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Med Sci (Paris)
Volume 33, Number 8-9, Août–Septembre 2017
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Page(s) | 801 - 804 | |
Section | Forum | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/20173308028 | |
Published online | 18 September 2017 |
Séquençage d’ADN : l’offensive des nanopores
Chroniques génomiques
Nanopore DNA sequencing becomes a reality
UMR 7268 ADÉS, Aix-Marseille, Université/EFS/CNRS, Espace éthique méditerranéen, hôpital d’adultes la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille Cedex 05, France ;
CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 09, France
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bertrand.jordan@univ-amu.fr
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brjordan@orange.fr
Abstract
A practical DNA sequencer based on nanopores has now demonstrated interesting performance and may be on the way to capturing a significant slice of the sequencing market while opening up new application fields thanks to its portability and low capital cost.
© 2017 médecine/sciences – Inserm
L’idée de séquencer des molécules d’ADN en leur faisant traverser des nanopores est apparue dès les années 1990, et la première démonstration de faisabilité (alors encore très préliminaire) a été publiée en 1996 [1]. De nombreux laboratoires travaillent à caractériser différents nanopores biologiques1 (alpha-HL [alpha-hémolysine], MspA [Mycobacterium smegmatis porine A]), ou à mettre au point des pores dits solid state dans des membranes de silicium ou de carbone (voir [2] pour une revue récente). Plusieurs entreprises se sont intéressées au développement de systèmes de séquençage (notamment IBM, Illumina, Roche, etc.) mais un seul acteur, la firme britannique Oxford Nanopore Technologies (ONT) en est arrivée, aujourd’hui, au stade de la commercialisation. Fondée en 2005, l’entreprise a annoncé son premier produit, le MinIon, en 2012 [3] et a réellement débuté sa commercialisation (en mode early access 2) en 2014. Cet appareil occupe une place à part dans le monde des séquenceurs par ses dimensions (la taille d’une grosse clef USB) et son coût (500 euros, ou moins) ; il a fait la preuve de performances assez convaincantes, et l’on peut penser qu’avec ses successeurs il va réellement changer le paysage du séquençage de nouvelle génération. Cette chronique va donc présenter le MinIon, ses spécificités, ses points forts et ses faiblesses ainsi que les évolutions prévues et leur place dans ce marché très mobile.
Un véritable mini-séquenceur
Le MinIon se présente comme une sorte de grosse clef USB (Figure 1) destinée à être branchée sur un ordinateur qui va l’alimenter en électricité et effectuer les calculs nécessaires pour interpréter les signaux en termes de séquence de bases.
Figure 1. Le séquenceur MinIon. La membrane portant les 512 pores se situe à droite de l'appareil, la micropipette est en train de charger la solution d'ADN à séquencer (200 μl). Longueur environ 10 cm, poids 90 g (site ONT). |
La membrane porte 512 nanopores biologiques (leur nature exacte évolue au fil des mises au point et est confidentielle) ; la solution contenant l’ADN à séquencer (une petite fraction de microgramme) est déposée et conduite sur la membrane. Les circuits électroniques contenus dans l’appareil gèrent l’application d’une différence de potentiel entre les deux côtés de la membrane, laquelle entraîne les molécules d’ADN à travers les nanopores. Au niveau de chaque nanopore, les variations de courant dues au passage de l’ADN sont relevées, mises en forme et transmises à l’ordinateur qui les interprète en termes de séquence des bases le long de l’ADN3. L’appareil est à usage unique (on le charge une seule fois), la session dure de 48 à 72 heures et produit plusieurs gigabases (Gb, 109 bases) de séquence brute. Point intéressant, les séquences lues sont très longues, plusieurs dizaines de kilobases (Kb), le record actuel étant de 882 Kb ! Elles ne sont en fait limitées que par la taille de l’ADN employé.
Le point faible du MinIon est son taux d’erreurs, qui est actuellement de l’ordre de 5 % pour une seule lecture (séquence « brute »). Ceci est directement lié au mode de lecture, qui ne procède pas base par base comme on pourrait l’imaginer. En effet les pores biologiques actuellement utilisés ont une dimension telle que la longueur d’ADN présente à l’intérieur du pore correspond à cinq ou six bases : le signal observé est donc caractéristique d’une suite de bases et non d’une seule d’entre elles. La lecture se fait par comparaison informatique entre le courant observé et des courants de référence établis pour tous les hexamères possibles. Cela entraîne diverses difficultés et notamment l’impossibilité de déchiffrer correctement de longs homopolymères (comme GGGGGGGGGGG, G étant une guanine). Ces problèmes sont en partie résolus grâce à la redondance des lectures ainsi qu’à des astuces techniques permettant de séquencer successivement les deux brins d’un ADN bicaténaire et d’améliorer ainsi la qualité du résultat. À plus long terme, l’amélioration des pores et des procédés informatiques devraient permettre de progresser – en attendant la mise au point de pores non biologiques (trous microscopiques dans une membrane de graphène ?) qui, grâce à leurs dimensions réduites, pourraient autoriser une réelle lecture base par base.
