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Med Sci (Paris)
Volume 41, Number 2, Février 2025
Nos jeunes pousses ont du talent !
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Page(s) | 198 - 200 | |
Section | Partenariat médecine/sciences - Écoles doctorales - Masters | |
DOI | https://doi.org/10.1051/medsci/2025020 | |
Published online | 03 March 2025 |
Les ARN Alu, un nouvel espoir de thérapie anti-cancéreuse
Alu RNAs, a new hope for anti-cancer therapy
Master 2 Infectiologie, Immunité, Vaccinologie et Biomédicaments, Université de Tours, Tours, France
Les cancers de la peau figurent parmi les cancers les plus fréquemment diagnostiqués à travers le monde avec près de 1,5 million de nouveaux cas en 2020. Ils se répartissent en 2 types : les carcinomes cutanés, correspondant à 90 % de ces cancers mais restant généralement bénins, et les mélanomes qui ne représentent que 10 % des cancers de la peau mais dont l’évolution est le plus souvent maligne. Les mélanomes touchent principalement des individus d’âge moyen à âgé, avec une médiane autour de 50 ans [1]. Aujourd’hui, le principal traitement utilisé contre les mélanomes est la chirurgie. D’autres traitements sont disponibles comme l’utilisation d’inhibiteurs ciblant l’oncogène braf (qui code la kinase B-Raf impliquée dans la prolifération cellulaire) ou des points de contrôle immunitaires comme PD-1 (Programmed cell death protein 1) qui joue un rôle dans la régulation immunitaire [2,3]. Ces immunothérapies ont permis une avancée majeure dans la prise en charge des mélanomes, cependant une proportion importante de mélanomes répond peu ou pas à ces traitements [4]. Cette observation met en avant le besoin de développer de nouvelles thérapies contre les mélanomes, en cas de résistance aux traitements, mais également pour améliorer globalement la prise en charge des cancers. L’article de Kyle M. Garland et al. décrit la mise au point d’une nouvelle thérapie ciblée contre les tumeurs basée sur l’utilisation des ARN Alu [5], qui sont des rétrotransposons, une classe d’éléments génétiquement mobiles non codants. Plus précisément, ce sont des séquences d’ARN répétées d’environ 280 paires de bases, appelées éléments dispersés courts (SINE pour Short-Interspersed Nuclear Element) et présentes uniquement chez les primates, dont l’Homme [6]. L’ARN cellulaire est physiologiquement inerte immunologiquement grâce à certaines modifications comme l’édition des bases adénosine en inosine (A→I) réalisée par l’enzyme ADAR (Adenosine deaminase acting on RNA) [7]. Chez les patients atteints de sclérose en plaques (SEP), cette édition A→I des ARN Alu doubles brins est diminuée, contribuant à une réponse auto-immune avec une production d’interférons de type I (IFN-I) plus importante que chez les individus sains, les IFN-I favorisant la réponse immunitaire cellulaire et anti-tumorale [8, 9]. Ainsi, Kyle M. Garland et ses collègues se sont basés sur l’ensemble de ces résultats pour administrer des ARNs Alu non édités issus de patients atteints de SEP à des patients atteints de mélanome dans le but d’induire une réponse immunitaire anti-tumorale via la production d’IFN-I.
