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Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 2, Février 2023
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Page(s) | 177 - 180 | |
Section | Repères | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2023012 | |
Published online | 17 February 2023 |
Peut-on enlever un pacemaker au nom de l’obstination déraisonnable ?
L’histoire d’Odette
Can we remove a pacemaker in the name of unreasonable obstinacy? The story of Odette
Centre d’éthique clinique de l’AP-HP, hôpital Cochin, 27 rue du faubourg Saint-Jacques 75679 Paris cedex 14, France
* denis.berthiau@aphp.fr
** nicolas.foureur@aphp.fr
« Les humanités en santé : histoire de cas » sont coor- données par Claire Crignon, professeure d’histoire et de philosophie des sciences à l’université de Lorraine, qui a créé le master « humanités biomédicales » à Sorbonne université.
© 2023 médecine/sciences – Inserm
Vignette (© DR).
Quelques considérations préalables
La désactivation de dispositifs cardiaques implantables (défibrillateurs et pacemakers) est un sujet de discussion récurrent dans la littérature pour des patients en fin de vie [1]. Le processus le plus discuté concerne la désactivation de ces dispositifs lorsqu’ils peuvent empêcher la bonne conduite de soins palliatifs qui ont été décidés par et pour des patients (par exemple, pour un patient atteint d’un cancer au stade terminal dont le cœur ne peut pas s’arrêter car relancé par un défibrillateur, alors que c’est bien la fin souhaitée si des soins palliatifs ont été engagés). En général, la désactivation d’un défibrillateur pose moins de question que celle du pacemaker. Il s’agit en effet d’une thérapie intermittente, contrairement au pacemaker qui implique une action continue en fonction du niveau de stimulo-dépendance nécessaire [2]. Plus rares sont les articles traitant de la légitimité que ces dispositifs soient considérés comme les autres traitements, avec pour conséquence, qu’ils puissent être arrêtés (désactivés ou retirés), soit à la demande de patients dans le cadre de refus de soins, soit dans le cadre de limitation/arrêt de traitements engagés face à une obstination déraisonnable.
Le pacemaker est-il un traitement comme un autre ?
Au regard de la balance bénéfice/risque qu’il faut évaluer lors de sa pose, le pacemaker, comme les autres médicaments, peut être considéré comme un traitement. Les bénéfices à long terme l’emportent le plus souvent sur la iatrogénie1 qu’il implique à court terme, notamment lors de sa mise en place [3]. Mais certains auteurs s’accordent pour classer le pacemaker dans une catégorie différente de celle regroupant les thérapeutiques utilisées de façon continue. À ce titre, le pacemaker appartiendrait aux thérapies dites « constitutives », des thérapies qui ont pour but de remplacer une fonction vitale [4]. Mais dans cette sous-catégorie de traitements, les auteurs restent en désaccord, oscillant entre thérapie de substitution, à l’image du ventilateur, et thérapie de remplacement, à l’image de la greffe d’un organe (donnant au dispositif un caractère « organique »).
Peut-on arrêter un pacemaker, comme un autre traitement ?
Les visions divergent sur la légitimité d’arrêter ou de désactiver un pacemaker. Pour certains, un arrêt se justifie, comme pour d’autres traitements, dans le retrait de la médecine, laissant ainsi la maladie évoluer et le patient mourir naturellement [5]. Pour d’autres, raisonner selon cette trajectoire évolutive de la maladie n’est pas justifié dans ce cas car, justement, le pacemaker n’implique pas une action médicale continue et récurrente dans le temps mais uniquement lors de sa pose initiale. Un arrêt de traitement ne saurait alors se justifier puisqu’il ne concerne pas l’annulation d’un traitement suivi et précédemment administré, mais un acte direct sur la survie du patient. L’arrêt d’un pacemaker est ainsi assimilé par certains à une aide active à mourir, puisque le pacemaker n’a pas en soi d’effets sur la qualité de vie pouvant justifier son arrêt [4].
Peut-on justifier l’arrêt d’un pacemaker ?