Des applications déjà nombreuses
Après des débuts qui furent souvent difficiles entre les mains des premiers utilisateurs, le MinIon a fait la preuve de ses capacités. À titre de banc d’essai, la séquence de l’ADN d’Escherichia coli a pu être ainsi assemblée à partir des seules données de cet appareil et avec un taux d’erreur de 0,5 % [4] ; des analyses métagénomiques ont pu être effectuées très rapidement, à partir d’échantillons d’urine [5]. Plus spectaculaire, l’emploi du MinIon sur le terrain a permis de caractériser les souches du virus Ébola lors de la récente épidémie en Afrique, en 2015, et ainsi de révéler les voies de propagation de l’agent pathogène [6, 7]. Au cours de ces travaux, 142 échantillons ont pu être séquencés en local, avec des résultats obtenus en quelques heures. La plus grosse difficulté technique était la connexion par internet au Cloud, nécessaire à l’époque pour l’interprétation des signaux en termes de séquence de bases… Plus récemment, l’emploi du MinIon a été rapporté pour séquencer des communautés microbiennes sur le terrain, en Antarctique [8]. Notons que, dans ces applications cliniques, il est possible d’obtenir des résultats très rapidement, parfois en moins d’une demi-heure, la lecture se faisant en temps réel et sans nécessairement interrompre l’expérience. Dans ces applications qui visent la détection et l’identification de souches virales ou bactériennes, la facilité de mise en œuvre et la rapidité du système de nanopores sont des avantages déterminants, et le taux d’erreurs relativement élevé n’est généralement pas trop gênant.
Un travail qui s’apparente à un exercice de style a été récemment rapporté dans le serveur de preprints bioRxiv4 [9] : il s’agit d’une tentative de séquençage d’un génome humain (utilisant une lignée cellulaire de référence déjà séquencée). Ce travail, qui a directement utilisé l’ADN extrait de la lignée, sans amplification, a nécessité l’emploi de 39 MinIon qui ont fourni au total 91 gigabases de séquence (soit une couverture de 30X environ) ; la taille moyenne des lectures était de 10 kb, mais (avec des précautions spéciales pour la préparation d’ADN) des lectures très longues allant jusqu’à 882 kb ont été obtenues. Ces séquences ont pu être assemblées, sans faire appel aux données de référence, en moins de 3 000 contigs5, ce qui est déjà très bien pour le séquençage de novo d’un aussi grand génome. La comparaison avec la séquence de référence a montré que 90 % des polymorphismes (SNP, single nucleotide polymorphism) connus dans cette lignée étaient correctement détectés. On voit ainsi que la perspective d’utiliser le séquençage par nanopores pour caractériser un ADN humain par rapport à la séquence de référence n’est pas totalement chimérique – même si le coût de 39 MinIon reste prohibitif.
Des améliorations continuent à être apportées tant à l’appareil et au cœur de la technologie (nouveaux pores) qu’en amont (préparation de l’ADN) et en aval (analyse et interprétation des signaux). Entre les mains d’utilisateurs avertis, un MinIon peut maintenant fournir plus de 10 Gb de séquences, tandis qu’ONT revendique 20 Gb dans son laboratoire ; le séquençage direct de l’ARN ainsi que la détection de bases modifiées ont déjà été démontrés [10]. L’absence de barrière d’accès due au faible coût du MinIon6 favorise sa diffusion (plus de 4 000 exemplaires ont déjà été vendus) et encourage des expérimentations susceptibles de lui ouvrir de nouveaux domaines d’application.
