Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 39, Number 2, Février 2023
Page(s) 181 - 183
Section Prix Nobel 2022
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2023009
Published online 17 February 2023

© 2023 médecine/sciences – Inserm

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Vignette (Ill. Niklas Elmehed © Nobel Prize Outreach).

Quand Svante Pääbo a commencé ses recherches, le seul exemple d’ADN ancien qui avait pu être extrait de restes était, en 1984, celui du quagga, une espèce fossile d’équidés sauvages, située entre le zèbre et le cheval. L’année suivante, alors étudiant dans le département de recherche sur la cellule à Uppsala, Svante Pääbo publie un premier article montrant la possibilité d’étudier les ADN anciens humains [1]. Il s’agissait d’ADN extrait de cellules d’une momie égyptienne, considérablement dégradé et qui s’est avéré être un faux signal dû à une contamination. En effet, aux tous débuts de ces techniques d’extraction d’ADN ancien, un des premiers défis était d’éviter les contaminations par de l’ADN moderne environnant. Or, si dans le cas d’un animal, il est facile de différencier et d’exclure toute contamination, c’est bien sûr beaucoup plus complexe quand on s’intéresse à de l’ADN de fossiles humains. C’est donc en développant de nouveaux protocoles, extrêmement rigoureux, que Svante Pääbo réussit à dépasser ce verrou technique. Sa persévérance payera avec la publication, en 2008, du premier ADN mitochondrial complet isolé d’un individu Néandertalien [2]. Ce premier article montrait, que nous, les Sapiens, ne sommes pas des descendants directs des Néandertaliens, mais bien des cousins. Cette découverte ne permettait cependant pas de résoudre l’une des grandes questions de la préhistoire encore restée sans réponse : Sapiens et Néandertal ayant coexisté pendant plusieurs milliers d’années en Eurasie, avant la disparition des Néandertaliens aux environs de – 40 000 ans avant notre ère, avaient-ils pu s’hybrider ? Il aura fallu attendre 2010, pour isoler, à partir d’os de Néandertaliens retrouvés en Croatie, un génome nucléaire de qualité suffisante, bien qu’imparfaite, pour que l’équipe de Svante Pääbo démontre, en comparant les séquences obtenues avec celles d’hommes modernes, qu’il y avait eu effectivement hybridation entre les deux espèces (Sapiens et Néandertal) et d’en préciser la date [3].

Les Néandertaliens sont les descendants d’individus qui ont émigré d’Afrique, aux environs de – 600 000 ans, pour coloniser le continent eurasien. Notre espèce (Sapiens), quant à elle, a émergé en Afrique, il y a environ 300 000 ans. Elle est ensuite sortie de ce continent aux environs de – 60-70 000 ans, pour aller coloniser toute la planète. Les Sapiens ont alors rencontré des Néandertaliens, déjà présents, et des croisements génétiques féconds ont eu lieu. C’est ainsi que tous les êtres humains qui ont pour origine des ancêtres vivant hors d’Afrique portent dans leur génome environ 2 % de leur ADN reçu de Néandertaliens, parmi lesquels un certain nombre de gènes.

En 2010 également, l’équipe de Svante Pääbo réussit à extraire l’ADN mitochondrial de cellules osseuses provenant de l’extrémité d’une phalange retrouvée dans la grotte de Denisova, au sud de la Sibérie [4]. L’équipe analysa alors cet ADN, et là, surprise ! Les séquences déterminées ne correspondaient ni à celles d’un Sapiens ni à celles d’un Néandertalien, mais bien à un ADN différent. Il s’agissait donc d’un nouveau membre de la lignée humaine : un cousin de Néandertal, localisé dans l’est du continent, qui sera appelé l’homme de Dénisova. Quelques années plus tard, l’analyse de l’ADN nucléaire de ce Dénisovien révéla, une nouvelle fois, des mélanges féconds entre Sapiens et Dénisoviens : les humains, dont les ancêtres vivaient à l’est de l’Himalaya, avaient reçu quelques fragments d’ADN dénisovien. Ces séquences dénisoviennes se retrouvent désormais dans le génome de populations localisées en Océanie, en Papouaisie-Nouvelle-Guinée, par exemple, où les pourcentages d’ADN dénisovien peuvent atteindre 3 à 4 % du génome.

