Issue
Med Sci (Paris)
Volume 37, Number 11, Novembre 2021
Nos jeunes pousses ont du talent !
Page(s) 1067 - 1070
Section Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2021166
Published online 01 December 2021

© 2021 médecine/sciences – Inserm

La recherche en microbiologie vue par les étudiants de l’ENS de Lyon

Recent advances in microbiology research through the eyes of ENS students

Contact Équipe pédagogique

Chloé Journo (maître de conférences, ENS de Lyon). Responsable de l’UE microbiologie moléculaire et structurale. Équipe oncogenèse rétrovirale, Centre international de recherche en infectiologie, Inserm U1111 - CNRS UMR5308, École normale supérieure de Lyon, Lyon, France

Amélie Joly (doctorante monitrice ENS de Lyon). Équipe génomique fonctionnelle des interactions hôte/bactéries, Institut de génomique fonctionnelle de Lyon, Université de Lyon, École normale supérieure de Lyon, CNRS UMR 5242, Université Claude Bernard Lyon 1, Lyon, France

Contact : chloe.journo@ens-lyon.fr

Série cordonnée par Sophie Sibéril (sophie.siberil@upmc.fr)

 

La rougeole est une maladie d’origine virale causant plus de 100 000 décès par an dans le monde [1]. Bien que l’infection par le virus de la rougeole (VR) se manifeste principalement par une inflammation des muqueuses, elle peut dans certains cas mener à des affections sévères du système nerveux central (SNC). Lors de l’infection, le virus utilise la protéine membranaire SLAM (signaling lymphocyte activation molecule) (CD150) comme récepteur pour pénétrer dans les cellules immunitaires, depuis lesquelles il peut disséminer vers les muqueuses respiratoires et, plus rarement, vers le système nerveux. Les atteintes neurologiques peuvent être létales ou laisser des séquelles conséquentes. Malgré cela, leur dynamique reste peu comprise à ce jour.

Lors d’une infection virale, le système interféron de type I (IFN-I) est l’un des piliers de la réponse immunitaire innée. En particulier, les IFN-I semblent jouer un rôle-clé dans la réponse au VR. En effet, les souris dépourvues de récepteur de l’IFN-I (souris IFNARKO) développent des formes de rougeole plus sévères que des souris contrôles, à la suite de l’infection par le VR.

Dans un article récent, Welsch et ses collègues [2] ont exploré les mécanismes d’action des IFN-I pour lutter contre les infections du SNC par le VR. En ce qui concerne la recherche sur les infections du SNC, plusieurs modèles d’étude sont actuellement disponibles. In vitro, il est possible d’infecter des cellules en culture 2D [3], par exemple des astrocytes ou des neurones dérivés de cellules souches pluripotentes. Cependant, ces cultures ne contiennent qu’un ou quelques types cellulaires, évoluant sur une surface plane. Le cerveau contient des neurones responsables des influx nerveux et des cellules gliales assurant des fonctions de soutien. Parmi les cellules gliales du SNC, on trouve les astrocytes qui protègent les neurones, assurent leur nutrition et maintiennent l’homéostasie du milieu extracellulaire, les oligodendrocytes qui modulent la vitesse des influx nerveux, et les cellules de la microglie qui jouent un rôle immunitaire. La diversité cellulaire et la structure du tissu ne sont donc pas reproduites dans les cultures 2D et les interactions entre cellules n’ont pas lieu dans des conditions physiologiques. Cela est d’autant plus vrai que certaines populations cellulaires étant absentes dans ces cultures, leurs fonctions ne sont donc pas assurées.

Certains modèles animaux, principalement des modèles murins, ont été développés pour des études in vivo. Ainsi, des souris transgéniques exprimant le récepteur SLAM humain de façon ubiquitaire peuvent être utilisées comme modèle animal de l’infection au VR. Toutefois, si la souris est un modèle particulièrement utile et présentant des profils d’expression des gènes dans le cerveau semblables à ceux de l’homme [4], le cerveau n’est accessible, dans la plupart des protocoles, qu’après le sacrifice de la souris. Il n’est donc pas possible de suivre la dynamique de l’infection au fil du temps. Pour pallier ce défaut, Welsch et al. se sont appuyés dans leur étude sur un système de culture 3D de SNC, des cultures organotypiques cérébrales (COC) (Figure 1) [4]. Cette méthode consiste à utiliser des coupes de cerveau d’une épaisseur de 200 à 500 µm déposées sur une membrane de PTFE (polytetrafluoroéthylène) en contact avec du milieu de culture. La membrane en PTFE a été sélectionnée notamment pour son absence d’autofluorescence, permettant de l’utiliser en microscopie à fluorescence sans interférences avec les observations. Les cultures contiennent ainsi plusieurs couches de cellules de tous les types cellulaires du cerveau, préservant l’architecture du tissu et les interactions entre cellules. De plus, les coupes restent accessibles tout au long de l’infection et il est possible de suivre la progression de celle-ci en temps réel à l’aide de marqueurs fluorescents.

thumbnail Figure 1.

