Free Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 20, Number 11, Novembre 2004
Page(s) 962 - 964
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/20042011962
Published online 15 November 2004

Le syndrome Paris-Trousseau (PTS), également connu sous le nom de syndrome de Jacobsen, est un désordre congénital associant des anomalies telles qu’un retard mental modéré et un retard de croissance postnatale, une cardiopathie, une dysmorphie faciale avec hypertélorisme et trigonocéphalie [1]. Il est accompagné d’une dysmégacaryopoïèse et d’une thrombopénie avec un nombre élevé dans la moelle osseuse de mégacaryocytes (MK) de petite taille (microMK), fréquemment apoptotiques, et la présence dans le sang périphérique de plaquettes contenant des granules α géants incapables de libérer leur contenu lors de l’activation par la thrombine [2]. Une délétion de la partie terminale du bras long du chromosome 11 avec un point de cassure en 11q23.3-24 est toujours présente chez les malades. Deux facteurs de transcription apparentés, Ets1 et Fli1, capables de transactiver de nombreux gènes mégacaryocytaires (GPIIb, c-mpl, PF4, GPIX, GPIb-α), sont localisés dans la région délétée. Leur délétion pouvait donc être considérée comme potentiellement responsable de la thrombopénie [3, 4]. De ces deux facteurs de transcription, Fli1 présente un intérêt particulier : les souris homozygotes Fli1−/− présentent un nombre élevé de microMK immatures synthétisant des granules α anormaux. La désorganisation des membranes de démarcation des plaquettes est également un point commun entre les malades Paris-Trousseau et les souris Fli1−/− [3, 5]. En revanche, Ets1 ne semble pas essentiel pour la mégacaryopoïèse, puisque les souris Ets1−/− ont une différenciation mégacaryocytaire normale alors que d’autres défauts hématopoïétiques, essentiellement sur les lignées lymphoïdes, sont présents [6]. Confirmant un rôle prédominant de Fli1 dans les MK, nous avons démontré que son expression y est environ 100 fois plus élevée que celle de Ets1 [7]. L’ensemble de ces données suggère que la délétion hémizygote de Fli1, et non celle de Ets1, est responsable de la thrombopénie chez les malades présentant un syndrome Paris-Trousseau. À l’appui de cette hypothèse, nous avons mis en évidence, in vitro, que le transfert d’ADNc de Fli1 dans les progéniteurs hématopoïétiques (CD34+) des malades restaure, au moins partiellement, la maturation des MK [7].

Quel est le mécanisme de l’haplo-insuffisance de Fli1 chez les malades atteints du syndrome Paris-Trousseau ?

La présence de deux sous-populations distinctes de MK dans la moelle osseuse des malades, l’une composée de MK normaux et l’autre de microMK, nous a conduits à nous demander pourquoi une seule copie de Fli1 suffit pour permettre la maturation de la première sous-population, mais pas de la seconde ? Il apparaissait vraisemblable que ces deux sous-populations expriment différemment l’allèle restant de Fli, cette expression atteignant un niveau suffisant dans les MK normaux, mais demeurant trop faible, ou nulle, dans les microMK. Afin de vérifier cette hypothèse, nous avons cherché à examiner s’il existait deux sous-populations, du point de vue de l’expression de Fli1, parmi les MK des malades. La technique de RT-PCR à l’échelon unicellulaire a montré qu’il existe effectivement deux fractions distinctes de MK au sein de la population CD41+CD42 des malades, l’une exprimant l’ARNm Fli1, et l’autre non. En revanche, comme attendu, chez les sujets normaux, ayant les deux allèles de Fli1, tous les MK CD41+CD42 expriment l’ARNm Fli1.

Il restait à expliquer cette hétérogénéité dans l’expression de Fli1 parmi les MK des malades. Pour y parvenir, nous avons suivi l’expression allélique de Fli1 par la méthode de FISH-ARN au cours de la mégacaryopoïèse normale et avons détecté, au sein des MK diploïdes, une phase pendant laquelle l’expression de Fli1 est monoallélique, correspondant au stade CD41+CD42 (Figure 1). On peut donc imaginer que l’expression mono-allélique de Fli1 pendant une courte période de la mégacaryopoïèse entraîne, chez les malades, la genèse de deux sous-populations de MK : l’une n’exprime pas Fli1 et est, par conséquent, incapable de se différencier ; l’autre, exprimant Fli1 à partir de l’allèle conservé, poursuit sa maturation aboutissant à une plaquettogenèse normale (Figure 2). Ainsi la thrombopénie modérée des malades atteints d’un syndrome Paris-Trousseau reflèterait la co-existence de ces deux sous-populations de MK [7].

thumbnail Figure 1.

