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Med Sci (Paris)
Volume 41, Octobre 2025
40 ans de médecine/sciences
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| Page(s) | 87 - 92 | |
| Section | Neurosciences | |
| DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025116 | |
| Published online | 10 October 2025 | |
Quarante ans de neurosciences
Une révolution d’échelle et de promesses thérapeutiques
Forty years of neuroscience: a revolution in scale and therapeutic promises
Centre de Neurosciences à Sorbonne Université (NeuroSU), UMR CNRS 8265, INSERM U1341 – Institut de Biologie Paris Seine (IBPS), Sorbonne Université Paris France
Quarante ans d’exploration cérébrale inscrite dans une longue histoire
Si probablement un millier d’articles portant sur la recherche en neuroscience ont été publiés par m/s en 40 ans, les sciences du système nerveux, qu’on n’appelait pas encore les neurosciences, avaient déjà une longue histoire bien avant la création de la revue. Hippocrate (460-377 avant notre ère) place déjà les pensées et les émotions comme productions du cerveau contre Aristote (384-322 avant notre ère) qui les imagine dans le cœur, puisqu’une émotion provoque une réaction du cœur (accélération des battements) tandis que le cerveau reste froid. À Hippocrate, nous devons le premier traité des maladies du cerveau, dont la description de l’épilepsie comme maladie et non comme voie de révélation des paroles divines. L’école d’Alexandrie et Straton de Lampsaque en Égypte à partir de 300 avant notre ère, proposent que l’âme possède un support matériel, le système nerveux, que nos sensations sont à l’origine de nos raisonnements et qu’elles peuvent modifier ce raisonnement. À Alexandrie, Straton rencontre probablement Hérophile (un petit-fils d’Aristote) et Erasistrate, illustres par leurs travaux de neuroanatomie en décrivant le cortex cérébral, le tronc cérébral et les nerfs crâniens. Suit une longue éclipse avant que le hollandais Vésale1 propose une nouvelle représentation anatomique du cerveau humain vers 1543 et décrive la jonction entre les deux hémisphères qu’il appelle « corps calleux ». Un siècle plus tard, Thomas Willis2 décrit les vaisseaux qui irriguent le cerveau et propose de distinguer la substance grise et la substance blanche (1672). Encore un siècle plus tard, vers 1760, Albert de Haller3 mène une étude quantitative systématique du cerveau (plus de 400 autopsies) et de ses différentes parties et propose que le cerveau soit la source de toutes nos rationalités.
L’Europe du XIXe siècle bouillonne ensuite de découvertes sur le fonctionnement du système nerveux [1]. C’est en 1791 que l’anatomiste italien Luigi Galvani (1737-1798) montre qu’un courant issu des nerfs permet la contraction des muscles. Carlo Matteucci (1811-1868) va ensuite inventer l’électrophysiologie vers 1840 grâce à un « galvanomètre » qui permet d’enregistrer et mesurer le courant électrique généré par le tissu musculaire. Ses travaux inspireront Emil Dubois-Raymond4 qui développera des détecteurs et enregistreurs de plus en plus sensibles. Au même moment plus à l’Est va émerger le concept de cellule comme unité élémentaire du tissu vivant. En Tchéquie, Jan Purkinje5 décrit le neurone en 1837 tandis que Théodore Schwann (1810-1882) à Berlin publie en 1838 ses travaux sur la cellule qui porte aujourd’hui son nom et sert à envelopper les fibres des nerfs périphériques. A la fin du siècle, l’italien Camillo Golgi (1843-1926) va développer une méthode d’imprégnation argentique qui lui permettra ainsi qu’à Santiago Ramon y Cajal6 de démontrer définitivement que notre système nerveux est composé de cellules et tout particulièrement de décrire les différents types de neurones. Tous deux reçurent en 1906 le premier prix Nobel de médecine et physiologie décerné à une découverte en neurosciences. En ce début de xxe siècle c’est la chimie qui fait son entrée en scène avec la découverte des premières molécules sécrétées par le système nerveux et capables de modifier l’état du système nerveux, l’histamine avec Henry Dale7 (1910) et surtout l’acétylcholine avec Otto Loewi (1926).
