Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 4, Avril 2025
Page(s) 380 - 383
Section Repères
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025041
Published online 28 April 2025

© 2025 médecine/sciences – Inserm

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Vignette (© Cancéropôle PACA).

Le cancer du sein est le cancer le plus souvent diagnostiqué dans le monde et représente environ un quart de tous les nouveaux cas de cancers chez la femme. En 2018, la France comptait 58 459 nouveaux diagnostics de cancer du sein. Bien qu’il s’agisse de la principale cause de décès par cancer chez les femmes en France, la survie après un diagnostic de cancer du sein a fortement augmenté. Grâce à une amélioration dans la détection précoce et la prise en charge de la maladie, le taux de survie à cinq ans dépasse actuellement 80 % dans la plupart des pays européens, atteignant 87 % en France.

Ainsi, le nombre de femmes vivant longtemps après le diagnostic et le traitement du cancer du sein est en augmentation. Pourtant, les femmes vivant après un cancer du sein sont souvent confrontées à de multiples séquelles mentales et physiques, dues en partie aux effets à long terme des traitements anticancéreux [1]. De nombreux domaines de la qualité de vie sont impactés. Ainsi la détresse émotionnelle, les symptômes dépressifs, la douleur et la fatigue sont fréquents chez les femmes ayant eu un cancer du sein, et cette population a généralement une qualité de vie moins bonne que la population générale [2, 3]. Dans l’étude VICAN5 qui explore la vie 5 ans après un diagnostic de cancer en France et inclut un échantillon représentatif de personnes ayant eu un cancer, 31,6 % des femmes ayant eu un cancer du sein ont déclaré une santé mentale dégradée cinq ans après le diagnostic [4].

Les inégalités socio-économiques sont présentes tout au long du continuum de soins, du diagnostic au traitement et à la survie [5, 6]. Ainsi, on observe un risque 2 fois plus élevé d’être diagnostiquée à un stade avancé du cancer du sein parmi les femmes défavorisées en France, indépendamment des caractéristiques biologiques du cancer et du mode de détection [7]. Concernant les traitements, des différences sociales sont observées avec un moindre traitement par chimiothérapie, chirurgie conservatrice du sein, chirurgie sentinelle des ganglions ou radiothérapie parmi les femmes défavorisées [8]. Si la littérature provient principalement des États-Unis, des inégalités ont aussi été observées dans des pays ayant un régime de protection sociale universelle comme la France, où on observe par exemple des délais de diagnostic et de traitement plus longs après un cancer du sein chez les personnes défavorisées [9]. Toutefois peu d’études se sont intéressées à la qualité de vie. Si ces travaux rapportent une moins bonne qualité de vie parmi les femmes socialement défavorisées, ils portent sur un moment précis de leur trajectoire après le diagnostic et ne permettent pas d’évaluer l’évolution des inégalités sociales au cours du temps après le diagnostic [1012]. Les études de cohorte, en suivant les personnes pendant plusieurs années, permettent de répondre à ces questions. Ainsi, en utilisant les données de la cohorte CANTO, nous avons documenté les inégalités sociales de qualité de vie parmi les femmes atteintes d’un cancer du sein, et leur évolution au cours des deux années suivant le diagnostic [13].

La cohorte CANTO

La cohorte CANTO (NCT 01993498) inclut 11 400 femmes diagnostiquées entre 2012 et 2018 avec un cancer du sein non métastatique dans 26 centres de soins en France, principalement des centres de lutte contre le cancer. Les femmes sont incluses au moment du diagnostic. Les informations cliniques relatives à la tumeur et aux traitements reçus sont extraites du dossier médical. En outre, des informations sont recueillies de façon prospective lors de visite médicale ainsi qu’à l’aide de questionnaires auto-administrés. En particulier, les femmes renseignent leur qualité de vie à l’aide de questionnaires standardisés. On dispose également d’informations sur leur situation sociodémographique [14].

La situation sociale des femmes a été mesurée à l’aide de leur situation financière perçue au diagnostic qui distingue les femmes qui ont des difficultés à payer les dépenses mensuelles, celles qui y arrivent mais tout juste, et celles qui n’ont pas de difficulté. Pour mesurer la qualité de vie, nous nous sommes appuyés sur le questionnaire QLQ-C30 de l’EORTC (european organisation for research and treatment of cancer). Ce questionnaire inclut 30 questions permettant de caractériser différents domaines de la qualité de vie couvrant l’état physique, psychique, somatique et le bienêtre social. Nous avons utilisé une mesure globale de la qualité de vie, le QLQ-C30 summary score, qui est obtenu en moyennant 13 dimensions de la qualité de vie recueillies par le questionnaire ; plus le QLQ-C30 summary score est élevé, plus la qualité de vie est bonne [15]. Nous avons comparé la qualité de vie recueillie au moment du diagnostic, puis un an et deux ans après le diagnostic. Nous avons également quantifié les inégalités sociales de qualité de vie à l’aide du SII (slope index of inequality), un indice synthétique qui tient compte de l’ensemble de la population. Cet indice peut s’interpréter comme la différence de qualité de vie entre les personnes qui ont la situation sociale la plus favorable et celles qui ont la situation sociale la moins favorable. Si la maladie et ses traitements n’ont aucun effet sur les inégalités sociales, le SII ne diffèrera pas entre l’inclusion et les autres temps de mesure. Les analyses ont tenu compte d’un certain nombre de facteurs qui peuvent impacter la qualité de vie, à savoir l’âge, le statut ménopausal et l’état de santé (indice de Charlson) au diagnostic, la participation à un essai clinique, le type de chirurgie reçue pour le sein et pour les ganglions, et le traitement par radiothérapie, chimiothérapie et hormonothérapie. Le SII a été calculé au moment du diagnostic, puis un an et deux ans après le diagnostic. L’évolution au cours du temps des inégalités a été testée à l’aide d’une interaction entre l’indice d’inégalité et le temps, en considérant la situation au diagnostic comme référence.