Obtention des cultures organotypiques de cerveau. Après le prélèvement du cerveau de la boîte crânienne de la souris, l’hippocampe est extrait lors de la dissection. Des tranches de 200 à 500 µm y sont découpées à l’aide d’un microtome. Ces coupes sont ensuite mises en culture sur une membrane de polytétrafluoroéthylène (PTFE) en contact avec le milieu de culture. Ainsi, une face est en contact indirect avec le milieu tandis que l’autre est en contact avec l’air.

Les cultures organotypiques de cerveau semblent présenter une réaction d’astrogliose suite à la découpe

Dans un premier temps, l’étude a porté sur les COC elles-mêmes et sur l’action des IFN-I lors de leur préparation. La découpe de l’hippocampe est un processus agressif susceptible d’endommager les tissus. En cas de blessure du SNC, les astrocytes peuvent aider à la réparation du tissu par une réaction d’astrogliose. Celle-ci est caractérisée par une inflammation marquée par une hyperactivation des astrocytes accompagnée d’une forte hausse de leur fréquence. Afin de mieux caractériser leur modèle et de distinguer la réponse inflammatoire due à la découpe et celle due à l’infection par le VR, les auteurs ont recherché la présence d’astrogliose dans des COC dérivées de souris contrôles (COC IFNARWT) ou IFNARKO (COC IFNARKO). Ils ont ainsi montré que les cultures développent un phénotype d’astrogliose dans les sept jours suivant la découpe. Les COC IFNARKO présentent une astrogliose plus faible et retardée dans le temps, laissant supposer un rôle des IFN-I dans la mise en place de cette réponse astrocytaire.

Afin d’analyser la réaction d’astrogliose des COC plus en détail, les auteurs ont également réalisé, à partir de lysats de COC, une étude protéomique sur 111 protéines, dont des cytokines, des facteurs de croissance et des marqueurs de l’astrogliose. Ils ont alors constaté que sept jours après la découpe, les COC contrôles présentent une augmentation de l’expression de 84 des protéines étudiées, contre 27 seulement pour les COC IFNARKO. En particulier, une surexpression d’un plus grand nombre de marqueurs de l’astrogliose est observée dans les COC contrôles par rapport aux COC IFNARKO. Ces résultats renforcent donc l’hypothèse d’un rôle des IFN-I dans l’induction de la réponse inflammatoire et d’astrogliose qui fait suite à la découpe des COC, indiquant que cette réponse inflammatoire post-découpe dépendante de l’IFN-I doit être prise en compte dans les expériences pour lesquelles les cultures organotypiques sont infectées avec le VR.

La réponse IFN-I limite la réplication du VR dans les cultures organotypiques d’hippocampe

Afin de déterminer si l’IFN-I a un effet sur l’efficacité de l’invasion du SNC par le VR, les auteurs ont infecté des COC IFNARWT ou IFNARKO, toutes deux provenant de souris transgéniques pour SLAM, à différents temps après leur préparation. Lors de cette expérience, ils ont confirmé que le VR se réplique plus dans les COC IFNARKO que dans les COC IFNARWT. Cela semble indiquer que l’IFN-I permet d’endiguer la progression de l’infection par le VR dans l’hippocampe. De plus, dans le cas d’une infection sept jours après la découpe des COC, la différence n’est que plus grande, potentiellement en raison de la réponse inflammatoire suite à la découpe qui conduirait à une activation supplémentaire de la voie IFN-I.

La réponse IFN-I diminue la permissivité des cellules de la microglie et des astrocytes au virus

Le plus souvent, la réponse IFN est induite par la reconnaissance d’éléments génomiques ou protéiques viraux et aboutit à la production d’interférons, molécules antivirales ayant pour action de protéger les cellules de l’infection et de limiter la propagation du virus [5]. La présence ou l’absence d’une réponse IFN fonctionnelle pourrait donc modifier la permissivité de certains types cellulaires à l’infection. Afin de tester cette hypothèse, la permissivité au virus des différents types cellulaires du SNC, plus précisément de l’hippocampe, a été évaluée pour des COC IFNARWT et IFNARKO, suite à leur infection par le VR. Pour cela, le VR utilisé pour l’infection comporte une protéine fluorescente GFP (Green Fluorescent Protein), permettant de dénombrer les cellules infectées. En couplant cela à des marqueurs spécifiques des populations cellulaires, les auteurs peuvent estimer comment se répartit la population de cellules infectées entre les différents types cellulaires, ainsi que le taux d’infection au sein de chaque type cellulaire.

Dans les COC IFNARWT infectées par le VR le jour de leur mise en culture, 60 % des cellules infectées par le virus sont des neurones (avec 2,8 % de neurones infectés parmi l’ensemble de la population neuronale), ce qui en fait les principales cellules cibles de l’infection. En présence d’une signalisation IFN-I fonctionnelle, les neurones sont donc les cellules les plus permissives au VR. En revanche, en l’absence de signalisation IFN-I fonctionnelle (dans les souris IFNARKO), les astrocytes, mais surtout les cellules de la microglie et les oligodendrocytes deviennent les cellules les plus permissives au VR. La réponse IFN semble donc entraîner une résistance des astrocytes et des cellules de la microglie au VR, et ce, malgré l’expression de la protéine SLAM à leur surface (puisque les auteurs utilisent ici des souris transgéniques pour la protéine SLAM). Le mécanisme conférant cette résistance sélective aux cellules n’est pas encore élucidé.