La première fonction cérébrale à révéler ses secrets sera celle du langage. C’est en 1861 que Paul Broca (1824-1880), anatomiste français, présente sa découverte d’une région du lobe frontal gauche du cerveau impliquée dans la production de la parole, aujourd’hui encore appelée aire de Broca, et les neurologues diagnostiquent toujours l’aphasie de Broca pour ce trouble de la production du mot. Ces travaux seront complétés en 1876 par la découverte d’une autre aire du langage par l’allemand Carl Wernicke (1848-1905), dans le gyrus supérieur et postérieur temporal gauche, impliquée dans la compréhension du langage. Impossible de les citer tous mais terminons cette archéologie des neurosciences avec le canadien Wilder Penfield (1891-1976), un neurochirurgien qui développe dès les années 1930 un traitement des épilepsies résistantes et utilise une technique de stimulation électrique de régions précises du cortex cérébral qui lui permet de publier, en 1937 avec le neurologue québécois Herbert Jasper (1906-1999), la première carte du cortex moteur, dont les raffinements ultérieurs aboutiront à la description de l’homoncule moteur : dans notre cortex moteur toutes les parties de notre corps ne sont pas représentées à la même échelle. Les parties les plus finement contrôlées, la main et en particulier les doigts, la face et en particulier la bouche, les lèvres et la langue, occupent une surface du cortex moteur beaucoup plus vaste que les autres. Il en va de même pour le cortex consacré aux sensations, le cortex sensitif, situé juste en arrière du cortex moteur. Penfield sera aussi à l’origine d’importantes découvertes sur la mémoire. L’essor de la recherche sur le système nerveux s’accélère sur la période 1940-1970 comme m/s l’a rapporté [2]. Mais ce n’est rien à côté du caractère exponentiel du développement que les neurosciences ont connu au cours des 40 dernières années, passant d’une science encore limitée dans ses outils et sa portée à une discipline aux ambitions globales. Ce développement exponentiel s’est appuyé sur des avancées convergentes en biologie moléculaire, en imagerie cérébrale, en modélisation informatique, et plus récemment en intelligence artificielle. Ce qui distingue les neurosciences d’aujourd’hui de celles d’il y a quarante ans, c’est une rupture d’échelle, tant dans la complexité des objets étudiés que dans les moyens mobilisés. Cette transformation a été catalysée par des initiatives internationales majeures, notamment le Human Brain Project en Europe et la BRAIN Initiative aux États-Unis, ouvrant la voie à de nouvelles approches thérapeutiques et à l’émergence de neurotechnologies aux frontières du médical et du social.
Voir fonctionner le cerveau à différentes échelles
Dans les années 1980, les neurosciences s’appuyaient principalement sur l’électrophysiologie puis les prémices de l’imagerie cérébrale fonctionnelle, notamment avec l’introduction de la tomographie par émission de positons (TEP) puis de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), qui ont permis de cartographier les réseaux neuronaux associés aux fonctions cognitives. À ces avancées se sont ajoutées des techniques complémentaires majeures telles que la magnétoencéphalographie (MEG), offrant une excellente résolution temporelle, et l’imagerie par tenseur de diffusion (DTI), permettant de visualiser finement l’organisation des fibres de matière blanche et de cartographier les connexions entre les aires cérébrales. Chacune de ces méthodes apporte un éclairage spécifique selon les échelles de temps (de la milliseconde à seconde) ou de résolution spatiale (du millimètre au réseau macroscopique), allant même aujourd’hui jusqu’à la possibilité d’une imagerie fonctionnelle de neurones individuels au sein de réseaux complexes qui génèrent des fonctions biologiques identifiées [3].
La mise au point de la technique du patch-clamp par le biophysicien Erwin Neher et le médecin Bert Sakmann dans les années 1980 a constitué une avancée décisive en neurosciences cellulaires [4]. Elle a permis, pour la première fois, d’enregistrer les courants ioniques à travers des canaux individuels dans des cellules vivantes, révélant la dynamique fine de la transmission électrique neuronale. Cette méthode a non seulement transformé l’électrophysiologie, mais a également ouvert la voie à l’identification de nouveaux types de canaux sensibles à des stimuli mécaniques, thermiques ou chimiques. Un exemple marquant est la découverte des récepteurs Piezo, des canaux mécanosensibles impliqués dans la perception du toucher et de la pression [5].