Considérer le pacemaker comme une « thérapie constitutive » rend complexe de savoir s’il est approprié de l’arrêter ou non. Pour éviter de rester enfermé dans des définitions, il peut être utile de redessiner la frontière entre l’intention du médecin de « laisser mourir » et de « faire mourir » [4]. Sera alors évoquée l’idée que si le médecin reste responsable de ses actes en arrêtant un pacemaker, ce qui aura pour conséquence la mort d’un patient, il n’en est pas la cause [3].
L’histoire d’Odette
Odette a 97 ans. Elle était mère au foyer et a élevé trois enfants. Avec le temps, elle a développé une arthrose et d’importants problèmes d’équilibre. Après la mort de son mari il y a vingt ans, elle a nécessité une aide qui est devenue de plus en plus importante, sollicitant alors surtout sa plus jeune fille. Elle tombait de plus en plus souvent et souffrait d’hallucinations. À la suite d’une chute qui s’est avérée plus grave que les autres, la décision de la placer dans un établissement a été prise par ses enfants ; Odette avait néanmoins donné son accord. Si, au début, son installation en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) s’est plutôt bien déroulée, Odette a progressivement perdu ses repères. Elle est devenue de plus en plus agressive envers les personnes l’entourant. Son état physique s’est progressivement dégradé : elle est désormais grabataire, presqu’aveugle et sourde. Elle geint souvent et crie, sans explication. Elle est devenue dépendante pour tous les gestes de la vie courante et est nourrie par les aides-soignantes. Odette développe de moins en moins d’interactions avec son entourage. Aujourd’hui, ni les professionnels du soin qui l’entourent, ni sa fille, qui vient très souvent la voir, n’ont de réelles relations avec elle. Odette ne montre plus de réaction adaptée à son environnement. Elle ne reconnaît plus ses enfants.
Il y a un an, l’infirmière coordinatrice de l’EHPAD qui l’accueille a fait appel à une équipe mobile de soins palliatifs avec laquelle l’établissement collabore, afin d’évaluer les besoins d’Odette et d’envisager son accompagnement vers des soins de fin de vie, si cela s’avérait nécessaire. C’est lors d’une réunion de bilan de l’équipe que la fille d’Odette a évoqué l’idée que si sa mère vivait encore, c’était grâce à son pacemaker, posé il y a huit ans et dont la pile avait été changée il y a trois ans. Les médecins de l’équipe comprennent alors la remarque de la fille d’Odette comme une demande implicite du retrait du pacemaker. C’est alors qu’ils saisissent le Centre d’éthique clinique (Cec) (voir Encadré) car ils s’interrogent sur le bien-fondé éthique d’une telle demande.
Discussion éthique
Face à une telle interrogation, il pourrait être tentant de décliner le raisonnement éthique, au regard de ce que la société « doit » à Odette, ou de ce que la loi enjoint de réaliser en pareilles circonstances. Aujourd’hui, la société considère en effet que, face à la grande vieillesse, elle a le rôle et l’obligation d’aider les personnes âgées par tous les moyens disponibles à vivre le mieux possible jusqu’à la mort. Pourtant, le rôle que la médecine doit avoir et les limites qu’elle pourrait s’imposer dans cette aide à la vie, ne sont pas éthiquement discutés. Ainsi, l’état dégradé d’Odette, très âgée, et le fait qu’elle ait perdu toute relation avec son environnement peuvent interpeller. C’est d’autant plus vrai que la loi met une limite au maintien en vie par un traitement, en prohibant toute obstination déraisonnable. Si tel est le cas, la loi non seulement autorise mais oblige le médecin à arrêter des traitements qui seraient devenus « inutiles ou disproportionnés ou n’ayant comme effet que le seul maintien artificiel de la vie »2. Cette possibilité d’arrêt de traitement doit être étudiée à la suite de la demande d’un patient, ou de ses proches, comme cela est le cas pour Odette, ou à l’initiative d’une équipe, lorsque des arguments en faveur d’une obstination déraisonnable existent. Le médecin responsable du patient enclenche alors une procédure impliquant des consultations avec des spécialistes, une réunion collégiale d’équipe et prend ensuite une décision motivée. Le pacemaker pourrait donc, en théorie du moins, être retiré. Pourtant, dans la situation d’Odette, deux écueils à ce raisonnement fondés sur des principes généraux, apparaissent.
