Issue
Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 11, Novembre 2021
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 1070 - 1072
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2021167
Published online 01 December 2021

L’un des enjeux majeurs d’une réponse immunitaire adaptée lors d’une infection par un pathogène est la reconnaissance de l’agent infectieux comme étranger, c’est-à-dire la distinction du soi et du non soi. Au cours de la réponse immunitaire innée, des récepteurs appelés PRR (pour pattern recognition receptors) permettent la reconnaissance de motifs moléculaires propres aux agents infectieux. Dans le contexte d’une infection virale, l’engagement de ces PRR peut conduire à l’activation de la voie de l’interféron de type I (IFN-I) qui induit l’expression de gènes de réponse à l’interféron, dont certains sont des effecteurs anti-viraux. Dans un article récemment publié dans la revue PLoS Pathogens, Wu et al. [1] ont étudié la protéine ISG20 (interferon-stimulated gene 20) et son mode d’action face à des ARN reconnus comme étrangers.

La protéine ISG20 a été découverte en 1997 par l’équipe de Nadir Mechti [2] à l’Institut de génétique moléculaire de Montpellier. Elle présente la capacité d’inhiber de nombreux virus à ARN (fièvre jaune ou hépatite A, par exemple) [3], mais ses modalités d’action ne sont pas encore complètement comprises. Quelques équipes ont proposé que l’action inhibitrice d’ISG20 repose sur son activité exonucléase [4] : ISG20 pourrait détecter un ARN cible et le dégrader, bloquant ainsi la réplication du virus dans la cellule. Mais cela reste encore débattu au sein de la communauté scientifique [5]. L’équipe de Wu et al. vient de porter un nouveau regard sur les fonctions d’ISG20 au cours d’une infection virale en utilisant le virus de la stomatite vésiculaire (VSV) comme modèle de virus à ARN contrôlé par la réponse IFN.

ISG20 inhibe la traduction des protéines virales

Afin d’étudier la fonction d’ISG20, les auteurs ont utilisé des cellules de lignées exprimant cette protéine de façon inductible, grâce à une transduction rétrovirale stable. Ce système, facile à manipuler, permet une expression d’ISG20 comparable à celle que l’on observe dans certaines cellules immunitaires, comme les monocytes ou les cellules dendritiques, tout en évitant l’effet cytotoxique lié à une expression accrue d’ISG20. Les premiers résultats ont montré que l’infection par le VSV des cellules de trois lignées cellulaires ainsi modifiées était diminuée d’environ 40 % lorsque l’expression d’ISG20 était induite. Afin de caractériser le mécanisme d’action d’ISG20 qui permet de limiter l’infection virale, et en particulier de tester l’hypothèse d’une activité nucléasique ciblant les ARN viraux, les auteurs ont alors quantifié à la fois les ARN viraux et les protéines virales dans les cellules infectées. Ils ont montré que la quantité d’ARN viraux n’est pas modifiée par l’expression d’ISG20, alors que la quantité de protéines traduites à partir de ces ARN est drastiquement diminuée. Ces résultats suggèrent donc qu’ISG20 inhibe la réplication du VSV en bloquant la traduction, indépendamment d’une activité directe sur les ARN viraux. Plus précisément, les auteurs ont démontré que l’action d’ISG20 est spécifique, car la traduction des ARN des cellules infectées n’est pas altérée.

Afin de mieux caractériser l’activité d’ISG20, les auteurs ont ensuite construit une banque de mutants qui conservent tous leur activité RNase. Pourtant, certains de ces mutants perdent leur activité inhibitrice de la réplication virale, ce qui confirme que l’effet antiviral de la protéine ISG20 n’est pas strictement corrélé à son activité RNase.

ISG20 inhibe la traduction des protéines issues de gènes exogènes

Pour mieux comprendre comment ISG20 peut inhiber la traduction des ARN d’origine virale sans altérer celle des ARN cellulaires, les auteurs ont cherché à savoir si ISG20 agissait uniquement sur des ARN viraux, ou si elle pouvait également agir sur des ARN issus d’autres éléments génétiques étrangers, tels que des plasmides. Pour cela, les cellules ont soit été infectées par le VSV, soit de manière transitoire par un ADN plasmidique exogène contenant le gène codant la GFP (green fluorescent protein). Les résultats montrent qu’ISG20 empêche également l’expression de l’ADN transfecté, suggérant que la protéine ISG20 est capable de reconnaître du matériel génétique exogène, au-delà du matériel viral, distinguant ainsi le soi du non-soi ( Figure 1 ).

thumbnail Figure 1.

Modèle expliquant l’action différentielle opérée par ISG20 entre le soi et le non soi. ISG20 limite la traduction des ARN viraux produits suite à une infection par un virus de type influenza (en bleu). Cette inhibition pourrait être liée à un ré-adressage des ARN reconnus par ISG20 vers les P-bodies. À l’inverse, ISG20 n’altère pas la traduction des ARN issus de la cellule (en vert) ou des ARN viraux mimant le soi (en rouge).

Les auteurs ont alors approfondi la question de la capacité de reconnaissance du matériel génétique étranger par ISG20. Pour cela, ils ont travaillé avec de l’ADN étranger (le gène codant la GFP) soit intégré dans le génome, soit maintenu sous forme chromatinisée1 mais extrachromosomique (épisome). L’expression d’ISG20 n’affecte alors pas l’expression du gène étranger (Figure 1). Il semble donc que le statut chromatinien, plus que la forme intégrée ou non intégrée du gène étranger, soit importante pour la reconnaissance par ISG20. Il s’agit là d’une observation intéressante puisque certains virus exploitent ce mécanisme de chromatinisation de leur génome pour persister dans les cellules infectées : ces virus pourraient alors échapper à la détection par ISG20.