Parallèlement, les progrès de la biologie moléculaire ont permis l’identification et la caractérisation d’une grande diversité de récepteurs aux neurotransmetteurs, qu’ils soient ionotropes ou métabotropes8. Ces découvertes ont donné naissance à une neuropharmacologie de plus en plus ciblée, capable de décrypter les voies de signalisation intracellulaire et de développer des agents thérapeutiques modulant spécifiquement certaines fonctions synaptiques, avec des implications majeures pour le traitement des troubles neurologiques et psychiatriques [6].
La découverte des mécanismes de plasticité synaptique, en particulier la potentialisation à long terme, a représenté une avancée conceptuelle majeure dans la compréhension des bases biologiques de la mémoire et de l’apprentissage. Mise en évidence dans l’hippocampe, la potentialisation à long terme correspond à un renforcement durable de l’efficacité de la transmission synaptique suite à une stimulation répétée, suggérant que les connexions entre neurones peuvent se modifier de manière stable en fonction de l’activité. Ce phénomène a fourni un modèle physiologique robuste reliant l’expérience vécue à des changements durables dans les circuits neuronaux, et a nourri les recherches explorant comment l’information est encodée, stockée et consolidée dans le cerveau [7]. Des études sur la période critique du développement cérébral ont montré la possibilité de rouvrir des fenêtres de plasticité à l’âge adulte, en particulier durant le sommeil [8].
Au cours des quarante dernières années, la vision du système nerveux central a profondément évolué avec la découverte du rôle majeur des cellules gliales, longtemps considérées comme de simples cellules de soutien. Les astrocytes, en particulier, se sont révélés être des acteurs clés du fonctionnement cérébral, modulant l’activité synaptique, la plasticité neuronale et la transmission de l’information [9]. Ils participent activement à la formation, au remodelage et à l’élimination des synapses, notamment pendant le développement et l’apprentissage, via des interactions dynamiques avec les neurones [10]. Les cellules gliales sont également impliquées dans la régulation du sommeil, en lien avec l’homéostasie énergétique et l’élimination des métabolites. Cette dernière fonction est assurée en partie par le système glymphatique, un réseau de drainage cérébral récemment identifié, où les astrocytes facilitent la circulation du liquide interstitiel et l’élimination des protéines toxiques comme la β-amyloïde [11]. Ces découvertes ont profondément transformé notre compréhension de la neurophysiologie, faisant des cellules gliales des partenaires à part entière des neurones dans la construction et le maintien des fonctions cérébrales.
Les grands programmes : vers une neuroingénierie systémique
Le tournant des années 2010 a été marqué par la mise en œuvre de projets internationaux d’envergure. Le Human Brain Project, lancé en 2013, ambitionnait de créer des modèles numériques complets du cerveau, tandis que la BRAIN Initiative, à partir de 2014 privilégiait le développement d’outils pour cartographier l’activité neuronale avec une résolution sans précédent. Ces programmes ont favorisé une approche systémique du cerveau, associant biologie, physique et informatique.
Les résultats sont impressionnants. Par exemple, la BRAIN Initiative a permis le développement de capteurs et d’effecteurs génétiquement codés pour mesurer l’activité calcique, la libération de neurotransmetteurs et la modulation optogénétique9 [12]. Nous avons vu émerger des systèmes d’électrodes haute densité comme Neuropixels, capables d’enregistrer simultanément l’activité de milliers de neurones. Il en résulte des cartes cellulaires exhaustives obtenues grâce au séquençage d’ARN en cellule unique (single-cell RNAseq) et à l’imagerie spatiale, qui ont permis d’identifier plus de 5 000 types cellulaires distincts dans le cerveau de souris.
Le Human Brain Project a développé des plateformes numériques intégrées, désormais poursuivies au sein d’EBRAINS, pour la simulation multi-échelle des circuits cérébraux, l’analyse de données en neuroimagerie et la modélisation computationnelle. Il a également mis au point des modèles biologiquement plausibles de cortex cérébral, basés sur les données de connectivité et de morphologie neuronale.
De nouvelles connaissances sur les fonctions cérébrales et les comportements complexes ont été acquises grâce à la compréhension du traitement de l’information au sein des circuits neuronaux, en lien avec la mémoire, la navigation spatiale [13], le traitement sensorimoteur, le langage, la communication sociale et les comportements affiliatifs ou agressifs.
