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Med Sci (Paris)
Volume 17, Number 11, Novembre 2001
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Page(s) | 1224 - 1225 | |
Section | Nouvelles | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/200117111224 | |
Published online | 15 November 2001 |
Le transport d’eau secondairement actif : mythe ou réalité ?
Groupe de recherche en transport membra-naire, Département de physique, Univer-sité de Montréal, CP 6128, Succursale Cente-Ville, Montréal, Québec, H3C 3J7, Canada
Une des fonctions essentielles de la membrane plasmique est d’assurer l’intégrité du contenu cellulaire à l’égard du milieu ambiant. Ainsi, de nombreux systèmes de transport membranaires contrôlent le transfert de solutés ioniques comme nonioniques en utilisant des modes de transport actif (primaire et secondaire) ou passif (diffusion facilitée). De tels systèmes sont aussi utilisés pour assurer le passage du solvant : l’eau. Ce sont les aquaporines [1] qui, au niveau de la membrane plasmique, facilitent ces flux d’eau, un phénomène tout à fait passif qui permet à la cellule d’être constamment en équilibre osmotique avec son milieu. Ce concept de l’équilibre osmotique, qui est maintenant séculaire, a récemment été remis en question par la description d’un cotransporteur Na+/glucose qui aurait la capacité de pomper de l’eau de façon secondairement active [2]. Plusieurs travaux publiés depuis témoignent en effet de ce phénomène inattendu lors duquel le transport d’une molécule de glucose et de 2 ions Na+ serait accompagné du transport d’environ 230 molécules d’eau [3-5]. Le cotransport Na+/glucose a même été décrit comme étant une véritable « pompe à eau » [6, 7] capable de transporter l’eau contre un gradient d’osmolarité [6].
Le modèle d’étude utilisé pour ces travaux consiste à exprimer en grande quantité ce cotransporteur Na+/glucose dans des ovocytes de grenouille (X. laevis) et d’y observer les variations de volume avec une précision atteignant 0,03 %. Le principal argument en faveur de l’existence d’un transport couplé d’eau était qu’on observait un gonflement rapide de l’ovocyte, immédiatement après l’activation du transport Na+/glucose. Selon les auteurs, ce délai, de 10 à 20 secondes, était trop court pour que l’accumulation d’osmolytes transportés puisse induire un gradient osmotique permettant d’entraîner l’eau de façon passive [3, 4]. La conclusion était qu’il ne pouvait s’agir que d’un couplage fonctionnel entre le transport de Na+, de glucose et d’eau. Cette hypothèse se trouvait encore renforcée par la démonstration qu’un flux cationique entrant, produit par un ionophore comme la gramicidine, n’entraînait un flux d’eau significatif d’eau qu’après 30 à 60 secondes [4, 6].
Si cette hypothèse d’un transport d’eau secondairement actif demeure controversée, il semble en revanche acquis que le cotransporteur Na+/glucose présente une perméabilité passive à l’eau. En effet, la simple présence du cotransporteur double la perméabilité à l’eau de l’ovocyte et cette augmentation peut être bloquée de façon spécifique par l’inhibiteur classique de ce tranporteur, la phlori-zine. La problématique du transport d’eau par le cotransporteur Na+/glucose n’est donc pas de savoir si l’eau peut passer par ce transporteur mais bien d’identifier la nature de la force motrice. S’agit-il réellement d’un couplage cinétique (transport secondairement actif) entre le transport de Na+ (et de glucose) et celui de l’eau ou bien le cotransport de Na+ et de glucose peut-il en fait provoquer une accumulation rapide et significative d’osmolytes dans la région qui borde le côté cytosolique de la membrane, entraînant un flux passif d’eau par simple effet osmotique ?
Pour répondre à cette question, nous avons aussi utilisé le modèle de surexpression du cotranporteur dans les ovocytes, qui sont ensuite soumis à des conditions provoquant des variations de leur volume, par choc osmotique ou par induction du transport [8], en y évaluant les modifications de gradient osmotique ainsi que l’existence d’un éventuel transport d’eau associé. Les résultats obtenus ont permis de démontrer que l’entrée dans l’ovocyte de sodium et de glucose par le cotransporteur provoque un gradient de substrat à la membrane plasmique, qui implique du même coup une entrée d’eau en vertu des lois préétablies de l’osmose. Quand on ajoute du glucose dans le milieu extérieur, on observe dans la première minute un gonflement de l’ovocyte. On peut facilement calculer que le flux entrant d’eau, soit 240 molécules d’eau par molécule de glucose transportée, correspond exactement à l’amplitude attendue dans le cas d’un couplage cinétique entre l’entrée de Na+/glucose et l’entrée d’eau. On sait que l’activité du cotransport Na+/glucose – qui est électrogénique – dépend du potentiel membranaire. Il est donc possible, dans un contexte expérimental de voltage imposé, de modifier très rapidement ce potentiel et donc l’activité du transporteur. Ainsi, une dépolarisation rapide de la membrane (de – 100 à 0 mV en 10 ms) entraîne une réduction majeure, de 94 %, de l’activité du cotransport Na+/glucose, tandis que le taux de gonflement (Jv) de l’ovocyte n’est diminué que de 25 %. Le transport d’eau est donc clairement dissocié de celui du Na+ et du glucose. Ceci est incompatible avec l’hypothèse d’un transport d’eau secondairement actif qui devrait être simultané à celui du Na+ et du glucose. Dans un deuxième temps, nous avons développé un modèle mathé-matique permettant de simuler le gonflement de l’ovocyte en ne tenant compte que d’un nombre minimal de paramètres comme sa perméabilité à l’eau, le taux d’entrée des sub-strats et le coefficient de diffusion moyen pour les osmolytes intracellulaires (figure 1). En utilisant ce modèle, qui est uniquement fondé sur le principe de flux osmotique, il est possible de reproduire avec précision les différents résultats expérimentaux de gonflement d’ovocytes en fonction des conditions de transport. On peut ainsi simuler le gonflement rapide provoqué dès les premières secondes suivant l’ajout de glucose. De même, ce modèle permet de simuler de façon adéquate le gon-flement à long terme provoqué par l’ajout de glucose pendant 15 minutes, ainsi que le rétablissement du volume à un niveau stable à la suite du retrait de glucose pendant une autre période de 15 minutes. Le coefficient de diffusion intracellulaire moyen utilisé pour ce modèle était environ 5 fois plus faible que le coefficient de diffusion du glucose dans la solution extérieure. Étant donné l’encombrement et la plus grande viscosité attendue pour le cytosol, cette valeur de coefficient de diffusion est tout à fait plausible et cohérente avec certaines estimations de la conductivité intracellulaire d’un ovocyte [9].