On peut, d’abord, s’interroger sur la question de savoir si le retrait d’un pacemaker correspond effectivement à l’« arrêt de traitement » qui est autorisé par la loi en raison d’une obstination déraisonnable. Cette question peut se poser puisque le dispositif s’inscrit dans la durée, comme tout traitement utilisé de façon continue (tel qu’une dialyse). Mais si le pacemaker peut être incontestablement assimilé à un traitement, son incorporation durable, son utilité, incontestée au moment de la pose et actuelle, pourrait justifier le fait qu’il soit considéré comme un organe à part entière plutôt que comme un simple traitement. Cette « mutation » entre traitement et organe est d’ailleurs confirmée par l’agression physique que représenterait l’acte de retrait. L’atteinte à l’intégrité physique alors réalisée entrerait même probablement en collision avec l’objectif de la loi qui consiste à entourer la procédure d’arrêt de traitement de toutes les précautions possibles afin d’éviter toute souffrance au patient3.
Le Cec est un service hospitalier d’aide à la décision médicale difficile au plan éthique. Il travaille en rencontrant tous les protagonistes (patient, proches et professionnels de santé) et chaque cas est discuté lors d’un staff pluridisciplinaire avec des soignants et des non soignants, chercheurs en sciences sociales et humaines ou autres représentants de la société civile. La discussion est déclinée au regard des principes de l’éthique biomédicale (bienfaisance, non malfaisance, justice, respect de l’autonomie). Il s’agit d’élargir le champ de la réflexion, considérant que le meilleur intérêt de la personne malade ne se mesure pas toujours en fonction de son seul intérêt médical.
Le Cec travaille dans la multidisciplinarité, Denis Berthiau est juriste, et Nicolas Foureur et Louise Pagès sont médecins.
La simple désactivation du pacemaker est cependant possible. Mais ce geste n’est pas ressenti par les praticiens comme étant différent du retrait, tout au moins sur le plan symbolique. L’assimilation corporelle du pacemaker, son intégration dans le corps, fait toute la différence avec l’arrêt d’un respirateur ou l’arrêt d’une nutrition et d’une hydratation artificielles, par exemple. Dans ces deux derniers cas, ce sont en effet des aides à vivre qui sont externes au corps qu’il s’agit d’interrompre et la médecine se l’autorise. L’intégration du pacemaker au cœur et l’invisibilité de ce dispositif transforment ce retrait en une action volontaire destinée à faire dysfonctionner presque instantanément le corps. La sensation qu’il s’agit ici d’une forme de « faire mourir », plutôt que d’un « laisser mourir » [6], constitue pour plusieurs soignants une limite qu’ils ne peuvent dépasser. Finalement, ce qui paraît certain, c’est que, comme souvent, le législateur n’a pas envisagé cette hypothèse particulière, et la loi ne suffit donc pas à trancher le débat.
D’un point de vue plus conceptuel, s’interroger sur le fait même qu’aider à vivre une personne dans l’état d’Odette pourrait constituer une forme d’obstination déraisonnable, conduit à des considérations très délicates sur le « sens de la vie », ou sur ce qui constituerait une « vie qui vaudrait la peine d’être vécue » [7]. Trop de subjectivité affecte ce type de jugement, les uns voyant un sens là où les autres ne le voient pas. Aussi, il semble difficile de trancher sur la conception que l’on peut se faire du sens de la vie d’Odette, et encore moins l’imposer comme un critère absolu d’une obstination déraisonnable.