La convergence entre neurosciences fondamentales et ingénierie biomédicale a ouvert la voie à de nouveaux dispositifs de neuromodulation personnalisée chez l’humain, en particulier les interfaces cerveau-machine sur lesquels nous reviendrons plus loin, et à des avancées translationnelles permettant une meilleure prise en charge diagnostique et thérapeutique.
Des maladies intrinsèques aux susceptibilités environnementales : le rôle transformateur de la génétique et de l’épidémio/toxicologie dans les neurosciences
Depuis quatre décennies, les neurosciences ont connu un tournant majeur dans la compréhension de nombreuses maladies du système nerveux. Des maladies longtemps perçues comme purement intrinsèques – qu’elles soient neurodégénératives ou développementales – sont désormais envisagées sous l’angle des interactions complexes entre vulnérabilités biologiques et facteurs environnementaux. Les avancées en génétique moléculaire et en toxicologie environnementale ont joué un rôle central dans cette reconfiguration des cadres étiologiques.
Un exemple frappant est celui de la maladie de Parkinson, devenue une maladie multifactorielle à la croisée du gène et de l’environnement. Longtemps décrite comme une maladie neurodégénérative idiopathique liée au vieillissement, la maladie de Parkinson a vu son paradigme étiologique évoluer grâce à l’identification de mutations génétiques et de facteurs environnementaux contributifs. Des mutations dans les gènes SNCA (alpha-synuclein), LRRK2 (leucine-rich repeat kinase 2), PINK1 (PTEN-induced putative kinase 1), PARK7/DJ-1 (Parkinsonism associated deglycase), et PARK2 (Parkin) ont permis de requalifier certains cas de la maladie de Parkinson comme d’origine monogénique, bien que ces formes représentent moins de 10 % des cas totaux. Parallèlement, des études épidémiologiques ont montré une association significative entre l’exposition à certains pesticides (paraquat, maneb) et une augmentation du risque de maladie de Parkinson [14]. Ce croisement de données a permis d’élaborer le concept de susceptibilité environnementale, où des polymorphismes génétiques influencent la réponse neurotoxique à des agents environnementaux. La barrière hémato-encéphalique, les systèmes de détoxification (glutathion, cytochrome P450) et les processus inflammatoires chroniques constituent autant de points de vulnérabilité modulés à la fois par l’inné et par l’acquis.
Les troubles du spectre autistique ont connu le chemin inverse, passant de la psychogenèse à la neurobiologie intégrée. Jusqu’aux années 1980, les hypothèses psychogéniques, notamment autour de la théorie de la « mère réfrigérateur », ont longtemps dominé le discours médical et social [15]. À partir des années 1990, la recherche en génomique a permis d’identifier de nombreuses altérations génétiques impliquées dans la signalisation synaptique et le développement cérébral [notamment dans les gènes SHANK2 (SH3 and multiple ankyrin repeat domains 2), SHANK3 (SH3 and multiple ankyrin repeat domains 3), NRXN1 (Neurexin 1), MECP2 (methyl-CpG binding protein 2), et FMRP (fragile X messenger ribonucleoprotein 1)], avec une contribution de mutations de novo, des variations du nombre de copies, ou encore des prémutations dans le cas du syndrome de l’X fragile [16]. En parallèle, des données en toxicologie développementale ont montré l’impact des expositions prénatales à des polluants environnementaux (phtalates, pesticides, métaux lourds, infections virales) sur le développement cérébral, contribuant à des trajectoires atypiques. Ces expositions agissent souvent via des mécanismes épigénétiques, modifiant l’expression des gènes sans altérer leur séquence. Ce renversement étiologique a permis de déplacer la charge de la responsabilité parentale, en particulier de la mère, vers une compréhension intégrative, biologique et contextuelle du développement cérébral [17].
Il en résulte une écologie intégrative des maladies neurologiques et psychiatriques. Les avancées techniques – séquençage à haut débit, transcriptomique, imagerie fonctionnelle, exposome – permettent aujourd’hui d’explorer la manière dont le génome interagit avec des environnements multiples, du milieu intra-utérin aux conditions sociales. Cette approche transdisciplinaire ouvre des perspectives nouvelles pour la prévention, la médecine personnalisée et l’éthique des soins, tout en interrogeant les responsabilités collectives dans l’exposition aux risques environnementaux. De nouvelles stratégies de prise en charge en émergent comme le ciblage des risques cardio-métaboliques et immunoinflammatoires dans les affections psychiatriques [18].
