Open Access
Issue
Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 3, Mars 2025
Page(s) 226 - 228
Section Nouvelles
DOI https://doi.org/10.1051/medsci/2025030
Published online 21 March 2025

La leucémie aigüe lymphoblastique (LAL) est responsable d’environ un tiers des cas de cancer chez l’enfant : c’est le cancer pédiatrique le plus fréquent. La majorité des cas (85-90 %) sont d’origine B-lymphoblastique (B-LAL) [1]. Malgré des avancées thérapeutiques majeures, environ 20-25 % de ces enfants développent une résistance à la chimiothérapie [2], nécessitant d’autres traitements comme la transplantation de cellules souches hématopoïétiques ou les cellules CAR-T [3] ().

(→) Voir m/s n° 5, 2024, page 445

Un élément clé de cette résistance est l’insensibilité précoce aux glucocorticoïdes, des médicaments de première ligne dans le traitement de cette leucémie. Les glucocorticoïdes, via leurs récepteurs intracellulaires, induisent normalement l’apoptose des cellules leucémiques en régulant l’expression génique. Cependant, ils peuvent paradoxalement favoriser aussi la survie des cellules, notamment via la signalisation par les ions calcium (Ca2+) cytosoliques [46] ().

(→) Voir m/s n° 2, 2017, page 130

Le mécanisme par lequel cette signalisation module la sensibilité des cellules leucémiques aux glucocorticoïdes était inconnu. Les résultats de nos travaux de recherche viennent de révéler un mécanisme critique de résistance des cellules B-LAL à l’effet pro-apoptotique des glucocorticoïdes. Ils indiquent que la signalisation par le récepteur de chimiokine CXCR4 et la phospholipase PLCγ2 est une cible thérapeutique prometteuse pour surmonter cette résistance [7].

Rôles de la PLCγ2 dans la signalisation des glucocorticoïdes

L’ion Ca2+ est un messager secondaire impliqué dans diverses fonctions cellulaires. Dans les lymphocytes B, sa concentration cytosolique augmente lorsque la phospholipase C est activée à la membrane plasmique par le récepteur des lymphocytes B (B cell receptor, BCR) ou par des récepteurs couplés aux protéines G. La phospholipase Cγ2 (PLCγ2), un régulateur central de la signalisation des lymphocytes, est impliquée dans la prolifération et la survie des cellules leucémiques. Des dysfonctionnements de la PLCγ2 ont été rapportés dans la résistance au traitement de la leucémie lymphoïde chronique par l’ibrutinib [8].

Nous avions précédemment montré que la signalisation par les ions Ca2+ était plus active dans les échantillons humains primaires et les lignées cellulaires de B-LAL, par rapport aux échantillons de lymphoblastes sains [6]. Dans la B-LAL, la PLCγ2 est fortement exprimée et activée par phosphorylation de manière aberrante. Cette activation « constitutive » de la PLCγ2 entraîne la production de deux messagers secondaires, l’inositol 1, 4, 5-trisphosphate (IP3) et le diacylglycérol (DAG), ce qui provoque la libération dans le cytosol des ions Ca2+ contenus dans les réservoirs internes (principalement le réticulum endoplasmique) et l’activation de la protéine kinase C, deux éléments clés de la survie des lymphoblastes B. L’inhibition de la PLCγ2 par différents inhibiteurs dans les cellules leucémiques a entraîné une réduction significative de l’activité constitutive de la PLCγ2, et par conséquent une diminution de la signalisation de Ca2+, et une induction de la mort cellulaire. L’inhibition de la protéine kinase C, du récepteur d’IP3, ou de la calcineurine/NFAT (nuclear factor of activated T-cells), qui sont des effecteurs de cette phospholipase, a également conduit à la mort cellulaire [7].

Nous avons créé une lignée de cellules B-LAL résistante aux glucocorticoïdes en exposant des cellules B-LAL à une concentration croissante de dexaméthasone pendant 44 jours, ce qui les a rendues moins sensibles à l’effet proapoptotique de la dexaméthasone, une résistance qui n’était pas liée à une diminution de l’expression du récepteur des glucocorticoïdes. Cependant, nous avons pu réduire cette résistance en ajoutant un inhibiteur de la PLCγ2 ou de la protéine kinase C. Les cellules B-LAL résistantes présentaient en effet une phosphorylation et une activité enzymatique accrues de la PLCγ2 par rapport aux cellules B-LAL sensibles. De plus, nous avions montré que l’expression de la PLCγ2 est plus forte chez les patients en rechute précoce. L’inhibition de la PLC dans les cellules B-LAL résistantes à la dexaméthasone a entraîné une réduction de l’expression des gènes associés au cycle cellulaire, avec un arrêt du cycle en phase subG1 et une inhibition de la phase G2/M, ce qui suggère que cette phospholipase joue un rôle clé dans la survie des cellules B-LAL en régulant la progression du cycle cellulaire et l’expression de gènes essentiels à la division cellulaire [7].

