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Med Sci (Paris)
Volume 41, Octobre 2025
40 ans de médecine/sciences
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| Page(s) | 103 - 104 | |
| Section | Sciences humaines et sociales | |
| DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025122 | |
| Published online | 10 October 2025 | |
40 ans de cheminement des sciences humaines et sociales à médecine/sciences
40 years of progress in the humanities and social sciences in medicine/sciences
Directrice de recherche émérite CNRS, Unité SPHERE, CNRS/ Université de Paris-Cité
C’est Axel Kahn, un des fondateurs du journal médecine/ sciences en 1985, qui m’a proposé en 1998 de me joindre à l’équipe désormais conduite par Marc Pechanski. Je n’ai pas eu le temps de travailler avec ce diable d’homme qui, aux dires de tous, bondissait d’une rubrique à l’autre. Il y avait là un geste sympathique de m/s en direction des « autres » sciences, d’autant qu’en même temps l’économiste Gérard de Pouvourville rejoignait l’équipe. En me retournant sur le passé, je discerne un vaste projet : faire dialoguer dans la revue la biomédecine de pointe la plus fraîche, transmise en français sans retard à un public exigeant, avec les autres sciences. Mon point de départ était pourtant modeste : introduire un zeste de culture générale dans la revue, solliciter un vivier éclectique d’auteurs extérieurs souhaitant échanger avec la recherche biomédicale. m/s me donnait carte blanche au sein d’un comité de rédaction ouvert à toutes les propositions. Il s’agissait de prendre à bord des auteurs et des sujets susceptibles d’éclairer la recherche biomédicale, des auteurs capables d’intéresser les biologistes, et pourquoi pas, de les distraire.
En ce temps-là, la sélection des futurs médecins reposait presque exclusivement sur un concours à base de mathématiques et de physique, assurant le fameux numerus clausus destiné à restreindre le nombre des praticiens. Pour sélectionner les élus, on avait introduit dans les épreuves un pourcentage, une pincée de sciences humaines et sociales. Au cours des années 1990, chaque université a bâti un programme destiné à sélectionner les futurs médecins non seulement sur la base de leurs connaissances scientifiques mais aussi de leur « culture » : on avait besoin d’un supplément d’âme. Mais là les incertitudes commençaient. Certaines facultés privilégiaient l’histoire de la médecine, d’autres la psychanalyse ou la sociologie. Le concours se passait sous forme de QCM ou de brèves rédactions sur un sujet dit de société : « que diriez-vous à un de vos patients qui veut adopter un enfant ? », etc.
Côté médecine, c’était le temps de la mise en place de la médecine fondée sur les preuves (evidence-based medicine), le règne d’une science où les « faits » ont moins de dix ans. C’était aussi le temps où les sciences humaines et sociales (SHS), incarnées par le philosophe Bruno Latour, lançaient un assaut critique sur la Science. Elles faisaient irruption dans la « boîte noire » des expériences au laboratoire, et entendaient décortiquer l’écriture des articles sans se laisser impressionner par le pedigree de leurs auteurs. Elles instillaient aussi le soupçon des compromissions de la recherche avec l’industrie pharmaceutique, habitée par l’appétit de l’innovation à tout prix.
Dans ce climat tendu, sans déclaration fracassante d’un agenda ou adhésion à une école particulière, notre revue a poursuivi toutes ces années un objectif : maintenir l’esprit critique nécessaire pour naviguer au plus près de la recherche biologique de pointe en proposant des points de vue extérieurs : la chronique génomique de Bertrand Jordan en est un excellent exemple, qui tient la gageure depuis de nombreuses années de scruter les dernières « news » en génétique, d’un double point de vue biologique et social.
C’est en Guadeloupe que nous avons célébré le deuxième millénaire, avec le lancement, tout au long de l’an 2000, de douze numéros exceptionnels de m/s, dont un consacré aux « sociétés au siècle de la santé », que j’ai édité avec Gérard de Pouvourville. Ce titre optimiste était révélateur du glissement de nos préoccupations de la maladie vers la santé et de notre souci d’articuler les avancées prodigieuses de la science avec les aspirations de la société. Notre numéro SHS mettait en valeur la dimension éthique et juridique : une floraison de comités devait assurer la légitimité morale de la recherche, au regard des scandales passés ; les nouvelles lois devaient instaurer plus de justice et d’équité dans la santé publique.