Ingénierie in vitro des ARN Alu par couplage à des nanoparticules pour améliorer leur efficacité
À partir des données de « whole genome RNA-seq FASTQ », les auteurs ont mis en évidence via l’outil d’analyse SPRINT que les ARN Alu double brins du groupe de patients atteints de mélanome possédaient des taux d’édition A→I variables. Aussi, ils ont pu observer que ceux présentant un taux d’édition élevé de ces ARN avaient un taux de survie significativement inférieur, qui serait dû à une baisse de l’activation des senseurs de l’ARN tels que RIG-I (Retinoic acidinductible gene I) ou des récepteurs de l’immunité innée comme le TLR3 (Toll-like receptor 3), impliqués dans l’activation de cellules de l’immunité innée telles que les monocytes/macrophages. Parmi les familles d’ARN Alu, (AluJ, AluS et AluY), les ARNs AluJb (AluJb) présentent les meilleures capacités immuno-stimulatrices. Ils sont composés de deux structures intramoléculaires doubles brins, appelées bras gauche et bras droit, séparées par un linker (Figure 1A) [8]. Dans une étude précédente, l’équipe a pu mettre en évidence que le bras gauche de l’AluJb, seul, conserve des capacités immuno-stimulatrices similaires à l’AluJb entier [8], et c’est sur ce format que leur choix s’est porté. Cependant, les ARN AluJb ne peuvent être délivrés nus aux patients du fait de leur charge négative, incompatible avec les charges positives présentes à la surface des cellules. Pour pallier ce problème, les auteurs ont couplé les AluJb avec une nanoparticule constituée d’un polymère endosomolytique, le poly[(DMAEMA)-block-(PAA-co-DMAEMA-co-BMA)] (D-PDB), organisé en micelles (Figure 1B). Pour optimiser l’activité des AluJb couplés aux nanoparticules, les auteurs ont testé différents rapports de charges, c’est-à-dire la quantité molaire d’amines protonées (N) dans la nanoparticule sur la quantité de phosphates (P) sur l’AluJb. Les résultats montrent que la complexation des AluJb avec le D-PDB est optimale à un rapport de charges N/P de 4, soit 4 molécules d’ARN AluJb fixées sur une nanoparticule. Les nano-particules ainsi couplées conservent une taille de 100 nm et une forme sphérique (Figure 1C).
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Figure 1 Activité antitumorale des nanoparticules ARN AluJb/D-PDB (Alu-NP) à la suite de leur administration. A. Les Alu-NPs, composées de 4 bras gauche d’ARN AluJb conjugués à une nanoparticule organisée en mycelle, sont administrés aux souris C57BL/6 au sein des mélanomes. B. Les ARN Alu libérés des nanoparticules sont reconnus par le TLR3 (Toll-like receptor 3) et RIG-I (Retinoic acid-inductible gene I) pour permettre l’activation des facteurs de transcription IRF7 (Interferon regulatory factor 7) et NF-kB (Nuclear factor-kappa B) induisant leurs translocations nucléaires. C. IRF7 et NF-kB vont induire l’expression de gènes pro-inflammatoires tels que ifnb1, Cxcl10 et Tnf. D. Sécrétion de cytokines proinflammatoires (par exemple : IFN-I) et recrutement de lymphocytes T CD8+ dans le microenvironnement tumoral. |
L’efficacité des nanoparticules AluJb/D-PDB (Alu-NP) a ensuite été testée in vitro sur des lignées cellulaires de macrophages murins et de monocytes humains exprimant le gène de la luciférase en aval du promoteur inductible de l’IFN-I, dans le but de pouvoir mesurer la production d’IFN-I suite à l’administration des Alu-NPs. Les résultats mettent en évidence que l’administration d’Alu-NPs induit une production significative d’IFN-I dans les macrophages et les monocytes à la concentration efficace médiane (CE50 %) de 5,3 nmol/L et 8,3 nmol/respectivement, contrairement aux AluJb et aux D-PDB seuls qui n’induisent pas de production d’IFN-I. Ainsi, les auteurs ont montré que l’association des deux éléments (ARN AluJb et D-PDB) est nécessaire pour avoir une capacité immuno-stimulatrice des ARN AluJb sur des cellules de l’immunité innée.
L’injection intra-tumorale des Alu-NPs stimule l’immunité innée et l’immunité adaptative chez la souris
Afin de déterminer le potentiel immuno-stimulateur des Alu-NPs in vivo, les auteurs ont inoculé à des souris C57BL/6 par voie sous-cutanée des cellules tumorales murines de mélanome B16. F10, une variante de la lignée cellulaire B16 fréquemment utilisée en laboratoire pour sa capacité à former des tumeurs palpables en 5 à 10 jours [10]. Deux injections intra-tumorales d’Alu-NP ont été réalisées à 3 jours d’intervalle et les tumeurs ont été prélevées 6 heures après la dernière injection afin de mesurer l’expression de gènes codant des molécules inflammatoires. Lors d’une étude précédente réalisée en 2020, l’équipe avait montré que les ARNs Alu sont reconnus par le récepteur transmembranaire TLR3 et le récepteur intracellulaire RIG-I [8]. Ainsi, dans cette étude, ils ont montré par RT-qPCR (reverse transcription quantitative polymerase chain reaction), que l’expression de gènes codant différentes cytokines régulées par ces récepteurs, notamment ifnb1, cxcl10 et tnf, était augmentée au sein du microenvironnement tumoral. De plus, l’expression de la luciférase suggérait que l’administration intra-tumorale d’Alu-NPs entraînait une production augmentée d’IFN-I.
