Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
Page(s) 392 - 393
Section Forum
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025043
Published online 28 April 2025

Vignette (© Presses Universitaires François-Rabelais).

À l’heure des lamentations sur les déserts médicaux et du remplacement des postes en France par des « étrangers », cet ouvrage [1] qui rappelle que le nomadisme médical est un phénomène très ancien, aux nombreuses facettes, est bienvenu.

A priori, l’apprentissage des maladies dans des pays variés est un enrichissement, quasi indispensable à une profession se prétendant universelle. Un modèle du nomadisme essentiel à la profession dans l’Antiquité peut ainsi être retrouvé chez Hippocrate lui-même, au Ve siècle avant J-C. Les œuvres réunies sous son nom permettent de le suivre dans une Grèce constituée, en dehors de la péninsule du Péloponnèse, d’une multitude d’îles dispersées dans la mer Égée, entre l’Italie et la Turquie actuelles, et dont la diversité climatique influe sur le profil épidémique, comme il est clairement rapporté dans les traités appelés, et pour cause, Epidemika.

La mobilité médicale à travers les siècles s’explique par la facilité qui est donnée, à celui qui soigne et peut-être guérit, d’exporter aisément son savoir. Pendant longtemps, le médecin a pu traverser les frontières sans problème, démarrer sa pratique et gagner sa vie avec les instruments fondamentaux de son métier, à savoir son cerveau et ses mains.

Cette facilité explique que les circonstances dans lesquelles les médecins ont soigné à l’extérieur des frontières de leur pays d’origine ont été historiquement multiples. Au XIXe siècle, les médecins militaires des nationalités belligérantes interviennent sur le champ de bataille, par exemple pendant la guerre de Crimée (1854-1857). Les médecins militaires sont aussi nombreux dans les terres de colonisation où ils représentent le versant bienveillant de l’occupation. De Madagascar, en 1898, Lyautey1 écrit à son chef Galliéni2 : « envoyez-moi quatre médecins et je vous renvoie quatre bataillons [2] ».

Les médecins français se déplacent aussi au titre d’experts, envoyés par leur gouvernement pour enquêter sur l’origine des épidémies, quand s’affrontent partisans et négateurs de la contagion, pour décider des quarantaines aux frontières. Les médecins, dans ce rôle d’experts à l’étranger, portent le drapeau de leur pays : l’allemand Robert Koch (1843-1910) et les pastoriens Émile Roux (1853-1933) et Louis Thuillier (1856-1883) sont en compétition à Alexandrie lorsqu’ils viennent traquer le germe lors de l’épidémie de choléra de 1881. Autre épisode célèbre : Alexandre Yersin (1863-1943) à Hong Kong en 1891, en rivalité avec le japonais Shibasaburô Kitasato (1853-1931) pour identifier le microbe responsable de la peste.

Les médecins occidentaux se déplacent officiellement à l’étranger, au cours des dix congrès internationaux qui scandent la deuxième moitié du XIXe siècle, à propos du choléra et de la peste. En Orient, le médecin étranger au service du prince est appelé à jouer un rôle politique important. En Iran, un « Grand Jeu » (expression apparue en 1840 et popularisée par l’écrivain britannique Rudyard Kipling) oppose l’Angleterre et la Russie, et les Français jouent de leur neutralité relative pour positionner leur médecin auprès du shah de Perse et l’influencer.

Historiquement, les consuls, qui ont précédé de longtemps l’institution des ambassades, ont été souvent des médecins, bons connaisseurs du pays. Représentants d’une profession dont l’exercice touche tous les milieux, les médecins ont été utilisés par la diplomatie à l’étranger comme source d’information. L’historien Clément Fabre suggère l’existence d’un véritable système de renseignements par les médecins, à propos de la Chine. Il parle à cet égard d’une « stratégie de l’indiscrétion ». Il est intéressant de noter que le médecin militaire Georges Morache (1837-1906), qui instruisit les autorités françaises sur les secrets de la Cité interdite à Pékin, au moment de la mort du dernier empereur, dirigea à Bordeaux en 1897 la thèse du premier médecin tunisien formé en France : vers 1907, ce dernier se proposa pour guider la pénétration de la France au Maroc.