L’une des questions que pose la présence dans notre génome des deux pourcents d’ADN néandertaliens et de ces quelques pourcents d’ADN dénisoviens est de comprendre quel a pu être leur rôle dans l’adaptation des Sapiens à leur milieu. L’un des exemples les mieux documentés est celui de l’adaptation à l’altitude des populations tibétaines. En comparant l’ADN de Tibétains avec celui d’individus chinois modernes, il a pu être montré que l’adaptation à l’altitude pouvait s’expliquer, en grande partie, par une mutation, partagée par quasiment tous les Tibétains, du gène EPAS1 (endothelial PAS domain-containing protein 1) ou HIF-2a (hypoxia-inducible factor-2alpha), un gène qui code une sous-unité du facteur de transcription HIF, et est un facteur majeur de la réponse érythrocytaire à l’hypoxie. En comparant la portion du génome contenant ce gène chez les individus chinois modernes avec le génome de Dénisova, Svante Pääbo montre, en 2014, que cette portion de génome était d’origine dénisovienne [5]. C’est donc par un croisement avec Dénisova, lignée humaine maintenant éteinte, que Sapiens a pu s’adapter à l’altitude et que les populations tibétaines résistent à cet environnement hypoxique. Par la suite, d’autres exemples de ces mélanges de gènes adaptatifs ont été révélés, notamment en ce qui concerne des gènes impliqués dans l’immunité.

En sortant du continent africain, les premiers Sapiens ont dû s’adapter aux nouveaux environnements qu’ils rencontraient. Néandertaliens ou Dénisoviens, qui étaient déjà présents en Eurasie depuis plusieurs centaines de milliers d’années, avaient eu le temps de s’adapter. Les croisements féconds avec ces cousins acclimatés ont donc permis à Sapiens d’acquérir plus rapidement des formes de gènes favorisant son adaptation. Mais, ainsi que la théorie de l’évolution nous l’enseigne, un gène avantageux à un moment donné, dans un environnement donné, ne l’est pas toujours dans d’autres circonstances. Certains gènes néandertaliens étaient même désavantageux dès les premiers croisements avec Sapiens.

De nos jours, certains variants génétiques provenant des Néandertaliens se révèlent, pour une même maladie, avantageux alors que d’autres sont désavantageux [6, 7]. Ainsi, certains variants néandertaliens ont été associés à une certaine résistance face à l’infection par le SARS-CoV-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2), mais une forme plus grave de la Covid-19 (coronavirus disease 2019), la maladie due au SARS-CoV-2, a été associée à la présence chez les patients de certains autres variants néandertaliens. Ces variants qui avaient, sans doute, été avantageux dans le passé face à d’autres épidémies, se révèlent ainsi désormais désavantageux.

Nous sommes tous porteurs dans notre génome d’une fraction d’ADN néandertalien (environ 2 % de notre génome), cette fraction n’étant cependant pas identique en séquence pour tous les individus. Assemblées, les différentes séquences provenant de Néandertaliens ne permettent cependant de « reconstituer » que 40 % de son ADN. Les 60 % absents de notre génome ont été éliminés par sélection naturelle, extrêmement rapidement et en peu de générations. Mais que contiennent ces 60 % d’ADN, et quelles sont les raisons de leur élimination si rapide, sont des questions qui restent sans réponse et sont encore d’actualité.