Ainsi, ces résultats ont permis à l’équipe de conclure que l’injection locale des Alu-NPs dans les tumeurs induit une réponse immunitaire innée pro-inflammatoire. Ensuite, les auteurs ont voulu déterminer si les Alu-NPs présentaient une efficacité thérapeutique anti-tumorale. Pour cela, des souris C57BL/63 ont reçu 3 injections intra-tumorales d’Alu-NPs à 3 jours d’intervalle. Une diminution significative de la croissance tumorale, et par conséquent une survie prolongée, a été observée chez les souris traitées par les Alu-NPs. Les chercheurs ont ensuite déplété des lymphocytes T CD8+ (LTCD8), grâce à un anticorps, la veille du traitement de souris porteuses de tumeurs par les Alu-NPs. Cela leur a permis de déterminer l’implication de ces cellules, dont le rôle anti-tumoral est bien connu, dans l’efficacité des Alu-NPs. Le volume des tumeurs était significativement supérieur en absence de LTCD8, comparable au groupe non traité, soulignant l’importance de l’immunité adaptative dans l’efficacité anti-tumorale des Alu-NPs.
Conclusion
À travers cette étude, les auteurs ont démontré la possibilité d’utiliser des transcrits identifiés chez des patients atteints de SEP à des fins thérapeutiques pour le traitement de mélanomes, en utilisant les propriétés pro-inflammatoires des ARN Alu double brins non édités et couplés à des nanoparticules de D-PDB (Figure 1D). Récemment, d’autres nanoparticules avec des capacités optimisées à délivrer les ARN AluJb dans le cytoplasme des cellules ont été décrites par l’équipe, par exemple via l’ajout d’une couronne de polyéthylène glycol qui augmente l’échappement au système immunitaire ainsi que leur stabilité [11, 12]. Le couplage des AluJb avec ces autres nanoparticules pourrait améliorer leur activité thérapeutique anti-cancéreuse. Cependant, l’étude de la toxicité des Alu-NPs doit être approfondie grâce à d’autres tests car le seul paramètre du poids des souris n’est pas suffisant pour parvenir à une telle conclusion. Dans l’ensemble, l’équipe de Kyle M. Garland a réussi à mettre au point une stratégie anti-cancéreuse innovante par l’administration d’ARN Alu dans l’objectif de traiter des patients atteints de mélanome et est la première équipe à utiliser de tels transcrits pour une stratégie thérapeutique anti-cancéreuse.
Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Références
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Figure 1 Activité antitumorale des nanoparticules ARN AluJb/D-PDB (Alu-NP) à la suite de leur administration. A. Les Alu-NPs, composées de 4 bras gauche d’ARN AluJb conjugués à une nanoparticule organisée en mycelle, sont administrés aux souris C57BL/6 au sein des mélanomes. B. Les ARN Alu libérés des nanoparticules sont reconnus par le TLR3 (Toll-like receptor 3) et RIG-I (Retinoic acid-inductible gene I) pour permettre l’activation des facteurs de transcription IRF7 (Interferon regulatory factor 7) et NF-kB (Nuclear factor-kappa B) induisant leurs translocations nucléaires. C. IRF7 et NF-kB vont induire l’expression de gènes pro-inflammatoires tels que ifnb1, Cxcl10 et Tnf. D. Sécrétion de cytokines proinflammatoires (par exemple : IFN-I) et recrutement de lymphocytes T CD8+ dans le microenvironnement tumoral. |
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