. Le protocole associant cisplatine, cétuximab et docétaxel (TPEx) a été comparé au traitement standard EXTREME (cisplatine, cétuximab et 5-FU), en première ligne, chez des patients ayant un CE de la tête et du cou métastatique ou en récidive. L’étude de phase II GORTEC « TPEx », réalisée entre 2014 et 2021 (incluant 541 patients), et le docétaxel associé au cisplatine, semblaient plus efficace (en terme de survie globale) par rapport au protocole EXTREME.

Immunothérapies

L’immunothérapie a progressivement pris une place importante dans le traitement des CECO ( Figure 1 ). Les immunothérapies utilisées sont les anticorps inhibiteurs de points de contrôle immunitaire anti-PD-1 (programmed cell death protein 1), tels que le nivolumab et le pembrolizumab [8]. Depuis l’étude KEYNOTE 048 [9], le pembrolizumab a montré sa supériorité, en monothérapie ou en association à une chimiothérapie, par rapport au protocole EXTREME, dans les cancers des VADS en rechute ou métastatiques. L’agence américaine Food and Drug Administration (FDA) a élargi la population éligible en accordant l’utilisation du nivolumab comme traitement de première ligne pour les patients présentant un CECO métastatique ou non résécable et en récidive, et du pembrolizumab en association avec les sels de platine et le 5-FU pour tous les patients présentant un CECO. Elle a également approuvé la prescription de pembrolizumab en tant qu’agent unique pour les patients présentant un CECO, dont les tumeurs expriment un score positif combiné (CPS) PD-L1 (programmed death-ligand 1) supérieur ou égal à 1 [8]. Chez ces patients, les résultats à cinq ans témoignent d’un allongement significatif (p = 0,0109) de la survie globale, avec une réduction du risque de décès de 22 % [9].

D’autres anticorps inhibiteurs de l’axe PD-1/PD-L1 font l’objet d’études cliniques, tels que le cémiplimab (NCT04398524), le sintilimab (NCT05000892) ou le toripalimab (NCT04825938). D’autres cibles semblent également prometteuses, comme la molécule OX40 (CD134), un marqueur des lymphocytes T activés : un essai clinique de phase I (NCT02274155) a démontré que son activation par un anticorps agoniste pouvait induire l’activation et la prolifération des lymphocytes T [30]. Des anticorps monoclonaux (AcM) bloquant d’autres points de contrôle immunitaire, en particulier CTLA4 (cytotoxique T lymphocyte antigen 4), TIM-3 (T-cell immunoglobulin and mucin containing protein-3), LAG-3 (lymphocyte-activation gene 3) et IDO (indoleamine 2,3-dioxygenase 1) ont par ailleurs montré des résultats encourageants dans d’autres cancers [1], mais ils n’ont pas encore fait l’objet d’essais cliniques pour traiter des CECO. Des stratégies d’immunothérapie sont cependant à l’étude, comme, par exemple, l’essai de phase I proposée par l’équipe du Dr. C. Le Tourneau à l’Institut Curie (NCT04183166) dans les cancers ORL HPV négatifs. Il s’agit de l’utilisation d’un vaccin personnalisé, conçu par IA, afin de diriger la réponse immunitaire de chaque patient contre sa tumeur VADS ayant des mutations spécifiques. Les données présentées au congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) de 2023 montrent qu’aucun des 16 patients traités par le TG4050.02 n’a rechuté, contre deux patients du groupe contrôle, avec une moyenne de suivi de 10,4 mois, et que tous les patients évaluables ayant reçu le vaccin ont développé une réponse immunitaire spécifique contre de multiples néoantigènes tumoraux, malgré une immunité globale et un micro-environnement tumoral défavorables au début du traitement (caractérisés notamment par la présence de cellules immunitaires non fonctionnelles ou par des niveaux d’expression de PD-L1 faibles, voire une absence d’expression de PD-L1).

D’autres approches thérapeutiques sont prometteuses comme semble le montrer un essai de phase II, marqué par une réduction de moitié de la mortalité à trois ans faisant suite à l’utilisation du xénivapant, une molécule pro-apoptotique orale, antagoniste des inhibiteurs des protéines de l’apoptose (qui incluent notamment les membres de la famille Bcl-2), qui stimule l’activité antitumorale de la chimiothérapie et de la radiothérapie [2]. Ce traitement est actuellement évalué dans l’essai de phase III TrilynX, dont les résultats devraient prochainement être disponibles.

Facteurs pronostiques des CECO : le microenvironnement tumoral

Depuis plusieurs années, une nouvelle prise en charge des patients présentant des cancers prend en compte la réaction immunitaire en plus des paramètres propres à la tumeur (taille et extension). Ainsi, le microenvironnement immunitaire tumoral (TME), composé de macrophages, de cellules dendritiques (CD), de cellules Natural Killer (NK) et de lymphocytes B et T, est un infiltrat polymorphe et variable d’un patient à l’autre. Dans de nombreux cancers solides, notamment colorectal, « l’immunoscore » est considéré comme ayant une valeur pronostique supérieure à celle fournie par la classification TNM [3]. Dans la majorité des cancers, notamment ceux de la tête et du cou, une forte infiltration lymphocytaire est associée à une survie prolongée.