Sur le plan signalétique, la dexaméthasone accroît la concentration cytosolique de Ca2+, notamment par la déplétion de la réserve du réticulum endoplasmique, et cette réponse calcique est supprimée par l’inhibition pharmacologique ou la suppression génétique de la PLCγ2, ce qui entraîne une augmentation de la sensibilité des lignées cellulaires B-LAL et des échantillons humains primaires de B-LAL à l’effet pro-apoptotique de la dexaméthasone. Nous avons également montré que l’activation de la PLCγ2 par la dexaméthasone dans les cellules leucémiques déclenche les voies de signalisation IP3/Ca2+ et DAG/protéine kinase C, qui contribuent à la résistance de ces cellules aux glucocorticoïdes. De plus, la voie calcineurine/NFAT, également régulée par la PLCγ2, influe sur la sensibilité aux glucocorticoïdes. L’inhibition de la PLCγ2, de la protéine kinase C, ou de la calcineurine a permis de surmonter la résistance à la dexaméthasone dans des échantillons primaires humains de B-LAL [7]. L’ensemble de ces résultats indique que la signalisation impliquant la PLCγ2 favorise la résistance des cellules B-LAL à l’effet pro-apoptotique des glucocorticoïdes. Cibler cette signalisation pourrait donc améliorer leur efficacité contre la leucémie aigüe lymphoblastique B.

Un mécanisme de résistance impliquant CXCR4

La signalisation impliquant la PLC est activée par des récepteurs de surface tels que le BCR ou des récepteurs couplés aux protéines G. Une analyse de corrélation dans plusieurs ensembles de données de LAL a montré que l’expression du gène de la PLCγ2 était fortement corrélée à celle du gène du récepteur de chimiokine CXCR4. CXCR4 est fortement exprimé dans les cellules B-LAL, et cette expression est associée à une hypométhylation des dinucléotides CpG de l’ADN, un facteur favorisant la division cellulaire. L’inhibition de CXCR4 a entraîné une diminution de la réponse Ca2+ à la dexaméthasone, ce qui suggère que ce récepteur est impliqué dans cette réponse. Par ailleurs, la présence du récepteur CXCR4 à la surface cellulaire était réduite après stimulation des cellules B-LAL par la dexaméthasone, et nous avons montré que celle-ci entraîne une internalisation de CXCR4 dans les cellules. De plus, la réponse du ligand naturel de CXCR4, SDF-1 (stromal cell-derived factor 1), a été réduite par la dexaméthasone, ce qui est un argument supplémentaire en faveur de l’internalisation du récepteur. La stimulation de CXCR4 par SDF-1 a augmenté la viabilité des cellules B-LAL, et a diminué leur sensibilité à l’effet pro-apoptotique de la dexaméthasone. Cette résistance a été constatée même pour de faibles concentrations de SDF-1. Les antagonistes de CXCR4 ont restauré la sensibilité des cellules B-LAL à la dexaméthasone, ce qui indique que l’inhibition de la voie de signalisation impliquant ce récepteur augmente la susceptibilité des cellules B-LAL à l’effet pro-apoptotique des glucocorticoïdes. Des traitements combinés associant dexaméthasone et antagonistes de CXCR4 ou l’inhibition de l’expression du gène CXCR4 (par la technique CRISPR-Cas9 ou l’utilisation de petits ARN interférents), ont entraîné une augmentation de la mort cellulaire. De plus, l’inhibition de CXCR4 a permis de vaincre la résistance de cellules B-LAL du sang ou de la moelle osseuse à l’effet pro-apoptotique de la dexaméthasone. L’analyse a montré que l’inhibition de CXCR4 favorisait l’apoptose par un blocage du cycle cellulaire, en activant la population cellulaire apoptotique subG1. Enfin, des expériences in vivo ont confirmé que l’inhibition de CXCR4 et de la PLC améliorait la survie des souris immunodéficientes NOD-SCID gc-/- (souris NSG) transplantées avec des cellules B-LAL humaines et traitées par la dexaméthasone [7].

thumbnail Figure 1

Modèle proposé pour le mécanisme par lequel les glucocorticoïdes induisent leur propre résistance dans les cellules de leucémie aigüe lymphoblastique B (B-LAL). Le traitement des cellules B-LAL par le glucocorticoïde dexaméthasone (Dex) entraîne la translocation du récepteur cytoplasmique des glucocorticoïdes (GR) dans le noyau, où il induit un programme transcriptionnel conduisant à la mort des cellules lymphoïdes (effet thérapeutique). Cependant, Dex provoque également l’internalisation du récepteur de chimiokine CXCR4, suivie de l’activation d’une signalisation pro-survie (effet paradoxal) impliquant la phospholipase C (PLC). Cette voie pro-survie peut réduire l’efficacité de la chimiothérapie anti-cancéreuse.