Le séquençage de l’ADN néandertalien et sa comparaison avec le génome humain a permis d’aborder une autre question fondamentale : qu’est ce qui fait de nous des Sapiens ? Parmi les 20 à 23 000 gènes codants contenus dans notre ADN, 60 sont spécifiques de Sapiens et sont systématiquement différents chez Néandertal. Mais que sont ces gènes et quelle est leur fonction ? C’est une question à laquelle Svante Pääbo a tenté de répondre en introduisant, à l’aide de la technique CRISPR-Cas9, des variants présents chez Néandertal (et absents chez Sapiens) dans des cellules humaines, des lignées de cellules de cerveau cultivées sous forme d’organoïdes [9]. L’un de ces variants a une incidence sur le développement neuronal, en provoquant un changement de la connectivité entre les cellules de ces mini-cerveaux. Un autre variant influe sur la vitesse de division de certaines de ces cellules.

Ainsi, les travaux de Svante Pääbo ont permis de mieux connaître nos cousins maintenant disparus et nous ont renseignés sur l’histoire évolutive de notre propre espèce, avec la démonstration de l’existence de mélanges anciens entre différentes lignées humaines. Ses travaux ont constitué les débuts d’une nouvelle discipline, la paléogénomique, qui, depuis, s’est enrichie de milliers d’échantillons provenant de restes datant du paléolithique jusqu’à nos jours, et qui permettent de retracer les évènements majeurs de notre histoire. Il a ainsi été possible de montrer que les Européens étaient le fruit d’un mélange génétique entre les premiers chasseurs-cueilleurs, issus d’Afrique et ayant peuplé l’Europe, avec des agriculteurs ayant migré du sud de la Turquie, et, enfin, avec des Yamnaya, un peuple de bergers nomades venus des steppes eurasiennes il y a 4 000-5 000 ans.

Les travaux de Svante Pääbo sont donc fondamentaux et fondateurs. Ils nous révèlent nos origines et nous montrent que nous avons tous des ancêtres migrants. Le suivi des différentes populations humaines à travers le temps a en effet permis aux autres équipes travaillant en paléogénomique humaine, la discipline fondée par Svante Pääbo, d’identifier des parts de notre génome qui ont été des cibles de la sélection naturelle au cours de ces derniers millénaires. Des parts qui revêtent une importance particulière pour nous désormais en ces temps d’épidémies.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Le lecteur intéressé pourra également consulter 

Heyer E. La vie secrète des gènes. Paris : Flammarion, 2022.

Orlando L. ADN fossile, une machine à remonter le temps. Paris : Odile Jacob, 2021.

Quintana-Murci L. Le peuple des humains. Paris : Odile Jacob, 2021.

Heyer E. L’Odyssée des gènes. Paris : Flammarion, 2020.

Références

  1. Pääbo S. Preservation of DNA in ancient Egyptian mummies. Journal of Archaeological Science 1985 ; 12 : 411–417. [CrossRef] [Google Scholar]
  2. Green RE, Malaspinas AS, Krause J, et al. A complete Neandertal mitochondrial genome sequence determined by high-throughput sequencing. Cell 2008 ; 134 : 416–426. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Green RE, Krause J, Briggs AW, et al. A draft sequence of the Neandertal genome. Science 2010 ; 328 : 710–722. [Google Scholar]
  4. Krause J, Fu Q, Good JM, et al. The complete mitochondrial DNA genome of an unknown hominin from southern Siberia. Nature 2010 ; 464 : 894–897. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Huerta-Sánchez E, Jin X Asan, et al. Altitude adaptation in Tibetans caused by introgression of Denisovan-like DNA. Nature 2014 ; 512 : 194–197. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Zeberg H, Pääbo S. The major genetic risk factor for severe COVID-19 is inherited from Neanderthals. Nature 2020; 587 : 610–2. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Zhou S, Butler-Laporte G, Nakanishi T, et al. A Neanderthal OAS1 isoform protects individuals of European ancestry against COVID-19 susceptibility and severity. Nat Med 2021; 27 : 659–67. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Hajdinjak M, Mafessoni F, Skov L, et al. Initial upper palaeolithic humans in Europe had recent Neanderthal ancestry. Nature 2021; 592 : 253–7. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. Trujillo CA, Rice ES, Schaefer NK, et al. Reintroduction of the archaic variant of NOVA1 in cortical organoids alters neurodevelopment. Science 2021; 371 : eaax2537. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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