Le microenvironnement tumoral des CECO

Les études du microenvironnement immunitaire tumoral ont souvent porté sur les cancers de la tête et du cou en général, même si certaines ont directement porté sur les CECO. Les lymphocytes infiltrant les tumeurs (TIL), tels que les lymphocytes T CD8+ et les lymphocytes T régulateurs (Treg), ont été associés à un pronostic favorable dans les cancers de l’oropharynx [4]. Leur impact sur le pronostic vital chez les patients présentant un CECO n’est néanmoins toujours pas clair, mais il a été montré qu’un rapport polynucléaires neutrophiles/lymphocytes (NLR) et un rapport plaquettes/lymphocytes (PLR) élevés sont associés à une survie globale inférieure [5]. De plus, une proportion plus élevée de lymphocytes Th17 (T helper 17) circulants a été rapportée chez les patients présentant un CECO [6]. Le rôle des lymphocytes Th17 en tant qu’effecteurs pro- ou anti-tumoraux est encore débattu [7]. Cependant, il a été montré qu’une accumulation significative de lymphocytes T périphériques IL-17+ et une production plus élevée d’IL-17 chez les patients ayant des cancers de la tête et du cou étaient corrélées négativement avec la survie globale [5].

Comparaison des patients exposés ou pas aux facteurs de risque « classiques » selon leurs caractéristiques immunologiques

Selon certains auteurs, les patients NB-NF et BF peuvent être discriminés par des différences de microenvironnement immunitaire tumoral. Chez les patients BF, une immunosuppression marquée est révélée par une signature mutationnelle plus forte associée à des infiltrats immunitaires plus faibles et à un profil d’expression génique différentiel [8]. Une cohorte de patients a présenté une diminution des lymphocytes T CD8+ et des cellules PD-L1+ chez les fumeurs [9]. D’autres études ont rapporté une diminution des cellules dendritiques dans le microenvironnement immunitaire tumoral des fumeurs ayant un CECO par rapport aux non fumeurs [40]. Une étude a montré que les patients NB-NF et BF présentant un CECO, avaient un profil phénotypique différent en ce qui concerne leurs cellules immunitaires du sang périphérique et du microenvironnement immunitaire tumoral, et que ces phénotypes pouvaient constituer des biomarqueurs spécifiques : pour les patients BF, les cellules CD45RO+ CCR6+ CD4+, les granulocytes, les monocytes-macrophages et les Treg ont été identifiés comme biomarqueurs pronostiques ainsi que les cellules CD8+ pour les patients NB-NF. Ces biomarqueurs pourraient, à terme, être utilisés dans la pratique clinique courante pour évaluer une éventuelle récidive tumorale et identifier des sous-groupes de patients éligibles aux immunothérapies [1].

Conclusion

Aujourd’hui, le dépistage et la détection précoce des CECO constituent un enjeu crucial de santé publique. De nouveaux moyens diagnostiques pourraient émerger dans quelques années, comme la définition de marqueurs salivaires ou l’utilisation de l’IA. De nombreux progrès thérapeutiques ont été réalisés, en particulier grâce à l’utilisation des immunothérapies. Des marqueurs pronostiques pourraient également être définis de façon plus précise dans les années à venir, permettant de traiter les patients de façon plus personnalisée, en définissant les groupes éligibles ou pas aux immunothérapies.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

La classification TNM des tumeurs est un système international de classement des cancers selon leur extension anatomique. La lettre T est l’initiale de « tumeur » et correspond à la taille de la tumeur ; la lettre N est l’initiale de « node » qui signifie ganglion en anglais et indique si des ganglions lymphatiques ont été ou non envahis par des cellules cancéreuses ; la lettre M est l’initiale de « métastase » et signale la présence ou l’absence de métastases.

2

La mucite est une inflammation des muqueuses de la bouche et de la gorge, marquée par une ulcération douloureuse. La xérostomie est une sécheresse de la gorge et de la bouche suite à une salivation insuffisante voire absente.

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Liste des tableaux

Tableau I.

Caractéristiques cliniques des CECO selon l’exposition aux facteurs de risques. NB-NF : non buveurs et non fumeurs ; BF : buveur et fumeurs.

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Méthodes diagnostiques et thérapeutiques actuelles et futures potentielles. IA : intelligence artificielle ; IRM : imagerie par résonnance magnétique.

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

Aspects cliniques des CECO : (A).forme ulcérée de la gencive, (B) forme végétante du palais, (C) forme ulcéro-végétante de la langue, (D) forme nodulaire de la gencive.

Dans le texte

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