Un nouvel espoir dans le traitement des leucémies de l’enfant

En résumé, cette étude propose un modèle où la dexaméthasone, par l’activation de CXCR4, induit paradoxalement sa propre résistance en activant la signalisation par la phospholipase C, ce qui bloque les voies de signalisation pro-apoptotiques et réduit l’effet anti-leucémique des glucocorticoïdes. Nous suggérons que l’utilisation d’inhibiteurs de CXCR4 et de la phospholipase C pourrait constituer une stratégie thérapeutique pour surmonter la résistance aux glucocorticoïdes dans la B-LAL. Ce mécanisme de résistance pourrait également être pertinent dans le cadre de la résistance des cellules leucémiques aux glucocorticoïdes induite par les cellules stromales de la moelle osseuse ou par les glucocorticoïdes endogènes.

Remerciements

Cette étude a bénéficié de financements de la Ligue contre le cancer (AK/IP/BC/16094/16792), du Comité départemental de la Ligue contre le cancer de Loire-Atlantique (IP/BC-17040), et de l’association « Vie et espoir ».

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Références

  1. Angot L, Schneider P, Vannier JP, et al. Beyond corticoresistance, a paradoxical corticosensitivity induced by corticosteroid therapy in pediatric acute lymphoblastic leukemias. Cancers (Basel) 2023 ; 15 : 2812. [Google Scholar]
  2. Irving JAE. Towards an understanding of the biology and targeted treatment of paediatric relapsed acute lymphoblastic leukaemia. Br J Haematol 2016 ; 172 : 655–66. [Google Scholar]
  3. Lew-Derivry L, Lamrani L, Alcantara M, Alanio C. Optimisation de l’efficacité et de la sécurité d’utilisation des lymphocytes CAR-T. Med Sci (Paris) 2024 ; 40 : 445–53. [CrossRef] [EDP Sciences] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Abdoul-Azize S, Dubus I, Vannier JP. Modulation de la sensibilité aux glucocorticoïdes dans les leucémies aiguës lymphoblastiques : Pyr3, un nouvel outil thérapeutique ? Med Sci (Paris) 2017 ; 33 : 130–2. [Google Scholar]
  5. Abdoul-Azize S, Dubus I, Vannier JP. Improvement of dexamethasone sensitivity by chelation of intracellular Ca2+ in pediatric acute lymphoblastic leukemia cells through the prosurvival kinase ERK1/2 deactivation. Oncotarget 2017 ; 8 : 27339–52. [Google Scholar]
  6. Abdoul-Azize S, Buquet C, Vannier JP, Dubus I. Pyr3, a TRPC3 channel blocker, potentiates dexamethasone sensitivity and apoptosis in acute lymphoblastic leukemia cells by disturbing Ca2+ signaling, mitochondrial membrane potential changes and reactive oxygen species production. Eur J Pharmacol 2016 ; 784 : 90–8. [Google Scholar]
  7. Abdoul-Azize S, Hami R, Riou G, et al. Glucocorticoids paradoxically promote steroid resistance in B cell acute lymphoblastic leukemia through CXCR4/PLC signaling. Nat Commun 2024 ; 15 : 4557. [PubMed] [Google Scholar]
  8. Walliser C, Hermkes E, Schade A, et al. The phospholipase Cγ2 mutants R665W and L845F identified in ibrutinib-resistant chronic lymphocytic leukemia patients are hypersensitive to the Rho GTPase Rac2 protein. J Biol Chem 2016 ; 291 : 22136. [Google Scholar]

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Liste des figures

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Modèle proposé pour le mécanisme par lequel les glucocorticoïdes induisent leur propre résistance dans les cellules de leucémie aigüe lymphoblastique B (B-LAL). Le traitement des cellules B-LAL par le glucocorticoïde dexaméthasone (Dex) entraîne la translocation du récepteur cytoplasmique des glucocorticoïdes (GR) dans le noyau, où il induit un programme transcriptionnel conduisant à la mort des cellules lymphoïdes (effet thérapeutique). Cependant, Dex provoque également l’internalisation du récepteur de chimiokine CXCR4, suivie de l’activation d’une signalisation pro-survie (effet paradoxal) impliquant la phospholipase C (PLC). Cette voie pro-survie peut réduire l’efficacité de la chimiothérapie anti-cancéreuse.

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