Conclusion

Une infection cérébrale par le virus de la rougeole peut avoir des conséquences neurologiques mortelles, mais les mécanismes contrôlant la propagation du virus au sein du système nerveux central restent encore mal compris. Les résultats des différentes expériences menées sur les cultures organotypiques cérébrales de souris permettent de mieux caractériser le rôle de la voie IFN-I lors d’une infection par le VR.

Tout d’abord, cette étude utilise des COC de souris pour modèle et met en évidence la présence d’une importante réaction d’astrogliose en présence de la signalisation IFN-I, lors de la simple préparation des COC. Dans l’hippocampe, cette astrogliose est caractérisée par une augmentation de l’expression de cytokines, non observée en l’absence d’IFNAR. Ensuite, ces travaux démontrent une propagation plus importante du virus en l’absence de signalisation IFN-I. Cette observation concorde avec les précédentes études concernant la voie IFN, décrite comme jouant un rôle primordial dans la réponse immunitaire innée antivirale [5]. Dans cette étude, en présence d’IFNAR, et donc d’une signalisation IFN-I efficace, une permissivité différentielle des différents types cellulaires du SNC au virus est observée : les neurones sont très permissifs, tandis que les astrocytes et les cellules de la microglie sont faiblement permissifs. La microglie constitue une population de cellules gliales à activité phagocytaire, connue comme formant la principale défense immunitaire du système nerveux central. Les astrocytes, quant à eux, jouent un rôle important dans le maintien et la protection des neurones, mais aussi dans la défense immunitaire et la réparation du système nerveux central après lésion [6] ().

(→) Voir la Synthèse de E. Audinat et I. Arnoux, m/s n° 2, février 2014, page 153

Le rôle de ces deux types cellulaires dans le maintien de l’intégrité du système nerveux central est intéressant à considérer au regard de leur faible permissivité à l’infection.

Le modèle des coupes organotypiques présente de nombreux avantages, en particulier celui de permettre la mise en culture d’un tissu tout en conservant son organisation tridimensionnelle et la même composition cellulaire dans chaque tranche. Ces travaux de caractérisation de ce système expérimental pourraient donc servir de base pour de futures études concernant l’impact de la réponse IFN-I et de l’astrogliose sur l’infection cérébrale par d’autres virus neurotropes. Cependant, bien que plus proche d’un modèle in vivo qu’une culture cellulaire simple, la procédure de coupe affecte l’intégrité du tissu, comme observé avec la réaction d’astrogliose, ce qui peut interférer avec les expériences réalisées [7]. Davantage d’études seraient donc nécessaires afin de confirmer ces observations. Des expériences sur des organoïdes de cerveau pourraient par exemple être envisagées afin de se rapprocher des conditions in vivo et pouvoir élargir l’étude à d’autres structures cérébrales.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Moss WJ. Measles. Lancet 2017 ; 390 : 2490–2502. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  2. Welsch JC, Charvet B, Dussurgey S, et al. Type I interferon receptor signaling drives selective permissiveness of astrocytes and microglia to measles virus during brain infection. J Virol 2019 ; 93 : e00618–e00619. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  3. Dahm T, Rudolph H, Schwerk, et al. Neuroinvasion and inflammation in viral central nervous system infections. Mediators Inflamm 2016 ; 2016 : 8562805. [CrossRef] [Google Scholar]
  4. Dando SJ, Mackay-Sim A, Norton R, et al. Pathogens penetrating the central nervous system: infection pathways and the cellular and molecular mechanisms of invasion. Clin Microbiol Rev 2014 ; 27 : 691–726. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Sallard E. Les interférons de type I et III : des effecteurs de l’immunité innée antivirale. Planet-Vie. https://planet-vie.ens.fr/thematiques/animaux/systeme-immunitaire/les-interferons-de-type-i-et-iii-des-effecteurs-de-l. [Google Scholar]
  6. Audinat E, Arnoux I. La microglie : des cellules immunitaires qui sculptent et contrôlent les synapses neuronales. Med Sci (Paris) 2014 ; 30 : 153–159. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Humpel C. Organotypic brain slice cultures: a review. Neuroscience 2015 ; 305 : 86–98. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Obtention des cultures organotypiques de cerveau. Après le prélèvement du cerveau de la boîte crânienne de la souris, l’hippocampe est extrait lors de la dissection. Des tranches de 200 à 500 µm y sont découpées à l’aide d’un microtome. Ces coupes sont ensuite mises en culture sur une membrane de polytétrafluoroéthylène (PTFE) en contact avec le milieu de culture. Ainsi, une face est en contact indirect avec le milieu tandis que l’autre est en contact avec l’air.

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