Une augmentation des inégalités sociales de qualité de vie

Au total, 1 976 femmes (17,4 %) sont perdues de vue ou sorties d’étude au cours des deux années suivant leur diagnostic et 3 509 (37,2 %) n’ont pas répondu aux questionnaires permettant de mesurer la situation sociale et la qualité de vie. Ainsi l’analyse a porté sur 5 915 femmes. Par rapport aux femmes exclues de l’analyse, la population étudiée ne présente pas de différence marquée en termes de stade au diagnostic ou de traitement. Elle est toutefois sensiblement plus jeune (8,4 % a plus de 70 ans versus 15,2 %) et a une situation sociale plus favorisée (66,0 % ne rapporte pas de difficulté financière versus 57,8 %).

Au moment du diagnostic, la qualité de vie est meilleure chez les femmes qui ne rapportent pas de difficultés financières. Pour l’ensemble des femmes, la qualité de vie baisse au cours de la première année suivant le diagnostic puis se stabilise. Toutefois, cette baisse est plus marquée parmi les femmes les plus défavorisées socialement (Figure 1).

thumbnail Figure 1

Qualité de vie selon la situation financière perçue et le temps de recueil.

Pour compléter ces résultats, nous avons quantifié les inégalités sociales de qualité de vie à l’aide du SII. Après ajustement en fonction de l’âge des femmes, de leur état de santé, des caractéristiques biologiques du cancer et du traitement reçu, des inégalités sociales importantes sont observées au diagnostic avec un indice d’inégalités égal à 7,6 (6,2-8,9), ce qui signifie une qualité de vie 7,6 points plus élevée parmi les femmes les plus favorisées par rapport aux femmes les plus défavorisées. Les inégalités s’accroissent au cours de la première année suivant le diagnostic (SII1 an = 11,1 (IC 95 % 9,4-12,8)) et se stabilisent ensuite (SII2 ans =10,7 (9,1-12,2). Le creusement des inégalités est statistiquement significatif (p < 0,001 à 1 an, p = 0,01 à 2 ans).

Lorsque l’on compare des indices de qualité de vie au cours du temps, une des difficultés est de déterminer si les différences observées sont cliniquement significatives. Il n’existe pas de seuil validé pour le QLQ-C30 summary score. Toutefois, une différence de 5 points de qualité de vie a été montrée comme une différence clinique importante dans le cas de cancers du sein avancés ou métastatiques. On peut donc raisonnablement faire l’hypothèse qu’une différence moindre sera cliniquement importante pour des cancers non métastatiques comme dans notre étude. Étant donnée leur ampleur, les inégalités sociales mises en évidence dans notre étude peuvent être considérées comme cliniquement importantes.

Pour évaluer la stabilité de nos résultats, nous avons conduit les mêmes analyses avec une mesure différente de la situation sociale (revenu du foyer ou niveau d’études de la femme) mais également de la qualité de vie en considérant des symptômes (douleur, fatigue, insomnie, dyspnée, constipation, diarrhée, perte d’appétit et nausée, et symptômes spécifiques du cancer du sein tels que symptômes au niveau du sein, symptômes au niveau du bras, et effets secondaires des traitements). Les conclusions sont identiques. Des résultats similaires sont également retrouvés lorsque l’on conduit les analyses séparément chez les femmes pré-ménopausées ou post-ménopausées, traitées ou non par chimiothérapie ou par hormonothérapie. Enfin, les conclusions demeurent dans le sous-groupe des femmes participant à un essai clinique, qui sont pourtant plus susceptibles de bénéficier d’un suivi médical plus rapproché. La stabilité des résultats dans ces différentes analyses souligne l’importance et l’universalité des inégalités sociales et de leur évolution après un cancer du sein mises en évidence par nos analyses.

Perspectives

Notre étude a montré une augmentation rapide des inégalités sociales de qualité de vie après un diagnostic de cancer du sein, puis un maintien de ces inégalités au cours du temps. Cet accroissement s’observe quels que soient l’âge des femmes, leur état de santé, les caractéristiques biologiques du cancer ou le traitement reçu. Cela souligne l’importance de la gestion des effets secondaires des traitements, qu’ils soient physiques ou psychologiques. Pour cela, il existe des soins de support dont l’efficacité a été prouvée, tels que l’activité physique, le soutien psychologique, l’acupuncture ou la pratique du yoga [1618]. Toutefois, l’accès à ces ressources est inégalitaire : il nécessite tout d’abord d’en avoir connaissance, mais également de disposer de temps et d’argent. Ainsi il ne suffit pas que les traitements du cancer soient accessibles à tous, comme c’est le cas en France, pour que les inégalités sociales de santé soient inexistantes. En effet, à l’inverse des soins curatifs du cancer, la prise en charge des soins de support dépend de la qualité du contrat de l’assurance maladie complémentaire, très liée au statut socioéconomique de la femme et notamment à son statut sur le marché du travail, et implique presque toujours un reste à charge. Le contexte socio-économique, indépendamment des caractéristiques cliniques, a un retentissement majeur sur l’état de santé. À l’heure de la médecine de précision, en particulier en oncologie, il est donc impératif de prendre en charge la personne dans son ensemble, en tenant compte non seulement de la dimension biologique de la maladie mais également de l’environnement social [19] ().

(→) Voir m/s hors-série n° 2, 2014, page 27

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

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Liste des figures

thumbnail Figure 1

Qualité de vie selon la situation financière perçue et le temps de recueil.

Dans le texte

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