Ces résultats suggèrent que l’ARN conserve des traces de l’état chromatinien à partir duquel il a été transcrit, un état chromatinien de l’ADN qui serait révélateur de la nature de l’élément génétique introduit. Ces traces pourraient être des marques épigénétiques, comme des modifications des bases azotées constituant l’ARN telles que la méthylation des adénosines, déposées de manière co- ou post-transcriptionnelle.

Une autre hypothèse serait que la quantité, et peut-être pas uniquement la nature, des modifications épigénétiques telles que celles citées précédemment, soit révélatrice des éléments ARN étrangers. En effet, les ARN viraux, lors d’une infection, sont exprimés plus fortement que les ARN cellulaires. Alors présents en nombre de copies supérieur, les ARN viraux pourraient présenter un nombre inférieur de modifications post-transcriptionnelles (simplement par saturation des machineries épigénétiques), ce qui les exposerait davantage à l’action d’ISG20.

ISG20 entraîne un ré-adressage des ARN vers les P-bodies

Une étude de la localisation intracellulaire d’ISG20 révèle une forte co-localisation avec les P-bodies, même si ISG20 est retrouvée à un niveau basal dans la majorité des compartiments cellulaires. Les P-bodies sont des structures cytoplasmiques constituées d’un agrégat de protéines et d’ARN [6]. D’abord caractérisées comme des structures de dégradation des ARN, on les considère de plus en plus comme des lieux de stockage avant reprise de la traduction, ou de dégradation de l’ARN. L’expression d’ISG20 dans une cellule n’augmente pas son nombre de P-bodies. L’observation de la distribution des différents mutants d’ISG20 montre que seules les formes actives sont toujours associées aux P-bodies. Ainsi l’association d’ISG20 aux P-bodies dans le cytoplasme corrèle avec l’inhibition de la traduction. Il est possible que les ARN dont la traduction est bloquée par ISG20 soient ensuite relocalisés vers des P-bodies préexistants. Des études ultérieures seront donc nécessaires pour comprendre la relation épistatique entre ces deux évènements.

ISG20 augmente la survie des souris suite à une infection par le VSV

Les auteurs ont également réalisé des expériences in vivo et ont montré que l’absence d’ISG20 chez la souris diminue drastiquement la survie suite à une infection par le VSV. Cela se traduit notamment par une augmentation de l’infiltration des tissus infectés par les cellules inflammatoires et une sensibilité accrue des macrophages à l’infection virale. Ces résultats confirment le rôle d’ISG20 dans les réponses antivirales via l’activation d’une défense innée, et ouvrent la voie à des études ultérieures pour mieux comprendre les bénéfices potentiels d’une utilisation d’ISG20 comme molécule thérapeutique.

Conclusion

Si l’activité antivirale d’ISG20 a longtemps été associée à son activité RNase, l’étude de Wu et al. permet de proposer de nouvelles pistes. Ainsi, ISG20 inhibe la traduction des ARN du non soi, ce qui pourrait conduire à leur ré-adressage vers un lieu de stockage cytoplasmique, les P-bodies. ISG20 peut cibler aussi bien les ARN viraux suite à une infection que les ARN étrangers produits suite à une transfection, mais se révèle incapable de bloquer l’expression du matériel génétique stable dans la cellule, tels les épisomes. Si la marque précise permettant la reconnaissance par ISG20 du matériel génétique comme du non-soi n’est pas encore connue, il semblerait qu’ISG20 reconnaisse principalement des différences héritées du statut chromatinien de l’ADN transcrit, et donc de modifications co- et post-transcriptionnelles des ARN. Alternativement, si ISG20 reconnaît le changement du niveau d’expression de certains gènes, cette capacité pourrait être une piste prometteuse pour la reconnaissance de cellules tumorales par exemple, qui connaissent souvent des dérégulations du niveau de leur expression génique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

L’ADN est décrit comme étant sous forme chromatinisée lorsqu’il est associé à des structures protéiques appelées nucléosomes.

Références

  1. Wu N, Nguyen XN, Wang L, et al. The interferon stimulated gene 20 protein (ISG20) is an innate defense antiviral factor that discriminates self versus non-self translation. PLoS Pathog 2019 ; 15 : e1008093. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Gongora C, David G, Pintard L, et al. Molecular cloning of a new interferon-induced PML nuclear body-associated protein. J Biol Chem 1997 ; 272 : 19457–19463. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Espert L, Degols G, Gongora C, et al. ISG20, a new interferon-induced RNase specific for single-stranded RNA, defines an alternative antiviral pathway against RNA genomic viruses. J Biol Chem 2003 ; 278 : 16151–16158. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Zhou Z, Wang N, Woodson SE, et al. Antiviral activities of ISG20 in positive-strand RNA virus infections. Virology 2011 ; 409 : 175–188. [CrossRef] [Google Scholar]
  5. Weiss CM, Trobaugh DW, Sun C, et al. The interferon-induced exonuclease ISG20 exerts antiviral activity through upregulation of type i interferon response proteins. mSphere 2018; 3 : e00209–18. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Luo Y, Na Z, Slavoff SA. P-Bodies: Composition, properties, and functions. Biochemistry 2018 ; 57 : 2424–2431. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

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Liste des figures

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Modèle expliquant l’action différentielle opérée par ISG20 entre le soi et le non soi. ISG20 limite la traduction des ARN viraux produits suite à une infection par un virus de type influenza (en bleu). Cette inhibition pourrait être liée à un ré-adressage des ARN reconnus par ISG20 vers les P-bodies. À l’inverse, ISG20 n’altère pas la traduction des ARN issus de la cellule (en vert) ou des ARN viraux mimant le soi (en rouge).

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