Expression allélique de Fli1 au cours de la différenciation mégacaryocytaire. Les cellules CD34+ isolées à partir de la cytaphérèse des sujets normaux ont été cultivées en présence de la thrombopoïétine pendant 6 jours. Les cellules ont été triées selon les marqueurs de différenciation des mégacaryocytes (CD34, CD41, CD42). L’ARN nucléaire de Fli1 (en vert) et le chromosome 12 (en rouge) sont détectés par la méthode de FISH-ARN couplée à FISH-ADN. Le nombre de spots verts indique le nombre d’allèles de File transcrits. Le niveau de ploïdie indiquant le nombre de copies de Fli1 dans la même cellule est déterminé par le nombre de spots rouges. La chromatine est marquée par le DAPI (bleu). L’analyse statistique de l’expression mono-/bi-allélique de Fli1 dans les MK (mégacaryocytes) diploïdes au cours de leur différenciation montre qu’environ 70% des cellules CD34+CD41+CD42 expriment un seul allèle de Fli1 alors que le même pourcentage de cellules CD34+CD41+CD42+ expriment les deux allèles de Fli1, démontrant une commutation de l’expression de mono- à bi-allélique de Fli1 au cours de la maturation des MK.

thumbnail Figure 2.

Différentes étapes de la mégacaryopoïèse normale (1) et de celle des malades atteints du syndrome Paris-Trousseau (PTS) (2). Au cours de la mégacaryopoïèse, les progéniteurs des mégacaryocytes (MK) acquièrent différents marqueurs de surface (CD41, CD42…), les MK matures deviennent ensuite polyploïdes et, au stade terminal, donnent lieu à la formation de proplaquettes. Dans le modèle que nous proposons, le gène codant pour le facteur de transcription Fli1, nécessaire à la transactivation de CD42, est exprimé de façon mono-allélique au stade CD41+CD42 et son expression redevient bi-allélique au moment de l’apparition du CD42. Chez les malades atteints du syndrome de Paris-Trousseau, deux situations peuvent se produire au stade de l’expression mono-allélique de Fli1 : l’une pour laquelle l’allèle conservé de Fli1 est exprimé, permettant à la cellule de poursuivre une maturation correcte (A), et l’autre pour laquelle l’allèle conservé de Fli1 sera éteint de façon transitoire, ce qui perturbera la différenciation et entraînera la cellule vers la lyse (B). La co-existence des MK avec et sans expression de Fli1 pourrait expliquer la genèse de deux sous-populations de MK et la thrombopénie (modérée) liée au PTS.

L’expression mono-allélique d’un gène est souvent liée à l’empreinte génomique au cours de l’embryogenèse [8] ou à l’exclusion allélique comme, par exemple, dans le cas des immunoglobulines [9], de certaines cytokines [10] ou des récepteurs olfactifs [11]. Dans le cas du syndrome Paris-Trousseau, la délétion en 11q23.3 concerne aussi bien l’allèle maternel que paternel [12], ce qui exclut que Fli1 soit soumis à l’inactivation d’un allèle par empreinte génomique [8]. Deux autres mécanismes peuvent dès lors expliquer cette expression monoallélique : (1) l’expression de Fli1 s’éteint sur un des deux allèles (chez les sujets normaux) de façon stochastique au stade CD42 de maturation des MK menant à leur ségrégation en deux sous-populations chez les malades selon le « choix » de l’allèle éteint. Cette extinction est réversible puisque, au stade suivant de différenciation (CD42+)`l’expressionde Fli1 redevient est en réalité le reflet d’une expression intermittente et asynchrone des deux allèles de sorte qu’un seul allèle (pas forcement le même) est exprimé à un instant donné. En effet, pour d’autres gènes, la transcription apparaît comme un processus discontinu au niveau d’un seul allèle [13, 14]. La perte d’un allèle de Fli1 pourrait ainsi également conduire à l’interruption complète, mais transitoire, de l’expression dei dans les MK CD41+CD42 mimant (transitoirement) une délétion homozygote du gène. Nos résultats montrent donc, confirmant une hypothèse formulée à partir de modèles mathématiques [15], que l’expression transitoirement mono-allélique d’un gène essentiel pour la différenciation, quel qu’en soit le mécanisme, pourrait être à l’origine de maladies associées à une haplo-insuffisance.