La situation d’Odette ne peut donc être résolue par le recours à la loi et par une conception définie de ce que serait une vie acceptable ou non. L’une comme l’autre pêchent par trop de généralités et d’incertitudes. Il convient donc de se recentrer sur la personne d’Odette. On pourrait ainsi admettre que la volonté d’Odette puisse lever l’écueil de l’incertitude liée à la notion de « sens de la vie ». Si, en effet, la limite de ce qu’elle considère comme déraisonnable est fixée par elle-même, la légitimité de cette appréciation ne fait plus de doute et devrait être respectée. Mais, en réalité, la volonté d’Odette de continuer à vivre dans ces conditions n’est pas décelable de façon certaine. Au moment où la question de l’arrêt du pacemaker se pose, Odette ne manifeste pas de refus de soins. De plus, les professionnels de santé n’ont décelé aucun signe de refus (elle continue de se nourrir et mange ce qui lui est donné) ; et ils n’interprètent pas ses cris comme une manifestation de détresse. Au contraire, sa fille entend ces cris comme une plainte. Cette différence de point de vue entre proches et soignants est classique devant ce type d’expression. Les professionnels de santé ont tendance à penser que les troubles cognitifs entraînent des comportements « reflexes » alors que les proches ne peuvent s’empêcher d’y voir le signe d’une émotion ou d’y chercher une signification plus précise. Pour Odette, aucunes directives anticipées et aucun témoignage antérieur, qui indiqueraient une volonté de ne pas se retrouver dans cet état, ne peuvent être invoqués. Même si sa fille le pense, et défend cette idée à propos de sa mère, elle reconnaît qu’elle n’a pas d’éléments tangibles à apporter pour la soutenir. Faut-il alors aller jusqu’à admettre que la fille d’Odette est son meilleur porte-parole ? Cela pourrait tout à fait se concevoir mais, en la circonstance, elle n’a pas souhaité endosser un tel rôle. Au fil de la saisine, elle est progressivement revenue sur sa demande initiale et décline désormais toute responsabilité dans la décision à prendre.
Si aucune considération générale ou liée à la volonté d’Odette ne permet d’offrir une réponse éthique au questionnement concernant un éventuel retrait du pacemaker, l’argument de la non malfaisance due à Odette reste donc central.
Ce devoir de non malfaisance concerne uniquement Odette. Sa fille avoue certes souffrir, mais c’est bien de sa mère dont il s’agit. D’ailleurs, elle ne le nie pas, et une grande partie de son mal-être provient de ce qu’elle considère, à juste titre, que continuer à vivre ainsi est malfaisant pour sa mère. Elle n’a de cesse de recentrer le débat sur sa mère. Elle interprète les cris répétés d’Odette comme le signe d’une grande souffrance. Pour autant, elle n’en est pas certaine et elle veut ne pas se tromper. Elle a conscience que le manque de relation de sa mère constitue bel et bien une forme de souffrance pour elle-même, mais cela ne lui semble pas suffisant pour considérer qu’on est malfaisant à l’égard de sa mère. Des soignants interprètent même, à l’inverse, le repas comme son unique plaisir puisqu’Odette ne le refuse pas… Pour autant, aucune voix ne s’élève pour défendre le fait que faire vivre Odette dans ces conditions serait bienfaisant, et qu’il serait donc légitime d’utiliser tous les moyens de la médecine pour prolonger sa vie. L’argument en faveur d’un accompagnement palliatif est entendu par tous. Ainsi, si la pile du pacemaker n’avait pas été changée, sans doute elle ne le serait pas maintenant.
Conclusion
Malgré un certain nombre d’incertitudes, c’est pourtant bien la non malfaisance vis-à-vis d’Odette qui doit fournir le « la » de sa prise en charge médicale puisque ni un principe général sociétal, ni la volonté anticipée d’Odette, ne peuvent fournir de réponse. Il est certain que la demande de la fille d’Odette comporte une certaine violence pour les soignants de l’EHPAD, qui ne voient pas en Odette un cas particulier par rapport à bon nombre de résidents et qui, de ce fait, considèrent qu’il n’y aurait aucune raison de précipiter sa mort. Mais il n’en est pas moins certain que cette demande est une alerte qui les interpelle et qui pourrait conduire à repenser la prise en charge d’Odette, en particulier dans l’optique d’une fin de vie la moins malfaisante possible. Si le retrait du pacemaker est difficilement envisageable, le constat d’une trop grande malfaisance faite à Odette pourrait suggérer la possibilité d’une sédation suffisamment forte, qui pourrait, secondairement et si les conditions l’exigent, être transformée en une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Ces questionnements renvoient à une palette plus large de situations concernant l’accompagnement de la fin de (la) vie de personnes très âgées, souvent placées en institution, et dont l’état est (très) altéré. Ni la médecine, ni la société ne savent encore bien comment y répondre.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Art. L1110-5-1 du Code de la Santé publique (CSP) : « Les actes mentionnés à l’article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire. (…) »
Références
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