En 2025, le dialogue entre passé, présent et avenir, représente pour moi le nouveau pari auquel se trouve confrontée la revue : témoin des grands chantiers de la biomédecine et de l’innovation technologique, témoin des débats de fond sur le rôle de l’épigénétique, le tournant de la microbiologie avec le microbiote, l’ambition de l’immunologie de renouveler la thérapeutique, etc. Les slogans fusent en même temps de toutes parts : la (bio)médecine doit être une et globale. Une comme la nature, reliant les trois règnes, humain, animal et végétal. Globale et planétaire. Égalitaire et accessible à tous. Universelle…
La recherche biomédicale poursuit aujourd’hui ses avancées grâce à de nouveaux outils qui dépassent les rêves les plus fous des biologistes moléculaires de l’après-guerre : plateformes techniques, robots d’analyse, formidables banques de données, potentiel de l’intelligence artificielle, etc. Mais, paradoxe : en présence d’une recherche qui s’emballe, le grand public est à la fois demandeur et soupçonneux. Une avalanche de mots d’ordre s’est abattue sur les particuliers, exposés à des conseils stridents sur leur façon de manger, de se vêtir, de bouger leur corps et même de choisir son identité sexuelle et son mode de procréation. Mais est-ce si nouveau ? Le Canon d’Avicenne, dans l’Orient du XIe siècle, insistait déjà sur le fait que la médecine, avant d’être la science de soigner la maladie, est celle de la conservation de la santé et pour cette raison doit être attentive à tous les détails, de l’alimentation à l’exercice et au plaisir sexuel.
Attention au gros temps que nous traversons, prévenait le rédacteur en chef Hervé Chneiweiss, hissé en vigie en 2003. Ce n’est pas seulement l’éthique, ce sont toutes les sciences sociales qui doivent assister le pilote avec leurs ressources propres, en toute indépendance. médecine/sciences, tout en poursuivant sa mission d’information sur l’actualité scientifique la plus brûlante, accueille ce que certains appellent désormais les humanités médicales. Je n’aime pas trop ce terme qui joue sur l’ambigüité humanitaire-humanitéhumanisme, avec une référence à l’Antiquité gréco-latine, ce qui pourrait faire oublier les autres médecines venues d’ailleurs. Mais cela veut dire que tout en poursuivant la trace des anciens de m/s, avec l’arrivée de nouveaux rédacteurs comme Jean-Luc Teillaud puis Anna Salvetti, nous avons l’ambition d’ouvrir la revue à un public plus large et en même temps d’initier son lectorat à l’éthique, l’histoire, l’anthropologie, la science politique, bref, la philosophie contemporaine. Pour cela, pas de prêt-à-porter, mais une recherche dans ce que les SHS peuvent apporter de critique vigilante et inventive dans une situation de trouble profond, politique et épistémologique. Un nouveau pari pour l’équipe qui accueille une philosophe, Claire Crignon et une historienne, Laetitia Loviconi. Gaëtan Thomas, auteur avec Guillaume Lachenal d’un précieux et parfois iconoclaste Atlas des épidémies [1], spécialiste de la question des vaccinations avec son Histoire d’un consentement [2], lance des idées pour ce nouveau programme, en rappelant l’indépendance nécessaire des uns et des autres pour que se poursuive et se renforce un véritable dialogue.
Liens d’intérêt
L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données oubliées dans cet article.
Références
- Lachenal G, Thomas G. Atlas historique des épidémies. Paris : Autrement, 2023. [Google Scholar]
- Thomas G. Vaccination : histoire d’un consentement. Paris : Seuil, 2024. [Google Scholar]

Anne-Marie Moulin
Membre du comité éditorial de 1998 à 2023 et conseillère scientifique de la revue depuis 2024. Elle participe, depuis 2024 à la rubrique « les humanités en santé » qui est coordonnée par Claire Crignon et Laetitia Loviconi.
Anne-Marie Moulin est directrice de recherche émérite CNRS, UMR SPHERE (sciences philosophie histoire)/Paris-Cité. Elle est médecin et agrégée de philosophie. Ancienne élève de l’école normale supérieure, ancienne interne des hôpitaux, elle a partagé sa vie entre l’exercice de la médecine et l’enseignement de la philosophie et des sciences sociales. Elle est l’auteure de plusieurs articles dans m/s et de nombreux ouvrages : Le dernier langage de la médecine. Histoire de l’immunologie de Pasteur au Sida (éditions PUF,1991), L’aventure de la vaccination (éditions Fayard, 1996), Perilous Modernity (éditions Isis press, 2010), Le médecin du prince, Islam et révolutions médicales (éditions Odile Jacob, 2010), La vie avec les virus (éditions PUF, 2023).
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