Les médecins étrangers se sont installés un peu partout dans le monde : ils ont joué un rôle pionnier dans l’essor de la santé publique en Amérique latine, comme en Uruguay et en Argentine, ou encore dans les pays balkaniques, comme en Moldavie et en Grèce. Mais, à côté de ces hauts faits enregistrés par la grande Histoire, l’ouvrage collectif évoque les aventures et les tribulations probables, exhumées des archives locales, d’individus plus obscurs, diplômés des universités allemandes, anglaises ou françaises, qui sont venus d’Espagne, d’Italie et de Grèce, mais aussi de Roumanie et de Pologne, chercher asile ou fortune en Europe occidentale, et qui ont connu des destins très divers en fonction des réactions locales et de l’administration.

En contraste avec la longue tolérance à l’égard de l’exercice médical par des étrangers, on assiste, au XIXe siècle, sur le sol français, à une montée de la méfiance et à un désir croissant de réserver l’exercice de la médecine aux seuls nationaux. Cette tendance n’est d’ailleurs pas l’apanage exclusif des pays d’Occident puisqu’à la même époque, l’empire ottoman se préoccupe aussi de contrôler l’exercice de la médecine sur son immense territoire, et de contraindre les médecins étrangers installés sur son sol à venir passer un contrôle à Istanbul, cela, il est vrai, sans grande efficacité, semble-t-il.

En France, le XIXe siècle s’était ouvert, après la Révolution, avec le décret du 19 ventôse an XI (10 mars 1803), règlementant les professions de santé et prévoyant une vérification de l’authenticité des diplômes obtenus à l’étranger. La fin du siècle, avec la loi du 30 novembre 1892, voit la disparition des officiers de santé, qui exerçaient surtout dans les campagnes (relisons Madame Bovary, mariée à l’un d’entre eux), et le durcissement du monopole des Français, lié au souci de respectabilité de la profession et aussi à celui de diminuer la concurrence de tous bords. On assiste en même temps à une disparité persistante des comportements locaux, liée à l’évaluation réaliste des besoins sur place. Elle amène à assouplir le jugement des administrations qui arguent, comme en Algérie, du besoin criant de vaccinateurs et de praticiens hors des villes, et des économies réalisées avec des professionnels peu exigeants. Pour peu, on retrouverait les termes des dispositifs inégaux qui admettent aujourd’hui en France les médecins étrangers dans le système de santé national, sans trop se préoccuper des conditions réelles de leur exercice et de leurs besoins de formation.

Hippocrate sans frontières est un joli titre, mais il semble présupposer une source unique de la médecine moderne, à savoir la médecine grecque, disons grécolatine, en oubliant ses racines arabes et perses. Le terme qui désigne aujourd’hui la médecine officielle est d’ailleurs mouvant : on parle de médecine « occidentale », « cosmopolite », « européenne », voire « scientifique », sans trouver de vocable satisfaisant qui rende compte de la pluralité de fait de l’exercice de la médecine. Sans parler de pays comme l’Inde, qui admet officiellement quatre systèmes de médecine : ayurvédique, occidentale, yunâni (grecque ancienne) et siddha (au sud de l’Inde), de nombreux pays voient se développer des courants médicaux dits « alternatifs », aux sources et origines variées : l’acupuncture est devenue quasiment officielle et peut être pratiquée par des médecins de formation classique. On peut donc poser aujourd’hui la question si l’installation des médecins étrangers, en France et ailleurs, va contribuer à la diversification actuelle des pratiques de santé et alimenter la revendication actuelle de certains citoyens, de voir reconnues les médecines parallèles qui contribueraient à leur bien-être.

La postface de Laurence Monnais évoque, au XXIe siècle, l’exportation des médecins cubains à travers le monde, notamment au moment de l’épidémie de Covid-19, qui relance un inépuisable sujet.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.


1

Hubert Lyautey (1854-1934) : général, maréchal de France et académicien français. Il fut le premier résident général du protectorat français au Maroc.

2

Joseph Gallieni (1849-1916) est un maréchal de France et administrateur colonial qui a participé à l’expansion de l’empire français en Afrique.

Références

  1. Fredj C, Sage-Pranchère N, Van Wijland J. Hippocrate sans frontières, Soigner en terre étrangère au XIXe siècle. Tours : Presses Universitaires François-Rabelais, 2024 : 380 p. [Google Scholar]
  2. Lyautey H, Paroles d’action, 1927, Paris : Armand Colin, 436 p. [Google Scholar]
  3. Jouanna J, Hippocrate. Paris : Fayard, 1992. [Google Scholar]
  4. Moulin A-M, Le médecin du Prince. Paris : Odile Jacob, 2010. [Google Scholar]

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