Références

  1. Favier R, Douay L, Esteva B, et al. A novel genetic thrombocytopenia (Paris-Trousseau) associated with platelet inclusions, dysmegakaryopoiesis and chromosome deletion at 11q23. CR Acad Sci Paris Ser III 1993; 316 : 698–701. [Google Scholar]
  2. Breton-Gorius J, Favier R, Guichard J, et al. A new congenital dysmegakaryopoietic thrombocytopenia (Paris-Trousseau) associated with giant platelet alpha-granules and chromosome 11 deletion at 11q23. Blood 1995; 85 : 1805–14. [Google Scholar]
  3. Hart A, Melet F, Grossfeld P, et al. Fli-1 is required for murine vascular and megakaryocytic development and is hemizygously deleted in patients with thrombocytopenia. Immunity 2000; 13 : 167–77. [Google Scholar]
  4. Shivdasani RA. Molecular and transcriptional regulation of megakaryocyte differentiation. Stem Cells 2001; 19 : 397–407. [Google Scholar]
  5. Spyropoulos DD, Pharr PN, Lavenburg KR, et al. Hemorrhage, impaired hematopoiesis, and lethality in mouse embryos carrying a targeted disruption of the Fli1 transcription factor. Mol Cell Biol 2000; 20 : 5643–52. [Google Scholar]
  6. Bartel FO, Higuchi T, Spyropoulos DD. Mouse models in the study of the Ets family of transcription factors. Oncogene 2000; 19 : 6443–54. [Google Scholar]
  7. Raslova H, Komura E, Le Couédic JP, et al. Fli1 monoallelic expression combined with its hemizygous loss underlies Paris-Trousseau/Jacobsen thrombopenia. J Clin Invest 2004; 114 : 77–84. [Google Scholar]
  8. Hanel ML, Wevrick R. The role of genomic imprinting in human developmental disorders : lessons from Prader-Willi syndrome. Clin Genet 2001; 59 : 156–64. [Google Scholar]
  9. Schlissel M. Allelic exclusion of immunoglobulin gene rearrangement and expression : why and how ? Semin Immunol 2002; 14 : 207–12. [Google Scholar]
  10. Bix M, Locksley RM. Independent and epigenetic regulation of the interleukin-4 alleles in CD4+ T cells. Science 1998; 281 : 1352–4. [Google Scholar]
  11. Chess A, Simon I, Cedar H, Axel R. Allelic inactivation regulates olfactory receptor gene expression. Cell 1994; 78 : 823–34. [Google Scholar]
  12. Penny LA, Dell’Aquila M, Jones MC, et al. Clinical and molecular characterization of patients with distal 11q deletions. Am J Hum Genet 1995; 56 : 676–83. [Google Scholar]
  13. Elowitz MB, Levine AJ, Siggia ED, Swain PS. Stochastic gene expression in a single cell. Science 2002; 297 : 1183–6. [Google Scholar]
  14. Newlands S, Levitt LK, Robinson CS, et al. Transcription occurs in pulses in muscle fibers. Genes Dev 1998; 12 : 2748–58. [Google Scholar]
  15. Cook DL, Gerber AN, Tapscott SJ. Modeling stochastic gene expression : implication for haploinsufficiency. Proc Natl Acad Sci USA 1998; 95 : 15641–64. [Google Scholar]

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Liste des figures

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Expression allélique de Fli1 au cours de la différenciation mégacaryocytaire. Les cellules CD34+ isolées à partir de la cytaphérèse des sujets normaux ont été cultivées en présence de la thrombopoïétine pendant 6 jours. Les cellules ont été triées selon les marqueurs de différenciation des mégacaryocytes (CD34, CD41, CD42). L’ARN nucléaire de Fli1 (en vert) et le chromosome 12 (en rouge) sont détectés par la méthode de FISH-ARN couplée à FISH-ADN. Le nombre de spots verts indique le nombre d’allèles de File transcrits. Le niveau de ploïdie indiquant le nombre de copies de Fli1 dans la même cellule est déterminé par le nombre de spots rouges. La chromatine est marquée par le DAPI (bleu). L’analyse statistique de l’expression mono-/bi-allélique de Fli1 dans les MK (mégacaryocytes) diploïdes au cours de leur différenciation montre qu’environ 70% des cellules CD34+CD41+CD42 expriment un seul allèle de Fli1 alors que le même pourcentage de cellules CD34+CD41+CD42+ expriment les deux allèles de Fli1, démontrant une commutation de l’expression de mono- à bi-allélique de Fli1 au cours de la maturation des MK.

Dans le texte
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Différentes étapes de la mégacaryopoïèse normale (1) et de celle des malades atteints du syndrome Paris-Trousseau (PTS) (2). Au cours de la mégacaryopoïèse, les progéniteurs des mégacaryocytes (MK) acquièrent différents marqueurs de surface (CD41, CD42…), les MK matures deviennent ensuite polyploïdes et, au stade terminal, donnent lieu à la formation de proplaquettes. Dans le modèle que nous proposons, le gène codant pour le facteur de transcription Fli1, nécessaire à la transactivation de CD42, est exprimé de façon mono-allélique au stade CD41+CD42 et son expression redevient bi-allélique au moment de l’apparition du CD42. Chez les malades atteints du syndrome de Paris-Trousseau, deux situations peuvent se produire au stade de l’expression mono-allélique de Fli1 : l’une pour laquelle l’allèle conservé de Fli1 est exprimé, permettant à la cellule de poursuivre une maturation correcte (A), et l’autre pour laquelle l’allèle conservé de Fli1 sera éteint de façon transitoire, ce qui perturbera la différenciation et entraînera la cellule vers la lyse (B). La co-existence des MK avec et sans expression de Fli1 pourrait expliquer la genèse de deux sous-populations de MK et la thrombopénie (modérée) liée au PTS.

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