Des évolutions en cours
ONT a annoncé depuis plus de deux ans une machine « haut de gamme », le PromethIon, qui doit regrouper 48 cellules (comportant chacune 3 000 nanopores et non plus 512) et avoir un débit total de plusieurs milliers de gigabases par session – dans la même catégorie que les plus grosses machines existantes. Seul ennui, le PromethIon est très en retard, quelques appareils ont été livrés à des utilisateurs-testeurs, mais les cellules ne sont toujours pas arrivées. Plus récemment, ONT a annoncé le lancement d’un système intermédiaire, le GridIon, qui doit fonctionner avec cinq cellules MinIon et contenir l’informatique nécessaire au décodage des bases. Cette dernière machine est déjà en vente (environ 100 000 euros), mais ses avantages par rapport à l’emploi de cinq MinIons en parallèle sont discutables. Plus intéressant peut-être, l’entreprise développe aussi un système encore plus portable, le SmidgIon, qui comporterait 128 nanopores et serait destiné à être branché sur un téléphone portable (Figure 2).
Figure 2. Le SmidgIon. Dernier séquenceur de Oxford Nanopore Technology, destiné à fonctionner avec un téléphone portable (site ONT). |
Le concept est séduisant dans la perspective d’une généralisation du séquençage clinique au chevet du malade (dit POC, point of care), reste à voir s’il sera effectivement commercialisé et quelles seront ses performances. On peut se demander notamment si l’ordinateur contenu dans un smartphone sera suffisamment puissant pour effectuer la complexe analyse du signal – et, plus prosaïquement, combien de temps la batterie pourra assurer le fonctionnement d’un accessoire gourmand en énergie.
Il est clair en tous cas que ONT a de grandes ambitions et, qu’après une longue période de mise au point, d’importants investissements (plus de 350 millions de livres Sterling depuis 2005) et quelques annonces prématurées (notamment en ce qui concerne le PromethIon), l’entreprise dispose aujourd’hui d’un produit stable, le MinIon. Celui-ci présente des caractéristiques intéressantes (lecture longue, simplicité d’emploi, portabilité, absence d’investissement) qui lui donnent un net avantage dans certaines applications malgré la qualité perfectible de la séquence obtenue. Le paysage actuel du séquençage de nouvelle génération est marqué par la domination de l’entreprise Illumina, dont la technologie est déclinée en toute une gamme de machines et qui fournit des séquences courtes (150 bases) mais de bonne qualité et à un coût qui a fait du « génome à 1 000 dollars » une réalité7. Ses concurrents « historiques » ont disparu (454, Solid) ou sont en perte de vitesse (Ion Torrent). Une firme, Pacific Biosciences, reste dans la course grâce à un procédé qui autorise des lectures longues (plusieurs kilobases) avec un taux d’erreurs relativement faible, mais moyennant des coûts d’investissement et de fonctionnement élevés. Oxford Nanopore Technology apparaît donc comme un possible concurrent sérieux d’Illumina. L’entreprise a une niche évidente dans les applications où la facilité de mise en œuvre (portabilité) et l’absence d’investissement sont déterminantes. Elle peut aussi, comme Pacific Biosciences, être complémentaire d’Illumina dans des projets de séquençage de novo où le gros des données est fourni par le séquençage de petits fragments, mais où l’organisation générale du génome étudié repose sur l’obtention de longues séquences. On peut enfin imaginer que des progrès au niveau de la nature et de la structure des pores permettent à l’avenir une véritable lecture base par base, qui autoriserait sans doute une baisse spectaculaire du taux d’erreurs et mettrait alors ONT en concurrence directe avec Illumina. Quoi qu’il en soit, on commence à percevoir une évolution sensible des technologies de séquençage à grande échelle, qui pourrait aboutir à une accessibilité fortement accrue et sans doute à des applications cliniques encore insoupçonnées.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Un nanopore est un pore de diamètre compris entre 1 et 100 nm. Il peut être constitué par une protéine transmembranaire (un canal ionique) ou correspondre à un trou dans un matériau (une membrane en polymère par exemple). Le diamètre du pore peut être ajusté pour correspondre aux dimensions d’une molécule biologique donnée. Quand la molécule traverse le pore, elle modifie ses propriétés électriques.
Un kit de démarrage comprenant un MinIon plus un ensemble de réactifs et d’accessoires est proposé pour 1 000 £, mais le prix d’un MinIon seul est nettement plus bas et varie en fonction des quantités commandées. En tout état de cause, cela n’a rien à voir avec le coût des séquenceurs concurrents (au moins 100 000 €).
Références
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Liste des figures
Figure 1. Le séquenceur MinIon. La membrane portant les 512 pores se situe à droite de l'appareil, la micropipette est en train de charger la solution d'ADN à séquencer (200 μl). Longueur environ 10 cm, poids 90 g (site ONT). |
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Figure 2. Le SmidgIon. Dernier séquenceur de Oxford Nanopore Technology, destiné à fonctionner avec un téléphone portable (site ONT). |
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