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Figure 1. Évolution du profil d’osmolarité dans l’ovocyte en fonction du transport de glucose. L’activation du transport de glucose dans un ovocyte exprimant des quantités importantes du cotransporteur Na+/glucose provoque des variations osmotiques qui fluctuent tant au niveau spatial que temporel. En fait, les variations d’osmolarité sont maximales à la face interne de la membrane plasmique (C0) et vont en s’amenuisant vers le centre de l’ovocyte (Cn). Les variations osmotiques évoluent ainsi dans le temps en fonction de la diffusion intracellulaire des osmolytes. Le modèle mathéma-tique élaboré ici permet d’évaluer dans le temps ces fluctuations d’osmolarité dans un ovocyte qui accumule un substrat en utilisant essentiellement le paramètre de coefficient de diffusion. En pratique, l’ovocyte est découpé en cinquante couches concentriques de 0,01 mm d’épaisseur allant de la péri-phérie jusqu’au centre et la diffusion des osmolytes est évaluée à travers ces couches à intervalles de 100 millisecondes. Il est ainsi possible de dresser le profil d’osmolarité à l’intérieur de l’ovocyte en fonction du temps et du taux de transport d’osmolyte. Les différents profils d’osmolarité d’un ovocyte accumulant du glucose sont présentés sur une période allant de 0 à 300 secondes. On y remarque que le substrat passant à la face interne de l’ovocyte (C0) diffuse en fonction du temps vers les couches profondes (Cn). |
Il semble donc que l’hypothèse d’un transport secondairement actif d’eau puisse être rejetée et que la force osmotique demeure la seule et unique force motrice permettant de produire un flux d’eau membranaire. Il demeure néanmoins très intéressant de constater que l’eau puisse emprunter un cotransporteur pour traverser (mais de façon passive) la membrane. Plus récemment, d’autres cotransporteurs ont aussi démontré cette capacité à transporter de l’eau. C’est le cas, entre autre, de cotransporteurs pour le dicarboxylate (NaDC-1), le GABA (GAT1) et le lactate [7, 10, 11]. En fait, il semble que ce principe de transport d’eau ait été constaté pour tout système de symport étudié jusqu’à présent [7]. Or, il est pour le moins curieux de constater que des systèmes de transport, très peu apparentés au point de vue moléculaire, partagent cette propriété d’être perméables à l’eau. Est-il possible que cette propriété soit en fait une caractéristique générale des systèmes de transport membranaire par symports et qu’elle représente une fonction intrinsèquement associée à la « mécanique » des transporteurs ?
Références
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- Zeuthen T, Meinild AK, Klaerke DA, et al. Water transport by the Na+/glucose cotransporter under isotonic conditions. Biol Cell 1997; 89 : 307–12. [Google Scholar]
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- Meinild AK, Loo DDF, Pajor AM, Zeuthen T, Wright EM. Water transport by the renal Na+-dicarboxylate cotransporter. Am J Renal Physiol 2000; 278 : F777–83. [Google Scholar]
- Loo DDF, Hirayama BA, Meinild AK, Chandy G, Zeuthen T, Wright EM. Passive water and ion transport by cotransporters. J Physiol 1999; 518 : 195–202. [Google Scholar]
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Liste des figures
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Figure 1. Évolution du profil d’osmolarité dans l’ovocyte en fonction du transport de glucose. L’activation du transport de glucose dans un ovocyte exprimant des quantités importantes du cotransporteur Na+/glucose provoque des variations osmotiques qui fluctuent tant au niveau spatial que temporel. En fait, les variations d’osmolarité sont maximales à la face interne de la membrane plasmique (C0) et vont en s’amenuisant vers le centre de l’ovocyte (Cn). Les variations osmotiques évoluent ainsi dans le temps en fonction de la diffusion intracellulaire des osmolytes. Le modèle mathéma-tique élaboré ici permet d’évaluer dans le temps ces fluctuations d’osmolarité dans un ovocyte qui accumule un substrat en utilisant essentiellement le paramètre de coefficient de diffusion. En pratique, l’ovocyte est découpé en cinquante couches concentriques de 0,01 mm d’épaisseur allant de la péri-phérie jusqu’au centre et la diffusion des osmolytes est évaluée à travers ces couches à intervalles de 100 millisecondes. Il est ainsi possible de dresser le profil d’osmolarité à l’intérieur de l’ovocyte en fonction du temps et du taux de transport d’osmolyte. Les différents profils d’osmolarité d’un ovocyte accumulant du glucose sont présentés sur une période allant de 0 à 300 secondes. On y remarque que le substrat passant à la face interne de l’ovocyte (C0) diffuse en fonction du temps vers les couches profondes (Cn). |
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