Nouveaux concepts, nouvelles maladies
Les travaux de Stanley Prusiner sur les prions (prix Nobel de physiologie ou médecine en 1997) ont ouvert un champ entièrement nouveau, celui de maladies neurodégénératives transmissibles sans acide nucléique, reposant sur un changement de conformation pathologique des protéines. Parallèlement, les recherches sur les maladies neurodégénératives ont identifié l’accumulation d’agrégats protéiques : protéines Tau hyperphosphorylée et amyloïde dans la maladie d’Alzheimer [19], α-synucléine dans la maladie de Parkinson [20], TDP-43 dans la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot). Ceci a fait émerger le concept de « prion-like spreading » ou protéinopathies, avec de nouvelles stratégies thérapeutiques pour prévenir l’accumulation ou résorber les agrégats. Dans la maladie d’Alzheimer, les anticorps monoclonaux dirigés contre la β-amyloïde (aducanumab, lecanemab) ont récemment été autorisés, bien que leur efficacité clinique soit encore débattue et que d’autres stratégies soient en développemment [20]. Dans la sclérose latérale amyotrophique, les recherches se concentrent sur la réduction de l’agrégation de TDP-43, avec des approches de thérapie génique en phase préclinique. La compréhension fine des voies de dégradation des protéines, notamment via les lysosomes et le protéasome, ainsi que du rôle des mitochondries ouvre la voie à des stratégies combinatoires [21].
Parallèlement, les progrès de la génétique ont permis d’identifier un large spectre de synaptopathies, où des mutations affectant des protéines synaptiques (SHANK, Neuroligines, SCN2A [sodium voltagegated channel alpha subunit 2]) sont impliquées dans des troubles du neurodéveloppement comme l’autisme ou certaines épilepsies précoces. Le rôle central des cellules gliales et de la neuroinflammation chronique a également été reconsidéré, non plus comme une conséquence secondaire, mais comme un acteur pathogène actif, notamment dans les maladies neurodégénératives ou la sclérose en plaques. Enfin, des entités longtemps peu reconnues, comme les douleurs neuropathiques centrales ou les troubles liés à la sensibilisation centrale (migraine chronique, fibromyalgie), ont été réévaluées à la lumière de nouveaux modèles de dysfonctionnement neurobiologique. Ces évolutions traduisent un élargissement profond du champ nosologique10 en neurologie, intégrant à la fois les dimensions moléculaires, immunitaires et environnementales.
Neurotechnologies : du soin à l’augmentation
La maladie de Parkinson illustre l’impact des avancées neuroscientifiques sur la clinique. La découverte, à la fin des années 1950, de la perte des neurones dopaminergiques a ouvert la voie aux traitements substitutifs à partir de 1969. Les connaissances acquises chez le primate ont ensuite permis à l’équipe d’Alim-Louis Benabid et Pierre Pollak à Grenoble, de développer la stimulation cérébrale profonde à partir de 1987, ce qui fut une révolution thérapeutique. Les implants délivrant des stimulations à haute fréquence au niveau des noyaux sous-thalamiques permettent un contrôle efficace des symptômes moteurs chez les patients résistants aux traitements médicamenteux [22]. Plus récemment de nouveaux implants ouvrent des perspectives fascinantes pour permettre une nouvelle autonomie aux patients atteints de lésions de la moelle épinière, d’accidents vasculaires cérébraux ou de maladies neurodégénératives [23] mais aussi de certaines maladies mentales (troubles obsessionnels compulsifs, dépression résistante).
Les interfaces cerveau-machine ont évolué au-delà de la seule restauration des fonctions motrices. Les dispositifs implantables permettent désormais un contrôle intentionnel de prothèses ou de curseurs informatiques, comme le montrent les travaux sur les interfaces intracorticales. Hors du champ médical, ces technologies soulèvent des questions éthiques majeures, concernant la liberté cognitive et la sécurité des données neuronales. Des dispositifs non invasifs à visée cognitive ou ludique se développent également, brouillant la frontière entre thérapeutique et amélioration. La régulation des usages des neurotechnologies reste embryonnaire, même si des recommandations émergent : recommandation 457 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour un usage responsable des neurotechnologies dans le domaine de la santé11, rapport du comité international de bioéthique de l’UNESCO 2021 sur les enjeux éthiques des neurotechnologies12, charte française du développement responsable des neurotechnologies en 202213, charte européenne du développement responsable des neurotechnologies en 202514, et recommandation sur les neurotechnologies de l’UNESCO en 202515. Plusieurs pays comme le Chili, la France et certains États américains (Colorado, Californie) ont commencé à intégrer ces réglementations dans leur droit.
Perspectives : une médecine cérébrale de précision ou agir pour la santé du cerveau
L’avenir des neurosciences se dessine autour d’une médecine de précision génomique, connectomique et neurotechnologique s’appuyant sur l’ensemble des connaissances acquises sur le rôle du mode de vie et l’impact de l’environnement physique et social. Les ambitions peuvent être légitimement vastes face à l’organe qui fait de nous les humains que nous sommes et face à un ensemble de maladies en constante augmentation et représentant déjà un tiers de nos dépenses de santé. Elles incluent : des stratégies de prévention améliorant les conditions de vie en bonne santé du cerveau et dépistant précocement les troubles du neurodéveloppement ou les maladies neurodégénératives ; des thérapies adaptatives basées sur l’état en temps réel des circuits cérébraux ; le recours à l’intelligence artificielle pour anticiper les trajectoires cliniques et personnaliser les interventions ; l’utilisation raisonnée des neurotechnologies, avec des applications allant de la santé mentale (cf. n° thématique M/S mai 2025) à l’éducation. Mais cette évolution nécessite de préserver un équilibre entre progrès scientifique, respect des droits humains et soutenabilité sociale.
Conclusion : un cerveau augmenté de promesses
Les quarante dernières années ont transformé les neurosciences en un champ aux dimensions multiples, scientifique, technologique, et sociétale. Les progrès thérapeutiques, notamment pour la maladie de Parkinson, les protéinopathies, et les troubles du neurodéveloppement, témoignent de la fertilité de cette révolution à grande échelle. Alors que les neurotechnologies s’apprêtent à redéfinir notre rapport au cerveau, il appartient à la communauté biomédicale d’en faire un vecteur d’émancipation, et non de contrôle.
Liens d’intérêt
L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article
Les récepteurs de neurotransmetteurs peuvent être distingués en deux catégories : ionotropes et métabotropes. Tous deux mettent en jeu l’ouverture de canaux ioniques sous l’action d’un neurotransmetteur Contrairement aux récepteurs ionotropes, les récepteurs métabotropes ne contiennent pas de canaux ioniques, mais entraînent l’ouverture de ces canaux situés à la membrane de la cellule par une cascade transductionnelle (ndlr).
L’optogénétique est un domaine de recherche et d’application associant les techniques de l’optique à celles de la génétique. Elle permet, par une stimulation lumineuse, de détecter spécifiquement des cellules modifiées génétiquement pour y être sensibles, sans perturber directement l’état des cellules voisines (ndlr).
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Hervé Chneiweiss
Rédacteur en chef (2007 à 2016) et conseiller scientifique depuis 2017.
Docteur en médecine et en science, spécialisé en neurologie et neuroscience, Hervé Chneiweiss est directeur de recherches émérite au CNRS et praticien hospitalier en neuro-oncologie. Ses travaux portent principalement sur la biologie des astrocytes, une population de cellules gliales du système nerveux, et sur l’origine et le développement des tumeurs cérébrales. Il a caractérisé de nombreux récepteurs et leurs effecteurs intracellulaires, contribuant ainsi à la compréhension des mécanismes de protection, de mort cellulaire programmée, et de motilité cellulaire.
Dans les années 1990, il s’est profondément impliqué dans les questions éthiques liées aux progrès de la recherche, devenant consultant en neurogénétique à la Salpêtrière. Il est membre puis président du comité d’éthique de l’Inserm depuis mars 2013. Hervé Chneiweiss est également connu pour ses contributions à la bioéthique et ses réflexions sur les enjeux scientifiques, éthiques, sociaux et juridiques des manipulations du génome humain. Expert auprès de grandes institutions internationales (OCDE, UNESCO, OMS, Conseil de l’Europe), Il aime partager son expertise et ses connaissances avec le grand public. Auteur de plusieurs ouvrages, il continue de jouer un rôle actif dans la recherche et l’enseignement, tout en étant un membre influent de la communauté scientifique internationale.
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